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Read Ebook: The Girls of St. Olave's by Mackintosh Mabel

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Ebook has 776 lines and 49936 words, and 16 pages

--Voil? qui est admirable, dit Candide; mais il faut vous faire gu?rir.--Eh comment le puis-je? dit Pangloss; je n'ai pas le sou, mon ami, et dans toute l'?tendue de ce globe on ne peut ni se faire saigner, ni prendre un lavement sans payer, ou sans qu'il y ait quelqu'un qui paie pour nous.>>

Ce dernier discours d?termina Candide; il alla se jeter aux pieds de son charitable anabaptiste Jacques, et lui fit une peinture si touchante de l'?tat o? son ami ?tait r?duit, que le bon homme n'h?sita pas ? recueillir le docteur Pangloss; il le fit gu?rir ? ses d?pens. Pangloss, dans la cure, ne perdit qu'un oeil et une oreille. Il ?crivait bien, et savait parfaitement l'arithm?tique. L'anabaptiste Jacques en fit son teneur de livres. Au bout de deux mois, ?tant oblig? d'aller ? Lisbonne, pour les affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau ses deux philosophes. Pangloss lui expliqua comment tout ?tait on ne peut mieux. Jacques n'?tait pas de cet avis.--<> Tandis qu'il raisonnait, l'air s'obscurcit, les vents souffl?rent des quatre coins du monde, et le vaisseau fut assailli de la plus horrible temp?te, ? la vue du port de Lisbonne.

La moiti? des passagers, affaiblis, expirant de ces angoisses inconcevables que le roulis d'un vaisseau porte dans les nerfs et dans toutes les humeurs du corps agit?es en sens contraires, n'avait pas m?me la force de s'inqui?ter du danger. L'autre moiti? jetait des cris et faisait des pri?res; les voiles ?taient d?chir?es, les m?ts bris?s, le vaisseau entrouvert. Travaillait qui pouvait, personne ne s'entendait, personne ne commandait.

Quand ils furent revenus un peu ? eux, ils march?rent vers Lisbonne; il leur restait quelque argent, avec lequel ils esp?raient se sauver de la faim, apr?s avoir ?chapp? ? la temp?t?.

? peine ont-ils mis le pied dans la ville, en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs pas; la mer s'?l?ve en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont ? l'ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques; les maisons s'?croulent, les toits sont renvers?s sur les fondements, et les fondements se dispersent; trente mille habitants de tout ?ge et de tout sexe sont ?cras?s sous des ruines. Le matelot disait en sifflant et en jurant: <<--Il y aura quelque chose ? gagner ici.--Quelle peut ?tre la raison suffisante de ce ph?nom?ne? disait Pangloss.--Voici le dernier jour du monde, s'?criait Candide.>> Le matelot court incontinent au milieu des d?bris, affronte la mort pour trouver de l'argent, en trouve, s'en empare, s'enivre, et ayant cuv? son vin, ach?te les faveurs de la premi?re fille de bonne volont? qu'il rencontre sur les ruines des maisons d?truites, et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le tirait cependant par la manche: <<--Mon ami, lui disait-il, cela n'est pas bien; vous manquez ? la raison universelle, vous prenez mal votre temps.--T?te et sang! r?pondit l'autre, je suis matelot et n? ? Batavia; j'ai march? quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon; tu as bien trouv? ton homme avec ta raison universelle!>>

Quelques ?clats de pierre avaient bless? Candide; il ?tait ?tendu dans la rue et couvert de d?bris. Il disait ? Pangloss: <<--H?las! procure-moi un peu de vin et d'huile; je me meurs.--Ce tremblement de terre n'est pas une chose nouvelle, r?pondit Pangloss; la ville de Lima ?prouva les m?mes secousses en Am?rique l'ann?e pass?e; m?mes causes, m?mes effets; il y a certainement une tra?n?e de soufre sous terre depuis Lima jusqu'? Lisbonne.--Rien n'est plus probable, dit Candide; mais, pour Dieu, un peu d'huile et de vin.--Comment, probable? r?pliqua le philosophe, je soutiens que la chose est d?montr?e.>> Candide perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d'eau d'une fontaine voisine.

