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Read Ebook: Mémoires de Marmontel (Volume 2 of 3) Mémoires d'un Père pour servir à l'Instruction de ses enfans by Tourneux Maurice Annotator Marmontel Jean Fran Ois

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Ebook has 103 lines and 20973 words, and 3 pages

e pour aller souper avec ses enfans. Il m'a donn? rendez-vous ? la huitaine, ? la m?me heure. Je vous annonce donc ? tous que je serai l'amie du roi, et que je ne serai rien de plus.>>

Si le roi avoit ?t? jeune, et anim? de ce feu qui donne de l'audace et qui la fait pardonner, je n'aurois pas jur? que la jeune et sage comtesse e?t toujours pass? sans p?ril le pas glissant du t?te-?-t?te; mais un d?sir foible, timide, mal assur?, tel qu'il ?toit dans un homme vieilli par les plaisirs plus que par les ann?es, avoit besoin d'?tre encourag?, et un air de d?cence, de r?serve et de modestie, n'?toit pas ce qu'il lui falloit. La jeune femme le sentoit bien. <>

Elle lui parla cependant un jour de ses ma?tresses, et lui demanda s'il avoit jamais ?t? v?ritablement amoureux. Il r?pondit qu'il l'avoit ?t? de Mme de Ch?teauroux. <> Cette na?vet? n'?toit pas s?duisante; aussi Mme de S?ran ne fut-elle jamais tent?e de succ?der ? une femme que le roi n'avoit gard?e que par piti?.

Elle en ?toit ? ces termes avec lui lorsqu'elle et moi nous quitt?mes tout pour accompagner aux eaux notre amie malade et mourante.

Enfin, pour l'engager ? se rendre ? la fontaine, je fus oblig? de lui marquer le d?sir d'en voir moi-m?me l'ouverture, et j'eus l'honneur de l'y accompagner.

Quoique Mme de S?ran et Mme de Marigny ne fussent point malades, elles ne laissoient pas de se donner fr?quemment le plaisir du bain; et je les entendois parler de leur jeune baigneuse comme d'un mod?le, que les sculpteurs auroient ?t? trop heureux d'avoir pour la statue d'Atalante, ou de Diane, ou m?me de V?nus. Comme j'avois le go?t des arts, je fus curieux de conno?tre ce mod?le qu'on louoit tant. J'allai voir la jeune baigneuse; je la trouvai belle, en effet, et presque aussi sage que belle. Nous f?mes connoissance. Une de ses amies, qui fut bient?t la mienne, voulut bien nous permettre d'aller quelquefois avec elle go?ter dans son petit jardin. Cette soci?t? populaire, en me rapprochant de la simple nature, me rendoit assez de philosophie pour conserver mon ?me en paix aupr?s de mes deux jeunes dames; situation qui, sans cela, n'e?t pas laiss? d'?tre p?nible. Au reste, ces go?ters n'?toient pas ruineux pour moi: de bons petits g?teaux avec une bouteille de vin de Moselle en faisoient les frais; et Mme Filleul, que j'avois mise dans ma confidence, me glissoit en secret de petits flacons de vin de Malaga que sa baigneuse et moi buvions ? sa sant?.

H?las! cette sant? qui, malgr? toutes ses intemp?rances, ne laissoit pas de se r?tablir par la vertu merveilleuse des bains, ?prouva bient?t une r?volution funeste.

M. de Marigny revint de son voyage de Hollande: il croyoit ramener avec lui sa femme ? Paris; mais, Mme Filleul lui ayant t?moign? qu'il lui feroit plaisir de lui laisser sa fille jusqu'? la fin de la saison des eaux, temps qui n'?toit pas ?loign?, il parut c?der volontiers ? ce d?sir d'une m?re malade; et, comme il vouloit voir Spa en s'en allant, nos jeunes dames r?solurent de l'y accompagner; ils m'engag?rent tous ? faire ce petit voyage. Je ne sais quel pressentiment me faisoit insister ? tenir compagnie ? Mme Filleul; mais elle-m?me, s'obstinant ? vouloir qu'on la laiss?t seule, me for?a de partir. Ce malheureux voyage s'annon?a mal. Deux Polonois de la soci?t? de nos jeunes dames, MM. Regewski, trouv?rent qu'il seroit du bon air de les accompagner ? cheval. M. de Marigny ne les vit pas plus t?t caracoler ? la porti?re du carrosse qu'il tomba dans une humeur sombre; et, d?s ce moment, le nuage qui s'?leva dans sa t?te ne fit que se grossir et devenir plus orageux.

