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Read Ebook: Mémoires d'une contemporaine. Tome 1 Souvenirs d'une femme sur les principaux personnages de la République du Consulat de l'Empire etc... by Saint Elme Ida

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Ebook has 480 lines and 75790 words, and 10 pages

D?part pour Lille.--Notre s?jour dans cette ville.

N?e sous le ciel de l'Italie, accoutum?e ? me voir d?s le berceau l'unique objet d'une tendresse exalt?e, dou?e d'une ?me ardente et d'une beaut? qu'il m'?tait permis de croire remarquable, j'allais me trouver, d?s avant l'?ge de quinze ans, livr?e sans guide aux s?ductions du monde, abandonn?e ? moi-m?me au milieu des plus terribles convulsions du corps social, jet?e sans d?fense au milieu des camps; les qualit?s m?mes que je tenais de la nature, la pr?sence d'esprit, la compassion pour les maux d'autrui, et un certain courage ? supporter ceux qui me touchaient personnellement, devaient tourner ? ma perte. Il me manquait une certaine d?fiance de moi-m?me, la r?serve dont mon ?ducation premi?re ne m'avait point fait une loi, en un mot tout ce qui peut garantir le bonheur et prot?ger la vertu d'une femme. On me pardonnera de me peindre telle que j'?tais alors, telle que ma m?moire fid?le me repr?sente encore ? moi-m?me aujourd'hui. Le moment approche o? je dois cesser d'?tre pure, o? je vais perdre aux yeux du lecteur ce prestige d'innocence qui pare si bien une jeune femme; j'h?site ? franchir ce passage si p?nible dans ma vie, et je ne veux pas d?rouler aux yeux du public le tableau de mes erreurs et de mes fautes avant d'avoir encore une fois invoqu? son indulgence.

Vers la fin d'ao?t 1792, nous quitt?mes notre belle demeure pour prendre la route de Lille. Mon mari voulait s'arr?ter quelque temps dans cette ville, pour y recueillir des notions certaines sur le cours que prenaient les ?v?nemens avant de p?n?trer plus loin dans l'int?rieur de la France. Tout se pr?parait ? Lille pour soutenir le si?ge dont on ?tait menac?, et qui ne commen?a pourtant que vers la fin de septembre de cette m?me ann?e. Nous ne p?mes d'abord entrer dans la ville; il fallut nous loger tant bien que mal dans une auberge, ? l'entr?e des faubourgs. Le g?n?ral Van-Daulen, cousin de mon mari, vint nous visiter dans notre modeste asile aussit?t qu'il apprit notre arriv?e. Il ?tait accompagn? de plusieurs officiers fran?ais: je n'en citerai qu'un seul, le jeune Marescot, d?j? distingu? dans l'arme du g?nie, o? il ne servait encore que depuis peu de temps; il avait un ext?rieur aimable, et paraissait dou? de toutes les qualit?s qui commandent l'estime et l'int?r?t. Pendant le temps que dura la visite, les regards des officiers qui accompagnaient le g?n?ral se tourn?rent souvent vers moi. Dans cette foule d'admirateurs, je ne distinguai que Marescot: il semblait que l'attention m?l?e de surprise avec laquelle il me consid?rait me f?t sentir pour la premi?re fois tout le prix de la beaut?; mes yeux rencontr?rent souvent les siens tandis qu'il ?tait devant moi, et lorsqu'il fut parti je le voyais encore.

La fortune et le rang de mon mari, la d?termination qu'il avait prise de renoncer pour un temps du moins ? sa patrie, plut?t que d'abjurer ses opinions politiques, attiraient sur lui comme sur moi l'attention et la curiosit? de tous. Mais, par un privil?ge bien rare, l'?vidence dans laquelle nous pla?ait notre position ne nous exposait pas ? la censure, qui n'aurait pas manqu? de s'exercer sur d'autres que nous. On savait tout ce que nous sacrifiions volontairement au triomphe des principes consacr?s par la r?volution fran?aise, et l'on nous pardonnait notre opulence en faveur de l'usage que nous en faisions. Nous ne tard?mes pas ? trouver une preuve de l'int?r?t que nous inspirions, dans l'empressement que mirent les officiers fran?ais ? nous procurer un logement au centre de la ville, et ? nous y installer eux-m?mes. En peu de jours, toutes les premi?res maisons de Lille nous furent ouvertes. L'ardeur de mon mari ? servir la cause de la libert? dans les Pays-Bas le mettait journellement en rapport avec les officiers de l'arm?e fran?aise. Je rencontrais partout Marescot: il n'?tait alors que simple capitaine; mais son m?rite d?j? ?prouv?, sa bravoure, et l'amabilit? de son caract?re, le faisaient consid?rer ? l'?gal de bien des officiers plus ?g?s ou plus avanc?s que lui dans la hi?rarchie militaire. J'?coutais avec plaisir tout le bien qu'on disait de ce jeune officier, et mon imagination se plaisait ? le parer chaque jour de qualit?s nouvelles. En sa pr?sence, j'?tais confuse, embarrass?e; j'?prouvais un plaisir m?l? d'inqui?tude; j'aurais voulu le voir sans cesse, et cependant je tremblais en entrant dans les lieux o? j'?tais certaine de le rencontrer.

