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Read Ebook: Mémoires de Marmontel (Volume 2 of 3) Mémoires d'un Père pour servir à l'Instruction de ses enfans by Tourneux Maurice Annotator Marmontel Jean Fran Ois

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Ebook has 103 lines and 20973 words, and 3 pages

Le lendemain matin, je fis essayer ? Clairval ce v?tement; et, en se regardant au miroir, il le trouva imposant et noble. <>

La m?me n?gligence avec laquelle j'avois ?t? servi par ce tailleur impertinent, je l'avois retrouv?e dans le d?corateur; et le tableau magique, le moment le plus int?ressant de la pi?ce, il le faisoit manquer, si je n'avois pas suppl?? ? sa maladresse. Avec deux aunes de moire d'argent pour imiter la glace du trumeau, et deux aunes de gaze claire et transparente, je lui appris ? produire l'une des plus agr?ables illusions du th??tre.

Ce fut ainsi que, par mes soins, au lieu de la chute honteuse dont j'?tois menac?, j'obtins le plus brillant succ?s. Clairval joua son r?le comme je le voulois. Son entr?e fi?re et hardie ne fit que l'impression d'?tonnement qu'elle devoit faire, et d?s lors je fus rassur?. J'?tois dans un coin de l'orchestre, et j'avois derri?re moi un banc de dames de la cour. Lorsque Azor, ? genoux aux pieds de Z?mire, lui chanta:

Du moment qu'on aime, L'on devient si doux, Et je suis moi-m?me Plus tremblant que vous,

Je ne dois pas dissimuler que le charme de la musique contribuoit merveilleusement ? produire de tels effets. Celle de Gr?try ?toit alors ce qu'elle n'a ?t? que bien rarement apr?s moi, et il ne sentoit pas assez avec quel soin je m'occupois ? lui tracer le caract?re, la forme et le dessin d'un chant agr?able et facile. En g?n?ral, la fatuit? des musiciens est de croire ne rien devoir ? leur po?te; et Gr?try, avec de l'esprit, a eu cette sottise au supr?me degr?.

Rien ne put vaincre sa r?pugnance pour un r?le qui lui feroit, disoit-il, d'autant plus de tort qu'il l'auroit mieux jou?. Cependant j'avois observ? que La Ruette le convoitoit, et je m'aper?us que sa femme pensoit qu'apr?s Caillot je ne pouvois le donner qu'? lui. Gr?try pensoit de m?me; je me laissai aller: je m'en repentis d?s les premi?res r?p?titions. Ce r?le demandoit de la jeunesse, de la vivacit?, du brillant dans la voix, de la finesse dans le jeu. Le bon La Ruette, avec sa figure vieillotte et sa voix tremblante et cass?e, y ?toit fort d?plac?. Il l'?teignit et l'attrista; comme il ?toit mal ? son aise, il ne s'y livra pas m?me ? son naturel: il fit manquer toutes les sc?nes.

De son c?t?, Mme La Ruette, qui avoit un peu de pruderie, se persuadant que la finesse et la malice que j'avois mises dans le r?le d'Agathe n'?toient pas convenables ? une si jeune personne, avoit cru devoir ?mousser cette pointe d'espi?glerie; elle y avoit substitu? un certain air s?v?re et r?serv? qui ?tait au r?le toute sa gentillesse.

Ainsi tout mon ouvrage avoit ?t? d?natur?. Heureusement La Ruette reconnut lui-m?me que le r?le de Cl?on ne lui convenoit ni pour le jeu ni pour le chant, et je trouvai, au m?me th??tre, un nomm? Julien, moins difficile que Caillot, et plus jeune que La Ruette, avec une voix brillante, une action vive, une tournure leste. Nous nous m?mes, Gr?try et moi, ? lui montrer son r?le, et il parvint ? le chanter et ? le jouer assez bien.

Mme La Ruette ?toit peu dispos?e ? entendre ce que j'avois ? lui dire; je lui dis cependant: <> Son r?le eut le plus grand succ?s, et la pi?ce, qu'on redemanda ? Versailles , y parut si chang?e qu'on ne la reconnoissoit pas: je n'y avois pourtant rien chang?.