Le lendemain, ayant trouv? quelques provisions de bouche en se glissant ? travers des d?combres, ils r?par?rent un peu leurs forces. Ensuite ils travaill?rent comme les autres ? soulager les habitants ?chapp?s ? la mort.

Quelques citoyens, secourus par eux, leur donn?rent un aussi bon d?ner qu'on le pouvait dans un tel d?sastre: il est vrai que le repas ?tait triste, les convives arrosaient leur pain de leurs larmes; mais Pangloss les consola, en les assurant que les choses ne pouvaient ?tre autrement; car, dit-il, tout ceci est ce qu'il y a de mieux; car, s'il y a un volcan ? Lisbonne, il ne pouvait ?tre ailleurs; car il est impossible que les choses ne soient pas o? elles sont; car tout est bien.

Un petit homme noir, familier de l'inquisition, lequel ?tait ? c?t? de lui, prit poliment la parole et dit: <<--Apparemment que monsieur ne croit pas au p?ch? originel; car, si tout est au mieux, il n'y a donc eu ni chute ni punition.

--Je demande tr?s humblement pardon ? votre excellence, r?pondit Pangloss encore plus poliment, car la chute de l'homme et la mal?diction entraient n?cessairement dans le meilleur des mondes possibles.--Monsieur ne croit donc pas ? la libert?? dit le familier.--Votre excellence m'excusera, dit Pangloss; la libert? peut subsister avec la n?cessit? absolue, car il ?tait n?cessaire que nous fussions libres; car enfin la volont? d?termin?e....>>

Pangloss ?tait au milieu de sa phrase, quand le familier fit un signe de t?te ? son estafier, qui lui servait ? boire du vin de Porto ou d'Oporto.

Apr?s le tremblement de terre qui avait d?truit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouv? un moyen plus efficace pour pr?venir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-f?; il ?tait d?cid? par l'universit? de Co?mbre que le spectacle de quelques personnes br?l?es ? petit feu, en grande c?r?monie, est un secret infaillible pour emp?cher la terre de trembler.

On avait en cons?quence saisi un Biscayen convaincu d'avoir ?pous? sa comm?re, et deux Portugais qui, en mangeant un poulet, en avaient arrach? le lard; on vint lier apr?s le d?ner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parl?, et l'autre pour avoir ?cout? avec un air d'approbation: tous deux furent men?s s?par?ment dans des appartements d'une extr?me fra?cheur, dans lesquels on n'?tait jamais incommod? du soleil.

Huit jours apr?s, ils furent tous deux rev?tus d'un san-benito, et on orna leurs t?tes de mitres de papier: la mitre et le san-benito de Candide ?taient peints de flammes renvers?es et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes; mais les diables de Pangloss portaient grilles et queues, et les flammes ?taient droites. Ils march?rent en procession ainsi v?tus, et entendirent un sermon tr?s path?tique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fess? en cadence, pendant qu'ou chantait; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent br?l?s, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le m?me jour la terre trembla de nouveau avec un fracas ?pouvantable.

Candide, ?pouvant?, interdit, ?perdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait ? lui-m?me: <<--Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres? Passe encore si je n'?tais que fess?; je l'ai ?t? chez les Bulgares; mais, ? mon cher Pangloss! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre, sans que je sache pourquoi! ? mon cher anabaptiste! le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez ?t? noy? dans le port! ? mademoiselle Cun?gonde! la perle des filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre!>>

Il s'en retournait, se soutenant ? peine, pr?ch?, fess?, absous et b?ni, lorsqu'une vieille l'aborda et lui dit:

<<--Mon fils, prenez courage, suivez-moi.>>

Candide ne prit point courage, mais il suivit la vieille dans une masure: elle lui donna un pot de pommade pour se frotter, lui laissa ? manger et ? boire; elle lui montra un petit lit assez propre; il y avait aupr?s du lit un habit complet. <<--Mangez, buvez, dormez, lui dit-elle, et que Notre-Dame d'Atocha, monseigneur saint Antoine de Padoue et monseigneur saint Jacques de Compostelle prennent soin de vous: je reviendrai demain.>> Candide, toujours ?tonn? de tout ce qu'il avait vu et de tout ce qu'il avait souffert, et encore plus de la charit? de la vieille, voulut lui baiser la main. <<--Ce n'est pas ma main qu'il faut baiser, dit la vieille, je reviendrai demain. Frottez-vous de pommade, mangez et dormez.>>

Candide, malgr? tant de malheurs, mangea et dormit. Le lendemain, la vieille lui apporte ? d?jeuner, visite son dos, le frotte elle-m?me d'une autre pommade; elle lui apporte ensuite ? d?ner; elle revient sur le soir et apporte ? souper.

Le surlendemain, elle fit encore les m?mes c?r?monies. <<--Qui ?tes-vous? lui disait toujours Candide, qui vous a inspir? tant de bont?? quelles gr?ces puis-je vous rendre?>> La bonne femme ne r?pondait jamais rien. Elle revint sur le soir, et n'apporta point ? souper: <<--Venez avec moi, dit-elle, et ne dites mot.>> Elle le prend sous le bras, et marche avec lui dans la campagne environ un quart de mille: ils arrivent ? une maison isol?e, entour?e de jardins et de canaux. La vieille frappe ? une petite porte. On ouvre; elle m?ne Candide, par un escalier d?rob?, dans un cabinet dor?, le laisse sur un canap? de brocart, referme la porte et s'en va.

Candide croyait r?ver, et regardait toute sa vie comme un songe funeste, et le moment pr?sent comme un songe agr?able.

La vieille reparut bient?t; elle soutenait avec peine une femme tremblante, d'une taille majestueuse, brillante de pierreries, et couverte d'un voile. <<--?tez ce voile, dit la vieille ? Candide.>> Le jeune homme approche; il l?ve le voile d'une main timide. Quel moment! quelle surprise! Il crut voir Mlle Cun?gonde; il la voyait en effet: c'?tait elle-m?me. La force lui manque, il ne peut prof?rer une parole, il tombe ? ses pieds. Cun?gonde tombe sur le canap?. La vieille les accable d'eaux spiritueuses, ils reprennent leurs sens, ils se parlent: ce sont d'abord des mots entrecoup?s, des demandes et des r?ponses qui se croisent, des soupirs, des larmes, des cris. La vieillie leur recommande de faire moins de bruit et les laisse en libert?. <<--Quoi! c'est vous, lui dit Candide, vous vivez! je vous retrouve en Portugal! On ne vous a donc pas viol?e? on ne vous a point fendu le ventre, comme le philosophe Pangloss me l'avait assur??--Si fait, dit la belle Cun?gonde; mais on ne meurt pas toujours de ces deux accidents.--Mais votre p?re et votre m?re ont-ils ?t? tu?s?--Il n'est que trop vrai, dit Cun?gonde en pleurant.--Et votre fr?re?--Mon fr?re a ?t? tu? aussi.--Et pourquoi ?tes-vous en Portugal? et comment avez-vous su que j'y ?tais, et par quelle ?trange aventure m'avez-vous fait conduire dans cette maison?--Je vous dirai tout cela, r?pliqua la dame; mais il faut auparavant que vous m'appreniez tout ce qui vous est arriv? depuis le baiser innocent que vous me donn?tes et les coups de pied que vous re??tes.>>

Candide lui ob?it avec un profond respect: et quoiqu'il f?t interdit, quoique sa voix f?t faible et tremblante, quoique l'?chine lui f?t encore un peu mal, il lui raconta de la mani?re la plus na?ve tout ce qu'il avait ?prouv? depuis le moment de leur s?paration. Cun?gonde levait les yeux au ciel; elle donna des larmes ? la mort du bon anabaptiste et de Pangloss, apr?s quoi elle parla en ces termes ? Candide, qui ne perdait pas une parole, et qui la d?vorait des yeux.

