Read Ebook: Souvenirs et anecdotes de l'île d'Elbe by Pons De L H Rault Andr P Lissier L On G Editor
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Ebook has 1175 lines and 126370 words, and 24 pages
Mas de Ch?teaufort, ao?t 1897.
L?on G. P?lissier.
SOUVENIRS ET ANECDOTES DE L'?LE D'ELBE
PREMI?RE PARTIE
SOUVENIRS DE LA VIE DE NAPOL?ON ? L'?LE D'ELBE
INTRODUCTION
Pons ?crit sur le conseil de Napol?on.--L'Empereur est plus facile ? ?tudier ? l'?le d'Elbe qu'? Paris.--L'ind?pendance de Pons garantit son impartialit? d'historien.--D?m?l?s de Pons avec Napol?on au sujet des mines de Rio.--Premi?re rencontre de Pons et du g?n?ral Bonaparte ? Toulon.--La premi?re bouillabaisse de Napol?on.
L'empereur Napol?on d?barqua ? l'?le d'Elbe. Je m'associai aux d?bris nationaux qui l'accompagnaient. Nos premiers rapports furent orageux. Mais ces orages mirent l'Empereur ? m?me de me conna?tre, de m'appr?cier, et plus tard il m'entoura de sa confiance.
Je me liai avec le g?n?ral Drouot: nos liens se resserr?rent facilement.
Ce fut d'abord par le g?n?ral Drouot que l'Empereur me communiqua sa pens?e, en dehors du service public. Mais d?s que les orages eurent cess?, l'Empereur dispensa le g?n?ral Drouot d'?tre son organe. Il m'expliqua lui-m?me ce qu'il croyait que je devais savoir.
L'Empereur avait d'abord charg? le g?n?ral Drouot de m'engager ? prendre des notes historiques. Le g?n?ral Drouot m'en avait parl? avec un grand int?r?t; je ne r?pondis pas positivement ? son attente, par cons?quent ? celle de l'Empereur. L'Empereur dut imm?diatement ?tre instruit de mon ind?cision.
Quelque temps apr?s, l'Empereur me t?moigna, sans aucune parole d'autorit?, le plaisir qu'il aurait ? me voir ?crire sommairement ce qui se passerait de remarquable ? l'?le d'Elbe, et alors je lui promis de faire scrupuleusement ce qu'il d?sirait.
La derni?re fois que je vis l'Empereur, il ?tait ? l'?lys?e-Bourbon, et il me parla de mes notes comme on parle de quelque chose d'important: je l'assurai que je les r?unirais en corps d'ouvrage. Il m'indiqua plusieurs choses que je ne devais pas oublier: <
L'Empereur a connu plusieurs de mes pages. Le g?n?ral Drouot les a presque toutes lues: il en a corrig? quelques-unes.
Aux jours de sa toute-puissance, alors qu'il ?tait le roi des rois, nul n'?tait assez haut plac? pour pouvoir regarder l'empereur Napol?on en face; il ?chappait ? toutes les observations. Les louanges avaient cess? d'avoir un caract?re de v?rit?.
Il n'en ?tait pas ainsi ? l'?le d'Elbe. Le prince qui ?tait venu r?gner sur ce rocher ne portait point l'aur?ole d'invuln?rabilit? qui nagu?re couronnait l'empereur des Fran?ais... Cependant Napol?on n'?tait pas moins grand ? Porto-Ferrajo qu'? Paris. Mais le prestige avait cess?: on doutait de l'immensit? de son g?nie, ou du moins on faisait semblant d'en douter. Ce doute flattait les nains de droit divin, qui, dans les illusions de leur orgueil, s'imaginaient pouvoir ainsi se rapprocher du g?ant populaire, ? la taille duquel ils n'avaient jamais eu jusqu'alors la pens?e de mesurer leur taille.
? l'?le d'Elbe, l'Empereur n'?tait invisible pour personne dans sa vie publique, et bien des personnes le voyaient quotidiennement dans sa vie priv?e. L'Empereur se plaisait parfois au laisser aller des jouissances domestiques. Sans doute aussi la vie publique de l'empereur Napol?on n'avait plus le grandiose du r?gne imp?rial de la France, mais elle en avait toute la noblesse, et l'on peut dire que Napol?on ne montra jamais un moment de d?g?n?ration personnelle. Il ?tait empereur au fort de l'?toile comme il avait ?t? empereur aux Tuileries. Dans ses habitudes de travail, de table, de repos, de promenade, d'amusement, de r?ception, de splendeur, il y avait presque toujours quelqu'un de nous aupr?s de lui, et, sans peut-?tre nous en douter, par l'entra?nement de l'affection, chacun de nous avait pris ? t?che de l'observer. De telle sorte que nous savions ? peu pr?s ce qu'il disait, ce qu'il faisait et quelquefois m?me ce qu'il pensait.
