Read Ebook: Mémoires d'une contemporaine. Tome 1 Souvenirs d'une femme sur les principaux personnages de la République du Consulat de l'Empire etc... by Saint Elme Ida
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Ebook has 480 lines and 75790 words, and 10 pages
M?MOIRES D'UNE CONTEMPORAINE
SOUVENIRS D'UNE FEMME SUR LES PRINCIPAUX PERSONNAGES DE LA R?PUBLIQUE, DU CONSULAT, DE L'EMPIRE, ETC.
TOME PREMIER.
Troisi?me ?dition
PARIS.
TABLE PAR ORDRE ALPHAB?TIQUE DES NOMS CIT?S DANS LE PREMIER VOLUME DES M?MOIRES D'UNE CONTEMPORAINE.
Albergati Amelot
Barberimio B?niowski Bernadote Berowski Bertier Beurnonville
Capello Charles Contat Cornier Courcelles
Daendels Dampierre Delel? Delmas Dessoles Demouriez Duval
Elleviou
Gaetana Geronimo Grouchy Guisti
Hoche
Kellermann Kl?ber Klinglin Kormwitz Krayenhof
Lambertini Lambertini Lapi Latour Lebel Lecourbe L?vey Lhermite Luosi
Marceau Marescot Marie Meynier Mol? Monti, po?te Moreau
Napol?on Ney Noomz, po?te hollandais
Orosco Orrigny Orzio Orzio
Penski Penski Pichegru
Richard Rivi?re
Saint-Aubin Saint-Cyr Sainten-Suzanne Scherer Schimmelpinhing Schimmelpinhing Soli?, Sta?l
Tallien Talma Tolstoy
Van-Aylde-Jonche Van-Aylde-Jonche Vandamme Van-Dadlen Van-Derke Van-Derke Van-Loter Van-Perpowy Vanl-Schaahepen Vinci
Willhem
York
TABLE DU PREMIER VOLUME.
AVANT-PROPOS.
Chapitre Ier. Mon p?re.--Sa famille.--Sa jeunesse.--Son mariage.--Ma naissance.--Mon ?ducation.--Mort de mon p?re.
AVANT-PROPOS.
Ce sont ici plut?t des confessions que des m?moires. Cette d?claration que je m'empresse de faire au public me justifiera, je l'esp?re, de toute pr?tention ? ?crire l'histoire. ?trang?re par l'inconstance de mon caract?re, par la violence m?me des passions qui ont agit? ma vie, aux froides combinaisons de la politique, j'aurais mauvaise gr?ce ? retracer les grandes catastrophes dont les quarante ann?es qui viennent de s'?couler nous ont offert le spectacle. Je n'ai voulu que raconter les ?tranges vicissitudes auxquelles mon existence a ?t? soumise; mais au r?cit de ces vicissitudes qui me sont toutes personnelles, se rattachent des souvenirs qui vivront ?ternellement dans la m?moire des hommes. Les situations singuli?res dans lesquelles le sort m'a plac?e m'ont mise ? m?me, sans prendre une part directe au drame, de conna?tre et de juger tous les acteurs. Presque tous les personnages dont la fortune ou les revers, la gloire ou l'infamie, ont occup? l'attention de la France depuis l'?poque o? j'entrai pour la premi?re fois dans le monde, passeront ? leur tour sous les yeux du lecteur. Je m'abstiendrai de placer aucune r?flexion au bas des portraits qu'?bauchera mon pinceau. Mes lecteurs jugeront chacun selon ses m?rites, sans que je leur demande m?me de partager ma reconnaissance pour les amis qui me sont rest?s fid?les, ni de me venger par leurs d?dains de ceux qui ont pu m'abandonner. Les faits parlent toujours plus haut que les raisonnemens. Je les raconterai tous, soit qu'ils m'accusent ou me justifient moi-m?me, soit qu'ils ?l?vent ou qu'ils abaissent les hommes au milieu desquels j'ai v?cu. Ce principe me guidera dans la r?v?lation que je vais faire des secrets de ma vie priv?e; il serait encore ma r?gle invariable, si j'avais ? ?crire l'histoire des rois, ou les annales des nations.
