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Read Ebook: La destinée by Des Ages Lucie

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Ebook has 1743 lines and 56839 words, and 35 pages

bonne ?me eut senti ses yeux se mouiller en voyant la pauvre petite, accroupie devant un tas de hardes plus ou moins d?fra?chies, essayant elle-m?me et seule les loques les moins us?es, d'ordinaire beaucoup trop grandes et dans lesquelles se perdait sa taille enfantine.

Nous la trouvons un matin occup?e avec son grand-p?re ? examiner un paquet de v?tements et ? mettre de c?t? ceux dont l'?tat de v?tust? est tel que Nicolas, n'esp?rant rien en retirer, les lui abandonne. Assis, un crayon et un portefeuille crasseux entre les mains, le marchand inscrit les diff?rents objets de toilette achet?s en bloc et presque pour rien ? une vente ? laquelle il a assist? la veille. Sarah soul?ve un ? un ces objets et sa convoitise se trouve excit?e tout ? coup par une robe d'enfant bleue et blanche, ? peu pr?s us?e, mais conservant encore une certaine apparence d'?l?gance. Elle la tient presque respectueusement ? la main et admire avec complaisance les dentelles frip?es dont elle est orn?e.

- Voil? un oripeau qui fera sans doute l'affaire d'une des femmes du voisinage, dit Nicolas. Elles ont toutes la passion de parer leur marmaille comme des idoles et celles qui n'ont pas assez d'argent pour acheter du neuf viennent chez moi. J'en tirerai bien quelques sous.

- Oh! grand-p?re, donnez-la-moi.

Habituellement, Sarah n'ose gu?re formuler ses d?sirs devant ce vieillard dur et sordide, mais celui-ci l'a emport? sur sa timidit? native.

- Qu'en ferais-tu?

Elle allonge la robe le long de sa taille mince et montre qu'elle semble de bonne grandeur pour elle:

- Je la porterais.

- Toi? Allons donc! C'est beaucoup trop ?l?gant pour une fille de.....

Il s'interrompit.

- Une fille de quoi? reprend l'enfant.

Le vieillard fait un geste d'impatience.

- Je m'entends, dit-il, et ?a suffit.

Et comme elle regarde sans comprendre, ses grands yeux fix?s sur lui avec ?tonnement:

- Vois-tu, petite, il ne faut pas t'imaginer de jouer ? la grande dame. Vrai! Il y a des moments o? je ne te reconnais pas pour mon sang! Tu as des instincts de vanit? folle! Tu voudrais ?tre mise comme une demoiselle!

Le reproche semble d?risoire, adress? ? la pauvre enfant. Du moins, si jamais pareille ambition s'est ?veill?e dans sa t?te, s?rement il lui a refus? tout moyen de la r?aliser, et cette folle id?e, si elle a exist?, est destin?e comme beaucoup des choses de ce monde ? tomber dans le n?ant sans avoir amen? aucun r?sultat.

Le marchand regarde Sarah avec un air sournois et moqueur; on dirait qu'? travers cette fr?le et mis?rable cr?ature qu'il accuse de vanit? et d'amour du luxe, son regard haineux remonte vers une autre personne qu'elle lui rappelle.

- Cette robe est si belle! murmure la petite fille, qui n'a pas compris grand'chose ? la morale de son grand-p?re et s'?tonne m?me de le trouver plus loquace qu'? l'ordinaire.

- Eh bien! si elle est belle, elle se vendra.

Des larmes roulent dans les yeux de l'enfant, mais Nicolas n'a pas pour habitude d'?tre sensible ? si peu de chose. La robe bleue, inscrite sur son calepin, va prendre rang parmi les objets ? vendre, et Sarah suit des yeux avec regret les dentelles jaunies qui l'avaient s?duite.

H?las! que de d?sirs tout aussi innocents s'?vanouissent ainsi sous la main brutale de la vie, plus dure souvent que ne l'?tait alors celle du vieux marchand.

- D?p?che-toi de faire ton travail et que le d?jeuner soit pr?t quand je rentrerai, dit-il brusquement.

Ayant fini de compulser les richesses r?unies en tas sur le plancher, il les ramasse, les plie, et apr?s les avoir serr?es avec soin, il sort du magasin pour aller faire une course lointaine, remise depuis plusieurs jours.