Il n'y a donc rien d'extraordinaire dans la croyance que l'empereur Napol?on n'a jamais ?t? plus compl?tement et plus parfaitement examin? qu'? l'?le d'Elbe. Ce n'est qu'? l'?le d'Elbe en effet que l'on a pu ?tudier et conna?tre Napol?on. Soldat, il devait prendre et il prenait toutes les formes que son ambition lui imposait; empereur, il ?tait plac? si haut qu'on ne pouvait pas le voir; ? Sainte-H?l?ne, il posait pour la post?rit?. Mais ? l'?le d'Elbe il n'en ?tait pas de m?me: ce n'?tait plus Napol?on l'invincible, Napol?on le roi des rois, Napol?on inabordable; c'?tait Napol?on vaincu, Napol?on d?poss?d?, Napol?on populaire. Ce n'?tait pas Napol?on prisonnier et tortur? comme il le fut ensuite ? Sainte-H?l?ne. Il n'avait pas cess? de r?gner.
Nous n'avons jamais vu un portrait de Napol?on parfaitement ressemblant. Eh bien, on n'a pas ?t? mieux inspir? dans la peinture de son caract?re moral que dans celle de ses traits physiques.
Le vif int?r?t que l'Empereur avait t?moign?, d?s sa premi?re visite, ? Rio, ?tait all? toujours croissant. Sa Majest? ?tait d?cid?e ? ne rien n?gliger pour la prosp?rit? de ce bel ?tablissement.
Mais des discussions importantes s'?lev?rent entre Sa Majest? Imp?riale et l'administrateur g?n?ral des mines. On avait dit ? l'Empereur qu'il ?tait possesseur l?gal de tout ce qu'il trouvait ? l'?le d'Elbe. L'administrateur ne voulait lui reconna?tre des droits que sur les produits qui avaient eu lieu depuis le trait? de Paris; il pensait que les produits ant?rieurs appartenaient au gouvernement fran?ais, quel qu'il f?t, et il refusait de s'en dessaisir autrement qu'au nom et pour compte de ce gouvernement.
L'Empereur ?tait un grand homme, mais c'?tait un homme, et, homme, il ?tait sujet aux faiblesses humaines. Des int?ress?s lui faisaient croire que l'administrateur g?n?ral des mines ne lui ob?issait point parce qu'il le consid?rait comme d?chu de la toute-puissance: cela blessait et irritait l'Empereur. L'administrateur g?n?ral des mines fut menac? de l'emploi de la force; il brava les menaces, peut-?tre les brava-t-il avec trop de rudesse: c'?tait du moins l'opinion de ses amis. Alors l'Empereur voulut discuter personnellement sa propre affaire. L'administrateur g?n?ral des mines persista. Le moment fut terrible. Cependant Sa Majest? se rendit aux raisons d'honneur et de conscience que l'administrateur g?n?ral des mines lui donna.
Ces discussions avaient un grand retentissement dans l'?le. On croyait que l'administrateur g?n?ral des mines serait destitu?. Madame M?re avait d?j? demand? la place pour un Corse, ancien ami de Bonaparte. L'Empereur repoussa brusquement toutes les sollicitations. Non seulement l'administrateur g?n?ral des mines ne fut pas destitu?, mais Sa Majest? lui sut gr? de son ?nergie, et la fin de cette lutte marqua, pour le fonctionnaire courageux, une ?re de confiance imp?riale. Cette confiance se manifesta dans le plus grand ?v?nement de la vie de l'Empereur, celui de son d?part de l'?le d'Elbe.
Mais cette confiance, dont je me suis toujours fait et dont je me ferai toujours gloire, je l'ai justifi?e, et mon d?vouement a pay? ma dette, sans que pour cela j'aie cess? de me consid?rer comme d?biteur.
Dans les premi?res circonstances de ma carri?re militaire, il y en a une dont j'aurais pu tirer parti sous l'Empire. Officier de marine, indign? de la trahison qui avait livr? Toulon aux Anglais, je me pronon?ai avec exaltation contre les tra?tres, et cette manifestation me valut d'?tre nomm? commissaire de la R?publique ? l'arm?e r?publicaine qui assi?geait la ville rebelle. Bient?t apr?s, je fus nomm? capitaine d'artillerie.
