Read Ebook: À terre & en l'air... Mémoires du Géant by Nadar F Lix Babinet M Jacques Commentator
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Ebook has 2390 lines and 100632 words, and 48 pages
Dans l'Orangerie du Luxembourg, il avait, avant bien d'autres, fait des d?monstrations publiques de l'h?lice a?rienne, et son auditeur le plus assidu s'appelait Geoffroy Saint-Hilaire.
M?me apr?s l'anath?me de Marey-Monge contre les enveloppes d'a?rostat m?talliques, il avait achev? de se ruiner en construisant un ballon de cuivre. Le ballon achev?, il lui manquait les quelques derniers cents francs pour les accessoires et il porta lui-m?me de d?sespoir le premier coup ? son oeuvre, si co?teuse en peine et en argent.--Les chaudronniers d?peceurs lui rendirent 350 francs pour son grand espoir bris?!
Il avait fond? un journal de Navigation A?rienne, et plein de foi fervente dans l'avenir de cette Science, il avait de sa ch?tive bourse, ? force de privations, collectionn? le plus curieux, le plus instructif, le seul Mus?e A?rostatique qui existe dans le monde entier.
Ce Mus?e se compose d'environ quinze cents num?ros, comprenant et renfermant toute l'histoire des quatre-vingts ans de l'a?rostation, depuis les mod?les en plan et en ex?cution, les livres, pamphlets, relations,--les gravures noires et colori?es, dessins, portraits, caricatures,--les m?dailles, clich?s, fix?s, toiles, jeux,--les nacelles, grappins, soupapes et d?bris historiques,--jusqu'? 300 programmes et affiches d'exp?riences diverses en tous pays, collectionn?s et class?s,--sans parler des pi?ces rares ou uniques: autographes, lettres, proc?s-verbaux, dossiers divers, etc., etc., etc.
Cette collection, c'?tait sa joie, son orgueil, sa vie.
Mais avec quel empressement et quelle in?puisable bienveillance, il ouvrait ? tout venant cette collection pr?cieuse, si religieusement entretenue. Pour ajouter encore ? cette biblioth?que sp?ciale si compl?te, il fouillait les archives de son excellente m?moire, et ? tout visiteur partageant sa foi, il disait, toujours serviable et de bon accueil, tout ce qu'il avait appris par lui-m?me et par les autres. Car il n'?tait pas de ceux qui mettent sous le boisseau la lumi?re.
On aime surtout ceux-l? qui vous ont le plus co?t?: Dupuis-Delcourt avait trop fait pour la Navigation A?rienne, il avait toujours eu pour elle une passion trop absorbante, trop exclusive pour avoir jamais rien r?serv? par devers lui vis-?-vis d'elle.
Donc, cet homme doux et brave, modeste, bienveillant, laborieux, honn?te, d?sint?ress?, apr?s avoir donn? ? la plus grande des id?es humaines sa vie tout enti?re pass?e avec r?signation et confiance dans la plus extr?me pauvret?,--cet homme de bien s'?teignit hier, laissant cette collection pour tout avoir et toute hoirie ? la vieille compagne des trente derni?res ann?es de sa vie.
Deux d?tails, pour finir:
Cet hiver, Dupuis-Delcourt s'occupait surtout de v?rifier les exp?riences du fameux Quinquet ? l'effet de remplacer le gaz des a?rostats par la vapeur maintenue ? l'?tat v?siculaire. Mais ses recherches ?taient difficiles: il manquait de feu, m?me pour se chauffer, et comme il n'en disait rien ? personne, ce n'est qu'? la fin de l'hiver et par hasard, qu'un brave charpentier, son coreligionnaire en Navigation A?rienne, lui exp?dia tardivement une petite provision.
Je sais son nom.--Mais ? quoi bon?...
De tout ceci, la morale:
Tout a ?t? compt? ? l'homme et bien juste. Tout ce dont il jouit, il faut qu'il l'ach?te,--et le paie--suivant un inexorable tarif, puisque la vie elle-m?me ne lui a ?t? donn?e qu'un seul jour.
Chacune des conqu?tes humaines se solde rigoureusement donc par les sueurs, les larmes, le sang. Plus ces conqu?tes sont grandes, plus co?teux et douloureux est le paiement.
