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Read Ebook: Victor ou L'enfant de la forêt by Ducray Duminil M Fran Ois Guillaume

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Ebook has 1209 lines and 159774 words, and 25 pages

Madame Wolf a fini son repas frugal; son fils, Hyacinthe, s'est d?j? endormi sur un si?ge. Victor engage madame Wolf ? se reposer dans son propre lit: elle r?siste d'abord; enfin elle c?de. L'enfant est mis ? c?t? d'elle, et Victor se propose de passer le reste de la nuit dans un fauteuil, ? c?t? de ses h?tes. Valentin veut rester avec son ma?tre; mais Victor lui ordonne de se retirer, et le domestique ob?it.

Victor est trop ?mu pour pouvoir sommeiller; il regarde madame Wolf dormir avec ce calme de l'ame que donne toujours la vertu; il examine l'enfant qui entre dans la carri?re tortueuse de la vie, et se demande quel sort attend cet aimable enfant.

Victor r?fl?chissait sur la bizarrerie de la fortune, qui tourmente chaque individu s?par?ment. Des pens?es un peu plus p?nibles avaient chass? les id?es agr?ables que venait de lui faire na?tre le bonheur qu'il avait eu de sauver la veuve et l'orphelin des mains de trois sc?l?rats. Madame Wolf et Hyacinthe ?taient sans appui, sans secours. Victor connaissait assez le coeur du baron de Fritzierne pour esp?rer qu'il les garderait dans son ch?teau, et qu'il ferait pour le jeune Hyacinthe ce qu'il avait fait pour lui. Il n'en doutait pas un moment; mais il sentait que ces deux infortun?s, qui lui devaient la vie, ?taient un lien de plus qui l'attachait au ch?teau; il ne pouvait s'en s?parer. L'enfant attendait ses soins; il devait l'?lever comme un fils que le ciel venait de lui envoyer. Il se proposait donc de former son coeur ? la vertu, et de d?velopper ses facult?s physiques et morales. Cette occupation d'ailleurs pourrait le distraire de sa fatale passion; il lui donnerait tout son temps, ne verrait Cl?mence qu'aux heures du repas, et toujours devant son p?re. C'est une esp?ce d'absence qu'une grande occupation. Pr?s de Cl?mence, il ne la verra pas plus que s'il en ?tait tr?s-?loign?; car Victor peut prendre ses repas chez lui, s?par?ment, ne rendre ses devoirs ? M. de Fritzierne que le matin, et se renfermer pendant tout le reste de la journ?e avec son ?l?ve, son petit Hyacinthe. Oui, cela peut s'arranger ainsi; voil? qui est d?cid?. Victor restera au ch?teau, Victor ne verra plus Cl?mence qu'autant que la biens?ance l'exigera. Sa passion, distraite par un autre objet, s'affaiblira bient?t; il oubliera Cl?mence, il l'oubliera.....

Insens?, quelle est ton erreur! que ta raison est fragile, quand c'est ton coeur qui la guide! Crois-tu qu'une premi?re impression s'efface aussi ais?ment? crois-tu qu'on puisse oublier Cl?mence quand on a eu le bonheur de la voir, d'admirer ses talens, ses perfections?...... Tu ne la verras que rarement, et devant son p?re! Mais Cl?mence s'attachera ? ton ?l?ve; elle te le demandera; elle viendra le trouver chez toi; elle voudra lui donner des le?ons de musique, de talens agr?ables: tu l'entendras chanter, cette fille c?leste! tu la verras sourire, tu la rencontreras chez toi, dans le parc, et par-tout dans ton coeur!.... Eh! tu pourrais l'oublier! l'oublier! Il te faudra donc oublier aussi que tu as une ame sensible? Il te faudra donc oublier les jeux de ton enfance avec Cl?mence, ses agaceries piquantes, sa voix si touchante, ses regards si doux, si expressifs? Non non, Victor, n'esp?re pas te soustraire facilement ? ses traits dangereux; n'esp?re pas vaincre un amour si pur, si d?licat.... Eh! quand tu ne la verrais plus, pourrais-tu jamais oublier que tu l'as vue, que tu l'as connue? Fuis le danger, Victor; laisse la veuve et l'orphelin dans le ch?teau, confie-les aux soins g?n?reux de ton bienfaiteur. Il demandait une compagne pour sa fille, pour lui des amis, un appui dans sa vieillesse; eh bien! les voil?, ces amis qu'il cherchait. Madame Wolf para?t bien n?e; elle est vertueuse, elle a du moins l'accent de la vertu: peux-tu, Victor, peux-tu jamais ?tre mieux remplac??

Victor ?tait occup? de ces diverses r?flexions; ses yeux ?taient attach?s sur la veuve et l'orphelin, qu'il voyait reposer tranquillement.... Tout-?-coup madame Wolf para?t agit?e par un songe funeste; son front se couvre de sueur, ses traits s'obscurcissent, sa bouche veut articuler quelques mots.... Victor craint qu'elle ne se trouve indispos?e; il va s'approcher d'elle, la secourir. Elle para?t se calmer..... ses yeux se referment..... elle dort.... Mais non: bient?t un nouveau trouble s'empare de ses sens; elle s'agite, elle jette un cri.... ? ce cri lugubre et sourd succ?dent quelques murmures ?touff?s. Victor l'entend prononcer distinctement ces mots: Roger! barbare Roger!.... que fais-tu? que veux-tu? la beaut?, l'innocence, rien ne peut te d?sarmer!.... Cruel! frappe, frappe donc! arrache-lui la vie.... Cet enfant, tu le demandes! Non, non, cet enfant n'est plus en ton pouvoir; je l'ai soustrait ? la mort, a l'ignominie.... La m?re te reste!... Le monstre! il l'?tend sans vie ? mes pieds, ciel! oh ciel!...

? ce cri affreux, madame Wolf se r?veille en sursaut; elle regarde autour d'elle d'un air inquiet, apper?oit Victor, et s'?crie, en cachant sa t?te dans ses mains: le voil?! c'est lui!--Qui donc, lui, s'?crie ? son tour Victor ?tonn??... Il s'approche d'elle, lui prend la main, et lui demande la cause de son trouble. Madame Wolf se frotte les yeux, le consid?re long-temps avec une expression m?l?e de douleur et d'effroi: puis, revenant ? elle, elle lui dit en soupirant: Pardonnez, g?n?reux inconnu, pardonnez mon ?garement: il est la suite d'un songe effrayant. Je voyais..... je croyais voir..... un homme qui..... vos traits.... Un rapport, bien ?loign? sans doute, tout a prolong? mon erreur. Pardonnez-moi si j'ai interrompu votre sommeil.--Mon sommeil! je ne dormais point.... Je vous l'avouerai, madame, vous m'avez glac? d'effroi. Ce Roger que vous avez nomm?....--Roger? Ciel! j'ai nomm? Roger?--Oui, madame; vous le voyiez pr?t ? frapper la m?re d'un enfant que vous lui aviez soustrait; il semblait m?me qu'il l'immolait ? vos yeux.--Malheureuse! qu'ai-je dit? Excusez-moi encore une fois, homme sensible et d?licat. C'est... oui, c'est la sc?ne de ce soir qui s'est retrac?e ? mon imagination..... Je croyais voir les brigands dont vous m'avez d?livr?e; ils frappaient mon petit Hyacinthe. Sa m?re, qui n'est plus.... car elle n'est plus, sa m?re!... elle ?tait expos?e ? leurs coups. Voil? tout.--Voil? tout, madame? Permettez-moi une seule question. Vous m'avez dit que ce Roger, dont vous avaient parl? les voleurs, vous rappelait des souvenirs bien douloureux..... Auriez-vous connu un homme qui port?t ce nom?--Que trop, monsieur.--Ce n'est pas sans doute ce Roger, ce chef des brigands qui infestent les for?ts de l'Allemagne, celles de la Boh?me?--Par piti?, monsieur, par piti? ne m'interrogez point. Je vous ai dit que personne ne conna?trait mes malheurs, non, non, personne! S'il faut vous les raconter, s'il faut ? ce prix reconna?tre le service signal? que vous m'avez rendu, je le sens, le sacrifice est au-dessus de mes forces, et je me vois dans la dure n?cessit? de vous avouer mon ingratitude.--N'en parlons plus, madame Wolf, n'en parlons plus; on doit respecter le secret des infortun?s, comme on doit respecter leur sommeil.... Remettez-vous un peu, madame; le jour para?t, t?chez de reposer encore quelques heures.

