Read Ebook: Œuvres complètes de lord Byron Tome 05 comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore by Moore Thomas Annotator Byron George Gordon Byron Baron Paris Paulin Translator
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page
Ebook has 684 lines and 96139 words, and 14 pages
Annotator: Thomas Moore
Translator: Paulin
OEUVRES COMPL?TES DE LORD BYRON, AVEC NOTES ET COMMENTAIRES, COMPRENANT SES M?MOIRES PUBLI?S PAR THOMAS MOORE, ET ORN?ES D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.
TOME CINQUI?ME.
LE GIAOUR, FRAGMENT D'UNE HISTOIRE TURQUE.
Un fatal souvenir,--un chagrin qui jette son ombre noire sur nos joies comme sur nos douleurs,--auquel la vie ne peut rien apporter de plus sombre ni de plus brillant, pour lequel la joie n'a pas de charme--et l'affliction pas d'amertume.
A SAMUEL ROGERS, ESQ. Comme une l?g?re, mais tr?s-sinc?re marque d'admiration pour son g?nie, de v?n?ration pour son caract?re, et de gratitude pour son amiti?, CETTE PRODUCTION EST D?DI?E Par son oblig? et affectionn? serviteur, BYRON.
AVERTISSEMENT.
LE GIAOUR.
Aucun souffle d'air l?ger pour rider la surface des flots qui se d?roulent sous le tombeau de l'Ath?nien; ce tombeau qui, apparaissant sur le rocher, salue le premier le navire rentrant dans le port, en dominant la contr?e qu'il sauva en vain: quand un semblable h?ros, repara?tra-t-il sur la terre?
Beau climat! o? chaque saison sourit avec amour sur ces ?les fortun?es qui, vues des hauteurs du lointain Colonna, r?jouissent le coeur ?mu par ce d?licieux spectacle, et pr?tent un charme ? la solitude. L?, gracieusement ondul?e, la surface de l'Oc?an r?fl?chit les teintes des pics nombreux dont l'image est reproduite par les vagues souriantes qui baignent ces ?dens de l'Orient; et si parfois une brise passag?re vient ? rompre le cristal des flots, ou d?tache une fleur des arbres du rivage, qu'il est ravissant chaque souffle d'air qui r?veille et emporte avec lui les plus doux parfums! Car c'est l?--sur les collines ou dans les vall?es, que la rose, sultane du rossignol, la vierge pour laquelle il fait entendre sa m?lodie et ses mille chants d'amour, fleurit en rougissant aux histoires de son amant harmonieux: la reine des jardins, sa reine, sa rose, non courb?e par les vents, non glac?e par les neiges, loin des hivers du nord, caress?e par les brises de chaque saison, renvoie, en doux encens vers le ciel, les parfums que lui a donn?s la nature, et embellit, par ses brillantes couleurs et ses soupirs odorans, ces cieux qui semblent lui sourire. L? brillent maintes fleurs printanni?res; maint ombrage invite ? l'amour, maintes grottes invitent au repos, en m?me tems qu'elles servent d'asile au pirate dont la barque, cach?e sous l'abri protecteur, guette l'arriv?e d'une proue pacifique, jusqu'au moment o? la guitare du joyeux marinier se fait entendre, et o? l'?toile du soir se montre ? l'horizon. Alors, voguant avec leurs rames envelopp?es, et prot?g?s par les rochers du rivage, les voleurs nocturnes fondent sur leur proie, et aux chants de joie font succ?der les plaintifs g?missemens.
Il est ?trange que l? o? la nature s'est plu ? r?pandre ses dons comme pour le s?jour des dieux, et ? faire briller tous ses charmes dans ce paradis enchant?, l'homme amant de la destruction, veuille le changer en d?sert, et foule aux pieds, pareil ? la brute, ces fleurs qui ne demandent pas les soins d'une main laborieuse pour cro?tre sur cette terre f?conde, mais qui fleurissent comme pour pr?venir les soins de l'homme, et qui, dans leurs s?duisantes caresses, ne veulent--qu'?tre ?pargn?es! Il est ?trange--que l? ou tout est en paix, les passions triomphent dans leur orgueil, et la rapine ?tende son cruel et sanguinaire empire. C'est comme si les d?mons pr?valaient contre les s?raphins glorieux, et, assis sur les tr?nes c?lestes, rendaient ces anges libres h?ritiers de l'Enfer; aussi douce est cette contr?e form?e pour le bonheur, aussi maudits sont les tyrans qui l'oppriment et la d?solent!