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Elle reprit ainsi le fil de son histoire: <<--Un capitaine bulgare entra; il me vit toute sanglante, et le soldat ne se d?rangeait pas. Le capitaine se mit en col?re du peu de respect que lui t?moignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser et m'emmena prisonni?re de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu'il avait, je faisais sa cuisine; il me trouvait fort jolie, il faut l'avouer; et je ne nierai pas qu'il ne fut tr?s bien fait, et qu'il n'e?t la peau blanche et douce; d'ailleurs peu d'esprit, peu de philosophie: on voyait bien qu'il n'avait pas ?t? ?lev? par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent, et s'?tant d?go?t? de moi, il me vendit ? un juif nomm? don Issachar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionn?ment les femmes. Ce juif s'attacha beaucoup ? ma personne, mais il ne pouvait en triompher; je lui ai mieux r?sist? qu'au soldat bulgare. Une personne d'honneur peut ?tre viol?e une fois, mais sa vertu s'en affermit. Le juif, pour m'apprivoiser, me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J'avais cru jusque-l? qu'il n'y avait rien sur la terre de si beau que le ch?teau de Thunder-ten-tronckh: j'ai ?t? d?tromp?e.

Le grand inquisiteur m'aper?ut un jour ? la messe; il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu'il avait ? me parler pour des affaires secr?tes. Je fus conduite ? son palais; je lui appris ma naissance; il me repr?senta combien il ?tait au-dessous de mon rang d'appartenir ? un isra?lite. On proposa de sa part ? don Issachar de me c?der ? Monseigneur. Don Issachar, qui est le banquier de la cour, et homme de cr?dit, n'en voulut rien faire. L'inquisiteur le mena?a d'un auto-da-f?. Enfin mon juif intimid? conclut un march? par lequel la maison et moi leur appartiendraient ? tous deux en commun; que le juif aurait pour lui les lundis, mercredis, et le jour du sabbat, et que l'inquisiteur aurait les autres jours de la semaine. Il y a six mois que cette convention subsiste. Ce n'a pas ?t? sans querelles; car souvent il a ?t? ind?cis si la nuit du samedi au dimanche appartenait ? l'ancienne loi ou ? la nouvelle. Pour moi, j'ai r?sist? jusqu'? pr?sent ? tous les deux; et je crois que c'est pour cette raison que j'ai toujours ?t? aim?e.

Enfin, pour d?tourner le fl?au des tremblements de terre, et pour intimider don Issachar, il plut ? Monseigneur l'inquisiteur de c?l?brer un auto-da-f?. Il me fit l'honneur de m'y inviter. Je fus tr?s bien plac?e; on servit aux dames des rafra?chissements entre la messe et l'ex?cution. Je fus, ? la v?rit?, saisie d'horreur en voyant br?ler ces deux juifs et cet honn?te Biscayen qui avait ?pous? sa comm?re; mais quelle fut ma surprise, mon effroi, mon trouble, quand je vis dans un san-benito, et sous une mitre, une figure qui ressemblait ? celle de Pangloss! Je me frottai les yeux, je regardai attentivement, je le vis pendre; je tombai en faiblesse. ? peine reprenais-je mes sens, que je vous vis d?pouill? tout nu; ce fut l? le comble de l'horreur, de la consternation, de la douleur, du d?sespoir. Je vous dirai, avec v?rit?, que votre peau est encore plus blanche et d'un incarnat plus parfait que celle de mon capitaine des Bulgares. Cette vue redoubla tous les sentiments qui m'accablaient, qui me d?voraient. Je m'?criai, je voulus dire:--Arr?tez, barbares! mais la voix me manqua, et mes cris auraient ?t? inutiles. Quand vous e?tes ?t? bien fess?:--Comment se peut-il faire, disais-je, que l'aimable Candide et le sage Pangloss se trouvent ? Lisbonne, l'un pour recevoir cent coups de fouet, et l'autre pour ?tre pendu par l'ordre de Monseigneur l'inquisiteur, dont je suis la bien-aim?e? Pangloss m'a donc bien cruellement tromp?e, quand il me disait que tout va le mieux du monde!