Madame Wolf ne pouvait plus dormir; ses sens avaient ?t? trop agit?s par son r?ve pour pouvoir se plonger de nouveau dans cet engourdissement salutaire que procure le sommeil. Elle se leva, et attendit, en causant avec Victor de choses indiff?rentes, le lever du baron de Fritzierne, qui, d?s six heures du matin, ?tait tous les jours dans son parc. Victor regardait attentivement par la crois?e; il apper?ut enfin cet homme respectable qui, un fusil sous le bras, s'amusait de temps en temps ? chasser les oiseaux. Victor recommande ? madame Wolf de l'attendre. Il vole au-devant de son bienfaiteur, et se pr?cipite sur sa main, qu'il couvre de baisers. ? mon p?re! avez-vous bien pass? la nuit?--Tr?s-bien, mon Victor, et toi?--Moi, mon p?re, la nuit la plus d?licieuse....--J'entends, tu as bien dormi. ? ton ?ge!.... Cependant je te trouve les yeux un peu... rouges; tu es p?le.--Mon p?re...--Ach?ve: aurais-tu quelque chagrin? Penserais-tu encore au refus que je t'ai fait hier de te laisser voyager? Crois-tu que je puisse ais?ment me passer de toi, mon ami? Si c'est cela qui t'affecte, si tu viens encore m'en parler, je t'en avertis, nous nous f?cherons nous deux, mais s?rieusement... Allons, mon Victor, consulte ton coeur, et s'il te dit que tu peux me quitter sans regret, je te laisserai partir sans peine.

Ce peu de mots avait foudroy? Victor; il ne venait point r?it?rer sa demande, ce n'?tait point l? ce qui l'amenait aupr?s de M. de Fritzierne; mais il avait le projet de lui en parler dans un autre moment, et tout son espoir s'?vanouissait. Cependant l'int?r?t de la veuve et de l'orphelin l'emporta sur le sien propre: il oublia ses affaires pour s'occuper de celles de ses prot?g?s. Il se remit donc de la premi?re impression que lui a faite la d?fense du baron. Mon p?re, lui dit-il, je ne viens point vous parler d'un projet qui a eu le malheur d'affecter hier votre sensibilit?; je ne r?it?rerai point ma demande, puisqu'elle vous d?pla?t; un motif plus puissant m'engage ? r?clamer votre g?n?rosit?--Qu'est-ce que c'est, mon fils? as-tu besoin de quelque chose? Parle, parle; que tes desirs soient in?puisables comme l'envie que j'ai de t'accabler de mes bienfaits.--Homme divin!.... ce n'est pas pour moi; non, ce n'est pas pour moi que je vous interc?de; vos bont?s savent pr?venir mes moindres voeux, et je n'en puis plus former que pour votre bonheur!.... Vous allez peut-?tre trouver plaisant l'aveu que je vais vous faire.... Une.... une femme a pass? la nuit dans ma chambre.-- Une femme? Quel ?ge?--Quarante ans, ?-peu-pr?s.--Oh! tu ne choisis pas bien.--Pardonnez-moi, mon p?re; je choisis tr?s-bien, comme vous choisiriez; car c'est la vertu, c'est l'infortune ? qui j'ai accord? l'hospitalit? depuis une heure du matin.--Bon jeune homme! conte-moi donc cela. T'es-tu trouv? dans les grandes aventures?--Oh! tr?s-grandes, mon p?re: ?coutez-moi.

Victor lui fait un r?cit exact de tout ce qui s'est pass? pendant la nuit; il n'oublie rien, pas m?me les plus l?g?res circonstances du songe de madame Wolf. Quand il a fini son r?cit, le baron s'?crie: O? est-elle, cette femme respectable, o? est-elle? je veux la voir: si elle est digne de mon estime, de la tienne, je la garde ici, je la donne ? ma fille pour compagne et pour amie.

Victor court promptement chercher madame Wolf; elle descend, tenant son petit Hyacinthe par la main; elle se pr?cipite aux genoux du baron, qui la rel?ve avec bont?, lui adresse quelques questions, fait venir un domestique, et lui ordonne de pr?parer, sur-le-champ, un logement pour la veuve. Les larmes de madame Wolf inondent les mains du bon Fritzierne. Victor ne peut retenir les siennes, et le baron lui-m?me essuie sa paupi?re, que le sentiment a humect?e de ses pleurs d?licieux. Madame, dit-il ? la veuve, mon fils m'a dit que vos aventures ?taient un secret pour tout le monde; je le respecterai, et personne dans cette maison ne vous fera des questions qui pourraient troubler la tranquillit? dont je veux que vous y jouissiez. Vous paraissez bien n?e; soyez la m?re de ma fille: elle est encore enfant; c'est volage un peu, c'est ?tourdi: formez son esprit, son exp?rience; pour son coeur, je ne vous en parlerai pas; c'est le chef-d'oeuvre de la nature, selon moi du moins; et je suis p?re!..... Mais Victor vous dira..... Qu'en penses-tu, Victor? crois-tu que l'?loge soit outr??

M. de Fritzierne, apr?s ce peu de mots, fit quelques tours de jardin avec Victor et madame Wolf. Cette femme estimable, qui entrevoyait enfin l'aurore du bonheur, apr?s avoir ?prouv? tant de chagrin, tant d'inqui?tudes, sentait son coeur palpiter plus ais?ment. Elle pressait une des mains du baron tandis que de l'autre c?t?, Victor serrait contre son coeur l'autre main de cet homme g?n?reux. On parla d'un genre de vie ? r?gler, d'un plan d'?ducation ? suivre; ensuite tous se rendirent pour d?je?ner au ch?teau, o? Cl?mence attendait son p?re, sans se douter de la nouvelle compagne qu'il allait lui amener.

