Read Ebook: La destinée by Des Ages Lucie
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Ebook has 1743 lines and 56839 words, and 35 pages
- C'est donc une princesse bien sauvage! Essaie alors de l'apprivoiser, mon ami.
- Mon enfant, dit Robert doucement, ayez la complaisance de nous r?pondre.
- Voil?, je pense, une fa?on civile d'interroger les gens! murmura Jacques.
- O? est M. Larousse? reprit le docteur, s'adressant encore ? la petite fille.
Celle-ci se hasarda enfin ? ?carter un des coussins et jeta un regard sur les visiteurs.
- Par o? ?tes-vous entr?s? demanda-t-elle avec autant d'?tonnement que si les deux jeunes gens, munis chacun d'une paire d'ailes, fussent descendus ? travers le rayon p?le que le soleil envoyait dans l'appartement.
- Par la porte, ma belle enfant, dit Jacques. Vous semblez ne pas comprendre que nous ayons us? d'un moyen si naturel de p?n?trer chez vous! Par o? pensez-vous donc que nous ayons l'habitude de nous introduire dans les magasins?
Le jeune officier s'amusait de l'attitude effarouch?e de Sarah et trouvait plaisant de la taquiner; mais Robert eut piti? d'elle:
- Je t'en prie, ne l'effraie pas. Elle est d?j? assez difficile ? approcher! Si tu continues, nous n'en tirerons rien.
Puis, se penchant de nouveau, car la petite fille du marchand ?tait rest?e dans la m?me position, h?sitant ? inspecter encore ceux qui lui parlaient:
- Peut-on voir Nicolas Larousse?
Sans doute, l'enfant sentit une intonation protectrice dans cette voix, adoucie pour la rassurer; relevant ses paupi?res aux longs cils et repoussant d'un geste ses cheveux, qui s'?taient d?nou?s et cachaient son visage, elle regarda le jeune homme.
Le docteur Martelac n'?tait rien moins que rassurant au premier abord; ses traits trop forts, son regard grave et sa taille ?lev?e devaient inspirer une certaine frayeur ? une sauvage cr?ature comme Sarah. La personne de Jacques, au contraire, avait une apparence d'?l?gance et de jeunesse; ses traits fins et r?guliers, ses grands yeux gris, sa moustache blonde et soyeuse, la douceur naturelle de son sourire, formaient un ensemble sympathique. Toutefois, Sarah fut satisfaite, sans doute, par le rapide coup d'oeil qu'elle avait jet? sur le premier, car ce fut ? lui qu'elle s'adressa quand elle se d?cida ? r?pondre, non sans un reste de timidit?:
- Il est sorti. Habituellement, il ne sort jamais sans fermer ? cl? la porte de la rue. Elle ne l'?tait donc pas?
- Non, nous avons frapp? longtemps et appel? quelqu'un. Personne ne nous ayant r?pondu, nous nous sommes d?cid?s ? ouvrir et votre rire de toute ? l'heure nous a amen?s vers vous.
- Comme vous ?tes belle! dit Jacques en montrant du doigt le collier de l'enfant. Vous ?tes couverte de bijoux comme les f?es des contes enfantins.
La comparaison, en ce moment, semblait juste. Debout, car elle avait enfin quitt? l'abri des coussins pour r?pondre ? Robert, elle retenait autour d'elle l'?toffe aux vives couleurs avec sa main charg?e de bracelets trop grands pour son poignet d?licat. Sa chevelure, ? travers laquelle glissaient les ?pingles de corail qui l'avaient retenue, tombait sur ses ?paules et elle regardait, de ses grands yeux sauvages et encore effray?s, les deux jeunes gens ?tonn?s. A la remarque de Jacques, elle tourna les yeux vers la glace et dit:
- Mon grand-p?re a tant de choses comme celles-l?!
- Il est donc riche?
- Oui, je pense. Il doit l'?tre, il aime beaucoup l'argent et en amasse le plus possible.
Puis, oubliant un instant sa timidit? pour raconter le secret surpris:
- Tenez, l?, ajouta-t-elle en montrant la direction dans laquelle se trouvait le cabinet de Nicolas, il a beaucoup d'or. Il ne croit pas que je le sais, car il se plaint toujours devant moi et ne cesse de m'engager ? ?conomiser sur notre nourriture. Un soir qu'il me croyait endormie, je suis venue doucement pour savoir ce qu'il faisait; j'ai vu la lueur de sa lampe ? travers la porte entreb?ill?e et je me suis avanc?e. Assis devant un grand coffre o? il y avait des billets et des pi?ces d'or, il mettait les pi?ces en piles, les comptait et les remettait dans la caisse.
- Rit-il souvent? demanda Robert, frapp? de l'expression s?rieuse de cette figure enfantine.
- Jamais, dit Sarah en secouant la t?te.
- Vous aime-t-il?
- Je ne sais pas.
L'aimer? Elle? Qui donc l'avait aim?e? Peut-?tre celle ? laquelle elle avait donn? le dom de m?re. Encore, Sarah n'avait aucun souvenir de ces expansives tendresses par lesquelles tant de jeunes t?tes se trouvent entour?es, mais seulement d'un amour glac?, souvent dur, tel que peuvent l'?prouver les cr?atures inf?rieures dont l'instinct maternel consiste ? sauvegarder la vie de ceux auxquels elles ont donn? le jour.
Puis la mort ?tait venue fermer cette source avare et sa main enfantine plac?e dans la main dess?ch?e de Nicolas, elle avait commenc? ? marcher dans cette vie dont les duret?s impr?vues avaient impr?gn? ses regards d'une tristesse singuli?re.