Ainsi je suis dans une position d'ind?pendance absolue. Mon caract?re est plus ind?pendant encore, et, d'ailleurs, je n'ai qu'? raconter. Pourvu que mon r?cit soit vrai, j'aurai rempli mon devoir, et il sera vrai.
PREMI?RE PARTIE: SOUVENIRS DE LA VIE DE NAPOL?ON ? L'?LE D'ELBE
CHAPITRE PREMIER
Nous atteign?mes au 3 mai.
Le soleil s'?tait lev? radieux. Il faisait pr?sager une heureuse journ?e. L'horizon s'?tendait dans l'immensit?. Le regard semblait atteindre les limites du monde.
L'embarcation portait le g?n?ral Drouot, aide de camp de l'Empereur; le colonel Germanovski, commandant les Polonais de la garde imp?riale; le colonel Campbell et le major Klam, Autrichien. Ces messieurs, envoy?s par l'empereur Napol?on, se rendirent aussit?t aupr?s du g?n?ral Dalesme, et ils en furent accueillis avec un abandon qui les toucha profond?ment. ? leur arriv?e, j'?tais seul avec le g?n?ral Dalesme, et, touch? comme lui, je pus prodiguer mes sentiments de sympathie au g?n?ral Drouot ainsi qu'au colonel Germanovski.
Les dangers que l'empereur Napol?on avait courus en traversant la Provence, ce qu'il devait avoir su des r?voltes de l'?le d'Elbe, donnaient des craintes ? ses compagnons, et il ?tait facile de s'apercevoir qu'ils n'avaient pas ?t? tranquilles sur la r?ception qui leur serait faite ? Porto-Ferrajo.
Les premi?res paroles des quatre envoy?s de l'empereur Napol?on peignent parfaitement les sentiments qui les ma?trisaient en d?barquant. Leur ensemble me para?t esquisser parfaitement le fond des pens?es. Le g?n?ral Drouot: <
Le g?n?ral Drouot ?tait porteur d'une lettre de l'empereur Napol?on pour le g?n?ral Dalesme. Cette lettre ?tait dat?e <
< Les circonstances m'ayant port? ? renoncer au tr?ne de France, sacrifiant ainsi mes droits au bien et aux int?r?ts de la patrie, je me suis r?serv? la souverainet? de l'?le d'Elbe et des forts de Porto-Ferrajo et Portolongone, ce qui a ?t? consenti par toutes les puissances. Je vous envoie donc le g?n?ral Drouot pour que vous lui fassiez sans d?lai la remise de ladite ?le, des magasins de guerre et de bouche, et des propri?t?s qui appartiennent ? mon domaine imp?rial. < < Quoique ? l'?le d'Elbe on n'e?t encore aucune communication officielle du gouvernement d?finitif de la France, ni, par une suite n?cessaire, du trait? qui reconnaissait l'empereur Napol?on comme souverain de l'?le d'Elbe, l'empereur Napol?on n'exhiba point ce titre, et le g?n?ral Dalesme s'abstint de le lui demander. Cela devait ?tre: il y aurait eu quelque chose de trop insultant dans une demande qui aurait pu faire supposer qu'on soup?onnait la parole de l'Empereur. Apr?s la lecture de la lettre de l'empereur Napol?on, le g?n?ral Dalesme re?ut toutes les autorit?s de Porto-Ferrajo et leur pr?senta les envoy?s du nouveau souverain. Un homme de bien qui craint d'avoir mal fait n'a plus de tranquillit?: telle ?tait la situation morale de l'honorable g?n?ral Dalesme. Le drapeau blanc lui apparaissait toujours comme un drapeau accusateur. D?s qu'il se vit au moment de recevoir l'empereur Napol?on, il me pria de faire amener le drapeau blanc, et un moment apr?s le drapeau blanc n'existait plus. Alors mon excellent ami se trouva beaucoup plus ? son aise. Le g?n?ral Drouot cherchait particuli?rement ? conna?tre les sentiments religieux des Elbois. Cela ?tonna beaucoup. L'?tonnement aurait ?t? moins grand si l'on avait su quels ?taient les principes fondamentaux de sa premi?re ?ducation. Le g?n?ral Drouot m'apparut avec l'une de ces physionomies patriarcales de l'antiquit?. Le colonel Campbell affectait d'avoir une grande consid?ration pour le g?n?ral Drouot, mais il y avait une dissemblance dans leur figure. Le colonel Campbell ?tait bless? ? la t?te: sa t?te ?tait artistement envelopp?e, l'oeil sec et per?ant, l'oreille tendue, le sourire factice, les traits mobiles, ne parlant que pour faire parler, tel ?tait le