Par un effet de la sympathie naturelle ? deux coeurs qui s'aiment, Cl?mence avait mal dormi aussi pendant toute cette nuit. Sans savoir quelle ?tait la cause du chagrin de Victor, elle avait remarqu?, la veille, que le front de ce fr?re qu'elle ch?rissait, ?tait surcharg? de nuages; qu'il respirait avec peine, et qu'il semblait m?diter quelque grand projet. Quelques mots m?me ?chapp?s ? son p?re, lui avaient fait entrevoir que ce projet ?tait de la quitter, de l'?loigner d'elle. Cl?mence perdre Victor! s'en voir s?par?e pour long-temps, peut-?tre pour jamais! cette id?e est affreuse quand on aime! Cl?mence donc avait souffert toute la nuit, et s'?tait bien promis de prendre son fr?re ? part d?s le lendemain matin, de l'interroger, de lui arracher son fatal secret. Cl?mence formait ce dessein, lorsqu'elle vit arriver son p?re, Victor tenant un enfant dans ses bras, et tous deux suivis d'une femme dont les traits annon?aient la vertu et le malheur. Cl?mence se l?ve ?tonn?e; son p?re lui prend la main: Ma fille, lui dit-il, depuis long-temps tu n'as plus de m?re; je vais t'en donner une, une bien estimable, une que tu ch?riras sans doute autant que tu me ch?ris moi-m?me. Vois-tu cette respectable femme? nous la devons ? Victor; oui, c'est ton bon fr?re qui, toujours sensible aux maux des infortun?s, lui a sauv? la vie cette nuit, ? elle et ? cet enfant qu'elle a adopt?. Elle n'a point d'asyle, ma fille, cette ch?re madame Wolf; point de parens, point d'amis! qu'elle trouve ici une fille, des fr?res, et une demeure s?re et tranquille. N'est-ce pas, ma fille, que tu approuves l'accueil et les offres que ton p?re vient de lui faire?--Mon p?re, chaque action que vous faites est un nouveau bienfait pour moi: cette dame, dont l'air m'inspire d?j? le respect, est bien s?re de trouver en moi une fille, puisque mon p?re et mon fr?re l'ont adopt?e.

Madame Wolf, p?n?tr?e de la grace et de la sensibilit? de Cl?mence, lui demanda la permission de l'embrasser, non en qualit? de m?re, mais comme une amie, une tendre amie qui voulait toujours l'?tre. Cl?mence se livra ? ces douces effusions, et l'on servit le d?je?ner, pendant lequel on parla de la for?t, des dangers que madame Wolf y avait courus, et du secours que le ciel lui avait envoy?, en permettant que Victor entend?t ses cris.

Chacun se retira ensuite pour vaquer ? ses diverses occupations. Madame Wolf fut se reposer dans son appartement, et Cl?mence ne songea plus qu'? chercher le moment favorable de parler en particulier ? son fr?re. Tous deux avaient les m?mes affections, les m?mes inqui?tudes; tous deux devaient se chercher, se plaindre, ou se consoler ensemble.

TRAIT DE LUMI?RE.

Qu'il est d?licat, l'amour qu'?prouve un coeur honn?te pour un objet que la barri?re des pr?jug?s ou des devoirs; s?pare pour jamais de lui! Comme il est malheureux aussi, cet amour pur et touchant que l'espoir ne peut alimenter! Tel le voyageur; s?par? d'une terre d?licieuse par un ab?me qu'il ne peut franchir, fixe avec des yeux mouill?s de larmes cette terre o? tendaient tous ses pas; tel l'amant honn?te et timide adore en silence, et sans oser exprimer sa tendresse, l'objet qu'il sait ne pouvoir jamais poss?der. Il souffre, l'infortun? Victor; mais il est incapable de manquer aux devoirs sacr?s de la reconnoissance et de l'hospitalit?. Son amour est cependant ? son comble: il lui est impossible d'aimer moins ou d'aimer davantage; il faut absolument qu'il prenne un parti, sans quoi il se trahira, il parlera, ou bien il mourra de douleur. Un jour, un seul jour peut lui faire rompre le silence, le perdre pour jamais, et avec lui, peut-?tre, l'objet charmant dont il est ?pris.

Oh! comme il est ? plaindre!.... C'est la solitude qu'il cherche; c'est dans un bosquet ?loign? du ch?teau qu'il va g?mir de ses maux. Seul, ?tendu sur le gazon, il fixe le ciel en versant des larmes; il accuse sa destin?e, il accuse l'amour, l'amour qu'il ne peut vaincre, et qui va le forcer ? la fuite ou ? l'ingratitude. La fuite, c'est toujours le parti qu'il veut prendre, c'est toujours le seul moyen qui lui reste de reconna?tre les bienfaits de son protecteur. Mais ces nouveaux venus ne semblent-ils pas devoir l'attacher au ch?teau? Ce petit Hyacinthe, il attend ses le?ons; on le lui a d?j? donn? pour ?l?ve. Il faut que Victor reste pour former Hyacinthe, pour l'?lever, pour en faire un homme instruit et vertueux.... Eh bien! ce jeune Hyacinthe est encore trop enfant pour profiter de ses soins. Victor ne peut entreprendre l'?ducation de cette touchante cr?ature que dans trois ou quatre ans: qui emp?che Victor de voyager pendant ce temps? Trois ou quatre ans suffiront pour ?teindre sa passion, pour changer son coeur, et peut-?tre la situation de Cl?mence! Effet bizarre et nouveau de l'amour de Victor, il adore Cl?mence, et il voudrait la voir unie ? un autre. S'il pouvait lui trouver un ?poux, engager son p?re ? la marier sur-le-champ, comme Victor s'empresserait de contribuer ? cet hymen! quelle reconnoissance il aurait envers son rival! ce serait un dieu pour Victor; il lui sauverait la vie.... Mais Cl?mence n'a que quinze ans, il faut attendre encore. Attendre? oui, attendre; mais en s'?loignant, mais en se s?parant pour quelque temps de cet objet trop s?duisant. Le danger est pressant: un mot peut perdre Victor: ce mot il erre ? tout moment sur ses l?vres. Il ne faut qu'un instant pour qu'il dise ? Cl?mence: Je ne suis point ton fr?re, je suis.... ton amant!.... Dieux! quelle imprudence! S'il disait ce mot fatal, Victor, Cl?mence, Fritzierne, tous, tous seraient ? jamais malheureux. Il faut donc se taire, il faut donc fuir!....

Victor cherche ? s'affermir dans ce dernier parti, lorsque l'objet qui trouble son repos, l'objet qu'il aime, qu'il redoute qu'il veut fuir, se pr?sente ? ses regards. Un l?ger bruit agite le feuillage, Victor tourne la t?te; il apper?oit Cl?mence qui, la t?te pench?e, les bras tendus vers lui, s'avance, s'asseoit ? c?t? de lui, lui prend la main et l'embrasse sans prononcer une parole. Cl?mence embrasse Victor! Quel baiser de feu pour ce dernier, tandis que Cl?mence ne croit lui donner que le baiser de la nature!....