Celui qui s'est pench? sur--le cadavre d'un ?tre expir? avant que le premier jour de la mort soit enfui, le premier sombre jour du n?ant, le dernier du danger et de la d?tresse , et a remarqu? l'air doux et ang?lique, l'extase du repos qui est l?, les traits fixes, quoique tendres, qui rel?vent la langueur d'une paisible joue, et--mais pour cet oeil triste et voil? qui ne br?le plus, ne sourit plus, ne pleure plus; pour ce front immobile et froid o? l'apathie de la mort effraie le coeur d?sol? de celui qui le contemple, comme s'il avait le pouvoir de lui faire partager le destin qu'il redoute et dont il ne peut cependant se d?tacher: oui! pour ces choses, et ces choses-l? seules, pendant quelques momens--une heure tra?tresse,--il pourrait mettre en doute le pouvoir tyrannique du tr?pas; tant est beau, tant est calme, tant est doux, le premier, le dernier, aspect r?v?l? par la mort!
Tel est aussi l'aspect de ce rivage: c'est la Gr?ce; mais la Gr?ce qui n'a plus de vie! si froidement douce, si tristement belle, que nous tressaillons, car l'ame manque l?! Son charme est celui de la mort qui ne dispara?t pas enti?rement avec le souffle de la vie; mais c'est une beaut? qui a cette fleur sinistre, cette couleur appartenant ? la tombe, derni?re et fugitive lueur de l'expression, aur?ole dor?e qui plane sur une ruine, le rayon d'adieu du sentiment qui n'est plus! ?tincelle de cette flamme d'une origine peut-?tre c?leste, qui ?claire encore, mais qui n'?chauffe plus d?sormais sa terre ch?rie!
Patrie des braves ?chapp?s ? l'oubli! dont le sol, depuis les plaines jusqu'aux cavernes des montagnes, fut l'asile de la libert?, ou le tombeau de la gloire! temple des h?ros! se peut-il que ce soit l? tout ce qui reste de toi? Approche, esclave timide et rampant; dis, ne sont-ce pas l? tes Thermopyles? Ces ondes bleues qui s'?tendent au loin, ? race d?g?n?r?e d'un peuple libre! dis, quelles sont-elles? quels sont ces rivages? N'est-ce pas le golfe, n'est-ce pas le rocher de Salamine? Ces lieux c?l?bres, leur histoire qui n'est pas inconnue au monde, ? Grecs! levez-vous, et faites-en de nouveau votre patrie! Cherchez parmi les cendres de vos p?res les ?tincelles du feu divin qui les embrasait; et celui qui expirera dans le combat ajoutera ? leurs noms un nom terrible qui fera trembler la tyrannie: il laissera ? ses fils une esp?rance, une renomm?e pour lesquelles ils mourraient plut?t que de les livrer au d?shonneur; car le combat de la libert? une fois commenc?, le p?re expirant en l?gue le triomphe ? son fils, triomphe qui succ?de toujours ? toutes les d?faites. O Gr?ce! tes pages vivantes en sont t?moins, et attestent la gloire de tes si?cles immortels! Tandis que tes rois enfouis dans l'obscurit? poudreuse des ?ges ont laiss? une pyramide sans nom, tes h?ros, malgr? les ravages du tems qui a renvers? la colonne monumentale de leurs tombes, ont encore un monument plus imposant, les montagnes de leur terre natale! L?, la muse montre aux regards des ?trangers les tombeaux de ceux qui ne peuvent mourir!--Il serait trop long de rappeler, et trop p?nible de retracer l'histoire et la description de chaque lieu c?l?bre, depuis ses tems de splendeur jusqu'? ses jours de mis?re: assez--aucun ennemi ?tranger n'a pu dompter ton courage, jusqu'? ce qu'il se soit fl?tri lui-m?me. Oui! un abaissement, une d?gradation volontaires, ont aplani la route aux cha?nes honteuses de l'esclavage, ? la domination des tyrans.
Que peut-il raconter celui qui foule aujourd'hui tes rivages? Aucune histoire de tes vieux tems, aucun sujet capable d'inspirer ? la muse un essor aussi ?lev? que celui des jours qui ne sont plus, lorsque l'homme ?tait digne de ton climat.