La situation o? ?tait mon coeur avait tant de charme pour moi, que je m'y abandonnais tout enti?re dans la solitude, sans r?sister au penchant qui m'entra?nait chaque jour avec une nouvelle force, sans me douter m?me du danger que je courais. La ville donna une f?te ? laquelle mon mari et moi nous f?mes invit?s. Je fus l'objet de tous les regards et de toutes les galanteries; mais au milieu de tant de louanges et de complimens qu'on m'adressait, je ne sus pas cacher que je n'attachais d'importance qu'aux hommages d'un seul homme. D?s ce moment, il s'?tablit entre Marescot et moi une intelligence non avou?e, dont les progr?s furent d'autant plus rapides que je la croyais simplement fond?e sur une sympathie parfaite entre nos mani?res r?ciproques de voir et de sentir. Sans trop soup?onner la violence de la passion qui me subjuguait d?j?, je ne voyais dans nos rapports mutuels qu'une liaison d'amiti? et de confiance; cette confiance imprudente, j'en donnai bient?t une premi?re preuve. Je touchais ? peine ? ma quinzi?me ann?e; j'?tais loin de ma m?re, mon mari ne s'occupait aucunement de ma conduite, et cependant j'?tais bien jeune pour n'avoir d'autre guide que moi-m?me.

Ainsi, dans une s?curit? profonde, j'avan?ais ? grands pas vers ma perte. L'incertitude de l'avenir, les maux de l'absence que je pr?voyais d?j?, surtout la crainte de voir l'homme que je ch?rissais ravi pour toujours ? ma tendresse par la mort qu'il pouvait trouver dans les combats, tout cela ne faisait qu'irriter ma passion. J'aimais ?perdument avant de savoir, pour ainsi dire, si c'?tait l'amour qui m'agitait. Lorsque je fis un retour sur moi-m?me, et que j'examinai l'?tat de mon ?me, il ?tait trop tard, et j'?tais d?j? perdue.

Je ne cherche point ? me rendre int?ressante aux yeux de mes lecteurs, et je n'affecte pas de frapper ma poitrine en signe de repentir: on me croira si je me borne ? dire que la honte couvrit mon visage, et que le remords s'empara de mon coeur d?s le moment o? j'eus connaissance de ma faute: c'?tait en les violant une premi?re fois que j'apprenais ? conna?tre toute l'?tendue de mes devoirs d'?pouse. Ah! si lorsque je me trouvai en pr?sence de mon mari, sans oser lever mes yeux sur les siens, il m'e?t adress? un seul mot de tendresse, je sens que j'aurais embrass? ses genoux en m'avouant coupable. Un tel aveu n'aurait pas expi? ma faute pass?e, mais il m'e?t peut-?tre sauv?e de moi-m?me pour l'avenir. Trois semaines s'?coul?rent dans ces alternatives d'un d?lire qui m'?garait chaque jour davantage, et d'un repentir qui ne portait aucun fruit. Marescot partit enfin; et je restai seule avec ma douleur et mes remords.

Je revis ma m?re avec un sentiment de joie inexprimable. Avec quelle chaleur et quelle franchise je lui promis de veiller ? ses c?t?s et de ne plus la quitter! Dans ce moment, en effet, je n'avais pas d'autre d?sir ni d'autre besoin. Elle sembla m'?couter avec d?lices, me pressa contre son coeur, et je me crus un instant revenue ? ces jours de mon enfance, o? un seul sourire de ma m?re ?tait pour moi la source du bonheur. La maladie fut longue et douloureuse: je ne quittais pas la malade; pour elle j'oubliais tout, et Marescot lui-m?me. Je me plaisais ? prodiguer ? ma bonne m?re les soins les plus p?nibles; assise jour et nuit ? son chevet, j'?piais ses moindres paroles, j'?tudiais ses moindres d?sirs, et je m'estimais heureuse quand j'entendais sortir de sa bouche un mot de remerc?ment.