Les voil? qui se mettent tous deux ? table; et, apr?s le souper, ils se replacent sur ce beau canap? dont on a d?j? parl?; ils y ?taient quand le signor don Issachar, l'un des ma?tres de la maison, arriva. C'?tait le jour du sabbat. Il venait jouir de ses droits, et expliquer son tendre amour.

Cet Issachar ?tait le plus col?rique H?breu qu'on e?t vu dans Isra?l, depuis la captivit? en Babylone. <<--Quoi! dit-il, chienne de Galil?enne, ce n'est pas assez de monsieur l'inquisiteur? il faut que ce coquin partage aussi avec moi?>> En disant cela il tire un long poignard dont il ?tait toujours pourvu, et, ne croyant pas que son adverse partie e?t des armes, il se jette sur Candide; mais notre bon Westphalien avait re?u une belle ?p?e de la vieille avec l'habit complet. Il tire son ?p?e, quoiqu'il eut les moeurs fort douces, et ?tend l'Isra?lite roide mort sur le carreau, aux pieds de Cun?gonde.

<<--Sainte Vierge! s'?cria-t-elle, qu'allons-nous devenir? Un homme tu? chez moi! Si la justice vient, nous sommes perdus.--Si Pangloss n'avait pas ?t? pendu, dit Candide, il nous donnerait un bon conseil dans cette extr?mit?, car c'?tait un grand philosophe. ? son d?faut, consultons la vieille.>> Elle ?tait fort prudente, et commen?ait ? dire son avis, quand une autre petite porte s'ouvrit. Il ?tait une heure apr?s minuit; c'?tait le commencement du dimanche. Ce jour appartenait ? Monseigneur l'inquisiteur. Il entre et voit le fess? Candide, l'?p?e ? la main, un mort ?tendu par terre, Cun?gonde effar?e, et la vieille donnant des conseils.

Voici dans ce moment ce qui se passa dans l'?me de Candide, et comment il raisonna: <<--Si ce saint homme appelle du secours, il me fera infailliblement br?ler; il pourra en faire autant de Cun?gonde; il m'a fait fouetter impitoyablement; il est mon rival: je suis en train de tuer; il n'y a pas ? balancer.>> Ce raisonnement fut net et rapide; et, sans donner le temps ? l'inquisiteur de revenir de sa surprise, il le perce d'outre en outre, et le jette ? c?t? du juif. <<--En voici bien d'une autre, dit Cun?gonde; il n'y a plus de r?mission, nous sommes excommuni?s, notre derni?re heure est venue. Comment avez-vous fait, vous qui ?tes n? si doux, pour tuer en deux minutes un juif et un pr?lat?--Ma belle demoiselle, r?pondit Candide, quand on est amoureux, jaloux, et fouett? par l'inquisition, on ne se conna?t plus.>>

La vieille prit alors la parole et dit: <<--Il y a trois chevaux andalous dans l'?curie, avec leurs selles et leurs brides; que le brave Candide les pr?pare. Madame a des moyadors et des diamants; montons vite ? cheval, quoique je ne puisse me tenir que sur une fesse, et allons ? Cadix; il fait le plus beau temps du monde, et c'est un grand plaisir de voyager pendant la fra?cheur de la nuit.