? souper, comme il ?toit sombre et taciturne, Mme de S?ran et sa femme l'ayant press? de dire quelle ?toit la cause de sa tristesse, il r?pondit enfin qu'il voyoit trop bien que sa pr?sence ?toit importune; qu'apr?s tout ce qu'il avoit fait pour ?tre aim?, il ne l'?toit point; qu'il ?toit ha?, qu'il ?toit d?test?; que la demande que lui avoit faite Mme Filleul ?toit pr?m?dit?e; que l'on n'avoit voulu que se d?barrasser de lui; qu'on ne l'avoit accompagn? ? Spa que pour s'y amuser; qu'il n'?toit point dupe de ces belles mani?res, et qu'il savoit tr?s bien qu'il tardoit ? sa femme qu'il f?t parti. Elle prit la parole en lui disant qu'il ?toit injuste; que, s'il e?t t?moign? la plus l?g?re peine de la laisser pr?s de sa m?re, ni l'une ni l'autre n'auroient voulu abuser de sa complaisance; qu'au surplus, quoique l'on e?t laiss? ses malles ? Aix-la-Chapelle, elle ?toit r?solue ? partir avec lui. <>, r?p?ta-t-il en se levant de table. Mme de S?ran voulut t?cher de l'adoucir. <> Il sortit brusquement, et nous laissa tous trois constern?s.

Apr?s avoir tenu conseil un moment, nous f?mes d'avis que sa femme all?t le trouver. Elle ?toit p?le et tout en larmes. Dans cet ?tat, elle e?t attendri le coeur d'un tigre; mais lui, de peur de s'adoucir, il avoit d?fendu de la laisser entrer, et avoit ordonn? que des chevaux de poste fussent mis ? sa chaise au petit point du jour.

C'?toit de tous les ma?tres le plus ponctuellement ob?i. Son valet de chambre repr?senta que, s'il laissoit entrer madame, il seroit chass? sur-le-champ, et que monsieur, dans sa col?re, seroit capable de se porter aux plus extr?mes violences. Nous esp?r?mes que le sommeil le calmeroit un peu, et je demandai seulement que l'on v?nt m'avertir d?s le moment de son r?veil.

Je n'avois point dormi, je n'?tois pas m?me d?shabill?, lorsqu'on vint me dire qu'il se levoit. J'entrai chez lui, et, dans les termes les plus touchans, je lui repr?sentai l'?tat o? il laissoit sa femme. <> La pr?sence de ses valets me for?a au silence; et, lorsqu'il fut pr?s de partir: <> Et, de l'air dont il seroit mont? ? l'?chafaud, il monta en voiture et partit.

Alors, la douleur de Mme de Marigny se changeant en indignation: <>

Nous pass?mes trois jours ? Spa, les jeunes femmes ? dissiper la tristesse dont elles avoient l'?me atteinte, et moi ? r?fl?chir sur les suites f?cheuses que ce voyage pouvoit avoir. Je ne pr?voyois pas encore le chagrin plus cruel qu'il alloit nous causer.