On l'a souvent remarqu? avec raison, l'exaltation la plus vive, en quelque genre que ce soit, ne saurait se soutenir long-temps au m?me degr?, et l'habitude ?mousse les sensations les plus violentes. Tant que l'?tat de ma bonne m?re avait exig? des soins non interrompus, ou fait na?tre de graves inqui?tudes, je n'avais pas eu une seule pens?e qui ne f?t pour elle. Sa convalescence, plus longue encore que ne l'avait ?t? sa maladie, rendit ? mon imagination ardente toute son activit?. Je commen?ai ? trouver monotone la vie que je menais; l'absence de Marescot me devint d'autant plus p?nible, qu'elle n'?tait plus m?me adoucie par le plaisir de recevoir des r?ponses aux lettres que je lui ?crivais. La difficult? des communications, interrompues chaque jour par le mouvement des troupes, le d?sordre qui r?gnait dans un pays devenu le th??tre de la guerre, telles ?taient les causes du silence que je d?plorais.

Comme ma m?re et moi nous ?tions presque continuellement seules, j'imaginai, pour la distraire, de lui faire faire en cal?che de longues promenades dans les environs. Rev?tue de mes habits d'homme, je devenais son cocher: habile dans l'exercice du cheval, je mettais une sorte d'amour-propre ? conduire adroitement la voiture de ma m?re: ces courses lui plaisaient autant qu'? moi; elles rompaient l'uniformit? de nos journ?es. Quelquefois nous nous promenions ? pied, nous allions visiter d'humbles chaumi?res; partout de nombreuses b?n?dictions accueillaient ma m?re et son jeune fils, le baron Van-Aylde-Jonghe: c'?tait sous ce nom que je me pr?sentais ordinairement. Gr?ce ? ma taille ?lanc?e, ? ma tournure ?l?gante, je pouvais ais?ment passer pour un fort joli gar?on: mes cheveux coup?s ? la Titus, et naturellement boucl?s, mes grands yeux bleus et mon teint anim? me valaient bien des regards favorables de la part des femmes: le plus souvent j'en riais avec ma m?re. Il m'arriva une aventure presque s?rieuse avec une jeune et jolie femme que venait d'?pouser le vieux bailli de Wordenboerg.

Un jour que nous avions pouss? notre promenade ? pied plus loin que de coutume, nous entr?mes chez le bailli pour nous reposer, tandis que nous envoyions avertir nos gens au ch?teau de nous amener notre voiture. La gentille Marie se confondait en attentions de toute esp?ce pour M. le baron Van-Aylde-Jonghe. Le vieil ?poux savait ? quoi s'en tenir sur le compte du joli jouvenceau qui plaisait si fort ? sa femme: il ne chercha cependant pas ? la d?tromper. Marie m'emmena pour me faire voir ses fleurs, sa voli?re, ses lapins, ses poissons dor?s; ses yeux me dirent plus d'une fois pendant cette promenade combien elle me trouvait aimable. Le go?t des espi?gleries n'a jamais ?t? un des traits distinctifs de mon caract?re; cependant l'occasion ?tait si belle que je ne pus r?sister au d?sir de m'amuser un peu de l'erreur de la jeune femme, en prolongeant cette erreur le plus long-temps possible: je soutins donc mon r?le, et je laissai deviner que je n'?tais point insensible aux sentimens qu'on me faisait voir; je comptais sur un d?no?ment comique; je supposais ? Marie toute la l?g?ret? de son ?ge et du mien, et je me trompais enti?rement.

D?s qu'elle me vit, elle accourut: <> Ce dernier mot fut prononc? ? voix basse, et elle posa sa jolie main sur mon bras.

<>

Elle ne r?pondit pas. Nous all?mes, sans dire un mot, vers un banc de pierre plac? ? peu de distance; elle y prit place ? c?t? de moi.

<>

<> m'?criai-je; et je portai sa main ? mes l?vres: elle la retira doucement.