Victor, trop ?mu, repousse l?g?rement Cl?mence de la main. Mes caresses te d?plaisent, mon fr?re, lui dit na?vement cette touchante cr?ature! tu repousses ta soeur!--Ma soeur!....--Ai-je mal fait d'embrasser mon fr?re?--Ton fr?re, Cl?mence!--Eh! oui, mon fr?re. Voyez donc comme il prononce ce nom, ce nom autrefois si doux pour lui, et qui para?t aujourd'hui lui ?tre ?tranger!--Ah! Cl?mence, laisse-moi.--Je vous suis importune?--Non; mais j'ai....--Vous avez du chagrin? Eh bien! est-ce l? le cas de me renvoyer? Qui partagera tes peines, qui les adoucira, si ce n'est ta soeur, ta bonne soeur, qui t'aime, oh! qui t'aime!....--Tu m'aimes?--Il en doute, je crois! Tiens, il faut que je te dise une remarque assez singuli?re que j'ai faite. Tu sais combien je respecte, combien je ch?ris mon p?re: eh bien! je ne sais pas pourquoi, il me semble que tu m'es encore plus cher que lui. C'est peut-?tre mal ? moi; mais mon coeur n'est pas ma?tre de surmonter cet exc?s de tendresse.--Que me dis-tu?....--La v?rit?.--Cl?mence, ah! Cl?mence, par piti?, ?loigne-toi; ne me vois, ne me parle jamais.--Bien oblig?e de ta reconnaissance. C'est ainsi que tu r?ponds ? l'aveu que je te fais?--Cl?mence, il faut que nous nous s?parions.--? propos, c'est ton dessein ? toi, je sais cela.--Tu sais?--C'est-?-dire, que tu veux me faire mourir. Moi! moi! que t'ai-je fait, m?chant?--H?las!--Oui; parlez, monsieur; dites-moi pourquoi vous me traitez, depuis quelque temps, avec tant froideur? C'est affreux: vous m'?vitez, vous ne me parlez plus, vous repoussez mes caresses: l?, tout-?-l'heure encore....--Ah! si tu savais!....--Eh bien! parle, si tu as quelque secret, confie-le-moi; verse-le dans mon sein. Je ne suis qu'une enfant, il est vrai, mais je suis digne de ta confiance; je suis capable de garder ton secret aussi bien que toi. ? mon fr?re! mon cher fr?re! mon cher Victor!....

En disant ces mots, Cl?mence verse quelques larmes; elle passe ses bras autour du cou de Victor; elle le presse, elle le serre contre son coeur.... L'?tat de Victor est trop violent; il va succomber, il va parler; sa t?te est ?gar?e, sa raison chanc?le; il ne voit que son amante, il ne c?de qu'? l'amour... Cl?mence! Cl?mence! s'?crie-t-il dans un d?lire effrayant, promets-moi, promets-moi de ne rien dire, de garder dans ton sein l'aveu que je ne puis plus te c?ler?--Parle, oh! parle, Victor.--Jure-moi....--Eh! ton coeur et le mien ne font qu'un; ton secret, partag? avec moi, n'est-il pas toujours ? toi?--Femme divine!.... apprends que je br?le, apprends que je t'aime, que je t'adore....--Eh bien quel mal? Et moi aussi, je t'aime, je t'adore....--Mais je t'aime.... en amant!....--Et je t'aime aussi... en amante!--Plus.... qu'un fr?re.--Plus qu'une soeur.--Eh! sais-tu, sais-tu ce qui fait mon tourment?.... C'est que tu n'es pas ma soeur!--Je ne suis pas....--Non, tu n'es pas ma soeur, je ne suis pas ton fr?re; je ne suis qu'un amant ivre de tes charmes, de tes vertus, de tes perfections.... un enfant trouv? dans une for?t, recueilli, ?lev? par ton p?re comme son propre fils: voil?, voil? tout ce que je suis....--Tu n'es pas mon fr?re!.... Dieux! quel bonheur!--Eh quoi! tu me pardonnes de t'aimer! tu ne me punis point!...--Eh! de quoi, mon ami? Au contraire, nous avons maintenant l'espoir d'?tre unis.--Qu'entends-je?--Ah! Victor, quel heureux changement! Moi qui t'aimais, qui t'adorais.... plus qu'une soeur ne le devait, sans doute, c'?tait mon amant que j'idol?trais, c'?tait mon ?poux!--Ton ?poux?--Oui, mon ?poux!.... Victor, connais-tu mon p?re?--Je sais qu'il est bon.--Sais-tu aussi qu'il est exempt de pr?jug?s, d'orgueil et de cupidit??--Que veux-tu dire?--Qu'il nous unira.--Comment esp?res-tu?--Apprends que ce secret que tu viens de me confier, j'ai ?t? vingt fois sur le point de le p?n?trer. Oui, j'ai eu vingt fois l'id?e.... Mais ma l?g?ret?, mon inexp?rience, tout m'a emp?ch?e de r?fl?chir plus s?rieusement sur la conduite de mon p?re ? mon ?gard. Apprends que mon p?re m'a cent fois, mille fois dit: Aime Victor, ma fille aime-le de toutes les forces de ton coeur. J'ai des projets sur lui. Un jour ce fr?re ch?ri pourrait faire ton bonheur et celui de ma vieillesse. J'ai des raisons pour t'engager ? l'aimer autant que tu m'aimes.... Entends-tu, Victor, ce que mon p?re voulait dire? Comprends-tu que c'est de notre hymen qu'il parlait? Oh! mon ami, quelle heureuse destin?e nous attend!

Victor, ?tonn?, ?coute ce que lui dit Cl?mence; il est sur le point de se livrer au plus doux espoir. L'amour aime ? se flatter; mais Victor sait penser. L'?norme distance qui le s?pare du baron de Fritzierne vient frapper ses regards. D'ailleurs, c'est Cl?mence, c'est une enfant qui lui donne pour des r?alit?s des conjectures vagues, des expressions ? double sens, que la g?n?rosit?, l'amiti? ont seules dict?es ? son p?re. Victor ne peut esp?rer de devenir l'?poux de Cl?mence; il ne peut se livrer ? cette pens?e consolante, mais chim?rique. Non, Cl?mence, dit-il ? son amante, non, il ne faut pas nous aveugler: je ne suis qu'un orphelin, sans parens, sans connaissance m?me de ma naissance; je ne dois pas ?lever ma pens?e jusqu'? toi. Jamais, non, jamais ton p?re ne consentira ? un hymen aussi disproportionn?. Il faut renoncer ? cet espoir flatteur, ch?re Cl?mence, il le faut. Ton p?re a la bont? de m'estimer, de m'aimer comme son propre fils: ce sont les liens de la fraternit?, et non ceux de l'amour, qu'il a voulu resserrer entre nous deux.... Cl?mence, te voil? instruite de mon origine, de mon sort, de mes projets. Garde bien ce secret dans ton coeur; que personne ne s'apper?oive que je te l'aie r?v?l?. Cl?mence, j'ai ta parole, je la r?clame.--Mais quelle manie ? toi de d?sesp?rer comme cela de tout! D'ailleurs, tu parles encore de projets: mon bien-aim?, quels sont donc ces projets que tu formes toujours?--Celui de te fuir; il le faut. Apr?s l'aveu que je t'ai fait sur-tout, je ne puis plus vivre avec toi; non, je ne le puis plus. J'abhorre jusqu'? l'id?e de la s?duction; elle m'effraie, et je crains d?j? de m'en ?tre rendu coupable.--Toi, toi, mon fr?re?.... Ah! pardonne ce nom, qui m'est ?chapp? involontairement.--Appelle-moi ton fr?re, Cl?mence; que je le sois encore, toujours! Ce nom seul peut me ramener ? l'honneur, au devoir.--Mais voyez donc comme il parle! ? coup s?r, Victor, j'aime encore plus la vertu que je ne te ch?ris. Si je croyais que la d?claration que tu viens de me faire, que je t'ai faite ? mon tour, p?t enfreindre la plus l?g?re loi de l'honneur, je ne me pardonnerais jamais cet entretien. Mais, Victor, mon p?re est bon, sensible, g?n?reux; il ne ressemble pas ? ces grands de la terre, qui n'?coutent que l'orgueil, que la cupidit?, dans l'?tablissement de leurs enfans. Il voit les hommes, et non les titres; il te regarde comme un fils, comme un gendre, oui, comme un gendre, te dis-je. Si tu ne veux pas me croire? m?chant, c'est que tu veux me faire de la peine....