? mesure que le sang se d?puroit dans les veines de notre malade, il se formoit successivement, sur sa peau et par tout son corps, une gale qui, d'elle-m?me, s?choit et tomboit en poussi?re. C'?toit l? son salut; et, du moment que cette ?cume du sang avoit commenc? ? se r?pandre au dehors, le m?decin l'avoit regard?e comme rappel?e ? la vie. Mais elle, ? qui cette gale inspiroit du d?go?t, et qui en trouvoit la gu?rison trop lente, voulut l'acc?l?rer; et, prenant pour cela le temps de notre absence, elle s'?toit enduit tout le corps de c?rat. Aussit?t la transpiration de cette humeur avoit cess?, la gale ?toit rentr?e, et nous trouv?mes la malade dans un ?tat plus d?sesp?r? que jamais. Elle voulut retourner ? Paris; nous la ramen?mes ? peine, et elle ne fit plus que languir.

? Bruxelles, on me donna la curiosit? de voir un riche cabinet de tableaux. L'amateur qui l'avoit form? ?toit, je crois, un chevalier Verhulst, homme m?lancolique et vaporeux, qui, persuad? qu'un souffle d'air lui seroit mortel, se tenoit renferm? chez lui comme dans une bo?te. Son cabinet n'?toit ouvert qu'? des personnes consid?rables ou ? de fameux connoisseurs. Je n'?tois rien de tout cela; mais, apr?s avoir pris une id?e de son caract?re, j'esp?rai l'amener ? me bien recevoir. Je me fis pr?senter ? lui. <>; et il entra dans des d?tails de ses maux de nerfs, de ses vapeurs, de la foiblesse extr?me de ses organes. Je l'?coutai; et, apr?s lui avoir bien recommand? de se m?nager, je voulus prendre cong? de lui. <> Cependant je me laissai conduire, et le premier tableau qu'il me fit remarquer fut un tr?s beau paysage de Berghem. <> Je t?moignai la m?me surprise et la m?me illusion en approchant d'un cabinet de glace o? ?toit enferm? un tableau de Rubens qui repr?sentoit ses trois femmes, peintes de grandeur naturelle; et, ainsi successivement, je parus recevoir de ses tableaux les plus remarquables l'impression de la v?rit?. Il ne se lassoit point de renouveler mes surprises: je l'en laissai jouir tant qu'il voulut, si bien qu'il finit par me dire que mon instinct jugeoit mieux ses tableaux que les lumi?res de bien d'autres qui se donnoient pour connoisseurs, et qui examinoient tout, mais qui ne sentoient rien.

? Valenciennes, une curiosit? d'un autre genre manqua de me porter malheur. Comme nous ?tions arriv?s de bonne heure dans cette place, je crus pouvoir employer le reste de la soir?e ? me promener sur le rempart, pour voir les fortifications. Tandis que je les parcourois, un officier de garde, ? la t?te de sa troupe, vint ? moi et me dit brusquement: <> Je nommai l'auberge et les trois dames que j'accompagnois: je dis aussi mon nom. <> Je ne me le fis pas r?p?ter.

Comme je racontois mon aventure ? nos dames, nous v?mes arriver le major de la place, qui, se trouvant heureusement un ancien prot?g? de Mme de Pompadour, venoit rendre ses devoirs ? la belle-soeur de sa bienfaitrice. Je le trouvai instruit de ce qui venoit de m'arriver. Il me dit que j'?tois encore bien heureux qu'on ne m'e?t pas mis en prison; mais il m'offrit de me mener lui-m?me, le lendemain matin, voir tous les dehors de la place. J'acceptai son offre avec reconnoissance, et j'eus le plaisir de parcourir l'enceinte de la ville tout ? loisir et sans danger.

