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Read Ebook: Colas Breugnon: Récit bourguignon by Rolland Romain

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Ebook has 1263 lines and 69739 words, and 26 pages

Romain Rolland

COLAS BREUGNON

R?cit bourguignon

ALBIN MICHEL

Table des mati?res

PR?FACE D'APR?S-GUERRE.

AVERTISSEMENT AU LECTEUR.

I L'ALOUETTE DE LA CHANDELEUR.

II LE SI?GE OU LE BERGER, LE LOUP ET L'AGNEAU.

IV LE FL?NEUR OU UNE JOURN?E DE PRINTEMPS.

V BELETTE.

VI LES OISEAUX DE PASSAGE OU LA S?R?NADE ? ASNOIS.

X L'?MEUTE.

PR?FACE D'APR?S-GUERRE

R. R.

AVERTISSEMENT AU LECTEUR

L'ALOUETTE DE LA CHANDELEUR

Saint Martin soit b?ni! Les affaires ne vont plus. Inutile de s'?reinter. J'ai assez travaill? dans ma vie. Prenons un peu de bon temps. Me voici ? ma table, un pot de vin ? ma droite, l'encrier ? ma gauche; un beau cahier tout neuf, devant moi, m'ouvre ses bras. ? ta sant?, mon fils, et causons! En bas, ma femme temp?te. Dehors, souffle la bise, et la guerre menace. Laissons faire. Quelle joie de se retrouver, mon mignon, mon bedon, face ? face tous deux!... Mais dis-moi, je te prie, quel singulier plaisir j'?prouve ? te revoir, ? me pencher, seul ? seul, sur ma vieille figure, ? me promener gaiement ? travers ses sillons, et, comme au fond d'un puits de ma cave, ? boire dans mon coeur une lamp?e de vieux souvenirs? Passe encore de r?ver, mais ?crire ce qu'on r?ve!... R?ver, que dis-je? J'ai les yeux bien ouverts, larges, pliss?s aux tempes, placides et railleurs; ? d'autres les songes creux! Je conte ce que j'ai vu, ce que j'ai dit et fait... N'est-ce pas grande folle? Pour qui est-ce que j'?cris? Certes pas pour la gloire; je ne suis pas une b?te, je sais ce que je vaux, Dieu merci!... Pour mes petits-enfants? De toutes mes paperasses, que restera dans dix ans? Ma vieille en est jalouse, elle br?le ce qu'elle trouve... Pour qui donc?--Eh! pour moi. Pour notre bon plaisir. Je cr?ve si je n'?cris. Je ne suis pas pour rien le petit-fils du grand-p?re qui n'e?t pu s'endormir avant d'avoir not?, au seuil de l'oreiller, le nombre de pots qu'il avait bus et rendus. J'ai besoin de causer; et dans mon Clamecy, aux joutes de la langue, je n'en ai tout mon so?l. Il faut que je me d?bonde, comme cet autre qui faisait le poil au roi Midas. J'ai la langue un peu trop longue; si l'on venait ? m'entendre, je risque le fagot. Mais tant pire, ma foi! Si l'on ne risquait rien, on ?toufferait d'ennui. J'aime, comme nos grands boeufs blancs, ? rem?cher le soir le manger de ma journ?e. Qu'il est bon de t?ter, palper et peloter tout ce qu'on a pens?, observ?, ramass?, de savourer du bec, de go?ter, rego?ter, laisser fondre sur sa langue, d?glutiner lentement en se le racontant, ce qu'on n'a pas eu le temps de d?guster en paix, tandis qu'on se h?tait de l'attraper au vol! Qu'il est bon de faire le tour de son petit univers, de se dire: <>

Or ??, que je fasse un peu le compte de cet univers!