J'ai de grandes fautes ? avouer: ce serait sans doute les aggraver encore que de leur chercher une excuse; on me saura peut-?tre quelque gr? de ma franchise. Du reste, cette franchise ne sera jamais propre ? exciter le scandale. Mes M?moires offriront, ? c?t? des sc?nes et des ?v?nemens les plus simples de la vie commune, quelques unes de ces aventures extraordinaires qui semblent plut?t appartenir au domaine du roman qu'? celui de l'histoire; mais, je le r?p?te, cette histoire, toute romanesque qu'elle pourra para?tre, n'en sera pas moins toujours l'histoire de ma vie. Mes r?cits seraient, au besoin, fortifi?s du t?moignage unanime des hommes dont les noms figurent sur les pages de mon livre. Ces noms sont ceux d'illustres capitaines, d'hommes d'?tat, d'hommes de lettres et d'artistes c?l?bres qui, presque tous, sont encore vivans, dont quelques uns n'ont pas m?me encore atteint la vieillesse. Ce serait peut-?tre ici le lieu de parler de mon ?ge; mais j'ai int?r?t ? prolonger sur ce point les doutes du lecteur: il sera temps de les fixer plus tard, et ce sont l? de ces aveux qu'une femme ne saurait faire deux fois. On me pardonnera de dire que j'ai ?t? belle. S'il fallait prouver d'avance que je ne trompe pas le public en lui promettant le r?cit d'?v?nemens peu ordinaires, j'ajouterais que, plac?e par ma naissance, mon ?ducation et ma fortune au premier rang de la soci?t?, j'ai vu pour la premi?re fois, en 1792, cette France qui est devenue ma patrie, et qui recevra, je l'esp?re, mes derniers soupirs; je dirais que j'ai travers? les saturnales du Directoire, vu na?tre la gloire du Consulat et la grandeur de l'Empire; qu'enfin, sans avoir jamais affect? une force et des sentimens qui ne sont pas de mon sexe, j'ai ?t?, ? vingt-trois ans de distance, spectatrice des triomphes de Valmy et des fun?railles de Waterloo.
CHAPITRE PREMIER.
Mon p?re.--Sa famille.--Sa jeunesse.--Son mariage.--Ma naissance.--Mon ?ducation.--Mort de mon p?re.
J'ai toujours attach? peu d'importance aux g?n?alogies, et j'appr?cie ? leur juste valeur les chim?res de la noblesse: il faut cependant que je dise de quel sang je suis issue. Ce n'est point une fausse gloire qui me pousse ? r?v?ler ? mes lecteurs le nom de ma famille; en me pr?sentant ? leurs yeux telle que j'?tais d'abord par ma fortune et ma naissance, je leur donne le droit de me juger plus tard avec une s?v?rit? proportionn?e aux fautes qui me firent d?choir de tant d'avantages. En faisant conna?tre quel fut mon p?re, je n'ai donc d'autre but que de dire la v?rit?, d?t cette v?rit? me rendre moins excusable, lorsque j'aurai ? avouer tant de fautes. L?opold Ferdinand de Tolstoy naquit en 1749 au ch?teau de Verbown, de la terre seigneuriale de Krustova en Hongrie; il ?tait fils de Samuel L?opold de Tolstoy, duc de Cremnitz, et de Catherine Vevoy, comtesse de Thuroz; mon a?eule ?tait m?re du staroste polonais B?niowski. ? la mort de mon grand-p?re, que sa veuve suivit de pr?s au tombeau, mon p?re eut pour tuteur un de ses oncles maternels, au service d'Autriche: mon oncle, au lieu de songer aux int?r?ts de son pupille, ne s'occupa que de le spolier; il s'empara notamment d'une terre situ?e dans le comt? de Nitria, et qui faisait partie de l'h?ritage que mon p?re avait recueilli. Le jeune L?opold atteignait ? peine sa dix-neuvi?me ann?e, que d?j? il avait vu les champs de bataille ? c?t? de son grand-oncle maternel B?niowski, qui s'?tait attach? ? la fortune de Charles de Lorraine. B?niowski, loin de calmer la t?te ardente de son petit-neveu, lui promit de le