<> Quelques larmes s'?chapp?rent de ses yeux; je me sentis ?mue, et je commen?ai ? croire que je ne pourrais pas soutenir mon r?le. Marie ?tait d'une candeur et d'une na?vet? parfaite; elle me peignit l'int?rieur de son m?nage, le peu de plaisir qu'elle avait trouv? dans une union disproportionn?e, et jusqu'? l'aversion que lui inspirait son mari. <>

<> ajoutai-je en pressant ses mains dans les miennes.

Je ne saurais rendre l'effet que ces paroles produisirent sur la pauvre Marie: son visage se couvrit ? l'instant d'une p?leur effrayante; d'une main elle me retenait, tandis que de l'autre elle semblait me repousser. <>

Aussit?t elle tomba ? mes pieds, se couvrit la figure de ses deux mains, et d'une voix entrecoup?e de sanglots: <> dit-elle, vivement ?mue de sa douleur. Je la rel?ve, je la presse dans mes bras, et, tout en m'offrant de la calmer, je pleure avec elle. J'?tais pour le moins aussi honteuse que Marie: ? force de lui r?p?ter qu'elle n'avait rien perdu de mon estime, et qu'elle avait acquis des droits ?ternels ? mon amiti?, je parvins ? la consoler. Elle reprit enfin assez d'assurance pour lever les yeux sur moi; il y avait dans ce regard tant de douceur m?l?e ? l'expression du reproche, que je lui demandai gr?ce ? mon tour. Elle me suivit au pavillon. Je repris mes v?temens de femme; alors elle me sauta au cou, et me jura une inalt?rable amiti?. Ma m?re ne s'?tait pas tromp?e sur le compte de Marie; elle sut mieux que moi la relever ? ses propres yeux; elle lui prodigua les avis les plus sages, les caresses les plus tendres; et lorsqu'il me fallut la quitter, elle trouva dans la soci?t? de Marie une grande consolation au chagrin que lui causait mon d?part.

Le g?n?ral Grouchy.--Nouvelles imprudences.--Lettre de ma m?re.--Aveuglement de mon mari.

Parmi les officiers fran?ais qui fr?quentaient habituellement notre maison, le g?n?ral Grouchy ?tait un des plus assidus. Les complimens qu'il m'avait adress?s sur l'habilet? avec laquelle je m'?tais acquitt?e de ma mission aupr?s des dames d'Amsterdam avaient singuli?rement flatt? mon amour-propre: ces complimens ne portaient point le cachet de l'exag?ration; ils acqu?raient un grand prix dans la bouche de celui qui me les adressait. M. de Grouchy ne paraissait alors ?g? que de vingt-six ? vingt-sept ans; sa figure n'avait rien de remarquable au premier abord, et sa taille ?tait ordinaire; mais sa politesse et la gr?ce de ses mani?res le rendaient agr?able ? tout le monde: le g?n?ral r?publicain avait conserv? toute l'?l?gance du courtisan de Versailles. J'avais peu vu d'hommes aussi aimables que lui quand il voulait plaire, et il le voulait ce jour-l?.

Avec la chaleur que j'ai toujours port?e jusque dans les plus simples bagatelles, je lui fis la description du costume que j'avais arr?t? pour nos dames. C'?tait une tunique grecque, sans manches, drap?e et retenue sur les ?paules par une agrafe; cette tunique devait ?tre de mousseline de l'Inde; une large ceinture aux trois couleurs dessinerait la taille; dans les cheveux on devait porter une couronne de roses, et au c?t? une branche de laurier. Je comptais sur une approbation enti?re, et je ne m'?tais pas tromp?e. Le g?n?ral sollicita et obtint la permission de m'accompagner dans les nouvelles courses que j'allais entreprendre, pour communiquer ? nos dames mon programme de toilette. Toutes me donn?rent ?galement leur approbation. Les femmes n'ont point en Hollande les m?mes gr?ces qu'en France; mais elles sont en g?n?ral grandes, bien faites; elles ont le teint anim? et la peau d'une ?clatante blancheur. Le costume que je leur donnais ?tait tr?s propre ? faire ressortir de tels avantages.