En premier lieu, je m'ai,--c'est le meilleur de l'affaire,--j'ai moi, Colas Breugnon, bon gar?on, Bourguignon, rond de fa?ons et du bedon, plus de la premi?re jeunesse, cinquante ans bien sonn?s, mais r?bl?, les dents saines, l'oeil frais comme un gardon, et le poil qui tient dru au cuir, quoique grison. Je ne vous dirai pas que je ne l'aimerais mieux blond, ni que si vous m'offriez de revenir de vingt ans, ou de trente, en arri?re je ferais le d?go?t?. Mais apr?s tout, dix lustres, c'est une belle chose! Moquez-vous, jouvenceaux. N'y arrive pas qui veut. Croyez que ce n'est rien d'avoir promen? sa peau, sur les chemins de France, cinquante ans, par ce temps... Dieu! qu'il en est tomb? sur notre dos, m'amie, de soleil et de pluie! Avons-nous ?t? cuits, recuits et relav?s! Dans ce vieux sac tann?, avons-nous fait entrer des plaisirs et des peines, des malices, fac?ties, exp?riences et folies, de la paille et du foin, des figues et du raisin, des fruits verts, des fruits doux, des roses et des gratte-culs, des choses vues et lues, et sues, et eues, v?cues! Tout cela, entass? dans notre carnassi?re, p?le-m?le! Quel amusement de fouiller l?-dedans!... Halte-l?, mon Colas! nous fouillerons demain. Si je commence aujourd'hui, je n'en ai pas fini... Pour le moment, dressons l'inventaire sommaire de toutes les marchandises dont je suis propri?taire.

Je poss?de une maison, une femme, quatre gar?ons, une fille, mari?e , un gendre , dix-huit petits-enfants, un ?ne gris, un chien, six poules et un cochon. ??, que je suis riche! Ajustons nos besicles, afin de regarder de plus pr?s nos tr?sors. Des derniers, ? vrai dire, je ne parle que pour m?moire. Les guerres ont pass?, les soldats, les ennemis, et les amis aussi. Le cochon est sal?, l'?ne fourbu, la cave bue, le poulailler plum?.

Mais la femme, je l'ai, ventredieu, je l'ai bien! ?coutez-la brailler. Impossible d'oublier mon bonheur: c'est ? moi, le bel oiseau, j'en suis le possesseur! Cr? coquin de Breugnon! Tout le monde t'envie... Messieurs, vous n'avez qu'? dire. Si quelqu'un veut la prendre!... Une femme ?conome, active, sobre, honn?te, enfin pleine de vertus . Hai! comme elle se d?m?ne, notre Marie-manque-de-gr?ce, remplissant la maison de son corps efflanqu?, furetant, grimpant, grinchant, grommelant, grognant, grondant, de la cave au grenier, pourchassant la poussi?re et la tranquillit?! Voici pr?s de trente ans que nous sommes mari?s. Le diable sait pourquoi! Moi, j'en aimais une autre, qui se moquait de moi; et elle, voulait de moi, qui ne voulais point d'elle. C'?tait en ce temps-l? une petite brune bl?me, dont les dures prunelles m'auraient mang? tout vif et br?laient comme deux gouttes de l'eau qui ronge l'acier. Elle m'aimait, m'aimait, ? l'en faire p?rir. ? force de me poursuivre un peu par piti?, un peu par vanit?, beaucoup par lassitude, afin de me d?barrasser de cette obsession, je devins , je devins son mari. Et elle, elle se venge, la douce cr?ature. De quoi? De m'avoir aim?. Elle me fait enrager; elle le voudrait, du moins; mais n'y a point de risque: j'aime trop mon repos, et je ne suis pas si sot de me faire pour des mots un sol de m?lancolie. Quand il pleut, je laisse pleuvoir. Quand il tonne, je barytone. Et quand elle crie, je ris. Pourquoi ne crierait-elle pas? Aurais-je la pr?tention de l'en emp?cher, cette femme? Je ne veux pas sa mort. O? femme il y a, silence n'y a. Qu'elle chante sa chanson, moi je chante la mienne. Pourquoi qu'elle ne s'avise pas de me clore le bec , le sien peut ramager: chacun a sa musique.

Au reste, que nos instruments soient accord?s ou non, nous n'en avons pas moins ex?cut?, avec, d'assez jolis morceaux: une fille et quatre gars. Tous solides, bien membr?s: je n'ai point m?nag? l'?toffe et le m?tier. Pourtant, de la couv?e, le seul o? je reconnaisse ma graine tout ? fait, c'est ma coquine Martine, ma fille, la m?tine! m'a-t-elle donn? du mal ? passer sans naufrage jusqu'au port du mariage! Ouf! la voil? calm?e!... Il ne faut pas trop s'y fier; mais ce n'est plus mon affaire. Elle m'a fait assez veiller, trotter. ? mon gendre! c'est son tour. Florimond, le p?tissier, qu'il veille sur son four!... Nous disputons toujours, chaque fois que nous nous voyons; mais avec aucun autre, si bien ne nous entendons. Brave fille, avis?e jusque dans ses folies, et honn?te, pourvu que l'honn?tet? rie: car pour elle, le pire des vices, c'est ce qui ennuie. Elle ne craint point la peine: la peine, c'est de la lutte; la lutte, c'est du plaisir. Et elle aime la vie; elle sait ce qui est bon; comme moi: c'est mon sang. J'en fus trop g?n?reux, seulement, en la faisant.