d?clarer unique h?ritier de sa starostie, s'il parvenait ? se faire rendre justice de son tuteur. Les formes l?gales ?tant trop lentes, L?opold se r?sout d'atteindre par une autre voie le but qu'il se propose. Ador? des anciens vassaux de son p?re, il les rassemble, les harangue, attaque ? leur t?te le ch?teau qu'avait usurp? son tuteur, l'en chasse, et rentre de vive force dans le domaine de ses p?res. Ce fut un beau jour que celui-l? pour l'?me noble et fi?re du jeune L?opold; mais son triomphe lui devint bient?t funeste. Le tuteur, d?poss?d? du domaine qu'il avait si injustement envahi, ne manquait pas de cr?dit ? la cour de Vienne. Mon p?re fut accus? d'avoir soulev? ses vassaux contre la puissance imp?riale, et condamn?, comme rebelle, au bannissement. Il avait alors vingt et un ans. Irrit? de se voir d?pouill? de tous ses biens, et chass? de sa patrie pour un crime imaginaire, il ne songea plus qu'? se venger. L'occasion de provoquer au combat son pers?cuteur se pr?senta bient?t: ce combat fut heureux pour mon p?re, et fatal ? son adversaire, qui tomba baign? dans son sang. Empress? de porter des secours au vaincu, L?opold oublia sa propre s?ret?; et ce fut au moment m?me o? il s'occupait de faire panser la blessure de son ennemi qu'il fut arr?t?, et conduit, par ordre de la cour imp?riale, ? la citadelle de Presbourg. Fortune, cr?dit, mon grand-oncle B?niowski employa toutes les ressources dont il pouvait disposer pour sauver un neveu qu'il ch?rissait comme un fils. L'ardeur m?me qu'il mit dans ses d?marches le rendit suspect au gouvernement imp?rial, d?j? ma?tre ? cette ?poque d'une partie de la Pologne. Il fut contraint de se r?fugier en Russie, o? l'imp?ratrice l'honora d'une protection ?clatante. B?niowski, tranquille ? Saint-P?tersbourg, s'occupa aussit?t de relever la fortune de son neveu, en lui faisant contracter un brillant mariage. Le comte Pensky offrait de donner sa fille unique au jeune L?opold, en la dotant d'un million de roubles; d?j? m?me ce seigneur avait entrepris de racheter ? prix d'or la libert? de son gendre futur. Mais le sort en avait autrement ordonn?, et les projets de B?niowski ne purent s'accomplir. Une jeune fille, Ida Kormwitz, ni?ce du gouverneur de la citadelle de Presbourg, n'avait pu voir le jeune prisonnier sans ?tre frapp?e des rares avantages de sa personne, sans prendre le plus vif int?r?t ? ses malheurs. Elle trouva enfin le moyen de l'arracher ? sa prison, et s'enfuit avec lui jusqu'aux fronti?res de l'Empire russe. Mon p?re n'avait plus d'autre patrimoine que le nom qu'il avait re?u de ses anc?tres; mais ce nom de Tolstoy ?tait toujours riche de gloire; L?opold n'h?sita point ? l'offrir ? sa lib?ratrice. Ida n'accepta point cette offre, qu'elle regardait comme un sacrifice de la part de celui qu'elle avait sauv?. Une seule fois sa t?te br?lante se posa sur le coeur du jeune homme ? qui elle avait immol? toutes les affections de famille et de patrie; puis, s'arrachant aux illusions de l'amour, elle divor?a pour toujours avec le monde, et courut s'engager ? Dieu par des voeux ?ternels. L?opold ne put fl?chir sa volont? ni changer la d?termination qu'elle avait prise. Pour ob?ir ? ses d?sirs, il la conduisit d'abord ? l'abbaye de Novitorg, et arriva seul ? Saint-P?tersbourg. B?niowski l'y accueillit avec tous les t?moignages d'une tendresse paternelle; craignant de rencontrer encore quelque obstacle ? ses vues, il pr?senta ? son neveu le projet de mariage avec la jeune comtesse Pensky comme d?sormais irr?vocablement fix? par sa promesse solennelle, et