Peu de temps apr?s notre arriv?e ? Paris, nous e?mes la douleur de perdre Mme Filleul. Jamais mort n'a ?t? plus courageuse et plus tranquille. C'?toit une femme d'un caract?re tr?s singulier, pleine d'esprit, et d'un esprit dont la p?n?tration, la vivacit?, la finesse, ressembloient au coup d'oeil du lynx; elle n'avoit rien qui sent?t ni la ruse ni l'artifice. Je ne lui ai jamais vu ni les illusions ni les vanit?s de son sexe: elle en avoit les go?ts, mais simples, naturels, sans fantaisie et sans caprice. Son ?me ?toit vive, mais calme, sensible assez pour ?tre aimante et bienfaisante, mais pas assez pour ?tre le jouet de ses passions. Ses inclinations ?toient douces, paisibles et constantes; elle s'y livroit sans foiblesse, et ne s'y abandonnoit jamais; elle voyoit les choses de la vie et du monde comme un jeu qu'elle s'amusoit ? voir jouer, et auquel il falloit dans l'occasion savoir jouer soi-m?me, disoit-elle, sans y ?tre ni fripon ni dupe: c'?toit ainsi qu'elle s'y conduisoit, avec peu d'attention pour ses int?r?ts propres, avec plus d'application pour les int?r?ts de ses amis. Quant aux ?v?nemens, aucun ne l'?tonnoit, et dans toutes les situations elle avoit l'avantage du sang-froid et de la prudence. Je ne doute pas que ce ne f?t elle qui e?t mis Mme de S?ran sur le chemin de la fortune; mais elle ne fit que sourire ? l'ing?nuit? de cette jeune femme lorsqu'elle lui entendit dire que, m?me dans un roi, f?t-il le roi du monde, elle ne vouloit point d'un amant qu'elle n'aimeroit pas. <> Et le soir nous mangions gaiement le gigot dur, en nous moquant des grandeurs humaines. Ainsi, sans s'?mouvoir de la vue et des approches de la mort, elle sourit ? son amie en lui disant adieu, et son tr?pas ne fut qu'une derni?re d?faillance.

J'ai parl? d'une jeune ni?ce de Mme Gaulard, et de la douce habitude que j'avois prise de passer avec elles deux les belles saisons de l'ann?e, quelquefois m?me les hivers. Cette habitude entre la ni?ce et moi s'?toit chang?e en inclination. Nous n'?tions riches ni l'un ni l'autre; mais, avec le cr?dit de notre ami Bouret, rien n'?toit plus facile que de me procurer, ou ? Paris ou en province, une assez bonne place pour nous mettre ? notre aise. Nous n'avions fait confidence ? personne de nos d?sirs et de nos esp?rances; mais, ? la libert? qu'on nous laissoit ensemble, ? la confiance tranquille avec laquelle Mme Gaulard elle-m?me regardoit notre intimit?, nous ne doutions pas qu'elle ne nous f?t favorable. Bouret, surtout, sembloit si bien se complaire ? nous voir de bonne intelligence que je me croyois s?r de lui, et, d?s que je lui aurois ramen? son intime amie en bonne sant?, comme je l'esp?rois, je comptois l'engager ? s'occuper de ma fortune et de mon mariage.

Mais Mme Gaulard avoit un cousin qu'elle aimoit tendrement, et dont la fortune ?toit faite. Ce cousin, qui ?toit aussi celui de la jeune ni?ce, en devint amoureux, la demanda en mon absence, et l'obtint sans difficult?. Elle, trop jeune, trop timide pour d?clarer une autre inclination, s'engagea si avant que je n'arrivai plus que pour assister ? la noce. On attendoit la dispense de Rome pour aller ? l'autel; et moi, en qualit? d'ami intime de la maison, j'allois ?tre t?moin et confident de tout. Ma situation ?toit p?nible, celle de la jeune personne ne l'?toit gu?re moins; et, quelque bonne contenance que nous eussions r?solu de faire, j'ai peine ? concevoir comment notre tristesse ne nous trahissoit pas aux yeux de la tante et du futur ?poux. Heureusement la libert? de la campagne nous permit de nous dire quelques mots consolans, et de nous inspirer mutuellement le courage dont nous avions tant de besoin. En pareil cas, l'amour d?sesp?r? se sauve entre les bras de l'amiti?; ce fut notre recours. Nous nous prom?mes donc, au moins, d'?tre amis toute notre vie, et, tant qu'on laissa nos deux coeurs se soulager ainsi l'un l'autre, nous ne f?mes pas malheureux; mais, en attendant la fatale dispense de Rome, il ?toit bon que je fisse une absence; l'occasion s'en pr?senta.