Cl?mence emploie mille raisons pour persuader ? Victor ce dont elle-m?me est persuad?e, tous ses discours sont inutiles, Victor est d?sesp?r? d'avoir ?clair? Cl?mence sans l'aveu de son p?re. Il pense avec raison que c'?tait ? Fritzierne lui-m?me ? d?voiler ? sa fille le v?ritable ?tat de Victor: et que puisqu'il ne l'a pas fait jusqu'? ce jour, c'est qu'il avait apparemment des motifs que Victor ne devait pas p?n?trer, ne devait pas contrarier au moins par son indiscr?tion. Cette r?flexion effraie Victor: il craint les justes reproches du baron; il redoute les suites de son imprudence, et tout le raffermit dans le dessein qu'il a de s'?loigner, et cela d?s ce jour, le plut?t possible; Cl?mence lui promet cependant de ne point t?moigner qu'elle soit instruite. Tous deux se prennent par le bras, et reviennent lentement au ch?teau, p?n?tr?s d'une tristesse qui n'aurait pas d? ?tre la suite d'un entretien o? l'amour pouvait s'exhaler sans crainte, sans ?tre g?n? par l'illusion de la nature.

Coeurs vertueux, c'est ainsi que vous assujettissez les passions aux devoirs de la raison, aux loix de la d?licatesse; c'est ainsi que vous savez ?prouver, exprimer et sentir!

Tous deux arrivent au ch?teau, o? ils apprennent avec surprise que M. de Fritzierne les a mand?s pour une affaire importante. Ils se h?tent de se rendre chez lui, et sont encore plus surpris de le trouver plong? dans une sombre r?verie.

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>>Madame Wolf baise encore cent fois l'objet qu'elle tient; puis, elle le d?pose sur une table, et peu ? peu elle s'endort profond?ment. Vous jugez, mes enfans, combien ses discours me frapp?rent. Persuad? que, fatigu?e comme elle l'?tait, elle ne se r?veillerait pas de si-t?t, j'entrai doucement chez elle et je m'emparai du bijou dans le dessein de le remettre dans l'instant ? sa place; mais je l'ai apport? jusqu'ici, ne pouvant r?sister au desir de vous le montrer. Le voil?, Victor le voil?; examine-le bien; tout ? l'heure nous irons le rendre ? cette infortun?e, qui sans doute n'aura pas encore cess? de reposer>>.

Victor regarde long-temps ce portrait avec attendrissement. Ouvre la bo?te, lui dit le baron; pousse un petit bouton ? gauche, tu verras quelque chose de plus extraordinaire. Victor trouve le secret; et, dans, le double fond, il apper?oit un autre portrait, celui d'un homme dont la ressemblance est si frappante avec Victor, que Cl?mence jette un cri de surprise....

M. de Fritzierne, en disant ces mots, se levait d?j? pour aller reporter la bo?te dans l'appartement de madame Wolf, lorsque celle-ci parut. Son repos avait ?t? de courte dur?e: en se r?veillant, elle n'avait plus trouv? pr?s d'elle son bijou pr?cieux, et l'inqui?tude l'avait conduite chez le baron. Elle entre, apper?oit son bijou, et reste immobile. Le baron ? son tour est interdit, et ne sait comment faire excuser son indiscr?tion. Madame, lui dit-il, troubl?, je ne sais comment.... cette bo?te..... le hasard.... l'int?r?t que vous m'inspirez....--Monsieur, lui r?pond madame Wolf, aussi ?mue que lui: vous m'aviez promis de respecter mes secr?tes inqui?tudes....

Elle ne peut achever, le baron ne sait que lui dire, et Victor et Cl?mence se retirent par ?gard, pour ne pas g?ner leur p?re, qu'ils voient forc? de rougir devant eux. Leur d?licatesse leur apprend qu'il ne faut point ajouter au trouble de ceux que le hasard humilie ? nos yeux. M. de Fritzierne est seul avec madame Wolf: il est plus ferme, plus tranquille, et l'engage ? verser dans son sein les tourmens de son ame. Je l'ai connu, lui dit-il, cet homme que retrace le fond de votre bo?te; c'est Roger, c'est ce chef de voleurs, qui maintenant rode dans nos for?ts.--Quoi! monsieur!...--Oui, madame, c'est lui,--Quoi! auriez connu ce monstre?--H?las! tenez, confiez-moi vos malheurs; je vous dirai les miens, et tous deux nous nous consolerons mutuellement.--Monsieur, monsieur!.... Ah! n'insistez pas, en grace, ne me pressez pas davantage? C'est le secret d'une autre, d'une autre, qui n'est plus ? la v?rit?; mais, en lui fermant les yeux, je lui ai promis de ne le r?v?ler ? personne, ? personne! Vous entendez, mon cher monsieur? je l'ai d?j? dit ? votre aimable fils; s'il faut, par mon indiscr?tion, reconna?tre vos bienfaits, j'y renonce, oui, j'y renonce: laissez-moi partir; j'emporterai au moins le souvenir de vos vertus et.... mon secret.--Femme cruelle!.... vous voulez donc g?mir et pleurer seule? Je vous en avertis, je verrai couler vos larmes, et je ne les essuierai point. Vous ne savez pas, vous ne sentez pas ce que c'est qu'un ami! vous vous en privez; eh bien! je ne vous en parlerai plus.... Peut-?tre votre r?cit m'e?t-il ?t? n?cessaire pour quelques explications dont j'ai besoin, relatives ? ce Roger....--Ah! ne pronon?ons jamais son nom! Oublions-le, oublions les chagrins pass?s pour n'admirer que votre bienfaisance et les vertus aimables de votre famille!--Madame Wolf, votre obstination m'a fait de la peine; je me suis emport? un peu: je vous en demande pardon. Ne pensons plus ? ce petit d?m?l?? J'?viterai les occasions de le faire rena?tre, et j'attendrai, sans vous pers?cuter, que le temps, la confiance, l'amiti? m?me, que je me flatte de vous inspirer par la suite, vous engagent ? verser dans le sein d'un ami des peines qui, d?s ce moment, s'all?geraient de moiti?. Adieu, madame Wolf.

Le vieillard lui tendit sa main, qu'elle couvrit de larmes et de baisers. Tous deux se s?par?rent; et Fritzierne fut rejoindre ses enfans, qui, en bl?mant, comme lui, la r?sistance de madame Wolf, lui promirent de partager les ?gards qu'il voulait avoir dor?navant pour cette femme int?ressante.

PROJETS MANQU?S, SURCRO?T D'EMBARRAS.