La m?me ann?e , j'eus ? la cour une apparence de succ?s d'un autre genre, et bien plus sensible pour moi: ce fut l'effet que mon ?p?tre au roi sur l'incendie de l'H?tel-Dieu obtint ou parut obtenir. Ma vanit? n'y ?toit pour rien, mais l'impression vive et profonde que j'avois faite, me disoit-on, alloit changer le sort de ces pauvres malades dont j'avois fait entendre les g?missemens et les plaintes; et, pour la premi?re fois de ma vie, je croyois voir en moi un bienfaiteur de l'humanit?. J'en ?tois glorieux, j'aurois donn? mon sang pour que l'?v?nement e?t couronn? mon oeuvre; mais je n'ai pas eu ce bonheur.

<> Je r?pondis que, s'il y avoit, comme autrefois, des f?tes, des solennit?s, o? le po?te f?t entendu, la pompe de ces grands spectacles lui ?l?veroit l'?me et le g?nie. Pour exemple, je supposai l'apoth?ose de Voltaire, et, sur un grand th??tre, au pied de sa statue, Mlle Clairon r?citant des vers ? la louange de cet homme illustre. <> Je vis que cette id?e faisoit son impression, et Mlle Clairon surtout en parut vivement ?mue. De l? me vint le projet de faire, pour essai, cette ode que vous trouverez dans le recueil de mes po?sies.

En la lisant, Mlle Clairon sentit que son talent y pouvoit suppl?er au mien, et voulut bien pr?ter encore ? mes vers le charme de l'illusion qu'elle savoit si bien r?pandre.

Un soir donc que la soci?t? ?toit assembl?e dans son salon, et qu'elle avoit fait dire qu'on l'attend?t, comme nous parlions de Voltaire, tout ? coup un rideau se l?ve, et, ? c?t? du buste de ce grand homme, Mlle Clairon, v?tue en pr?tresse d'Apollon, une couronne de laurier ? la main, commence ? r?citer cette ode avec l'air de l'inspiration et du ton de l'enthousiasme. Cette petite f?te eut, depuis, le m?rite d'en faire imaginer une plus solennelle, et dont Voltaire fut t?moin.

Peu de temps apr?s, le comte de Valbelle, amant de Mlle Clairon, enrichi par la mort de son fr?re a?n?, ?tant all? jouir de sa fortune dans la ville d'Aix en Provence, et le prince d'Anspach s'?tant pris de belle passion pour notre princesse de th??tre, elle fut oblig?e de prendre une maison plus ample et plus commode que celle o? nous logions ensemble. Ce fut alors que j'allai occuper, chez la comtesse de S?ran, l'appartement qui m'?toit r?serv?, et ce fut l? que M. Odde vint passer une ann?e avec moi.

J'aurois voulu me retirer avec lui ? Bort; et, pour cela, j'avois en vue un petit bien ? deux pas de la ville, o? je me serois fait b?tir une cellule. Heureusement ce bien fut port? ? un prix si haut qu'il passoit mes moyens, et il fallut y renoncer. Je me laissai donc aller encore ? la soci?t? de Paris, et surtout ? celle des femmes, mais r?solu ? me pr?server de toute liaison qui p?t alt?rer mon repos.

Je faisois ma cour ? la comtesse de S?ran aussi assid?ment qu'il m'?toit possible sans lui ?tre importun. Elle avoit la bont? de vouloir que j'allasse passer le printemps avec elle en Normandie, dans son petit ch?teau de La Tour, qu'elle embellissoit. Je l'y accompagnai. Que n'aurois-je pas quitt? pour elle? Tout ce que peut avoir de charme l'amiti? d'une femme et sa soci?t? la plus intime, sans amour, je le trouvois aupr?s de celle-ci. Certainement, s'il e?t ?t? possible d'?tre amoureux sans esp?rance, je l'aurois ?t? de Mme de S?ran; mais elle me marquoit la limite des sentimens qu'elle avoit pour moi et de ceux qu'il m'?toit permis d'avoir pour elle avec tant d'ing?nuit? qu'il n'arrivoit pas m?me ? mes d?sirs d'aller au del?.