Quelle activit? je d?ployai pendant tout le temps que dur?rent les pr?paratifs de la f?te! Sans cesse je courais chez les marchandes de modes, chez les ouvri?res de toute esp?ce; j'allais plusieurs fois par jour donner un coup d'oeil aux travaux que n?cessitait la disposition de notre salle de bal; j'accordais des audiences aux dames qui croyaient avoir besoin de mes conseils, ou j'allais chez elles pour leur donner mes avis. Partout le g?n?ral Grouchy m'accompagnait comme mon premier ?cuyer, comme mon conseiller intime. Ces relations journali?res et presque continues firent bient?t na?tre entre lui et moi cette confiance et cet abandon qui ne devraient jamais ?tre que les fruits d'une longue liaison. Malheureusement je n'?tais rien moins que prudente par caract?re, et j'?tais loin d'apercevoir les dangers auxquels j'exposais ma r?putation. Enfin arriva le jour o? je pus jouir du fruit de mes travaux: les salles, ?clair?es de la mani?re la plus brillante, ?taient d?cor?es de drapeaux, de troph?es et de guirlandes de lauriers. Le salon du milieu figurait une vaste tente: on aurait peine ? se repr?senter rien de plus agr?able que ce spectacle d'une multitude de femmes, la plupart d'une grande beaut?, que relevait encore la simplicit? de leur parure, marchant appuy?es sur le bras d'officiers, plus remarquables encore par leur bonne mine que par leur tenue militaire, et cet air de conqu?te qui sied si bien au militaire fran?ais. ? cette f?te succ?d?rent sans interruption des d?ners, des parties de campagne, des divertissemens de tout genre. Plus que jamais livr? aux affaires publiques, mon mari me laissait jouir d'une libert? bien dangereuse; notre maison ?tait toujours pleine d'officiers fran?ais; je ne sortais jamais ? cheval sans avoir pour escorte un ?tat-major complet. Dans toutes les r?unions, aux bals, au spectacle, j'?tais accompagn?e du g?n?ral Grouchy. Tous les yeux ?taient ouverts sur mes incons?quences; ma conduite ?tait l'objet de justes censures. Le rang que j'occupais dans le monde, et la juste consid?ration dont jouissait mon mari, me faisaient juger avec plus de s?v?rit?.

Ma m?re fut bient?t avertie par la rumeur publique; sa tendresse pour moi, et les alarmes que con?ut son coeur maternel, lui dict?rent une lettre qu'elle m'adressa sur-le-champ. Cette lettre me fut d'abord d?sagr?able: il me semblait absurde qu'on voul?t exercer sur mes actions et mes d?marches, apr?s quelques ann?es de mariage, la m?me surveillance que dans ma premi?re jeunesse. J'ai relu bien souvent depuis cette ?poque les sages conseils que me donnait ma m?re, et j'ai bien am?rement regrett? de ne pas les avoir suivis. Je vais mettre cette lettre sous les yeux du lecteur.

<>

Telle ?tait cette lettre, dont le ton doux et bienveillant r?voltait encore mon orgueil. Cependant je n'?tais pas insensible au chagrin de ma m?re, et, sans r?fl?chir que mon extravagance en ?tait la seule cause, je m'affligeais int?rieurement de sa douleur. Cette tristesse passag?re fit bient?t place ? l'impatience que m'inspirait l'id?e qu'on pr?tendait restreindre ma libert?. Au lieu donc de m?diter sur les conseils de ma m?re, je ne m'occupai que des moyens ? prendre pour calmer son inqui?tude, sans renoncer aux plaisirs bruyans dont je ne pouvais plus me d?tacher. Je tremblais surtout qu'on ne m'oblige?t de fuir un homme dont le commerce me plaisait bien plus que je n'osais me l'avouer ? moi-m?me; il fallait aussi pr?venir adroitement l'effet des conseils de ma m?re sur l'esprit de mon mari, et c'est ? quoi je songeai s?rieusement.

Une journ?e de plaisir.--Deux ?migr?s fran?ais implorent ma protection.--Je parviens ? les sauver.--D?part pour Bois-le-Duc.

Quand on fut las de cette gaiet? bruyante, nous recommen??mes ? parcourir, mais avec plus de tranquillit?, la maison et ses d?pendances. Nous passions sous un hangar, lorsqu'une jeune et jolie servante hollandaise, Gertrude, qui allait en sortir, courut avec une extr?me vivacit? fermer une porte qui conduisait ? la partie du b?timent o? se trouvait la laiterie. Quelque prompt qu'e?t ?t? son mouvement, je crus avoir vu deux hommes s'enfuir par cette porte. Je fixai mes regards sur la jeune fille, elle rougit aussit?t; ses yeux se remplirent de larmes, et elle joignit les mains d'un air suppliant. Je crus deviner son secret: l'expression de ma figure la rassura, et la s?r?nit? reparut sur son visage. Cette sc?ne muette dura beaucoup moins de temps que je n'en mets ? la d?crire: elle ?chappa ? tous les yeux, except? ? ceux du g?n?ral Grouchy qui me donnait le bras; cependant il ne m'en dit pas un mot, et j'imitai sa r?serve.