Les coeurs nourris dans tes vall?es, les ames ardentes qui auraient pu conduire tes enfans ? des actions h?ro?ques et sublimes, rampent, depuis le berceau jusqu'? la tombe, esclaves--oui! esclaves d'un esclave! et sourds, except? ? la voix du crime, couverts de tous les vices qui souillent l'humanit? et font descendre l'homme au-dessous de la brute, sans avoir m?me le m?rite d'une sauvage vertu, du courage opprim?, mais indompt? d'un homme libre. Ils portent encore dans les ports voisins leurs ruses proverbiales et leur ancienne astuce. C'est en cela que l'on reconna?t encore ce Grec subtil; et c'est en cela, en cela seul qu'il a conserv? son ancien renom. En vain, la libert? ferait-elle un appel au courage pour briser son joug, ou pour relever le cou qui semble courtiser son esclavage: je cesse de plaindre ces malheurs.
Cependant cette histoire sera une histoire plaintive; et ceux qui l'entendront croiront sans peine que celui qui l'entendit pour la premi?re fois en fut touch?.
Lointaines, sombres et se projetant sur la mer bleue, les ombres des rochers font tressaillir, le p?cheur dont elles frappent les regards, comme la barque d'un pirate des ?les ou d'un Ma?note. Craignant pour son l?ger ca?que, il ?vite l'anse prochaine et p?rilleuse; quoique abattu et harass? par ses travaux, et surcharg? de son heureuse p?che, il vogue lentement, ? force de rames, jusqu'? ce que le rivage s?r du port L?one le re?oive ? la lueur d?licieuse de l'astre qui embellit de tant de charmes une nuit orientale.
Quel est celui qui accourt sur un coursier noir, bride abattue, au galop retentissant comme un tonnerre? Le bruit des fers et les coups de fouet r?p?t?s font retentir les ?chos des cavernes d'alentour. L'?cume qui couvre les flancs du coursier semble ?tre celle des vagues de l'Oc?an: bien que les flots de la mer soient tranquilles et comme ab?m?s dans le calme, il n'en est point dans le sein du cavalier; le murmure de la temp?te qui se pr?pare est encore plus calme que ton coeur, ? jeune Giaour! Je ne te connais point, je hais ta race; mais je d?couvre dans tes traits quelque chose que le tems ne pourra que fortifier et non effacer. Quoique jeune et p?le, ce front bl?me est sillonn? par les passions; quoique tenant fix? vers la terre ton oeil farouche, et que tu passes comme un m?t?ore, je vois bien dans toi un de ceux que des fils d'Othman devraient faire p?rir ou ?loigner de leur demeure.
L'heure est pass?e; le Giaour est d?j? loin; a-t-il fui seul ou succomb? seul? Maudite soit l'heure de son arriv?e ou de sa fuite: la mal?diction, pour le p?ch? d'Hassan, a chang? un palais en tombeau. Il vint, le Giaour, il passa comme le simoun, cet avant-coureur de la d?solation et de la mort, sous le souffle d?vorant duquel les cypr?s m?me s'an?antissent;--arbre sombre, et encore triste lorsque les autres douleurs sont ?vanouies; seul fid?le aux souvenirs passagers de la mort.
Ce serait une joie pour le voyageur de d?couvrir, sur ces sables d?serts, les pas grossiers d'un homme,--tellement que la voix m?me de la douleur r?veill?t un ?cho consolateur. Au moins elle lui dirait: <
L'h?te a fui la salle de festin, et les vassaux leurs travaux champ?tres, depuis que le sabre de l'infid?le a fendu le turban de la t?te d'Hassan.
--Tu parles convenablement; d?marre ton esquif, et emm?ne-nous loin de ce rivage silencieux. Laisse d?ploy?e ta voile, et vogue ? force de rames. Au milieu de cette baie entour?e de rochers, o? les eaux sombres et emprisonn?es dorment dans un calme profond, ta t?che sera finie.--Nous y sommes.--Tu as ram? ? merveille; notre course a ?t? rapide; cependant c'est le plus long voyage, je pense, qu'un de...>>
L'objet myst?rieux fut plong? dans les flots, et s'enfon?a lentement; la vague calme roula doucement jusqu'au rivage. Je veillais attentivement sur ce qui avait ?t? pr?cipit?, et il me sembla un instant, par le mouvement du courant, que quelque chose s'?tait comme d?battu..... ce n'?tait qu'un rayon de la lune qui se r?fl?chissait sur le courant. Je ne cessai de pr?ter mon attention ? cette sc?ne singuli?re que lorsque l'objet qui la causait eut disparu totalement ? ma vue, comme une pierre lanc?e dans l'onde, qui laisse apr?s elle un tournoiement passager se r?tr?cissant de plus en plus, et forme comme une tache blanche, perle aqueuse qui se moque de l'oeil qui la contemple. Tous les secrets sont ensevelis et dorment sous les ondes, connus seulement des g?nies de l'ab?me, qui, tremblans dans leurs grottes de corail, n'osent en rien murmurer aux vagues.