Monsieur de Marigny, raccommod? avec sa femme, abr?geoit son voyage de Fontainebleau pour aller avec elle ? M?nars. Il d?siroit que je fusse de ce voyage; sa femme m'en prioit encore plus instamment que lui. Confident de leur brouillerie, j'esp?rois pouvoir contribuer ? leur r?conciliation; et, par reconnoissance pour lui autant que par amiti? pour elle, je consentis ? les accompagner. <>

Ma pr?sence ne leur fut pas inutile dans ce voyage. Il s'?leva entre eux plus d'un nuage qu'il fallut dissiper. Sur la route m?me, en parlant avec ?loge de sa femme, M. de Marigny voulut attribuer les torts qu'elle avoit eus ? la comtesse de S?ran; mais la jeune femme, qui avoit du caract?re, se refusa ? cette excuse. <> Et, ? quelques mots trop amers et trop l?gers qui lui ?chapp?rent sur cette amie absente: <>

Il est vrai que, dans l'intimit? de ces deux femmes, tout le soin de Mme de S?ran s'employoit ? inspirer ? son amie de la douceur, de la complaisance, et, s'il ?toit possible, de l'amour pour un homme qui avoit, lui disoit-elle, des qualit?s aimables, et dont il ne falloit que temp?rer la violence et adoucir l'humeur pour en faire un tr?s bon mari.

Un peu de force et de fiert? ne laissoit pas d'?tre n?cessaire avec un homme qui, ayant lui-m?me de la franchise et du courage, estimoit dans un caract?re ce qui ?toit analogue au sien. Nous pr?mes donc avec lui le ton d'une raison douce, mais ferme, et je remplis si bien entre eux l'office de conciliateur qu'en les quittant je les laissai d'un bon accord ensemble. Mais j'en avois assez vu, et surtout assez appris dans les confidences que me faisoit la jeune femme, pour juger que ces deux ?poux, en s'estimant l'un l'autre, ne s'aimeroient jamais.

Au printemps suivant, je fus encore de leur voyage en Touraine. Dans celui-ci, j'eus le plaisir de voir M. de Marigny pleinement r?concili? avec Mme de S?ran; hormis quelques momens d'humeur jalouse sur l'intimit? des deux femmes, il fut assez aimable entre elles. ? mon ?gard, il ?toit si content de m'avoir pour m?diateur qu'il m'offrit, en pur don, pour ma vie, aupr?s de M?nars, une jolie maison de campagne. Un petit bosquet, un jardin, un ruisseau de l'eau la plus pure, une retraite d?licieuse situ?e au bord de la Loire, rien de plus s?duisant; mais ce don ?toit une cha?ne, et je n'en voulois point porter.

? mon retour, ce fut ? Maisons que je me rendis. Cette retraite avoit pour moi des charmes; j'aimois tout ce qui l'habitoit, et je me flattois d'y ?tre aim?. Je n'aurois pas ?t? plus libre et plus ? mon aise chez moi. Lorsque quelqu'un de mes amis vouloit me voir, il venoit ? Maisons, et il y ?toit bien re?u. Le comte de Creutz ?toit celui qui s'y plaisoit le plus et qu'on y go?toit davantage, parce qu'avec les qualit?s les plus rares du c?t? de l'esprit, il ?toit simple et bon.

Un bosquet pr?s d'Alfort ?toit le lieu de repos de nos promenades. L?, son ?me se dilatoit et se d?ployoit avec moi. Les sentimens dont il ?toit rempli, les tableaux que l'observation et l'?tude de la nature avoient trac?s dans sa m?moire, et dont son imagination ?toit comme une riche et vaste galerie; les hautes pens?es que la m?ditation lui avoit fait concevoir, et que son esprit r?pandoit dans le mien avec abondance, soit qu'il parl?t de politique ou de morale, des hommes ou des choses, des sciences ou des arts, me tenoient des heures enti?res attentif et comme enchant?. Sa patrie et son roi, la Su?de et Gustave, objets de son idol?trie, ?toient les deux sujets dont il m'entretenoit le plus ?loquemment et avec le plus de d?lices. L'enthousiasme avec lequel il m'en faisoit l'?loge s'emparoit si bien de mes esprits et de mes sens que volontiers je l'aurois suivi au del? de la mer Baltique.