Je n'ai pas aussi bien r?ussi les gar?ons. La m?re y a mis du sien, et la p?te a tourn?: sur quatre, deux sont bigots, comme elle, et, par surcro?t, de deux bigoteries ennemies. L'un est toujours fourr? parmi les jupons noirs, les cur?s, les cafards; et l'autre est huguenot. Je me demande comment j'ai couv? ces canards. Le troisi?me est soldat, fait la guerre, vagabonde, je ne sais pas trop o?. Et quant au quatri?me, il n'est rien, rien du tout: un petit boutiquier, effac?, moutonnier; je b?ille, rien que d'y penser. Je ne retrouve ma race que la fourchette au poing, quand nous sommes assis, les six, autour de ma table. ? table, nul ne dort, chacun y est bien d'accord; et c'est un beau spectacle de nous voir, tous six, manoeuvrer des m?choires, abattre pain ? deux mains, et descendre le vin sans corde ni poulain.

Apr?s le mobilier, parlons de la maison. Elle aussi, est ma fille. Je l'ai b?tie, pi?ce par pi?ce, et plut?t trois fois qu'une, sur le bord du Beuvron indolent, gras et vert, bien nourri d'herbe, de terre et de merde, ? l'entr?e du faubourg, de l'autre c?t? du pont, ce basset accroupi dont l'eau mouille le ventre. Juste en face se dresse, fi?re et l?g?re, la tour de Saint-Martin ? la jupe brod?e, et le portail fleuri o? montent les marches noires et raides de Vieille-Rome, ainsi qu'au paradis. Ma coque, ma bicoque, est sise en dehors des murs: ce qui fait qu'? chaque fois que de la tour on voit dans la plaine un ennemi, la ville ferme ses portes et l'ennemi vient chez moi. Bien que j'aime ? causer, ce sont l? des visites dont je saurais me passer. Le plus souvent, je m'en vais, je laisse sous la porte la clef. Mais lorsque je retourne, il advient que je ne retrouve ni la clef ni la porte: il reste les quatre murs. Alors, je reb?tis. On me dit:

--Abruti! tu travailles pour l'ennemi. Laisse ta taupini?re, et viens-t'en dans l'enceinte. Tu seras ? l'abri.

Je r?ponds:

--Landeri! Je suis bien o? je suis. Je sais que derri?re un gros mur, je serais mieux garanti. Mais derri?re un gros mur, que verrais-je? Le mur. J'en s?cherais d'ennui. Je veux mes coud?es franches. Je veux pouvoir m'?taler au bord de mon Beuvron, et, quand je ne travaille point, de mon petit jardin, regarder les reflets d?coup?s dans l'eau calme, les ronds qu'? la surface y rotent les poissons, les herbes chevelues qui se remuent au fond, y p?cher ? la ligne, y laver mes guenilles et y vider mon pot. Et puis, quoi! mal ou bien, j'y ai toujours ?t?; il est trop tard pour changer. Il ne peut m'arriver pire que ce qui m'est arriv?. La maison, une fois de plus, dites-vous, sera d?truite? c'est possible. Bonnes gens, je ne pr?tends ?difier pour l'?ternit?. Mais d'o? je suis incrust?, il ne sera pas facile, bon sang! de m'arracher. Je l'ai refaite deux fois, je la referai bien dix. Ce n'est pas que cela me divertisse. Mais cela m'ennuierait dix fois plus d'en changer. Je serais comme un corps sans peau. Vous m'en offrez une autre, plus belle, plus blanche, plus neuve? Elle goderait sur moi, ou je la ferais claquer. Nenni, j'aime la mienne...