Il est des hommes qu'un instinct irr?sistible, fatal, pousse en avant des autres sur les routes nouvelles.--Sous les pieds de ceux-l?, qui aplanissent le chemin, les ronces qui d?chirent, les cailloux coupants, les serpents venimeux...
--et pendant ce temps-l?, ceux qui marchent derri?re et profitent de la voie faite, ricanent et jettent des pierres ? ces g?n?reux imb?ciles.
Car, apr?s le mal qu'ils vous ont fait, le tort que les hommes vous pardonnent le moins est celui que vous vous faites ? vous-m?me.
Dupuis-Delcourt ?tait du petit, tout petit nombre de ceux qui aiment mieux recevoir les pierres que les jeter.
Le voil? mort, partant quitte--peut-?tre!
Qu'un autre vienne prendre cette place d'avant-garde, s'il a le courage, la foi, le d?vouement et surtout l'obstin?e r?signation.
Et combien cher nous a d?j? co?t? cette immense conqu?te du domaine de l'air,--sans parler de ce qu'elle nous doit co?ter encore!--Ne semble-t-il pas qu'une Divinit? jalouse et implacable repousse contre terre et ?crase chacun des assaillants de l'escalade sublime,--jusqu'au jour o? se pr?sentera celui qui a ?t? d?sign? pour vaincre?
Mais que me veulent ces images de po?tes ?piques, cette nuit o? j'?cris,--en ce moment o? la pauvre vieille veuve--dans la petite chambre qu'elle trouvera maintenant si grande;--pleure et appelle son brave et vieux compagnon--qui ne reviendra plus.....
Saluons l'autre maintenant!
? celui-ci la Mort ne fit pas cr?dit aussi long. Mais peu importe: ses vingt-huit ann?es furent bien remplies et sa fin glorieuse.
Je ne crois pas qu'il soit possible de trouver dans nos figures historiques une autre plus int?ressante et plus attractive.
Il ?tait n? d'une honn?te famille bourgeoise, ? Metz, le 30 mars 1757. On l'avait fait, au sortir du coll?ge, ?l?ve en chirurgie; mais son ?me trop sensible d?faillait aux op?rations.--Il se d?tourne bient?t et se donne ? l'?tude de la chimie pharmaceutique.
Un coup de t?te,--il ?tait vif,--le pousse vers Paris.
Jean-Fran?ois Pil?tre de Rozier peut alors se livrer tout entier aux sciences naturelles et math?matiques. Tout en s'instruisant, il suffit honorablement ? ses besoins par son travail sans l'aide de la famille, et sans que le plaisir qu'il aime y perde rien.
Savant d?j? ? un ?ge o? on est ? peine instruit, spirituel, g?n?reux, plein d'ardeur, d'une humeur gaie et toujours ?gale, ayant tous les avantages, m?me celui d'un visage agr?able, il sait plaire ? tous, et mieux encore de tous se faire aimer.
? vingt-deux ans ? peine, il s'improvise professeur de physique. Son enseignement est clair, facile, sa parole enjou?e, pittoresque. Les femmes lui font son auditoire.
C'?tait le temps o? une Charge, comme on disait, ?tait indispensable ? la consid?ration.--Pour qu'il soit dit que rien n'aura manqu? ? ce jeune pr?destin?, le voici pourvu d'une charge aupr?s d'une princesse du sang.--Puis la Soci?t? d'?mulation de Rheims l'appelle comme professeur de chimie; puis il se retrouve intendant des Cabinets de physique, chimie et histoire naturelle de Monsieur .
Il poursuit cependant ses travaux particuliers et publie plusieurs M?moires sur les teintures, le phosphore, l'?lectricit?, les gaz m?phytiques. Il fonde le premier Mus?e particulier, o? toutes les sciences doivent ?tre vulgaris?es par la parole de savants professeurs.
Emport? par l'exaltation de la fi?vre scientifique, tant?t il allume ? ses l?vres le filet de gaz inflammable dont il s'est empli la bouche et il se br?le les deux joues. Tant?t il sollicite avec instances du lieutenant g?n?ral de police les occasions d'exp?rimenter, au p?ril de sa vie, ses proc?d?s antim?phytiques; il accuse le sort qui retarde ces p?rilleux d?fis, o? il lui est enfin donn? de risquer ses jours et d'alt?rer sa sant? au fond de cloaques impurs.