Aussit?t Candide selle les trois chevaux. Cun?gonde, la vieille et lui font trente milles d'une traite. Pendant qu'ils s'?loignaient, la Sainte Hermandad arrive dans la maison; on enterre Monseigneur dans une belle ?glise, et l'on jette Issachar ? la voirie.

Candide, Cun?gonde et la vieille ?taient d?j? dans la petite ville d'Avac?na, au milieu des montagnes de la Sierra-Morena, et ils parlaient ainsi dans un cabaret.

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Il y avait dans la m?me h?tellerie un prieur de b?n?dictins; il acheta le cheval bon march?. Candide, Cun?gonde et la vieille pass?rent par Lucena, par Chillas, par Lebrixa, et arriv?rent enfin ? Cadix. On y ?quipait une flotte, et l'on assemblait des troupes pour mettre ? la raison les r?v?rends p?res j?suites du Paraguay, qu'on accusait d'avoir fait r?volter une de leurs hordes contre les rois d'Espagne et de Portugal, aupr?s de la ville du Saint-Sacrement.

Candide, ayant servi chez les Bulgares, fit l'exercice bulgarien devant le g?n?ral de la petite arm?e avec tant de gr?ce, de c?l?rit?, d'adresse, de fiert?, d'agilit?, qu'on lui donna une compagnie d'infanterie ? commander. Le voil? capitaine; il s'embarque avec Mlle Cun?gonde, la vieille, deux valets, et les deux chevaux andalous qui avaient appartenu ? M. le grand inquisiteur de Portugal.

Pendant toute la travers?e ils raisonn?rent beaucoup sur la philosophie du pauvre Pangloss. <<--Nous allons dans un autre univers, disait Candide; c'est dans celui-l?, sans doute, que tout est bien, car il faut avouer qu'on pourrait fr?mir un peu de ce qui se passe dans le n?tre en physique et en morale.--Je vous aime de tout mon coeur, disait Cun?gonde; mais j'ai encore l'?me tout effarouch?e de ce que j'ai vu, de ce que j'ai ?prouv?.--Tout ira bien, r?pliquait Candide; la mer de ce nouveau monde vaut d?j? mieux que les mers de notre Europe; elle est plus calme, les vents plus constants. C'est certainement le Nouveau Monde qui est le meilleur des univers possible.--Dieu le veuille! disait Cun?gonde; mais j'ai ?t? si horriblement malheureuse dans le mien, que mon coeur est presque ferm? ? l'esp?rance.--Vous vous plaignez, leur dit la vieille; h?las! vous n'avez pas ?prouv? des infortunes telles que les miennes.>> Cun?gonde se mit presque ? rire, et trouva cette bonne femme fort plaisante de pr?tendre ?tre plus malheureuse qu'elle. <<--H?las! lui dit-elle, ma bonne, ? moins que vous n'ayez ?t? viol?e par deux Bulgares, que vous n'avez re?u deux coups de couteau dans le ventre, qu'on n'ait d?moli deux de vos ch?teaux, qu'on n'ait ?gorg? ? vos yeux deux m?res et deux p?res, et que vous n'avez vu deux de vos amants fouett?s dans un auto-da-f?, je ne vois pas que vous puissiez l'emporter sur moi; ajoutez que je suis n?e baronne avec soixante et douze quartiers, et que j'ai ?t? cuisini?re.--Mademoiselle, r?pondit la vieille, vous ne savez pas quelle est ma naissance; et, si je vous montrais mon derri?re, vous ne parleriez pas comme vous le faites, et vous suspendriez votre jugement.>>

Ce discours fit na?tre une extr?me curiosit? dans l'esprit de Cun?gonde et de Candide. La vieille leur parla en ces termes.