Demeur?e seule, Sarah erre ? travers le magasin, touchant avec indiff?rence les objets ? sa port?e. Ces meubles lui sont familiers et l'atmosph?re de ces salles p?se sur elle depuis plusieurs ann?es; aussi une expression de tristesse r?gne d'ordinaire sur sa physionomie.

En ce moment, ce n'est pas qu'elle regrette la robe bleue; ses larmes sont d?j? s?ch?es et elle a si rarement go?t? un plaisir quelconque qu'elle ?prouve ? peine un instant de contrari?t? quand son grand-p?re refuse d'acc?der ? une de ses rares demandes. Il lui semble naturel de ne pas jouir, tant sa vie a ?t? jusqu'ici d?pourvue des petits bonheurs accord?s habituellement ? son ?ge. A force de vivre dans cette vie monotone et silencieuse, elle s'engourdit dans une torpeur qui r?agit sur sa sant?.

L'enfant est un ?tre d?licat dont le moral demande presque autant que le physique le contact de l'air et du soleil. Or, la petite-fille de Nicolas ne sort jamais que pour les courses n?cessaires au m?nage, et, renferm?e pendant la plus grande partie de ses journ?es, elle pourrait presque se demander si le soleil existe encore. Pourtant, en ce moment, il envoie dans la pi?ce o? elle est un rayon qui a grand'peine ? traverser l'?paisse couche de poussi?re dont sont rev?tues les vitres de la fen?tre. Mais il est si p?le, ce rayon! Son or devient terne en se reposant sur le sol humide et noir du magasin. Quand parfois un brusque mouvement dans l'air du dehors le jette un instant sur la bordure brillante d'un cadre, ce n'est qu'un ?clair. La poussi?re de la vitre, devant laquelle les araign?es amoncellent leurs toiles, le voile promptement et tout, autour de Sarah, rentre dans l'ombre au milieu de laquelle se meuvent des milliers d'at?mes.

Arriv?e ? un si?ge large et bas sur lequel se trouve un amas de coussins en pile, la petite fille s'y est jet?e et immobile, sans s'occuper du travail qu'elle a ? faire dans la matin?e, ses deux mains crois?es sur ses genoux dans l'attitude de l'oubli complet du pr?sent, elle regarde sans le voir l'?trange ameublement qui l'entoure.

Devant elle, une haute glace refl?te les objets et les nombreux miroirs suspendus de tous les c?t?s. A ses pieds, une ?toffe ? rayures vives est tomb?e sur le carreau et cache ? demi la d?pouille us?e de quelque malheureux cr?ancier, qui n'a pu trouver gr?ce devant Nicolas et a d? lui laisser en gage une partie de ses pauvres v?tements. Entass?s sur une console dor?e, aux guirlandes de roses soutenues par des amours, on voit deux statuettes de marbre supportant des cand?labres de cristal, plusieurs coupes riches ou curieuses et une tenture de soie bleu p?le, dont les plis tombent sur la console et viennent appuyer leurs franges aux reflets d'argent sur un beau vase en porcelaine de Nevers, coiff? fort ?trangement d'un casque du seizi?me si?cle.

Les regards de la petite fille passent distraitement d'un objet ? l'autre. Puis elle ferme les yeux et son imagination remonte le cours, bien peu d?velopp? encore, des ann?es quelle a pass?es sur la terre. Elle songe ? son enfance, ce qui est sa distraction habituelle dans es longues heures de solitude.

Sarah n'a aucun souvenir bien pr?cis, tout au plus de rapides ?claircies demeur?es dans sa m?moire et si voil?es qu'elle se demande parfois si ce ne sont point des r?ves qu'elle prend ainsi pour des r?alit?s. Toutefois une chose demeure bien nette pour elle: c'est que ses premi?res ann?es se sont ?coul?es dans un autre pays, sous un ciel plus chaud, dans une lumi?re plus vive et qu'alors, conduite par une femme qu'elle appelait sa m?re, il lui est arriv? de parcourir la campagne et de respirer un air moins pesant et moins triste que celui de la demeure de Nicolas.