??, r?capitulons: femme, enfants et maison; ai-je bien fait le tour de mes propri?t?s?... Il me reste le meilleur, je le garde pour la bonne bouche, il me reste mon m?tier. Je suis de la confr?rie de Sainte-Anne, menuisier. Je porte dans les convois et dans les processions le b?ton d?cor? du compas sur la lyre, sur lequel la grand-m?re du bon Dieu apprend ? lire ? sa fille toute petiote, Marie pleine de gr?ce, pas plus haute qu'une botte. Arm? du hacheret, du b?dane et de la gouge, la varlope ? la main, je r?gne, ? mon ?tabli, sur le ch?ne noueux et le noyer poli. Qu'en ferai-je sortir? c'est selon mon plaisir... et l'argent des clients. Combien de formes dorment, tapies et tass?es l?-dedans! Pour r?veiller la Belle au bois dormant, il ne faut, comme son amant, qu'entrer au fond du bois. Mais la beaut? que, moi, je trouve sous mon rabot, n'est pas une mijaur?e. Mieux qu'une Diane efflanqu?e, sans derri?re ni devant, d'un de ces Italiens, j'aime un meuble de Bourgogne ? la patine bronz?e, vigoureux, abondant, charg? de fruits comme une vigne, un beau bahut pansu, une armoire sculpt?e, dans la rude fantaisie de ma?tre Hugues Sambin. J'habille les maisons de panneaux, de moulures. Je d?roule les anneaux des escaliers tournants; et, comme d'un espalier des pommes, je fais sortir des murs les meubles amples et robustes faits pour la place juste o? je les ai ent?s. Mais le r?gal, c'est quand je puis noter sur mon feuillet ce qui rit en ma fantaisie, un mouvement, un geste, une ?chine qui se creuse, une gorge qui se gonfle, des volutes fleuries, une guirlande, des grotesques, ou que j'attrape au vol et je cloue sur ma planche le museau d'un passant. C'est moi qui ai sculpt? pour ma d?lectation et celle du cur?, dans le choeur de l'?glise de Montr?al, ces Stalles, o? l'on voit deux bourgeois qui se rigolent et trinquent, ? table, autour d'un broc, et deux lions qui braillent en s'arrachant un os.

Travailler apr?s boire, boire apr?s travailler, quelle belle existence!... Je vois autour de moi des maladroits qui grognent. Ils disent que je choisis bien le moment pour chanter, que c'est une triste ?poque... Il n'y a pas de triste ?poque, il n'y a que de tristes gens. Je n'en suis pas, Dieu merci. On se pille? on s'?trille? Ce sera toujours ainsi. Je mets ma main au feu que dans quatre cents ans nos arri?re-petits-neveux seront aussi enrag?s ? se carder le poil et se manger le nez. Je ne dis pas qu'ils ne sauront quarante fa?ons nouvelles de le faire mieux que nous. Mais je r?ponds qu'ils n'auront trouv? fa?on nouvelle de boire, et je les d?fie de le savoir mieux que moi... Qui sait ce qu'ils feront, ces dr?les, dans quatre cents ans? Peut-?tre que, gr?ce ? l'herbe du cur? de Meudon, le mirifique Pantagruelion, ils pourront visiter les r?gions de la Lune, l'officine des foudres et les bondes des pluies, prendre logis dans les cieux, pinter avec les dieux... Bon, j'irai avec eux. Sont-ils pas ma semence et sortis de ma panse? Essaimez, mes mignons! Mais o? je suis, c'est plus s?r. Qui me dit, dans quatre si?cles, que le vin sera aussi bon?

Le beau froid! un cent d'aiguilles me picotent les joues. Embusqu?e au d?tour de la rue, la bise m'empoigne la barbe. Je cuis. Lou? soit Dieu! mon teint reprend son lustre... J'aime entendre sous mes pas la terre durcie qui sonne. Je me sens tout gaillard. Qu'ont donc tous ces gens-l?, l'air piteux, maugracieux?...

Je passe d'abord chez ma fille, pour prendre ma petite Glodie. Nous faisons tous les jours notre promenade ensemble. C'est ma meilleure amie, ma petite brebiette, ma grenouille qui gazouille. Elle a cinq ans pass?s, plus ?veill?e qu'un rat et plus fine que moutarde. D?s qu'elle me voit, elle accourt. Elle sait que j'ai toujours ma hotte pleine d'histoires; elle les aime autant que moi. Je la prends par la main.

--Viens, petite, nous allons au-devant de l'alouette.

--L'alouette?

--C'est la Chandeleur. Tu ne sais pas qu'aujourd'hui elle nous revient des cieux?

--Qu'est-ce qu'elle y a ?t? faire?

--Chercher pour nous le feu.