Comme on voit, dans les prairies ?maill?es du Kachemire, la reine des papillons s'?lever sur ses ailes de pourpre, en invitant le jeune enfant ? la poursuivre, en le promenant de fleurs en fleurs pendant une heure inutile et laborieuse; elle le quitte pour s'envoler dans les airs, en lui laissant le coeur d?chir? et les yeux pleins de larmes: ainsi la beaut? se joue du jeune homme ?chapp? de l'enfance, brillante aussi et volage comme elle: chasse d'esp?rances et de craintes frivoles, commenc?e dans la folie et termin?e dans les larmes. Si toutes deux elles se laissent prendre, le malheur attend la reine des papillons et la jeune fille; une vie de peines, la perte de la tranquillit?; l'une est le jouet de l'enfant, l'autre, le caprice de l'homme: ce bijou charmant, recherch? avec tant d'ardeur, perd son charme d?s qu'il est obtenu; car chaque attouchement caressant fait dispara?tre ses plus brillantes couleurs, jusqu'? ce que charme, couleurs, beaut?, ?tant ?vanouis, on le laisse s'envoler ou on l'abandonne sans compassion. L'aile bless?e, ou le coeur d?chir?, h?las! dans quel lieu l'une et l'autre de ces victimes pourront-elles trouver un asile? Celle-ci, avec son aile abattue, pourra-t-elle voltiger de la rose ? la tulipe comme dans ses jours de libert?? ou la beaut?, fl?trie dans une heure, pourra-t-elle retrouver son bonheur et sa joie dans sa retraite profan?e? Non: les insectes joyeux qui passent pr?s de celui qui va mourir, ne le couvrent jamais de leurs ailes. Les aimables et jeunes beaut?s sont compatissantes pour toutes les fautes, except? pour celles de leurs semblables; tous les malheurs peuvent attendre d'elles une larme, except? la honte d'une soeur abus?e.
Le coeur qui se nourrit des remords du crime ressemble au scorpion environn? de flammes, dans un cercle qui se r?tr?cit ? mesure qu'elles font des progr?s. Les flammes resserrent le prisonnier jusqu'? ce que, consum? int?rieurement par mille dards br?lans, et se torturant dans sa rage, il ne voie plus qu'une seule et triste ressource contre ses cruelles douleurs: le dard venimeux qu'il conservait pour ses ennemis, et dont le venin n'avait jamais ?t? vainement lanc?; ce dard qui ne cause qu'une douleur et gu?rit tous les maux, il le tourne contre lui-m?me dans un acc?s de d?sespoir: ainsi expire celui qui a l'ame noire et d?chir?e de remords, ou il vit, comme le scorpion, environn? de flammes d?vorantes. Ainsi se ronge celui que le remords d?vore; maudit sur la terre, condamn? par le ciel, les t?n?bres sont sur sa t?te, et le d?sespoir ? ses pieds; autour de lui est un cercle de flammes, et dans son sein--la mort!
Le sombre Hassan fuit de son harem, il n'arr?te ses regards sur les charmes d'aucune femme: la chasse inaccoutum?e l'occupe uniquement d?sormais; et cependant il ne partage aucune joie du chasseur. Hassan n'?tait point ainsi habitu? ? courir dans les bois, lorsque Le?la habitait son s?rail. Le?la ne l'habiterait-elle plus?--c'est ce qu'Hassan seul pourrait dire. D'?tranges rumeurs se sont r?pandues dans la ville ? ce sujet: on dit que Le?la s'enfuit dans cette soir?e o? se coucha le dernier soleil du Ramazan, et o? l'?clat d'un million de feux allum?s au sommet des minarets proclamait la f?te du Ba?ram dans l'immense Orient. Ce fut alors qu'elle s'?loigna comme pour aller au bain, et qu'elle rendit inutiles et vaines les recherches et la col?re d'Hassan. Dans le d?guisement d'un page g?orgien, elle avait tromp? l'active surveillance des gardes du palais, et, loin de la tutelle musulmane, elle est all?e s'en venger dans les bras d'un infid?le Giaour.