Souvent, le dimanche soir, quand elle voit les enfants du voisinage rentrer chez eux apr?s une promenade et rapporter des brass?es de fleurs ramass?es dans les champs, elle soupire. Si elle l'osait, elle s'enfuirait ? son tour pour errer quelques heures ? travers ces champs dont elle aper?oit la verdure; mais elle n'ose s'aventurer ainsi seule au dehors et son grand-p?re a toujours refus? de l'accompagner. En ce moment, elle r?ve de fleurs, de verdure, d'air libre, ? la fa?on du prisonnier, si longtemps retenu dans son cachot que tout cela prend ? ses yeux un charme au-del? du r?el.

Tout ? coup, avec la mobilit? naturelle ? son ?ge, elle sort de cette r?verie qui pour elle remplace les contes de f?es dont on berce d'ordinaire les enfants. Cherchant une distraction, elle ?tend la main vers un coffret plac? ? sa port?e, l'ouvre, en sort quelques bijoux anciens et les examine les uns apr?s les autres. Un collier d'un travail souple et gracieux la s?duisant, elle le passe ? son cou et sourit en levant les yeux vers la glace qui lui renvoie son image.

La fille d'Eve se fait jour en cette fr?le enfant ? laquelle jamais aucun regard n'a dit qu'elle ?tait belle. Prise d'un acc?s de coquetterie, elle ramasse l'?toffe ray?e gisant ? ses pieds, l'enroule autour d'elle, rel?ve ses cheveux avec des ?pingles ? t?te de corail, et chargeant ses bras de bracelets, elle se met ? sauter devant la glace avec une joie na?ve.

A ce moment, la porte s'ouvre, Jacques et Robert entrent, et la petite fille, effray?e, se rejette sur son si?ge en cachant sa t?te ? travers les coussins.

- Est-ce la f?e du logis? demande le docteur en riant.

Son compagnon parcourt la boutique du regard:

- Ou la princesse gardienne de ces richesses? Certes, le contenant n'annonce gu?re le contenu et personne ne se douterait, en voyant cette vieille bicoque, qu'elle renferme tant de belles choses! Les locataires de ce digne homme doivent ?tre royalement meubl?s s'il met ? leur disposition les ressources de son magasin et je m'attends ? dormir dans quelque lit monumental, sous de vieilles courtines brod?es par une ch?telaine u moyen ?ge.

- Il est peu probable que le bonhomme t'accorde un pareil luxe, r?pond Robert en suivant Jacques pr?s de Sarah. Sa r?putation ne permet gu?re d'esp?rer de sa part une pareille g?n?rosit? en ta faveur!

- Il est donc avare? demande Jacques ? demi-voix.

- On le dit et m?me on conte de lui des prodiges d'?conomie; mais, que t'importe, pourvu qu'il te loge convenablement pour ton argent?

Les deux jeunes gens avaient d?, pour parvenir ? la pi?ce dans laquelle ils se trouvaient, traverser les autres salles sans que la petite fille les e?t entendus venir. Elle ne leva pas la t?te ? leur approche et se serra, au contraire, d'un mouvement craintif, contre le coussin derri?re lequel se cachait son visage, semblable ? ces oiseaux qui, la t?te abrit?e sous leur aile, s'imaginent se d?rober ? l'oeil du chasseur.

- Cette petite cr?ature ne semble pas extr?mement civilis?e, dit Jacques. Elle para?t peu habitu?e ? la soci?t? de ses semblables!

- Il faut pourtant s'adresser ? elle, car je ne pense pas qu'il y ait personne autre dans la maison.

- Mademoiselle! appela le lieutenant en se penchant.

Sarah ne bougea pas.

- Voyons, regardez-moi, je vous en prie, reprit-il d'un ton insinuant. Je n'ai pas la pr?tention d'?tre un joli gar?on, mais un regard vous d?montrera que je n'ai rien de si terrifiant que vous semblez le croire.

Sa tentative fut sans succ?s et Sarah ne parut pas avoir entendu cette invitation.

Il se retourna d'un air d?courag? vers le docteur:

- Elle demeure insensible ? mon ?loquence et refuse d?cid?ment de me donner audience!

- Ton uniforme l'effraie peut-?tre.

- C'est donc une princesse bien sauvage! Essaie alors de l'apprivoiser, mon ami.

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