--Le feu?

--Le feu qui fait soleil, le feu qui fait bouillir la marmite de la terre.

--Il ?tait donc parti?

--Mais oui, ? la Toussaint. Chaque ann?e, en novembre, il s'en va r?chauffer les ?toiles du ciel.

--Comment est-ce qu'il revient?

--Les trois petits oiseaux sont all?s le chercher.

--Raconte...

Elle trottine sur la route. Chaudement envelopp?e d'un tricot de laine blanche, coiff?e d'une capuche bleue, elle a l'air d'une m?sange. Elle ne craint pas le froid; mais ses rondes pommettes sont rouges comme apis, et son trognon de nez coule comme fontaine...

--??, moucheron, mouchons, souffle chandelles! Est-ce pour la Chandeleur? La lampe s'allume au ciel.

--Raconte, p?re-grand, les trois petits oiseaux...

--Les trois petits oiseaux sont partis en voyage. Les trois hardis comp?res: Roitelet, Rouge-Gorge et l'amie l'Alouette. Le premier, Roitelet, toujours vif et remuant comme un petit Poucet, et fier comme Artaban, aper?oit dans les airs le beau feu, tel un grain de millet, qui roulait. Il fond sur lui, criant: <> Et les autres crient: <> Mais d?j? le Roitelet l'a happ? au passage et descend comme un trait... <> Telle bouillie bouillante, Roitelet le prom?ne d'un coin de bec ? l'autre; il n'en peut plus, il b?ille, et la langue lui p?le; il le crache, il le cache sous ses petites ailes... <> Les petites ailes flambent... Rouge-Gorge aussit?t accourt ? son secours. Il pique le grain de feu et le pose d?votement en son douillet gilet. Voil? le beau gilet qui devient rouge, rouge, et Rouge-Gorge crie: <> Alors Alouette arrive, la brave petite m'amie, elle rattrape au vol la flamme qui se sauvait pour remonter au ciel, et preste, prompte, pr?cise comme une fl?che, sur la terre elle tombe, et du bec enfouit dans nos sillons glac?s le beau grain de soleil qui les fait p?mer d'aise...

J'ai fini mon histoire. Glodie caquette, ? son tour. Au sortir de la ville, je l'ai mise sur mon dos, pour monter la colline. Le ciel est gris, la neige craque sous les sabots. Les buissons et les arbres ch?tifs aux os menus sont matelass?s de blanc. La fum?e des chaumines monte droite, lente et bleue. On n'entend aucun bruit que ma petite grenouille. Nous arrivons au haut. ? mes pieds est ma ville, que l'Yonne paresseuse et le Beuvron baguenaudant ceignent de leurs rubans. Toute coiff?e de neige, toute transie qu'elle est, frileuse et grelottante, elle me fait chaud au coeur chaque fois que je la vois...

Ville des beaux reflets et des souples collines... Autour de toi, tress?es, comme les pailles d'un nid, s'enroulent les lignes douces des coteaux labour?s. Les vagues allong?es des montagnes bois?es, par cinq ou six rang?es, ondulant, mollement; elles bleuissent au loin; on dirait une mer. Mais celle-ci n'a rien de l'?l?ment perfide qui secoua l'Ithacien Ulysse et son escadre. Pas d'orages. Pas d'emb?ches. Tout est calme. ? peine ?? et l? un souffle para?t gonfler le sein d'une colline. D'une croupe de vagues ? l'autre, les chemins vont tout droit, sans se presser, laissant comme un sillage de barque. Sur la cr?te des flots, au loin, la Madeleine de V?zelay dresse ses m?ts. Et tout pr?s, au d?tour de l'Yonne sinueuse, les roches de Basserville pointent entre les fourr?s leurs dents de sangliers. Au creux du cercle des collines, la ville, n?gligente et par?e, penche au bord de ses eaux ses jardins, ses masures, ses haillons, ses joyeux, la crasse et l'harmonie de son corps allong?, et sa t?te coiff?e de sa tour ajour?e...

Ainsi j'admire la coque dont je suis le lima?on. Les cloches de mon ?glise montent dans la vall?e; leur voix pure se r?pand comme flot cristallin dans l'air fin et gel?. Tandis que je m'?panouis, en humant leur musique, voici qu'une raie de soleil fend la grise enveloppe qui tenait le ciel cach?. Et juste ? ce moment, ma Glodie bat des mains et crie:

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