Je le donne ? V?nus, puisqu'elle est toujours belle; Il redouble trop mes ennuis. Je ne saurois me voir dans ce miroir fid?le, Ni telle que je fus, ni telle que je suis.

Une amie particuli?re du mar?chal de Richelieu, se trouvant avec moi dans une maison de campagne, me dit qu'il ?toit bien ?trange qu'un Richelieu et qu'un homme de l'importance de celui-ci essuy?t des d?sagr?mens et des d?go?ts ? l'Acad?mie fran?oise. <> Elle me nomma d'Alembert, qui avoit pris, disoit-elle, le mar?chal en aversion. Je r?pondis <

<>

Elle trouva que j'avois raison; et, quelques jours apr?s, le mar?chal ?tant venu d?ner ? la m?me campagne, son amie voulut qu'il caus?t avec moi. Je lui r?p?tai ? peu pr?s les m?mes choses, quoiqu'en termes plus doux, et, ? l'?gard de d'Alembert: <>

Le mar?chal fut content de moi; et, lorsqu'? la place de l'abb? Delille et de Suard, refus?s par le roi, il fallut ?lire deux autres acad?miciens, je fus invit? ? d?ner chez lui le jour de l'?lection. ? ce d?ner, je trouvai S?guier, Paulmy, Bissy, l'?v?que de Senlis. Leur parti n'?toit pas nombreux; et, quand il auroit eu quelques voix clandestines, le n?tre ?toit form? et li? de fa?on ? ?tre s?r de pr?valoir. Je ne fis donc pas semblant de croire que nous fussions l? pour parler d'?lections acad?miques, et, comme ? un d?ner de joie et de plaisir, amenant d?s la soupe les propos qui rioient le plus au mar?chal, je le mis en train de causer de l'ancienne galanterie, des jolies femmes de son temps, des moeurs de la R?gence, que sais-je enfin? du th??tre, et surtout des actrices: si bien que le d?ner se passa sans qu'il f?t dit un seul mot de l'Acad?mie. Ce ne fut qu'au sortir de table que l'?v?que de Senlis, me tirant ? l'?cart, me demanda quel choix nous allions faire. Je r?pondis loyalement que je croyois tous les voeux r?unis en faveur de Br?quigny et de Beauz?e. Le mar?chal, qui ?toit venu nous joindre, se fit expliquer le m?rite litt?raire de ces messieurs, et, apr?s m'avoir entendu: <

--Mon ami, dis-je ? d'Alembert, ils viennent se r?unir ? nous; le mar?chal vous fait les avances de bonne gr?ce; il faut le recevoir de m?me.>> En effet, il fut bien re?u; l'?lection fut unanime; et, depuis ce jour-l? jusqu'? sa mort, il eut pour moi mille bont?s. Ainsi ses portefeuilles furent ? ma disposition.

La mort du roi venoit de produire un changement consid?rable ? la cour, dans le minist?re, et singuli?rement dans la fortune de mes amis.

M. Bouret s'?toit ruin? ? b?tir et ? d?corer pour le roi le pavillon de Croix-Fontaine, et le roi croyoit l'en payer assez en l'honorant, une fois l'ann?e, de sa pr?sence dans un de ses rendez-vous de chasse, honneur qui co?toit cher encore au malheureux, oblig? ce jour-l? de donner ? toute la chasse un d?ner pour lequel rien n'?toit ?pargn?.

J'avois g?mi plus d'une fois de ses profusions, mais le plus lib?ral, le plus impr?voyant des hommes avoit, pour ses v?ritables amis, le d?faut de ne jamais vouloir ?couter leurs avis sur l'article de sa d?pense. Cependant il avoit achev? d'?puiser son cr?dit en b?tissant sur les Champs-?lys?es cinq ou six maisons ? grands frais, lorsque le roi mourut sans avoir seulement pens? ? le sauver de sa ruine; et, cette mort le laissant noy? de dettes, sans ressource et sans esp?rance, il prit, je crois, la r?solution de se d?livrer de la vie: on le trouva mort dans son lit. Il fut, pour son malheur, imprudent jusqu'? la folie; il ne fut jamais malhonn?te.