Quelque chose de ce r?cit avait fait na?tre les soup?ons d'Hassan; mais Le?la paraissait encore si tendre, elle lui paraissait encore si belle, qu'il eut trop de confiance dans l'esclave dont la trahison m?ritait la mort. Ce soir m?me il s'?tait rendu ? la mosqu?e, et de-l? il ?tait all? assister ? une f?te qu'il donnait dans son kiosque. Telle est l'histoire que racontent ses Nubiens, dont la surveillance aurait d? ?tre plus active; mais d'autres disent que cette nuit m?me, ? la p?le et tremblante lumi?re de Phingari, le Giaour avait ?t? vu seul sur son coursier d'un noir de jais, galopant ? force d'?perons le long du rivage; il n'emportait en croupe derri?re lui aucune jeune fille, aucun page.
Ce serait vainement que j'essaierais de d?crire le charme de l'oeil noir de Le?la; regardez ceux de la gazelle, ils aideront admirablement votre imagination. Ceux de Le?la ?taient aussi larges ; aussi languissamment noirs, mais l'ame s'?chappait de chaque ?tincelle qu'ils dardaient sous leurs sourcils arqu?s, aussi brillans que les joyaux de Giamschid.
Le jeune cygne s'avance noblement sur la surface de l'onde; ainsi marchait sur la terre la belle fille de Circassie, l'aimable oiseau du Franguestan! Comme le cygne rel?ve sa t?te ?lanc?e, et frappe l'onde de ses ailes orgueilleuses, quand un ?tranger passe sur les bords de son domaine; ainsi Le?la ?levait un cou plus blanc que celui du cygne:--ainsi, arm?e de sa beaut?, elle e?t repouss? avec dignit? un regard indiscret; aussi noble et aussi gracieuse ?tait sa d?marche! Son coeur ?tait aussi tendre pour son compagnon.--Son compagnon, terrible Hassan, quel ?tait-il? H?las! ce nom n'?tait pas fait pour toi! Le terrible Hassan est parti en voyage, accompagn? de vingt vassaux, chacun arm?, comme il convient le mieux ? un homme, d'arquebuse et d'ataghan; le chef les pr?c?de, ?quip? comme pour la guerre: il porte ? sa ceinture le cimeterre teint autrefois du meilleur sang arnaute, quand les rebelles se r?volt?rent, et que peu d'entre eux s'en r?tourn?rent dans leurs foyers pour raconter l'histoire de ceux qui ?taient tomb?s dans la vall?e de Parne. Les pistolets qu'il porte ? sa ceinture sont ceux dont un pacha fit autrefois usage, et que maintenant, quoique orn?s de pierreries et bossel?s d'or, des voleurs trembleraient m?me de regarder. On dit qu'Hassan est all? chercher une fianc?e, plus fid?le que celle qui ? abandonn? sa couche, l'esclave coupable qui a d?sert? son harem, et plus coupable de l'avoir d?sert? pour un Giaour!
Les derniers rayons du soleil sont descendus sur la colline, et ?tincellent dans le courant du ruisseau, dont les ondes fra?ches et limpides re?oivent les b?n?dictions des montagnards. Ici le n?gociant grec, fatigu? de ses longues marches, peut trouver ce repos que l'on chercherait vainement dans les cit?s o? sa demeure est trop voisine de celle de ses ma?tres, ce qui lui inspire de la terreur pour ses secr?tes richesses.--Il peut se soustraire ici ? tous les regards. Dans la foule, c'est un esclave; dans le d?sert, il est libre; il peut ici souiller d'un vin d?fendu la coupe qu'un bon Musulman ne doit jamais vider.