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Je ne vous dirai point combien il est dur pour une jeune princesse d'?tre men?e esclave ? Maroc avec sa m?re: vous concevez assez tout ce que nous e?mes ? souffrir dans le vaisseau corsaire. Ma m?re ?tait encore tr?s belle; nos filles d'honneur, nos simples femmes de chambre avaient plus de charmes qu'on n'en peut trouver dans toute l'Afrique. Pour moi, j'?tais ravissante, j'?tais la beaut?, la gr?ce m?me, et j'?tais pucelle. Je ne le fus pas longtemps. Cette fleur, qui avait ?t? r?serv?e pour le beau prince de Massa Carara, me fut ravie par le capitaine corsaire. C'?tait un n?gre abominable, qui croyait encore me faire beaucoup d'honneur. Certes, il fallait que Mme la princesse de Palestine et moi fussions bien fortes pour r?sister ? tout ce que nous ?prouv?mes jusqu'? notre arriv?e ? Maroc. Mais passons; ce sont des choses si communes, qu'elles ne valent pas la peine qu'on en parle. Maroc nageait dans le sang quand nous arriv?mes. Cinquante fils de l'empereur Muley-Isma?l avaient chacun leur parti, ce qui produisait en effet cinquante guerres civiles, de noirs contre noirs, de noirs contre basan?s, de basan?s contre basan?s, de mul?tres contre mul?tres. C'?tait un carnage continuel dans toute l'?tendue de l'empire.

? peine f?mes-nous d?barqu?es, que des noirs d'une faction ennemie de celle de mon corsaire se pr?sent?rent pour lui enlever son butin. Nous ?tions, apr?s les diamants et l'or, ce qu'il avait de plus pr?cieux. Je fus t?moin d'un combat tel que vous n'en voyez jamais dans vos climats d'Europe. Les peuples septentrionaux n'ont pas le sang assez ardent; ils n'ont pas la rage des femmes au point o? elle est commune en Afrique. Il semble que vos Europ?ens aient du lait dans les veines; c'est du vitriol, c'est du feu qui coule dans celles des habitants du mont Atlas et des pays voisins. On combattit avec la fureur des lions, des tigres et des serpents de la contr?e, pour savoir qui nous aurait. Un Maure saisit ma m?re par le bras droit, le lieutenant de mon capitaine la retint par le bras gauche; un soldat maure la prit par une jambe, un de nos pirates la tenait par l'autre. Nos filles se trouv?rent presque toutes en un moment tir?es ainsi ? quatre soldats. Mon capitaine me tenait cach?e derri?re lui; il avait le cimeterre au poing, et tuait tout ce qui s'opposait ? sa rage. Enfin je vis toutes nos Italiennes et ma m?re d?chir?es, coup?es, massacr?es par les monstres qui se les disputaient. Les captifs, mes compagnons, ceux qui les avaient pris, soldats, matelots, noirs, blancs, mul?tres, et enfin mon capitaine, tout fut tu?, et je demeurai mourante sur un tas de morts. Des sc?nes pareilles se passaient, comme on sait, dans l'?tendue de plus de trois cents lieues, sans qu'on manqu?t aux cinq pri?res par jour ordonn?es par Mahomet.

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Je le remerciai avec des larmes d'attendrissement, et, au lieu de me mener en Italie, il me conduisit ? Alger, et me vendit au dey de cette province. ? peine fus-je vendue, que cette peste qui a fait le tour de l'Afrique, de l'Asie et de l'Europe, se d?clara dans Alger avec fureur. Vous avez vu des tremblements de terre; mais, mademoiselle, avez-vous jamais eu la peste?--Jamais, r?pondit la baronne.

--Si vous l'aviez eue, reprit la vieille, vous avoueriez qu'elle est bien au-dessus d'un tremblement de terre. Elle est fort commune en Afrique; j'en fus attaqu?e. Figurez-vous quelle situation pour la fille d'un pape, ?g?e de quinze ans, qui en trois mois de temps avait ?prouv? la pauvret?, l'esclavage, avait ?t? viol?e presque tous les jours, avait vu couper sa m?re eu quatre, avait essuy? la faim et la guerre, et mourait pestif?r?e dans Alger. Je n'en mourus pourtant pas; mais mon eunuque et le dey, et presque tout le s?rail d'Alger p?rirent.