Mme de S?ran fut plus sage. N'ayant plus, ? la mort du roi, aucune perspective de faveur et de protection, ni pour elle ni pour ses enfans, elle fit un emploi solide de l'unique bienfait qu'elle avoit accept?; le nouveau directeur des B?timens, le comte d'Angiviller, lui ayant propos? de c?der, pour lui, son h?tel ? un prix convenable, elle y consentit. Ainsi nous f?mes d?log?s l'un et l'autre, en 1776, trois ans apr?s qu'elle m'eut accord? cette heureuse hospitalit?.

L'av?nement du nouveau roi ? la couronne fut suivi de son sacre dans l'?glise de Reims.

En qualit? d'historiographe de France, il me fut enjoint d'assister ? cette c?r?monie auguste. Je ne r?p?terai point ici ce que j'en ai dit dans une lettre qui fut imprim?e ? mon insu, et que j'ai depuis ins?r?e dans la collection de mes oeuvres; elle est une foible peinture de l'effet de ce grand spectacle sur cinquante mille ?mes que j'y vis rassembl?es. Quant ? ce qui m'est personnel, jamais rien ne m'a tant ?mu.

Au reste, j'eus, dans ce voyage, tous les agr?mens que ma place pouvoit m'y procurer, et je crus les devoir ? la mani?re honorable dont le mar?chal de Beauvau, capitaine des gardes en exercice, et mon confr?re ? l'Acad?mie fran?oise, eut la bont? de me traiter.

De toutes les femmes que j'ai connues, celle dont la politesse a le plus de naturel et de charmes, c'est la mar?chale de Beauvau: elle mit, ainsi que son ?poux, une attention d?licate et marqu?e ? donner l'exemple de celles qu'ils vouloient que l'on e?t pour moi; et cet exemple fut suivi. Sensible aux marques de leur bienveillance, je l'ai depuis cultiv?e avec soin. Le caract?re du mar?chal n'?toit pas aussi attrayant que celui de sa femme; cependant jamais cette dignit? froide qu'on lui reprochoit ne m'a g?n? un moment avec lui. J'?tois persuad? que, dans toute autre condition, son air, ses mani?res, son ton, auroient ?t? les m?mes, et, en m'accommodant avec ce qui me sembloit ?tre son naturel, je le trouvois honn?te et bon, obligeant, serviable m?me sans se faire valoir.

Pour sa femme, aujourd'hui sa veuve, je ne crois pas qu'il y ait sous le ciel de caract?re plus aimable ni plus accompli que le sien. C'est bien elle qu'on peut appeler justement et sans ironie la femme qui a toujours raison; mais la justesse, la nettet?, la clart? inalt?rable de son esprit, est accompagn?e de tant de douceur, de simplicit?, de modestie et de gr?ce, qu'elle nous fait aimer la sup?riorit? m?me qu'elle a sur nous. Il semble qu'elle nous communique son esprit, qu'elle associe nos id?es avec les siennes, et nous fasse participer ? l'avantage qu'elle a toujours de penser si juste et si bien.

Son grand art, comme son attention la plus continuelle, ?toit d'honorer son ?poux, de le faire valoir, de s'effacer pour le mettre ? sa place, et pour lui c?der l'int?r?t, la consid?ration, les respects qu'elle s'attiroit. ? l'entendre, c'?toit toujours ? M. de Beauvau qu'on devoit rapporter tout le bien qu'on louoit en elle. Observez, mes enfans, qu'elle n'y perdoit rien, qu'elle n'en ?toit m?me que plus honor?e, et que ce lustre r?fl?chi qu'elle pr?toit au caract?re de son ?poux ne faisoit que donner au sien plus de relief et plus d'?clat. Jamais femme n'a mieux senti la dignit? de ses devoirs d'?pouse, et ne les a remplis avec plus de noblesse.