Le premier de la troupe est un Tartare qui se distingue par son manteau jaune; les soldats le suivent dans un long d?fil?. Au-dessus d'eux, la montagne ?l?ve un pic o? les vautours aiguisent leurs becs avides de carnage; ils pourront se repa?tre dans un grand festin avant que l'aurore du matin ait brill?. En bas, un torrent d'hiver a recul? devant les rayons br?lans de l'?t?, et a laiss? un lit noir et d?pouill? de verdure, except? quelques broussailles qui ne naissent que pour p?rir aussit?t. Chaque c?t?, qui forme un sentier, est couvert de d?bris de granit raboteux et gris?tre, arrach?s par le tems, ou par la foudre des montagnes, de ces sommets envelopp?s des brouillards du ciel; car o? est celui qui a contempl? le pic de Liakura d?gag? de ces voiles ?ternels?
L'?mir et sa troupe ont enfin atteint le bois de sapins: <
Alors sa moustache se recourbe avec col?re, et son oeil ?tincelle d'un fier courroux: <
Comme un fleuve se pr?cipite dans l'oc?an, en roulant ses eaux ?cumantes; comme l?s vagues de la mer se soul?vent en colonnes azur?es pour repousser au loin avec orgueil le courant qui lutte avec ses ondes ?cumantes; tandis que l'ab?me tournoyant, et les vagues qui se brisent, soulev?es par le vent imp?tueux de l'hiver, s'?puisent en terribles mugissemens, et qu'? travers l'?cume blanch?tre, le fracas du tonnerre, les ?clairs des ondes reluisent d'une blancheur effrayante sur le rivage, qu'ils brillent et se brisent sous la rame; ainsi, comme le fleuve et l'oc?an se rencontrent avec des vagues qui sont en fureur de se m?ler;--ainsi se joignent deux troupes qu'une m?me haine, un m?me destin, une m?me fureur anime. Le cliquetis des sabres qui se heurtent, les cris de guerre qui frappent l'oreille ?pouvant?e, les d?tonnations retentissantes, le bruit de la m?l?e, de la fusillade, les g?missemens des mourans sont r?p?t?s par l'?cho de la vall?e plus accoutum?e aux refrains du pasteur. Quoique peu nombreux,--les combattans se livrent une lutte acharn?e, car aucun n'?pargne la vie d'un autre, aucun ne demande gr?ce pour la sienne! Ah! deux jeunes coeurs peuvent se presser avec amour, pour recevoir et partager leurs caresses; mais l'amour lui-m?me ne pourrait jamais avoir, pour tout ce que la beaut? soupire d'accorder, des palpitations la moiti? aussi vives que la haine en inspire au dernier embrassement de deux ennemis, lorsque, se saisissant dans le combat, ils plient leurs bras qui ne l?cheront plus leur proie. Les amis se rencontrent pour se s?parer; l'amour rit au mot de fid?lit?; de vrais ennemis, une fois rencontr?s, sont unis jusqu'? la mort!
Avec un sabre bris? jusqu'? la garde, et d?gouttant encore du sang qu'il a r?pandu, rest? cependant dans la main puissante qui promenait partout cette arme infid?le; son turban roul? par terre derri?re lui, et coup? dans ses plis les plus ?pais; sa robe flottante d?chir?e par le cimeterre, et rougie comme ces nuages du matin qui, bigarres d'un rouge noir, annoncent par de funestes pr?sages que la journ?e aura une fin orageuse; une tache de sang sur chaque buisson qui porte un lambeau de son palampore; sa poitrine couverte d'innombrables blessures, son dos couch? sur la terre, son visage tourn? vers le ciel, Hassan tomb? repose!--Son oeil encore ouvert est fix? mena?ant sur son ennemi, comme si l'heure qui a scell? sa destin?e e?t laiss? survivre sa haine inextinguible; et sur lui est pench? cet ennemi avec un front aussi sombre que celui qui g?t par terre ensanglant?--.
<
On entend tinter les clochettes des chameaux dans leurs p?turages. La m?re d'Hassan regarde inqui?te du haut de ses jalousies,--elle voit la ros?e du soir qui couvre sous ses yeux, de ses perles ?tincelantes, le vert p?turage; elle voit les ?toiles qui ne brillent plus que d'un p?le ?clat. <
Elle ne peut demeurer dans le bosquet du jardin, mais elle regarde ? travers les cr?neaux de sa tour la plus ?lev?e.