l'empressement du comte ? s'allier ? la famille Tolstoy. L?opold ne mit d'autre condition ? son consentement que celle de voir et de conna?tre d'avance la femme dont on pr?tendait lui confier le bonheur. Habitu? par une longue exp?rience ? voir toutes les affections du coeur fl?chir devant les calculs de l'ambition, le vieux staroste ne pouvait croire qu'un proscrit, sans fortune et presque sans asile, p?t trouver de bonnes raisons pour refuser une alliance qui lui assurait des richesses consid?rables et toutes les faveurs de la cour, dans la nouvelle patrie qui lui offrait de l'adopter. L'entrevue de L?opold et de mademoiselle de Pensky eut lieu; mais, ? l'aspect de la taille contrefaite et de la physionomie sans charmes de la jeune comtesse, l'h?ritier des Tolstoy sentit na?tre subitement dans son coeur une r?pugnance invincible au mariage projet?. En vain son grand-oncle le mena?a-t-il de toute sa col?re; pri?res, menaces, rien ne put fl?chir le caract?re indompt? de mon p?re. Il quitta P?tersbourg, se rendit ? Dantzick, d'o? il s'embarqua pour Hambourg; d'Hambourg il vint ? Amsterdam, et il arriva enfin ? La Haye en 1774: son nom lui rendit facile l'acc?s de la noblesse hollandaise et de la cour du stadhouwer. Il avait alors vingt-cinq ans: il en avait trente-six quand mes regards enfantins se fix?rent pour la premi?re fois, avec une attention r?fl?chie, sur son noble visage. Je n'ai jamais rencontr? chez aucun homme la r?union de tant d'avantages. Sa taille majestueuse, l'?l?gance de ses formes, que dessinait le costume hongrois, auquel il demeura toujours fid?le; son regard de feu, que temp?rait ? propos la bont? de son ?me; tant de qualit?s si pr?cieuses, rehauss?es par la rectitude et l'?l?vation de l'esprit, justifient ais?ment la passion violente dont se sentit subitement enflamm?e, pour M. de Tolstoy, la jeune h?riti?re d'une des plus riches et des plus nobles maisons de la Hollande.
Deux fr?res me pr?c?d?rent dans la vie et dans la tombe. Ma m?re se d?solait; sa sant? se d?t?riorait chaque jour davantage. Le changement de climat pouvait seul la r?tablir; mon p?re ?prouvait de son c?t? le vif d?sir de revoir l'Italie; ils partirent tous deux pour Florence. Au bout de deux mois de s?jour en Toscane, mon p?re eut l'esp?rance de voir sa femme devenir m?re une troisi?me fois, et, au terme fix? par la nature, je vins au monde dans l'une des plus charmantes campagnes des bords de l'Arno: c'?tait le 26 septembre 1778. Ma m?re voulut me nourrir elle-m?me; je ne quittais son sein que pour passer dans les bras de mon p?re; je respirais la sant? avec l'air pur du plus beau climat du monde.
D?s le berceau mon oreille n'entendit que des chants m?lodieux; d?s le berceau elle fut charm?e par l'harmonie des strophes du Tasse. Quand mon intelligence commen?a ? se d?velopper, les fictions de l'Arioste vinrent ?tonner ma jeune imagination. La lecture de ce po?te ?tait la r?compense qu'on m'accordait dans les heures de r?cr?ation qui interrompaient mes faciles ?tudes: je n'avais pas d'autres ma?tres que mes parens. Ma m?re parlait six langues: elle agitait quelquefois en latin avec mon p?re des questions de litt?rature; mais c'?tait en italien, en fran?ais, ou bien en langue hongroise qu'ils s'entretenaient des choses ordinaires de la vie. J'apprenais beaucoup, seulement en ?coutant, et presque sans m'en douter. La seule ?tude s?rieuse et suivie ? laquelle on m'assujettit plus tard fut celle de la langue hollandaise, dont nous ne nous servions que rarement dans nos conversations habituelles.