Sous le feu roi, l'ambassadeur de Naples avoit persuad? ? la cour de faire venir d'Italie un habile musicien pour relever le th??tre de l'Op?ra fran?ois, qui, depuis longtemps, mena?oit ruine, et qu'on soutenoit avec peine aux d?pens du tr?sor public. La nouvelle ma?tresse, Mme du Barry, avoit adopt? cette id?e, et notre ambassadeur ? la cour de Naples, le baron de Breteuil, avoit ?t? charg? de n?gocier l'engagement de Piccini, pour venir s'?tablir en France, avec deux mille ?cus de gratification annuelle, ? condition de nous donner des op?ras fran?ois.

? peine fut-il arriv? que mon ami, l'ambassadeur de Naples, le marquis de Caraccioli, vint me le recommander, et me prier de faire pour lui, me disoit-il, au grand Op?ra, ce que j'avois fait pour Gr?try au th??tre de l'Op?ra-Comique.

Si j'avois eu un peu de politique, je me serois rang? du c?t? o? ?toit la faveur; mais la musique prot?g?e ne ressembloit non plus, dans ses formes tudesques, ? ce que j'avois entendu de Pergol?se, de L?o, de Buranello, etc., que le style de Cr?billon ne ressemble ? celui de Racine; et, pr?f?rer le Cr?billon au Racine de la musique, c'e?t ?t? un effort de dissimulation que je n'aurois pu soutenir.

D'ailleurs, je m'?tois mis dans la t?te de transporter sur nos deux th??tres la musique italienne; et l'on a vu que, dans le comique, j'avois assez bien commenc?. Ce n'est pas que la musique de Gr?try f?t de la musique italienne par excellence; elle ?toit encore loin d'atteindre ? cet ensemble qui nous ravit dans celle des grands compositeurs; mais il avoit un chant facile, du naturel dans l'expression, des airs et des duos agr?ablement dessin?s, quelquefois m?me dans l'orchestre un heureux emploi d'instrumens; enfin, du go?t et de l'esprit assez pour suppl?er ? ce qui lui manquoit du c?t? de l'art et du g?nie; et, si sa musique n'avoit pas tout le charme et toute la richesse de celle de Piccini, de Sacchini, de Pa?siello, elle en avoit le rythme, l'accent, la prosodie: j'avois donc d?montr? qu'au moins dans le comique la langue fran?oise pouvoit avoir une musique du m?me style que la musique italienne.

Il me restoit ? faire la m?me ?preuve dans le tragique, et le hasard m'en offroit l'occasion. Le probl?me ?toit plus difficile ? r?soudre, mais par d'autres raisons que celles qu'on imaginoit.

Le sentiment de ma propre foiblesse, et la bonne opinion que j'avois du c?l?bre compositeur qu'on m'avoit donn? dans Piccini, me firent donc imaginer de prendre les beaux op?ras de Quinault, d'en ?laguer les ?pisodes, les d?tails superflus; de les r?duire ? leurs beaut?s r?elles, d'y ajouter des airs, des duos, des monologues en r?citatif oblig?, des choeurs en dialogue et en contraste; de les accommoder ainsi ? la musique italienne, et d'en former un genre de po?me lyrique plus vari?, plus anim?, plus simple, moins d?cousu dans son action, et infiniment plus rapide que l'op?ra italien.

Dans M?tastase m?me, que j'?tudiois, que j'admirois comme un mod?le de l'art de dessiner les paroles du chant, je voyois des longueurs et des vides insupportables. Ces doubles intrigues, ces amours ?pisodiques, ces sc?nes d?tach?es et si multipli?es, ces airs presque toujours perdus, comme on l'a dit, en cul-de-lampe au bout des sc?nes, tout cela me choquoit. Je voulois une action pleine, press?e, ?troitement li?e, dans laquelle les situations, s'encha?nant l'une ? l'autre, fussent elles-m?mes l'objet et le motif du chant, de fa?on que le chant ne f?t que l'expression plus vive des sentimens r?pandus dans la sc?ne, et que les airs, les duos, les choeurs, y fussent enlac?s dans le r?citatif. Je voulois, de plus, qu'en se donnant ces avantages, l'op?ra fran?ois conserv?t sa pompe, ses prodiges, ses f?tes, ses illusions, et qu'enrichi de toutes les beaut?s de la langue italienne, ce n'en f?t pas moins ce spectacle,

O? les beaux vers, la danse, la musique, L'art de tromper les yeux par les couleurs, L'art plus heureux de s?duire les coeurs, De cent plaisirs font un plaisir unique.