colonel Campbell. Son ensemble ?tait la perfection du type britannique. La population tout enti?re salua d'un cri de bienveillance les envoy?s de l'empereur Napol?on. Chacun voulait les avoir ? son foyer. Ma demeure officielle ?tait ? Rio-Marine. Je n'avais qu'un appartement ? Porto-Ferrajo; je ne pouvais disposer que d'une chambre. Je l'avais offerte au g?n?ral Drouot, 11 l'avait accept?e. Mais l'on trouva qu'une chambre ne suffisait pas pour un aide de camp de l'Empereur. On m'enleva mon h?te. Le g?n?ral Drouot alla trouver ma femme pour s'excuser. C'?tait aussi une visite de politesse. Nous nous ?tions convenus r?ciproquement d?s la premi?re entrevue. Trente ann?es n'ont rien chang? ? cette premi?re impression. Je me trompe: le temps en a fait un sentiment d'amiti? profonde. On illumina. Ce n'?tait pas une illumination pr?par?e, g?n?rale, r?guli?re: c'?taient des lumi?res grandes ou petites, mises aux crois?es pour exprimer la joie commune, et cela suffisait. Il fut d?cid? qu'une d?putation se rendrait aupr?s de l'empereur Napol?on pour lui pr?senter les hommages de tous les habitants de Porto-Ferrajo. La d?putation fut compos?e du g?n?ral Dalesme, du sous-pr?fet, du commandant de la garde nationale et de moi. Le colonel Vincent aurait pu et aurait d? ?tre de cette d?putation; il s'abstint. Les Fran?ais, employ?s civils ou employ?s militaires, furent en g?n?ral les moins joyeux et les moins empress?s. De ce qui avait lieu en petit ? Porto-Ferrajo parmi le peuple officiel qui appartenait presque tout ? la France, on pouvait se faire une id?e de ce qui devait avoir lieu ? Paris. On ne pensait qu'? saluer l'astre naissant. Cet empereur Napol?on, on l'aimait bien encore, mais on craignait de le t?moigner, parce qu'il y avait peut-?tre des gens qui observaient et qu'il ne fallait pas se compromettre. La v?rit? est qu'on voulait pouvoir se vanter de n'avoir t?moign? aucun regret au banni imp?rial. Nous all?mes, les quatre d?put?s, ? l'embarcad?re de l'administration sanitaire. Le colonel Campbell ?tait avec nous, et le grand canot de la fr?gate nous attendait. ? l'administration sanitaire, nous appr?mes une chose qui nous ?tonna beaucoup, et qui valut une r?primande ? l'administrateur. Dans la matin?e de ce jour, le 3 mai, le patron d'un bateau corse, venant de Bastia, en rel?che ? Porto-Ferrajo, avait d?clar?, en prenant l'entr?e, < Je m?prisai solennellement le Directoire. Simple citoyen, je l'attaquai, je le d?popularisai, et, les armes l?gales ? la main, je coop?rai d'une mani?re sensible ? son renversement. Il y a d?j? longtemps que j'ai ?crit: < Le Consulat, quoique l'oeuvre d'un soldat ambitieux, me sembla, d'abord, devoir enfin consolider la r?volution r?g?n?ratrice de 1789, mais j'?tais d?j? d?sabus? lorsque l'Empire vint d?truire toutes les esp?rances des amis de la patrie. L'empereur Napol?on oublia qu'il avait ?t? le g?n?ral Bonaparte; il brisa le pavois que le peuple et la libert? lui avaient fait, et des d?bris de ce pavois il fabriqua un tr?ne. C'?tait de l'ingratitude: alors le peuple et la libert? l'abandonn?rent. Peuple, ap?tre de la libert?, je restai avec le peuple et avec la libert?. On m'attribua un ?crit contre l'empereur Napol?on. J'?prouvai des disgr?ces, des disgr?ces injustes, mais, je le jure devant Dieu, jamais une rancune d'int?r?t personnel ne souilla la sinc?rit? de mes opinions politiques. Ainsi j'?tais d?cid?ment oppos? au syst?me imp?rial. Je n'ai pas ? me d?savouer. L'Empire n'a eu que de grands capitaines, que de grands hommes d'?tat, mais il n'a point eu de grands citoyens, et les d?vouements, presque tous ?trangers ? la patrie, ?taient des d?vouements pour l'Empereur. Le renversement de l'Empire aurait peut-?tre ?t? un bien pour le peuple fran?ais, si la Sainte-Alliance n'avait pas fait peser les Bourbons sur la France.
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