Ma m?re n'avait pas m?me essay? de le retenir; elle tomba ?vanouie: moi-m?me, ?gar?e, hors de moi, je me fais jour ? travers la foule, et je cours le long du rivage en suivant des yeux mon tendre p?re. Comment exprimer mes angoisses en le voyant contraint de dispara?tre volontairement par intervalles sous les flots, pour ?viter les ?normes gla?ons qui suivaient le courant du fleuve? Enfin il arrive au bateau; et, second? par trois bateliers qui avaient suivi son noble exemple, il arrache ? la mort et ram?ne au rivage le vieux Berowski. H?las! quelle r?compense attendait une piti? si courageuse! Expos? presque nu aux rigueurs d'un froid p?n?trant, et trop occup? de celui qu'il venait de sauver pour songer ? lui-m?me, mon p?re, dans les premiers momens, n?gligea les soins qu'exigeait la conservation de ses jours. D?s la nuit suivante, une fi?vre ardente se d?clara: nous ne pouvions pas aller plus loin; il fallut rester dans la ch?tive auberge o? nous nous trouvions. Le onzi?me jour de la maladie, 27 d?cembre 1787, je n'avais plus de p?re! La mort de ce p?re ador? fut le premier malheur de ma vie: elle fut le pr?sage de tous les maux qui m'ont accabl?e depuis bien des ann?es; elle fut surtout la cause des fautes que je n'aurais jamais commises si j'avais eu pr?s de moi l'ami de mon enfance, celui dont les conseils et la juste influence m'auraient pr?serv?e des ?carts de ma fougueuse imagination. Le malheureux Berowski ne surv?cut que vingt jours ? son ma?tre; jusqu'? son dernier soupir, il supplia ma m?re de lui pardonner la mort de son ?poux. Il fut inhum? pr?s de celui dont il n'avait jamais voulu se s?parer pendant sa vie.
Deux ans s'?coul?rent ainsi sans que ma m?re p?t prendre sur elle de surmonter sa douleur pour achever enfin mon ?ducation. Cependant je grandissais: mon imagination, d?j? lasse de son oisivet?, s'?lan?ait chaque jour vers des sensations nouvelles; je m'ennuyais de go?ter toujours les plaisirs que j'avais connus d?s ma plus tendre enfance. Je profitais de la libert? que me laissait ma m?re pour faire, dans les environs de notre r?sidence, de longues courses ? cheval. Je me dirigeais ordinairement et de pr?f?rence vers un beau ch?teau qui appartenait ? une des plus riches familles d'Amsterdam; les propri?taires visitaient rarement cette terre, et ils n'y ?taient pas venus depuis que nous habitions le pays. Un domestique de confiance m'accompagnait seul dans mes excursions. Je n'avais encore que onze ans; mais j'?tais assez grande et assez forte pour qu'on suppos?t g?n?ralement que j'avais atteint ma quatorzi?me ann?e: pour la taille et la figure, j'?tais d?j? presque une femme; mais pour la raison, je n'?tais encore qu'un enfant.
? peine m'?tais-je assur?e par ma dissimulation la discr?tion de Wilhelm, que je songeai ? faire de ce brave homme, sans qu'il s'en dout?t, le premier instrument de mon projet. J'?tais fort agit?e: la vue de mon excellente m?re redoublait mon malaise; ? tort ou ? raison je la trouvai ce jour-l? plus triste que de coutume. Toutefois, je l'avouerai ? ma honte, loin de chercher ? adoucir par mes caresses l'amertume de ses chagrins, je la quittai avec empressement aussit?t que j'en trouvai l'occasion, et j'allai r?ver ? la prompte ex?cution de mon dessein.