Quelques jours se pass?rent sans qu'il arriv?t rien au ch?teau. Seulement on r?pandait le bruit que la troupe de Roger se grossissait dans les for?ts et qu'il avait le projet d'attaquer quelques-unes des riches propri?t?s desquelles il s'approchait. Le baron de Fritzierne attachait ? ce bruit plus d'importance que Victor, qui le regardait comme un conte exag?r?. Quelle apparence en effet que des brigands, sans tactique comme sans discipline, osassent attaquer des ch?teaux-forts qui avaient autrefois soutenu le choc des arm?es les mieux r?gl?es. Au milieu de cette s?curit?, Victor n'abandonnait pas son projet, celui de s'exiler de la maison de son bienfaiteur; il n'osait plus lui parler encore de son desir de voyager, il ?tait s?r d'en ?tre refus?; il fallait donc qu'il le quitt?t sans lui faire ses adieux, autrement que dans une lettre qu'on lui remettrait apr?s son d?part.

Victor, ferme dans cette r?solution, bien persuad? que jamais il n'obtiendra la main de Cl?mence, tourment? m?me de la crainte qu'en restant plus long-temps, son amour ne vienne ? se d?couvrir, Victor prend la plume pour ?crire ? son protecteur, au p?re de son amante. Il ?crit vingt lettres qu'il d?chire successivement; enfin il s'arr?te ? celle-ci:

Victor relit cette lettre, puis il appelle son domestique: Valentin, lui dit-il m'es-tu attach??--Ah, monsieur!--Il faut que tu me rendes un grand service, mon cher Valentin. Tu vas tous les soirs prendre les ordres de M. de Fritzierne, avant qu'il se mette au lit.--Oui, monsieur.--Eh bien! mon ami, il faut ce soir, avant de sortir de chez lui, que tu jettes cette lettre sur sa table sans qu'il t'apper?oive.--Cette lettre, monsieur?--Oui, mon ami.--Eh! que ne la lui remettez-vous vous-m?me?--Je ne le puis.--Vous ne le pouvez? J'entends, monsieur, j'entends; je sais tout.--Eh! que sais-tu?--Que vous voulez quitter cette maison; et qu'apparemment ce soir vous n'y serez plus.--Eh! qui t'a dit?....--Cl?mence: oui, c'est Cl?mence elle-m?me qui m'a pr?venu de vos desseins, mais avec une grace, une confiance, qui m'ont p?n?tr?, moi.--Comment, Cl?mence t'a dit?....--Oui, monsieur: que vous l'aimez, que vous n'?tes pas son fr?re; que dans la persuasion o? vous ?tiez de ne jamais l'?pouser, vous vouliez partir, la quitter, et me quitter aussi, moi.--Cl?mence t'a confi?, ? toi, un secret dont d?pend...?--Oui, monsieur, j'ai son secret; elle m'a cru capable de le garder. Apparemment qu'elle me rend plus de justice que mon ma?tre.--Bon Valentin!.... tu sais tout.--Oui, tout, tout; absolument tout.--Garde-toi de jamais....--Elle ne m'a pas fait cette d?fense-l?, elle; elle sait bien que je n'en ai pas besoin.--Mais enfin, comment t'a-t-elle cont? tout cela?--Oh! je m'en vais vous le dire. Comme elle sait que vous avez de la bont? pour moi, que je suis votre confident, ?-peu-pr?s.... elle m'a dit, apr?s m'avoir mis au fait: mon cher Valentin, veille bien sur ton ma?tre, sur ses moindres d?marches: prends garde qu'il ne t'?chappe; si tu le vois r?veur, si tu le vois faire quelques pr?paratifs de voyage, viens, viens sur-le-champ m'en avertir.--Et tu lui aurais ob?i, tu m'aurais trahi?--Oui, monsieur; oui, je vous aurais trahi; car ?'aurait ?t? pour votre bonheur. Pourquoi voulez-vous vous en aller, voyons? qu'est-ce qui vous y force? Vous aimez Cl?mence, eh bien! attendez du temps que vous l'obteniez; puisque vous n'?tes pas son fr?re, vous avez de l'espoir; avec ?a vous ?tes un jeune homme si gentil, si bon, si raisonnable, si spirituel. M. de Fritzierne ne vous refusera pas; non: il ne peut pas vous refuser, ou bien j'irai lui dire moi-m?me qu'il a tort, qu'il fait mal.--Valentin!....--Oui, monsieur, j'irai! c'est que je n'aime pas les injustices, moi, et ?a en serait une grande que de ne pas faire votre bonheur; vous le m?ritez si bien!....

Victor ne peut s'emp?cher d'admirer le bon coeur de ce fid?le serviteur: cependant il emploie toute sa rh?torique pour lui prouver que tout l'engage ? suivre son projet. Il lui peint les grands, leurs pr?jug?s; et, quoique Valentin soutienne avec raison que le baron n'est pas de ces grands-l?, Victor lui donne tant de bonnes raisons, que le bon domestique finit par ?tre de son avis. L'embarras de Victor ensuite, c'est d'emp?cher que Valentin avertisse Cl?mence de sa fuite. Cl?mence aime, Cl?mence est jeune, l?g?re; elle a d'ailleurs, pour esp?rer, des motifs que Victor ne peut adopter. Cl?mence ?clatera, le baron saura tout, et Victor fr?mit des cons?quences qui en r?sulteront. Victor avait d'abord le dessein d'?crire une lettre d'adieux ? Cl?mence; mais par qui la lui fera-t-il remettre cette lettre? Par Valentin? Valentin parlera: on ne peut se fier sur sa discr?tion; sa tendresse pour son ma?tre peut l'abuser sur les moyens de faire son bonheur, il vient de le prouver.... Que fera Victor? il se d?cide ? ne point ?crire ? Cl?mence; mais il a un autre moyen de lui faire savoir son d?part. Pour Valentin, Victor va l'occuper si bien pendant toute la journ?e, qu'il lui sera impossible de parler ? personne, sur-tout ? Cl?mence. Tout ?tant ainsi arrang?, Victor fait ses pr?paratifs, non sans avoir le coeur bien serr?. Il voit son p?re, son amante et madame Wolf, ? l'heure du repas, et cette vue accro?t encore ses regrets. Cl?mence, par extraordinaire, semble affecter de ne le pas quitter pendant toute la journ?e: elle ne sait rien cependant, il est bien s?r que Valentin n'a pu la rejoindre, et Valentin n'a pas pu le lui faire savoir par ?crit, puisque le bon serviteur ne sait pas ?crire.

Par quel funeste pressentiment donc la sensible Cl?mence semble-t-elle s'attacher plus particuli?rement aux pas de Victor? H?las! elle est agit?e, tourment?e, sans savoir qu'elle est sur le point de perdre pour jamais ce qu'elle aime!.... Pauvre Cl?mence! pauvre Victor! comme vous m'int?ressez tous les deux!