<
Le Tartare est descendu de cheval ? la porte du ch?teau; mais ? peine peut-il soutenir son corps chancelant: son visage basan? porte l'expression de la d?tresse; mais c'est peut-?tre l'effet de la fatigue: son v?tement est souill? de sang; mais c'est peut-?tre celui de son cheval fatigu? de l'?peron: il tire de dessous son manteau le pr?sent.--Ange de la mort! c'est le cimier bris? d'Hassan! son calpac d?chir?--son caftan ensanglant?.--<
Mais toi, faux infid?le! tu seras livr? ? la faux vengeresse de Monkir, et tu n'?chapperas ? ses tourmens que pour errer autour du tr?ne perdu d'Eblis. Un feu d?vorant, inextinguible, t'entourera, te consumera, te d?vorera le coeur. Aucune oreille ne peut entendre, aucune langue ne peut dire les tortures de cet enfer int?rieur! Mais d'abord, envoy? sur la terre comme un vampire, ton cadavre sera arrach? de sa tombe. Alors tu hanteras comme un fant?me ton lieu natal, et tu suceras le sang de toute ta race. L?, ? l'heure de minuit, tu tariras la source de la vie de ta fille, de ta soeur, de ta femme.
Cependant tu assisteras avec d?go?t au banquet o?, malgr? toi, tu devras te nourrir de ton livide et vivant cadavre; tes victimes, avant d'expirer, reconna?tront un d?mon dans leur p?re, et comme elles te maudiront, tu les maudiras, et ces jeunes fleurs, tes filles, seront fl?tries sur leur tige. Mais une d'elles doit surtout mourir pour expier ton crime, la plus jeune, la plus aim?e de toutes, qui te b?nira, en t'appelant du nom de p?re,--Ce nom d?chirera ton coeur! Cependant, tu devras achever ton oeuvre sanglante, et voir s'effacer sur sa joue le dernier coloris de la vie; s'?teindre de son oeil la derni?re ?tincelle, et contempler le dernier regard vitreux qui se glacera sur son teint livide. Alors, d'une main impie, tu arracheras les tresses de sa chevelure dor?e; chevelure dont une boucle enlev?e pendant sa vie e?t ?t? port?e comme un gage de la plus tendre affection. Mais maintenant tu l'emportes, souvenir de ton affreuse agonie! Humect?e de ton meilleur sang, elle s'?chappera de tes dents grin?antes et de ta l?vre hideuse. Alors, retourne, en arpentant, ? ton noir tombeau, va--et livre-toi ? tes hideuses fr?n?sies avec les Afres et les Goules, jusqu'? ce qu'ils fuient d'horreur loin du spectre encore plus maudit qu'eux.
< --Il y aura six ans d'?coul?s cet ?t?, depuis qu'il est venu parmi nos fr?res. Il trouve du soulagement, sans doute, ? habiter ici pour expier quelque crime sombre qu'il ne veut pas nommer; mais, jamais ? notre pri?re du soir, jamais devant le tribunal de la confession, il ne fl?chit le genou; il se soucie peu de voir s'?lever l'encens ou les hymnes vers les cieux; mais il vit seul dans sa cellule; sa foi et sa famille nous sont ?galement inconnues. >>Il est venu des contr?es payennes en traversant la mer et en se rendant ici de la c?te. Cependant, il ne semble pas appartenir ? la race musulmane, car son visage indique un chr?tien. Je le croirais quelque ren?gat ?gar?, et repentant de son apostasie, s'il ne fuyait pas notre saint temple, s'il ne refusait pas de go?ter notre pain et notre vin consacr?s. Il a fait de grandes largesses ? notre couvent, et il a ainsi captiv? ta faveur de notre abb?. Mais si j'?tais prieur, je ne souffrirais pas un jour de plus la pr?sence parmi nous d'un tel ?tranger, ou il serait condamn? ? habiter pour toujours notre cellule p?nitentiaire. Il parle souvent dans ses visions d'une jeune fille pr?cipit?e dans la mer, de cliquetis de sabres, d'ennemis mis en fuite, d'outrages veng?s, de musulman expirant. On l'a vu, debout sur ce roc escarp?, se livrer ? des acc?s de d?lire, comme ? l'apparition d'une main sanglante, fra?chement s?par?e de son corps, visible pour lui seul, lui montrant le lieu de sa tombe, et l'invitant ? se pr?cipiter dans les vagues. >>Sombre et non terrestre est le regard sourcilleux qui brille sous son noir capuchon. L'?clair de cet oeil mobile r?v?le trop bien des jours qui ne sont