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Le consentement qu'il avait enfin arrach? plut?t qu'obtenu de son p?re donnait plus de libert? ? nos relations: il ne me quittait presque plus. Un mois s'?coula tr?s agr?ablement au milieu des pr?paratifs de notre mariage; au bout de ce temps, toutes les formalit?s ayant ?t? remplies, toutes les lois de l'?tiquette hollandaise scrupuleusement observ?es, nous nous rend?mes ? Amsterdam, et l? nous f?mes mari?s dans l'?glise neuve.
Je n'avais pas encore treize ans accomplis; mais ma taille, d?j? enti?rement form?e, me donnait toutes les apparences d'une personne de quinze ans. J'ai maintenant cinq pieds un pouce et demi; je les avais d?s lors, car depuis mon mariage je n'ai point grandi. Malheureusement ma raison ?tait encore bien loin d'?tre form?e; j'aurais eu besoin d'un guide plus ferme et plus s?v?re que l'?poux auquel les lois et ma propre volont? venaient de confier le soin de ma destin?e. Pourquoi se reposa-t-il si aveugl?ment lui-m?me sur la prudence d'une enfant? Je n'aurais pas eu, depuis plus de vingt-cinq ann?es, tant de malheurs et tant de fautes ? d?plorer!
Opinions politiques de mon mari.--Il m'am?ne ? les partager.--Le duc d'York en Hollande.--Mon mari captif dans sa propre maison.--Je le d?livre.
Il restait dans la maison trente soldats et cinq officiers, sans compter le duc d'York, qu'on venait de porter sur un lit o? il dormait dans l'ivresse la plus compl?te. Le nombre de bouteilles qui jonchaient le parquet du salon attestait les ravages de notre cave, et augmentait la confiance avec laquelle je combinais tous mes moyens d'?vasion. Les soldats ?taient ivres comme les chefs; un sommeil profond ne tarda pas ? appesantir leurs yeux. Lorsque je n'entendis plus aucun mouvement dans la maison, je sortis sans bruit de mon appartement, et je gagnai rapidement un cabinet de bain, contigu ? la salle o? se trouvaient renferm?s les deux prisonniers. Dans ce cabinet ?tait une porte lambriss?e communiquant ? la salle, mais cach?e de ce c?t? par une armoire remplie de porcelaines: je l'ouvris; les porcelaines furent rapidement enlev?es, et peu de minutes apr?s, mon mari, Van-Daulen et moi, nous traversions ? grands pas, mais toujours dans le plus profond silence, les immenses jardins et la prairie qui les termine. Au bout de cette prairie, notre berline de voyage nous attendait avec quatre domestiques bien r?solus et bien arm?s. Il restait encore dans la maison plus de douze de nos serviteurs ? qui j'en avais confi? la garde. Nous part?mes sans retard; mais la n?cessit? de suivre des chemins de traverse dans un pays mar?cageux ne nous permit pas d'avancer avec la c?l?rit? qui semblait la premi?re condition de notre salut.
Mon enl?vement.--Mes lib?rateurs.--Une famille d'?migr?s fran?ais.--Je rejoins mon mari.--D?part pour Bruxelles.