Le soir, lorsque tout le monde est retir?, Victor rentre chez lui, apr?s avoir jet? des regards bien douloureux, peut-?tre les derniers, sur tous ceux qui lui sont chers.... Victor trouve dans son appartement Valentin occup? ? remplir une petite valise de ses propres effets. Que fais-tu l?, Valentin, lui demande Victor ?tonn??--Vous le voyez bien, monsieur, lui r?pond Valentin avec un ton d'humeur m?l? de sensibilit?.--Sont-ce tes effets que tu arranges ainsi?--Il le faut bien.--Pourquoi faire?--Eh! pour vous suivre. Quand un ma?tre a la duret? de partir sans moi, croyez-vous que j'aie l'inhumanit? de l'abandonner?--Quoi! tu veux....--Vous suivre par-tout, ne vous quitter qu'? la mort!--Mon pauvre Valentin, y penses-tu? Songes-tu que je n'ai ni ?tat, ni fortune, ni parens, ni amis?--Pour un ?tat, une fortune, ce n'est pas l? ce qui doit vous embarrasser: pour des amis, eh bien! vous en aurez un.--Homme unique! tu veux partager ma mis?re?--Votre mis?re! Oh! non: vous ne serez pas dans la mis?re, du moins pour quelque temps. Vous ?tes plus riche que vous ne pensez, quoique vous n'emportiez rien. Voyez-vous cette petite somme l?, dans le coin de cette valise, sous ce linge; eh bien! c'est le fruit de mes ?pargnes: il est ? vous.--Jamais....--? vous, ? moi, ? nous.--Valentin, laisse-moi respirer. Ce trait, ce trait sublime!....--Ce trait sublime! quelle expression est-ce ?a, pour une action toute simple?--Comme j'?tais entour? d'?tres vertueux!... Valentin, Valentin, je ne veux pas absolument....--Ah! vous ne voulez pas? eh bien! moi je veux; oui, je veux voyager aussi. Je suis mon ma?tre, peut-?tre: vous ne pouvez pas m'emp?cher de m'en aller quand je le voudrai. Eh bien! c'est ce soir, ? pr?sent que je m'en vais. Je suivrai la route que vous prendrez, voil? tout; si vous ne voulez pas de ma compagnie, vous me chasserez.--Te chasser, bon Valentin! chasser non ami!--Eh! allons, voil? qui est dit: nous faisons route ensemble, n'est-ce pas?--Oui, mon ami, oui: ne nous quittons plus, ne nous s?parons jamais.... Tu seras mon fr?re, tu le seras; et par ce moyen je tromperai la nature qui m'a refus? des parens.

Victor est p?n?tr? de l'attachement de son fid?le Valentin: il l'embrasse, il le presse contre son coeur; et le bon serviteur, qui n'est pas accoutum? ? pleurer, verse des larmes pour la premi?re fois. Quand tout est pr?t, Victor envoie Valentin ? son heure ordinaire dans l'appartement de M. de Fritzierne. Tu remettras ma lettre, lui dit-il, sur sa table, sans qu'il la voye; pendant ce temps je descendrai, j'ouvrirai la petite porte, que je laisserai ouverte; et j'irai t'attendre sur la grande route, ? la premi?re merlette du carrefour de la for?t.

Valentin demande ? son ma?tre pourquoi il ne l'attend pas pour partir: celui-ci lui objecte que deux personnes ensemble pourraient ?tre plut?t remarqu?es que l'une apr?s l'autre. D'ailleurs, il tremble toujours qu'on ne vienne d?ranger ses projets, et c'est, selon lui, le seul moyen d'en assurer l'ex?cution. Valentin lui fait donner sa parole d'honneur qu'il l'attendra; puis il le quitte pour aller remplir, pour la derni?re fois, son devoir ordinaire aupr?s du baron. Soudain Victor descend dans la campagne pour remplir la promesse qu'il vient de faire ? son compagnon de voyage.

La nuit ?tait sombre, le ciel ?tait voil? par quelques nuages qui semblaient ?tre les pr?curseurs de l'orage: d?j? quelques ?clairs partis de l'orient, annon?aient que ces nuages de feu rec?laient la foudre dans leurs flancs, et que bient?t toute la nature serait livr?e aux plus horribles d?chiremens. Rien n'arr?te Victor; il se retourne quand il est sous les murs du ch?teau, cherche la crois?e de l'appartement o? sans doute repose Cl?mence sans trouble et sans inqui?tudes, s'assied sur un monticule de gazon, et lui chante, avec la voix la plus touchante la romance suivante, dans laquelle il a renferm? ses tristes adieux:

Toi qui reposes sans alarmes, ?coute la voix de l'Amour Il va quitter ce beau s?jour, L'Amour n'y trouve plus de charmes!.... Cet asyle va d?sormais Causer mes regrets, ma souffrance: J'y laisse tout ce que j'aimais J'y laisse.... jusqu'? l'esp?rance.

Adieu, s?jour o? ma jeunesse Trouva, sous un toit protecteur, La bienfaisance, le bonheur, Et la tendre d?licatesse. Adieu!... je vous fuis pour jamais, Pour jamais je quitte Cl?mence: Si vous lui peignez mes regrets, Au moins laissez-lui l'esp?rance!

?cho, toi dont la voix plaintive ? cent fois r?p?t? mes chants, Va porter mes adieux touchans Jusqu'? son oreille attentive; Va lui dire aussi que mon coeur L'aime toujours avec constance; Mais qu'il a perdu le bonheur, Puisqu'il a perdu l'esp?rance!

Plein de douleur, plein de courage, C'en est fait, adieu, je te fuis: J'emporte avec moi les ennuis; Mais j'emporte aussi ton image! Elle me fera tour-?-tour Supporter la vie et l'absence. Ah! que ne puis-je avec l'Amour; Emporter aussi l'esp?rance!....

Victor ? peine a prononc? ces mots, ces mots qu'il croit ?tre les derniers qu'il adressera ? celle qu'il aime, lorsqu'il se sent frapper rudement sur l'?paule. Il se retourne, et l'obscurit? de la nuit l'emp?che de bien distinguer celui qui l'accueille d'une mani?re aussi brusque. Camarade, lui dit l'importun, c'est bien, tr?s bien chanter. On voit que tu es amoureux, ta voix tremble, tes accens sont ?touff?s; je parie m?me que tu verses quelques larmes.--Que vous importe?--Ah! c'est vrai, c'est vrai, cela m'est ?gal ? moi; je ne connais rien ? ces belles passions-l?; mais je ne veux g?ner personne; on est libre de pleurer, de g?mir, de se lamenter pour une beaut? cruelle, comme je suis libre, moi, de faire mon m?tier.--Apr?s, que me voulez-vous?--Un mot, un petit mot seulement. Es-tu de ce ch?teau?--De ce ch?teau?.... oui.... j'en ?tais du moins.--Tu connais le baron de Fritzierne?--Si je le connais!--Eh bien! il faut que tu lui remettes cette lettre.--Cette lettre?.... moi.... Eh! que ne la lui remettez-vous vous-m?me?--Je ne le puis; j'ai jur? de ne jamais mettre le pied chez lui.--De quelle part cette lettre?--De la part de.... c'est un secret.--Un secret?--Oui; mais il faut qu'il la re?oive, s'il ne veut p?rir.--P?rir!--Cette lettre doit lui sauver la vie.--? ciel! mon bienfaiteur! ses jours seraient menac?s!....--Tr?s-menac?s.--Eh! par qui? Serait-ce toi qui....?--Moi? oh! mon Dieu non. Je ne lui en veux pas absolument, moi: ce n'est pas moi qui lui ?cris.--Eh! qui donc?--Un homme puissant, un homme dont la seule menace est un arr?t de mort; un homme enfin.... ? qui le vieux baron doit une satisfaction.... dont ses jours r?pondent.--Grand Dieu!.... il est dans le danger, et j'allais, j'allais l'abandonner!.... Mais c'est un outrage qu'on lui fait; mon p?re est vertueux, il ne peut avoir offens? personne.... Toi, qui t'es charg? d'un pareil message, si je savais que ton sang p?t effacer la honte du soup?on seul que tu jettes sur le plus respectable des hommes, mon bras....--Eh! l'ami, n'approche pas, je suis mieux arm? que toi. Vois ces sabres, ces pistolets, ces poignards....--Qui donc es-tu?--La lettre te le dira. Adieu: fais ma commission, ou.... tu es perdu toi m?me.