L'un de ses go?ts les plus passionn?s ?toit l'amour de la musique, et la bienfaisance ?toit l'?me de toutes ses autres vertus.

Un jour il vint me conjurer, au nom de notre amiti?, de tendre la main ? un jeune homme qui ?toit, disoit-il, au d?sespoir et sur le point de se noyer, si je ne le sauvois. <>

Jusque-l? je n'avois rien fait qui approch?t de l'id?e que je croyois avoir con?ue d'un po?me fran?ois analogue ? la musique italienne; je ne croyois pas m?me en avoir le talent; mais, pour plaire au comte de Creutz, j'aurois entrepris l'impossible.

J'avois sur ma table, dans ce moment, un conte de Voltaire ; je pensai qu'il pouvoit me fournir le canevas d'un petit op?ra-comique. <>

Ainsi s'employoient mes loisirs, et le produit d'un travail l?ger augmentoit tous les ans ma petite fortune; mais elle n'?toit pas assez consid?rable pour que Mme Gaulard e?t pu y voir un ?tablissement convenable ? sa ni?ce; elle lui donna donc un autre mari, comme je l'ai dit; et bient?t cette soci?t?, que j'avois cultiv?e avec tant de soin, fut rompue. Un autre incident me jeta dans des soci?t?s nouvelles.

? son retour d'Aix-la-Chapelle, le roi l'avoit re?ue mieux que jamais, sans oser davantage. Cependant le myst?re de leurs rendez-vous et de leurs t?te-?-t?te n'avoit pas ?chapp? aux yeux vigilans de la cour; et le duc de Choiseul, r?solu d'?loigner du roi toute femme qui ne lui seroit pas affid?e, s'?toit permis contre celle-ci quelques propos l?gers et moqueurs. D?s qu'elle en fut instruite, elle voulut lui imposer silence. Elle avoit pour ami La Borde, banquier de la cour, d?vou? au duc de Choiseul, auquel il devoit sa fortune. Ce fut chez lui et devant lui qu'elle eut une entrevue avec le ministre. <>

--Je suis, lui dit-elle, au moment de marier ma soeur ? un militaire estimable. Ni mes parens ni moi ne sommes en ?tat de lui faire une dot.

--Eh bien! Madame, il faut, lui dit-il, que le roi prenne soin de doter mademoiselle votre soeur, et je vais obtenir pour elle, sur le tr?sor royal, une ordonnance de deux cent mille livres.--Non, Monsieur le duc, non; nous ne voulons, ni ma soeur ni moi, d'un argent que nous n'avons pas gagn? et ne gagnerons point. Ce que nous demandons est une place que M. de La Barthe a m?rit?e par ses services; et la seule faveur que nous sollicitons, c'est qu'il l'obtienne par pr?f?rence ? d'autres militaires qui auroient le m?me droit que lui d'y pr?tendre et de l'obtenir.>> Cette faveur lui fut ais?ment accord?e; mais tout ce que le roi put lui faire accepter pour elle-m?me fut le don de ce petit h?tel o? elle m'offroit un logement.

Comme j'allois m'y ?tablir, je me vis oblig? d'en pr?f?rer un autre; et voici par quel incident.