Vers le soir nous avancions au milieu des bruy?res, lorsqu'un convoi de chevaux et de caissons, qui venait droit ? nous, nous for?a de nous arr?ter. Un officier anglais s'avance pour regarder dans l'int?rieur de la cal?che; mes domestiques veulent le repousser, il les menace de son pistolet. Le combat allait s'engager si mes cris, en r?primant l'imp?tuosit? de mes d?fenseurs, n'eussent attir? l'attention des soldats qui composaient l'escorte du convoi. On se saisit de mes fid?les serviteurs, deux hommes m'enl?vent de ma voiture, et je me trouve tout ? coup plac?e dans un fourgon, ? c?t? de deux dames fort jolies et du duc d'York en personne. J'avais d'abord trembl? pour mes deux domestiques; mais je fus bient?t rassur?e en voyant qu'on leur avait laiss? leurs chevaux, et qu'on les faisait marcher ? la suite de la cal?che, dans laquelle ?tait rest?e la cousine de notre bonne h?tesse d'Amersford, qui m'avait accompagn?e conform?ment aux d?sirs de mon mari. La col?re succ?da bient?t chez moi ? la frayeur; je me tournai vers le duc, et je lui dis qu'? moins d'avoir la certitude de d?rober ma personne ? tous les yeux, il devait craindre qu'on ne venge?t bient?t, et d'une mani?re ?clatante, la honteuse et ridicule violence qu'il pr?tendait exercer sur moi. De tels attentats avaient pu rester impunis quand ils avaient eu pour objets des femmes d'une condition ordinaire; mais il n'en serait pas de m?me quand on saurait qu'il avait choisi pour victime la femme d'un homme distingu? par sa naissance, sa fortune, et dont la famille ?tait aussi puissante dans le pays. Le duc m'interrompit ? ces mots, et me dit avec une politesse ironique que j'avais tort de compter si fermement sur le cr?dit et la protection d'une famille bien r?solue d?sormais ? mettre un terme aux extravagances de mon mari et ? arr?ter le cours de ses trahisons. Je ne r?pondis ? de telles insinuations que par le silence du m?pris. Une des deux femmes qui se trouvaient avec moi dans la voiture m'adressa alors la parole, et tenta d'adoucir ce qu'elle appelait mon humeur farouche. Je me tournai de nouveau vers le prince: <
Mes lib?rateurs, au moment o? ils venaient de me porter secours, se dirigeaient vers le village de Kiel. C'?tait l? qu'ils devaient retrouver leur famille; c'?tait aussi de l? qu'ils devaient ensuite se rendre au Texel, pour s'embarquer pour l'Angleterre. Quand je les rencontrai, ils venaient de vendre, dans la ville voisine, quelques-unes des superfluit?s brillantes, restes de leur ancienne opulence, et qui leur devenaient chaque jour plus n?cessaires pour soutenir une famille compos?e de trois femmes, de deux enfans et de cinq hommes, tant ma?tres que domestiques: ils avaient pu ramasser, ? force de sacrifices, une modique somme de 500 francs; et c'?tait l? toute leur ressource pour entreprendre leur voyage. Ces d?tails me furent donn?s, ? voix basse, par un vieillard dont j'avais pris le bras; c'?tait l'ancien valet-de-chambre du marquis d'Orrigny de Toulouse: nous arriv?mes enfin ? la ferme vers laquelle notre marche avait ?t? dirig?e.
En entrant, mes regards se fix?rent d'abord sur le groupe que formait aupr?s d'une fen?tre une dame ?g?e, assise entre deux tr?s jeunes femmes: cette dame paraissait avoir au moins soixante ans; les chagrins et les infirmit?s semblaient avoir aigri son humeur, que supportaient avec une douceur ang?lique ces deux jeunes personnes, l'une ? peine ?g?e de vingt ans, mais d?j? m?re, et allaitant son enfant; l'autre, plus jeune de quatre ou cinq ans, et de la plus ravissante beaut?. Il fallait que cette beaut? f?t bien r?elle pour briller encore sous les v?temens d?labr?s que portaient ces dames, et qui offraient l'affligeant contraste de leurs habitudes pass?es avec leur destin?e actuelle.
? ma vue, les trois dames se lev?rent d'un air de surprise, temp?r? cependant par cette politesse qui est l'attribut distinctif de la nation fran?aise. Aux premiers mots que je pronon?ai, on me prit pour une compatriote et une compagne d'infortune; je d?trompai bient?t ces dames, et je leur dis que j'?tais dans ma patrie, sur les terres m?me de mon mari, et que je m'estimerais fort heureuse de leur en faire les honneurs. Je les quittai ensuite pour aller parler ? la fermi?re.
D?part pour Lille.--Notre s?jour dans cette ville.
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