Ses succ?s ne lui ont pas fait oublier les devoirs que la mort de son p?re lui a l?gu?s. Il soutient et pensionne ses deux soeurs, et il n'est pas de chef de famille plus grave, plus plein de sollicitude que ce jeune homme, si entra?n? pourtant et distrait par un monde facile et ?l?gant dont il est aim? et qu'il aime.
Modeste vis-?-vis des autres et plein d'am?nit?, il doit pourtant s'estimer lui-m?me et haut, parce qu'il sait ce qu'il vaut en g?n?rosit?, en d?vouement.
Il aime la gloire peut-?tre, mais il ignore ce que c'est que l'envie.
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Il obtient enfin l'autorisation, et,--le premier des hommes,--il s'enl?ve, le 21 octobre, du ch?teau de la Muette, ? ballon perdu.
Il ne faut pas perdre de vue que cette premi?re ascension libre, dans un engin nouveau, avec un mat?riel non encore ?tudi?, devait ?tre tout autre chose que ces ascensions d'aujourd'hui qui ne sont plus qu'un jeu pour nous.--Une dame inconnue avait tir? M. de Rozier ? part, avant l'exp?rience, et lui avait remis un paquet qui ne devait ?tre ouvert qu'une fois la Montgolfi?re partie: ce paquet contenait deux pistolets charg?s.
Les ascensions de Pil?tre de Rozier se succ?dent.--Il faut lire le r?cit, d'une si touchante simplicit?, de son second voyage a?rostatique, ex?cut? en compagnie du marquis d'Arlandes.
Cependant de Rozier donne, dans son Mus?e, une f?te en l'honneur de M. de Montgolfier; il pr?sente ? la brillante assembl?e le buste qu'Houdon a cisel?, et que couronne la princesse de Bourbon.--Dans le feu d'artifice qui termine la f?te, Pil?tre de Rozier n'oublie personne et l'initiale du physicien Charles s'enlace ? celle des Montgolfier.
Pour aider ceux qu'il aime et cette a?rostation qui l'enflamme, il a laiss? derri?re lui ses propres int?r?ts qui souffrent, son Mus?e, dont les auditeurs se plaignent vivement. Il devra m?me au retour offrir de rembourser quelques m?contents.
Les Anglais, qui avaient d'abord affect? la plus profonde indiff?rence pour la d?couverte des Montgolfier, semblaient commencer ? lui rendre justice. On faisait quelques tentatives a?riennes en Angleterre, et on en vint jusqu'? parler de franchir le d?troit avant nous.
La priorit? de cette exp?dition devenait une question nationale.
De Rozier avait le premier publi? ce projet. Il sollicite aussit?t du gouvernement la somme n?cessaire pour construire un nouvel a?rostat et tenter la travers?e. On lui accorde quarante mille livres, et on lui d?signe Boulogne comme point de d?part.
De nouveau, Pil?tre de Rozier quitte son Mus?e et arrive, le 4 janvier 1785, au lieu du d?part. L?, il apprend que Blanchard, qui veut le devancer, attend d?j?, de l'autre c?t? du d?troit, le vent favorable..... De nouveaux ordres de la Cour pressent de Rozier; des faveurs consid?rables lui sont promises, s'il ex?cute le premier la travers?e.
Mais les vents, qui lui sont contraires, apportent, le 7 janvier, ? trois heures apr?s midi, sur les c?tes de France, son heureux rival...
Pil?tre de Rozier va au-devant de Blanchard, l'embrasse, le conduit ? Paris, le pr?sente lui-m?me ? la Cour, et veut l'inscrire, de sa main, au nombre des fondateurs de son Mus?e.
L'honneur de la premi?re travers?e du d?troit lui ayant ?t? enlev?, il ne pr?sumait pas devoir poursuivre une seconde exp?rience d?sormais insignifiante et d?nu?e de tout autre int?r?t que celui d'une inutile curiosit?. Il ne s'agissait de rien moins encore que de triompher d'obstacles d?termin?s, l? o? un coup de vent rendait tout effort et toute lutte inutiles.
Mais la Cour en a d?cid? autrement: on appr?cie qu'il y a plus de difficult?s,--et en effet,--? traverser de France en Angleterre qu'il n'y en avait ? venir de Douvres en France. Le contr?leur g?n?ral des finances, M. de Calonne, mande Pil?tre de Rozier, lui adresse des reproches aussi s?v?res que peu m?rit?s et lui redemande le surplus de la somme avanc?e, les frais du ballon pay?s.
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