Mon ancienne amie, Mlle Clairon, ayant quitt? le th??tre, et pris une maison assez consid?rable ? la descente du Pont-Royal, d?siroit de m'avoir chez elle. Elle me savoit engag? avec Mme de S?ran; mais, comme elle la connoissoit bonne et sensible, elle l'alla trouver ? mon insu; et, avec son ?loquence th??trale, elle lui raconta les indignit?s qu'elle avoit essuy?es de la part des gentilshommes de la chambre, et la brutale ingratitude dont le public avoit pay? ses services et ses talens. Dans sa retraite solitaire, sa plus douce consolation auroit ?t? d'avoir aupr?s d'elle son ancien ami. Elle avoit un appartement commode ? me louer; elle ?toit bien s?re que je l'accepterois si je n'?tois pas engag? ? occuper celui que madame la comtesse avoit eu la bont? de m'offrir. Elle la supplioit d'?tre assez g?n?reuse pour rompre elle-m?me cet engagement, et pour exiger de moi que j'allasse loger chez elle. <>

Mme de S?ran fut touch?e de sa pri?re. Elle me soup?onna d'y avoir donn? mon consentement; je l'assurai que non. En effet, le logement qu'elle faisoit accommoder pour moi et ? ma biens?ance m'auroit ?t? plus agr?able; j'y aurois ?t? plus libre et ? deux pas de l'Acad?mie. Cette proximit? seule auroit ?t? pour moi d'un prix inestimable dans les mauvais temps de l'ann?e, durant lesquels j'aurois le Pont-Royal ? traverser si je logeois chez Mlle Clairon. Je n'eus donc pas de peine ? persuader ? Mme de S?ran qu'? tous ?gards c'?toit un sacrifice qui m'?toit demand?. <>

J'allai donc loger chez mon ancienne amie, et, d?s les premiers jours, je m'aper?us qu'? l'exception d'une petite chambre sur le derri?re, mon appartement ?toit inhabitable pour un homme d'?tude, ? cause du bruit infernal des carrosses et des charrettes sur l'arcade du pont, qui ?toit ? mon oreille: c'est le passage le plus fr?quent de la pierre et du bois qu'on am?ne ? Paris. Ainsi, nuit et jour, sans rel?che, le broiement des pav?s d'une route escarp?e sous les roues de ces charrettes et sous les pieds des malheureux chevaux qui ne tra?noient qu'en grimpant, les cris effroyables des charretiers, le bruit plus per?ant de leurs fouets, r?alisoient pour moi ce que Virgile dit du Tartare:

Mais, quelque affligeante que f?t pour moi cette incommodit?, je n'en t?moignai rien ? ma ch?re voisine; et, autant qu'il ?toit possible que j'en fusse d?dommag? par les agr?mens de la soci?t? la plus aimable et la mieux choisie, je le fus tout le temps qu'elle et moi habit?mes cette maison.

Elle y voyoit souvent la duchesse de Villeroi, fille du duc d'Aumont, et qui, dans le temps que son p?re me poursuivoit, m'avoit vivement t?moign? le regret de le voir injuste, et de ne pouvoir l'adoucir.

Je fus oblig? de convenir de ce qu'avoit dit La Fert?; et, curieux de voir quelle seroit vis-?-vis de moi la contenance d'un homme condamn? par sa propre conscience, j'acceptai l'entrevue et me rendis chez lui.

Dans cette m?me ann?e, je fis ? Croix-Fontaine un voyage bien agr?able, mais qui finit par ?tre bien malheureux pour moi. Il r?gnoit de ce c?t?-l?, tout le long de la Seine, une fi?vre putride d'une dangereuse malignit?. ? Saint-Port et ? Sainte-Assise, plusieurs personnes en ?toient mortes, et ? Croix-Fontaine un grand nombre de domestiques en ?toient attaqu?s. Ceux qui n'en ?toient point atteints servoient leurs camarades; le mien ne s'y ?pargnoit pas, et moi-m?me j'allois assez souvent visiter les malades, acte d'humanit? au moins tr?s inutile. Cependant je croyois encore ?tre en pleine sant?, lorsqu'on m'?crivit de Paris de me rendre ? l'Acad?mie pour la r?ception de l'archev?que de Toulouse, assembl?e que le roi de Su?de devoit honorer de sa pr?sence.

Peu de temps apr?s, l'Acad?mie perdit Duclos; et, ? sa mort, la place d'historiographe de France me fut donn?e sans aucune sollicitation de ma part. Voici d'o? me vint cette gr?ce.