Quand les premiers ravages de cette ?pouvantable peste, furent pass?s, on vendit les esclaves du dey. Un marchand m'acheta et me mena ? Tunis; il me vendit ? un autre marchand qui me revendit ? Tripoli; de Tripoli je fus revendue ? Alexandrie; d'Alexandrie revendue a Smyrne; de Smyrne ? Constantinople. J'appartins enfin ? un aga des janissaires, qui fut bient?t command? pour aller d?fendre Azof contre les Russes, qui l'assi?geaient.

L'aga, qui ?tait un tr?s galant homme, mena avec lui tout son s?rail, et nous logea dans un petit fort sur les Palus M?otides, gard? par deux eunuques noirs et vingt soldats. On tua prodigieusement de Russes, mais ils nous le rendirent bien. Azof fut mis ? feu et ? sang, et on ne pardonna ni au sexe, ni ? l'?ge; il ne resta que notre petit fort; les ennemis voulurent nous prendre par famine. Les vingt janissaires avaient jur? de ne jamais se rendre. Les extr?mit?s de la faim o? ils furent r?duits les contraignirent ? manger nos deux eunuques, de peur de violer leur serment. Au bout de quelques jours, ils r?solurent de manger les femmes.

Nous avions un iman tr?s pieux et tr?s compatissant, qui leur fit un beau sermon par lequel il leur persuada de ne pas nous tuer tout ? fait.--Coupez, dit-il, seulement une fesse ? chacune de ces dames, nous ferez tr?s bonne ch?re; s'il faut y revenir, vous en aurez encore autant dans quelques jours; le ciel vous saura gr? d'une action si charitable, et vous serez secourus.

Il avait beaucoup d'?loquence; il les persuada. On nous fit cette horrible op?ration; l'iman nous appliqua le m?me baume qu'on met aux enfants qu'on vient de circoncire: nous ?tions toutes ? la mort.

? peine les janissaires eurent-ils fait le repas que nous leur avions fourni, que les Russes arrivent sur des bateaux plats; il ne r?chappa pas un janissaire. Les Russes ne firent aucune attention ? l'?tat o? nous ?tions. Il y a partout des chirurgiens fran?ais: un d'eux, qui ?tait fort adroit, prit soin de nous, il nous gu?rit, et je me souviendrai toute ma vie que, quand mes plaies furent bien ferm?es, il me fit des propositions. Au reste, il nous dit ? toutes de nous consoler; il nous assura que dans plusieurs si?ges pareille chose ?tait arriv?e, et que c'?tait la loi de la guerre.

D?s que mes compagnes purent marcher, on les fit aller ? Moscou; j'?chus en partage ? un boyard qui me fit sa jardini?re, et qui me donnait vingt coups de fouet par jour; mais ce seigneur ayant ?t? rou? au bout de deux ans avec une trentaine de boyards, pour quelque tracasserie de cour, je profitai de cette aventure: je m'enfuis. Je traversai toute la Russie; je fus longtemps servante de cabaret ? Riga, puis ? Rostock, ? Vismar, ? Leipzig, ? Cassel, ? Utrecht, ? Leyde, ? la Haye, ? Rotterdam; j'ai vieilli dans la mis?re et dans l'opprobre, n'ayant que la moiti? d'un derri?re, me souvenant toujours que j'?tais fille d'un pape; je voulus cent fois me tuer, mais j'aimais encore la vie. Cette faiblesse ridicule est peut-?tre un de nos penchants les plus funestes; car y a-t-il rien de plus sot que de vouloir porter continuellement un fardeau qu'on veut toujours jeter par terre? d'avoir son ?tre en horreur, et de tenir ? son ?tre? enfin de caresser le serpent qui nous d?vore, jusqu'? ce qu'il nous ait mang? le coeur?

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