En remontant dans son appartement, Victor rencontre Valentin, qui se rend tristement ? la petite porte. Eh quoi! monsieur, vous voil?! vous vous impatientiez?--Tu as ?t? bien long-temps, Valentin?--C'est vrai, monsieur; c'est que monsieur le baron ne pouvait pas s'endormir, et qu'il causait avec moi. Il a souvent la bont? de me parler comme ? son ami. C'est qu'il me raconte des histoires plus dr?les!.... Et puis il me fait jaser sur la France, mon pays: cela l'amuse, ce bon vieillard!.... Eh bien! monsieur, partons, me voil? pr?t.--Valentin, nous ne partons pas.--Non, monsieur! oh! tant mieux!.... Eh! pourquoi donc, s'il vous pla?t?--Tu le sauras. V?te de la lumi?re chez moi.--Quel bonheur! quel changement! Tenez, je vous l'avoue ? pr?sent, monsieur; mais j'avais, l?, un ?touffement.--D?p?che-toi donc.--S?rieusement, nous restons?....--Nous restons pour cette nuit du moins.--Pour toujours, monsieur, pour toujours; il faudra bien que tout s'arrange pour cela.--Que veux-tu dire?--Je m'entends, il suffit.

Victor et Valentin rentrent chez eux; les paquets sont d?faits; tout est remis en place, comme si l'on n'avait rien, d?rang?, afin qu'on ne s'apper?oive pas de la moindre trace d'un projet de fuite qui aurait constern? toute la maison. Ensuite Victor raconte ? Valentin ce qui lui est arriv?, et les propos ?tranges que lui a tenus l'inconnu, en le chargeant de remettre une lettre ? M. de Fritzierne. Le bon Valentin ouvre de grands yeux ? ce r?cit; il ne peut concevoir ce que cela veut dire. Je t'aurais bien engag?, ajoute Victor, ? rendre toi-m?me cette lettre ? mon p?re demain matin: tu serais venu me rejoindre ensuite ? un endroit indiqu?; mais, outre que cette marche t'aurait expos? ? des questions sur mon compte, je me serais reproch? le double d?sespoir o? ma fuite, et ce que peut contenir cette lettre, auraient plong? tous ceux qui me sont chers. D'ailleurs, Valentin, les jours de mon p?re sont menac?s, on lui demande une r?paration; quel que soit le mot de cette ?nigme, je dois le secourir, le consoler; oui, je lui dois ma vie, mon bras, tout, toute mon existence. Ah! Valentin!.... et je fuyais!.... et cette lettre serait peut-?tre venue demain lui percer le coeur une seconde fois: il aurait appel? Victor, Victor n'aurait plus ?t? l?!.... Comme il m'aurait accus? d'ingratitude, de cruaut? m?me!.... Ah! Valentin, ? quel danger je viens d'?chapper! Qu'il soit enseveli, qu'il le soit, ce projet coupable, insens?, form? dans mon sein au moment m?me o? ceux ? qui je dois tout ont le plus besoin de ma tendresse. Valentin, ta parole que jamais tu ne parleras....--Je vous la donne, monsieur; mais cette lettre que vous avez ?crite ? M. de Fritzierne, que j'ai laiss?e sur sa table?....--Il ne la lira pas. D?s que le petit jour para?tra, avant qu'il se l?ve, tu t'introduiras chez lui, tu soustrairas ce fatal billet adroitement, sous pr?texte, s'il t'apper?oit, d'avoir oubli? ce soir un objet utile. Prends bien garde ? l'importance de la commission dont je te charge. Pour que n'y manques pas, je ne veux pas que tu te couches; tu resteras l? toute la nuit ? c?t? de moi; nous converserons ensemble, et quand je croirai le moment favorable, je t'enverrai chez mon p?re.--C'est tr?s-facile ?a, monsieur. Il vous aime tant, ce respectable vieillard! L?, tout-?-l'heure encore il me parlait de vous, il me disait....--Il te disait?....--Ah! c'est que je lui disais que j'?tais fran?ais, moi. Ton ma?tre est n? d'une Fran?aise, qu'il me disait.--D'une Fran?aise!....--Puis il ajoutait: <>. Voil? comme il parlait de vous ce brave homme. Tenez! monsieur, je n'ai qu'un gros bon sens, moi, mais je parie que ce sort brillant qu'il vous destine, est la main de sa fille.

Comme mon lecteur partage sans doute l'impatience de Victor, et que d'ailleurs je ne veux pas lui faire passer la nuit enti?re avec l'amant de Cl?mence et son Valentin, je lui dirai, pour abr?ger, que vers deux heures du matin, Victor, abattu par les fatigues qu'avait ?prouv?es son esprit, s'endormit profond?ment, les coudes appuy?s sur une table. Valentin, qui se serait tenu volontiers ?veill?, s'il e?t pu raconter quelques histoires de son pays, regarda son ma?tre avec envie, se frotta les yeux, et ne tarda pas ? suivre son exemple, ? ronfler autant que le lui permirent sa jeunesse, sa force et sa sant?. Tous deux oubli?rent l'heure prescrite et favorable pour retirer le billet des mains du baron avant qu'il ait eu le temps de le lire. Ce ne fut qu'? neuf heures du matin que, confus, d?sesp?r?s, Victor et Valentin se r?veill?rent. Pendant leur sommeil, trop prolong?, il s'?tait pass? bien des choses que nous allons conna?tre dans le chapitre suivant.

ON CROIT TOUCHER AU D?NOUEMENT.

M. de Fritzierne s'?tait lev? ? son heure ordinaire, ? six heures; il faisait d?j? quelques tours dans son appartement, lorsqu'il vit entrer sa fille Cl?mence, ?chevel?e, dans un ?tat de p?leur et d'affaissement qui l'effraya.... Eh, bon Dieu! mon enfant, qu'as-tu, qu'as-tu donc....?....--Mon p?re, il est parti!.... il nous fuit!....--Il nous fuit? qui?....--L'ami de mon coeur, mon fr?re adoptif, mon amant!....--Victor?--Oui, mon p?re, Victor est parti cette nuit; il s'est ?loign? pour jamais de ces lieux.--Est-il possible!.... Mais, non, tu t'abuses; Victor ne peut ?tre un ingrat.--Il l'est, mon p?re; il est plus, il est barbare, inhumain, sans foi, sans probit?.....--Tu me diras peut-?tre....

Fritzierne est interrompu par madame Wolf qui entre tristement, et confirme au bon p?re la nouvelle que vient de lui apprendre Cl?mence. Fritzierne demande des d?tails; sa fille les lui donne en ces termes:

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