Tandis que je logeois encore chez Mme Geoffrin, un homme de la soci?t? de Mlle Clairon, et dont je connoissois la loyaut? et la franchise, Garville, vint me voir et me dit: <> Je lui ai r?pondu que j'en connoissois un qui n'?toit ennemi que de l'injustice et du mensonge, et je vous ai nomm?. Il m'a embrass? en me disant que je lui rendrois le plus grand service si je vous engageois ? travailler ? son m?moire. Je viens vous en prier, vous en conjurer de sa part.--Monsieur, r?pondis-je ? Garville, ma plume ne se refusera jamais ? la d?fense d'une bonne cause. Si celle de M. le duc d'Aiguillon est telle que vous le dites, il peut compter sur moi. Qu'il me confie ses papiers. Apr?s les avoir lus, je vous dirai plus positivement si je puis travailler pour lui. Mais dites-lui que le m?me z?le que j'emploierai ? le d?fendre, je l'emploierois de m?me ? d?fendre l'homme du peuple qui, en pareil cas, auroit recours ? moi, et, en m'acquittant de ce devoir, j'y mettrai deux conditions: l'une, que le secret me sera gard?; l'autre, qu'il ne sera jamais question, de lui ? moi, de remerciemens ni de reconnoissance; je ne veux pas m?me le voir.>>

Garville lui rendit fid?lement cette r?ponse, et le lendemain il m'apporta son m?moire avec ses papiers. Dans ses papiers je crus voir, en effet, que le proc?s qui lui ?toit intent? n'?toit qu'une pers?cution suscit?e par des animosit?s personnelles. Quant au m?moire, le trouvant tel qu'on me l'avoit annonc?, je le refondis. En conservant tout ce qui ?toit raisonnablement bien, j'y mis de l'ordre et de la clart?. J'en ?laguai les broussailles d'un style h?riss? de m?taphores incoh?rentes, et je substituai ? ce langage outr? l'expression simple et naturelle. Cette correction de d?tails y fit seule un changement heureux; car c'?toit surtout par le style que ce m?moire ?toit choquant et ridicule. Cependant j'y ajoutai quelques morceaux de ma main, comme l'exorde, o? Linguet avoit mis une arrogance impertinente, et la conclusion, o? il avoit n?glig? de ramasser les forces de sa preuve et de ses moyens.

Quand le duc d'Aiguillon vit ma besogne, il en fut tr?s content. Il fit venir Linguet: <> Linguet en prit lecture, et, bouillant de fureur: <> Et il alloit sortir.

Le duc d'Aiguillon le retint. Il se voyoit ? sa merci, car nul autre avocat ne vouloit signer ses m?moires. Il lui permit donc de construire celui-ci comme il l'entendroit. Toutes les pages qui ?toient de moi en furent retranch?es. Linguet refit lui-m?me l'exorde et la conclusion, mais il laissa subsister l'ordre que j'avois mis dans tout le reste; il n'y r?tablit aucune des bizarreries de style que j'avois effac?es: ainsi, en rebutant mon travail, il en profita. Cependant il n'eut point de repos qu'il n'e?t d?couvert de quelle main ?toient les corrections faites ? son m?moire; et, l'ayant su, je ne sais comment, il fut d?s lors mon ennemi le plus cruel. Un journal qu'il fit dans la suite fut inond? du venin de la rage dont il ?cumoit ? mon nom.

Pour le duc d'Aiguillon, il sentit vivement le bien que j'avois fait ? son m?moire, en d?pit de son avocat, et il pressa Garville de me mener chez lui, afin qu'il e?t au moins, disoit-il, la satisfaction de me remercier lui-m?me. Apr?s m'?tre longtemps refus? ? ses invitations, je m'y rendis enfin, et j'allai d?ner une fois chez lui. Depuis, je ne l'avois point vu, quand je re?us ce billet de sa main:

Le lendemain matin, je fis essayer ? Clairval ce v?tement; et, en se regardant au miroir, il le trouva imposant et noble. <>

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