Tout en parlant, elle enlevait le collier, les bracelets et les ?pingles piqu?es dans ses cheveux; alors, elle laissa retomber ? ses pieds l'?toffe ray?e dont son innocente vanit? s'?tait fait une toilette fantaisiste et parut rev?tue de ses mis?rables v?tements, absolument comme l'h?ro?ne des contes de Perrault, subitement d?pouill?e des riches parures dues ? la baguette magique de sa marraine.
Sarah ?tait petite, m?me pour son ?ge. Mais ses membres d?licats parfaitement model?s, sa taille gracieuse, son teint d'une blancheur mate sous laquelle on voyait par instant glisser un sang p?le qui donnait ? ses joues une teinte ros?e, ses yeux grands et intelligents, si lumineux qu'on les e?t dits parfois paillet?s d'or, tout cela en faisait une jolie enfant, malgr? les v?tements mis?rables dont elle ?tait rev?tue. Ce fut l'avis des deux jeunes gens, et Jacques murmura ? l'oreille de son ami:
- Elle a du feu dans les yeux, cette enfant, sous la couche de tristesse qui semble leur ?tre habituelle. Puis, quelle d?licatesse de teint! On dirait une petite rose de Bengale, ? mesure que ses joues se colorent sous l'empire de la timidit?. Ne voil?-t-il pas un d?licieux mod?le de jeune princesse! Car il n'y a pas ? dire, la petite-fille de ce vieux grippe-sou ne d?parerait les marches d'un tr?ne!
Le docteur sourit. Mais remarquant le regard inquiet de Sarah en voyant remuer les l?vres du lieutenant, dont elle ne pouvait entendre les paroles, il ne r?pondit pas ? ses remarques et dit en s'adressant ? l'enfant:
- Il y a ici une chambre ? louer, nous sommes venus la visiter. Voulez-vous nous la montrer?
- Volontiers. Elle est de l'autre c?t? de la cour. Suivez-moi.
Les guidant, elle leur fit parcourir de longs corridors tortueux, monter un escalier et ouvrit une porte dont la clef ?tait dans la serrure. La pi?ce dans laquelle ils entr?rent pr?c?dait une grande chambre gaie, bien a?r?e, donnant sur le boulevard et ? laquelle on avait acc?s par un second escalier ouvrant directement dans la cour.
Lorsque Robert et Jacques sortirent de chez le marchand d'antiquit?s, le premier dit en regardant interrogativement son ami:
- Eh bien?
- Ce logement me convient, je m'en contenterai si ce brave homme ne m'?trangle pas trop.
- Palais en rapport avec mon opulence! reprit le jeune lieutenant en riant. Sais-tu que ce fils d'Isra?l me para?t devoir ?tre riche? ajouta-t-il.
- Tu vois ce que nous a dit sa petite-fille.
- Si son vieil avare de grand-p?re l'avait entendue!
- Pourquoi?
- Comment, pourquoi? Ne vois-tu pas qu'il y a de quoi faire venir l'eau ? la bouche d'un voleur? Des monceaux d'or derri?re la porte qu'elle nous a montr?e! Ah! si j'?tais voleur!
- Heureusement, tu n'exerces pas cette honorable profession. Esp?rons qu'elle ne fera cette confidence qu'? d'honn?tes gens comme nous.
CHAPITRE IV
Jacques Hilleret, lieutenant au 33e r?giment de ligne, en garnison ? Poitiers, et Robert Martelac, docteur en m?decine, ?taient deux amis de coll?ge, bien que le second f?t un peu plus ?g? que le jeune officier.
Lorsque Jacques ?tait arriv? en pension, il avait une douzaine d'ann?es; son visage p?le et maladif, son air timide, le d?signaient tout naturellement comme victime aux plaisanteries inconsciemment cruelles parfois des autres enfants de sa classe. On se trouvait en ?t? et les ?l?ves prenaient leurs r?cr?ations dans la cour, les petits d'un c?t? et les grands de l'autre, sans qu'aucune s?paration les emp?ch?t de se confondre souvent dans l'ardeur du jeu.
Un matin de juillet, Robert et quelques jeunes gens de son ?ge se promenaient en causant sous une rang?e d'arbres rabougris plant?s ? une petite distance du mur. Le soleil, en ce moment tr?s ?lev?, tombait d'aplomb sur cette immense cour, dans laquelle l'ombre de ces arbres jetait la seule note adoucie au milieu de la lumi?re br?lante r?fl?chie de tous les c?t?s par les hautes murailles. Resserr?s les uns contre les autres et couverts d'une couche de poussi?re sous laquelle leur feuillage avait une teinte sale, on e?t dit qu'ils boudaient contre leur sort et consentaient ? regret ? ?gayer la cour d'un ?tablissement que tant d'enfants, habitu?s aux g?teries du foyer paternel, consid?raient comme une prison.
Depuis un instant, les regards de Robert s'?taient arr?t?s sur un groupe d'?l?ve acharn?s autour de Jacques. Celui-ci, debout contre le mur, sur lequel sa fluette petite personne s'appuyait, avait une expression dans laquelle la crainte se m?lait ? une impuissante col?re ? la vue du nombre grossissant de ses adversaires.
- L?ches! l?ches! criait-il tandis que ses mains faibles et tremblantes essayaient vainement de les repousser.
Son poing, dirig? au hasard, s'abattit sur une t?te brune qui se redressa en riant d'un air moqueur; un coup solidement appliqu? par celui auquel elle appartenait vint le faire repentir de son audace:
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