plus. La couleur de ses traits, quoique changeante, est insaisissable: souvent son regard fait repentir celui qui l'observe de sa t?m?rit?; car il poss?de cet ascendant irr?sistible et sans nom qui parle, mais que l'on ne peut d?finir; esprit indompt? et fier qui impose par son influence puissante; et comme l'oiseau agite en fr?missant ses ailes, sans pouvoir fuir le serpent qui l'aspire, ceux sur lesquels tombe le regard de cet homme sont comme frapp?s de consomption, et ne peuvent fuir son prestige magique. >>Le moine intimid?, qui se trouve seul sur son passage, s'empresse de s'?loigner, comme si cet oeil et ce sourire amer transmettaient aux autres la crainte et la d?ception. Cet homme ne descend pas souvent ? sourire, et, quand il sourit, il est triste de voir que c'est seulement par moquerie de la mis?re. Comme cette p?le l?vre se renfle et fr?mit! Bient?t elle devient plus immobile que jamais, comme si la douleur ou le d?dain lui d?fendaient de sourire de nouveau. Que n'en est-il ainsi!--Un sourire si horrible ne peut jamais ?tre l'expression d'une joie pure; mais il serait encore plus triste de rechercher quels furent autrefois les sentimens qui se manifest?rent sur ces traits: le tems n'en a pas encore fix? les rides, mais il y a confondu ensemble quelque chose de noble et de criminel: ses traits, qui ont encore conserv? de la fra?cheur, indiquent une ame que les crimes dans lesquels elle s'est plong?e n'ont pas enti?rement d?grad?e. La foule vulgaire ne voit dans cet homme que l'aspect sinistre d'un coupable poursuivi par l'accomplissement de sa r?probation. L'observateur attentif peut reconna?tre dans cet ?tranger une ame noble et une haute naissance: h?las! quoique ces dons pr?cieux que la douleur a rendus m?connaissables, et que le vice a souill?s, lui aient ?t? accord?s en vain, ce n'est pas un ?tre vulgaire celai qui en a ?t? favoris?; et cependant c'est presque avec effroi que le regard s'arr?te sur lui. La chaumi?re dont le toit est tomb?, qui n'offre plus que des ruin?s, attire ? peine l'attention du passant: la tour que la guerre ou la temp?te a renvers?e, tant qu'il lui reste quelques cr?neaux, demande et obtient un regard de l'?tranger. Chaque arche tapiss?e d'ifs, chaque colonne solitaire plaident fi?rement pour ses gloires pass?es! >>Sa robe flottante dont les larges plis l'enveloppent balaie la poussi?re, tandis qu'il s'avance dans l'enceinte du temple parsem?e de colonnes. Il est aper?u avec terreur, lui qui contemple d'un air sombre les c?r?monies qui sanctifient l'enceinte sacr?e. Mais lorsque l'hymne religieux ?branle le choeur, que les moines s'agenouillent, lui se retirer et on voit son ombre errer sous ce portique qu'?claire une lampe isol?e et vacillante; c'est l? qu'il attend la fin des c?r?monies--et ?coute la pri?re, sans jamais en murmurer une seule. Regardez:--pr?s de ce mur ? moiti? ?clair?, le voil? qui rejette en arri?re son capuchon; ses noirs cheveux tombent en d?sordre et recouvrent son front p?le, comme si l? Gorgone avait arrach? de sa t?te ses plus noirs serpens, et qu'elle les e?t jet?s sur le front terrible de cet ?tranger; car il d?cline les r?gles du couvent, et laisse cro?tre cette chevelure impie: mais il porte toujours la robe de notre ordre. Ce n'est point par pi?t?, mais par orgueil, qu'il donne des richesses ? un couvent qui n'a jamais entendu de lui ni voeux ni m?me une parole. >>Mais!--remarquez, tandis que l'harmonie fait retentir des hymnes de louange vers les cieux, remarquez cette joue livide, cette attitude immobile m?l?e de d?fi et de d?sespoir! Saint Fran?ois! ?loigne cet homme de l'autel! Autrement nous pouvons craindre que la col?re divine ne se manifeste par quelques signes terribles. Si jamais un mauvais ange a rev?tu la forme d'un mortel, telle a ?t? celle qu'il a choisie. Par toutes mes esp?rances dans la mis?ricorde divine, de tels regards n'appartiennent ni ? la terre ni au ciel!>>
Add to tbrJar First Page Next Page