VOLTAIRE.

Figurez-vous quel fut pour moi le travail de son instruction: vers par vers, presque mot pour mot, il falloit lui tout expliquer; et, lorsqu'il avoit bien saisi le sens d'un morceau, je le lui d?clamois, en marquant bien l'accent, la prosodie, la cadence des vers, les repos, les demi-repos, les articulations de la phrase; il m'?coutoit avidement, et j'avois le plaisir de voir que ce qu'il avoit entendu ?toit fid?lement not?. L'accent de la langue et le nombre frappoient si juste cette excellente oreille que presque jamais, dans sa musique, ni l'un ni l'autre n'?toient alt?r?s. Il avoit, pour saisir les plus d?licates inflexions de la voix, une sensibilit? si prompte qu'il exprimoit jusqu'aux nuances les plus fines du sentiment.

C'?toit pour moi un plaisir inexprimable de voir s'exercer sous mes yeux un art, ou plut?t un g?nie dont jusque-l? je n'avois eu aucune id?e. Son harmonie ?toit dans sa t?te. Son orchestre et tous les effets qu'il produiroit lui ?toient pr?sens. Il ?crivoit son chant d'un trait de plume; et, lorsque le dessein en ?toit trac?, il remplissoit toutes les parties des instrumens ou de la voix, distribuant les traits de m?lodie et d'harmonie ainsi qu'un peintre habile auroit distribu? sur la toile les couleurs et les ombres pour en composer son tableau. Ce travail achev?, il ouvroit son clavecin, qui jusque-l? lui avoit servi de table; et j'entendois alors un air, un duo, un choeur complet dans toutes ses parties, avec une v?rit? d'expression, une intelligence, un ensemble, une magie dans les accords, qui ravissoient l'oreille et l'?me.

En attendant, et ? mesure que l'ouvrage avan?oit, les z?l?s amateurs de la bonne musique, ? la t?te desquels ?toient l'ambassadeur de Naples et celui de Su?de, se rallioient autour du clavecin de Piccini pour entendre tous les jours quelque sc?ne nouvelle; et tous les jours ces jouissances me d?dommageoient de mes peines.

Parmi ces amateurs de la musique se distinguoient MM. Morellet, mes amis personnels, et les amis les plus officieux que Piccini e?t trouv?s en France. C'?toit par eux qu'en arrivant il avoit ?t? accueilli, log?, meubl?, pourvu des premiers besoins de la vie. Ils n'y ?pargnoient rien, et leur maison ?toit la sienne. J'aimois ? croire que de nous voir associ?s ensemble, c'?toit pour eux un motif de plus de l'int?r?t qu'ils prenoient ? lui; et, entre eux et moi, cet objet d'affection commune ?toit pour l'amiti? un nouvel aliment.

L'abb? Morellet et moi n'avions cess? de vivre depuis vingt ans dans les m?mes soci?t?s, souvent oppos?s d'opinions, toujours d'accord de sentimens et de principes, et pleins d'estime l'un pour l'autre. Dans nos disputes les plus vives, jamais on n'avoit vu se m?ler aucun trait, ni d'amertume, ni d'aigreur. Sans nous flatter, nous nous aimions.

Son fr?re, qui, nouvellement arriv? d'Italie, ?toit pour moi un ami tout r?cent, m'avoit gagn? le coeur par sa droiture et sa franchise. Ils vivoient ensemble, et leur soeur, veuve de M. Leyrin de Montigny, venoit de Lyon, avec sa jeune fille, embellir leur soci?t?.

L'abb?, qui m'avoit annonc? le bonheur qu'ils alloient avoir d'?tre r?unis en famille, m'?crivit un jour: <>

Ici ma destin?e va prendre une face nouvelle; et c'est de ce billet que date le bonheur vertueux et inalt?rable qui m'attendoit dans ma vieillesse, et dont je jouis depuis vingt ans.

NOTES

INDEX ALPHAB?TIQUE

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