D?s que nous f?mes rentr?s dans la salle, je profitai du premier moment favorable pour m'?chapper. Gertrude m'attendait au passage; elle me tira ? l'?cart, et me remit une lettre ainsi con?ue:

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Le temps que j'avais mis ? ?couter Gertrude, puis ? r?fl?chir sur ce qu'elle venait de m'apprendre, s'?tait ?coul? rapidement pour moi; mais il avait paru long au reste de notre compagnie. Je portais encore sur ma figure les traces visibles de l'?motion que je venais d'?prouver lorsque je rentrai enfin dans la salle: aussit?t je me vis entour?e; on cherchait ? lire dans mes yeux; tout le monde m'adressait des questions...; tout le monde, except? celui que j'aurais voulu voir plus empress? que tout autre ? s'informer des causes de ma longue absence, puisqu'en lui seul reposait tout mon espoir. Mes r?ponses ?vasives ne satisfirent sans doute la curiosit? de personne; mais elles mirent fin ? un interrogatoire qui commen?ait ? me fatiguer. Grouchy, debout pr?s de la chemin?e, affectait de ne pas avoir remarqu? mon retour. Je surpris cependant quelques regards lanc?s sur moi ? la d?rob?e; leur expression ?tait singuli?re, et diff?rait enti?rement de celle qu'ils prenaient presque toujours en se fixant sur moi. Je vis bien qu'il se passait en lui quelque chose d'extraordinaire: deux ou trois mots que je r?ussis ? lui arracher me mirent bient?t au fait; un petit mouvement de jalousie long-temps comprim? se manifesta enfin, et j'avouerai franchement que ma coquetterie s'en tint pour fort honor?e.

Des d?p?ches que re?ut le g?n?ral Dessoles vinrent donner ? la conversation une tournure nouvelle, et, heureusement pour moi, tr?s-favorable ? l'ex?cution de mon projet: il s'agissait de nouvelles rigueurs ? exercer contre les ?migr?s que l'arm?e fran?aise pourrait encore arr?ter dans la Hollande. Quelle fut ma joie lorsque j'entendis les principaux officiers qui se trouvaient dans notre soci?t? d?plorer am?rement l'extr?me s?v?rit? des ordres qu'on leur intimait, et aviser m?me entre eux aux moyens de les ?luder! tous bl?maient hautement la duret? du g?n?ral Beurnonville, les relations qu'il continuait d'entretenir avec quelques r?volutionnaires exalt?s; tous accusaient la cruaut? du g?n?ral Vandamme. <> Peu ? peu je me m?lai ? la conversation: plus d'une fois j'eus m?me le plaisir d'entendre se renouveler autour de moi l'expression des sentimens g?n?reux qui animaient la plupart des militaires fran?ais. Mais tout en d?plorant la rigueur des lois contre les ?migr?s, les officiers r?publicains n'en bl?maient pas moins la fatale d?termination qu'avaient prise un si grand nombre de Fran?ais d'abandonner leur pays, et de s'allier aux ennemis du dehors pour l'asservir.

Grouchy gardait toujours le silence: il m'importait cependant beaucoup de conna?tre son opinion; je hasardai de prononcer quelques mots en faveur des ?migr?s. <>

Grouchy se tut apr?s ce peu de mots: la discussion continua entre les autres g?n?raux. Je m'approchai de lui, et le regardant d'une mani?re significative: <>

Je baissai la t?te en soupirant: tout ? coup, comme si ce soupir e?t r?v?l? ? Grouchy toute l'?tendue de mes craintes pour les deux fugitifs, et toute celle des esp?rances que j'avais d'abord fond?es sur lui, il s'approcha de moi: <>

Je tressaillis, et baissai la t?te sans r?pondre. Grouchy sortit, et, apr?s un moment d'h?sitation, je sortis moi-m?me en me r?p?tant tout ce que je m'?tais d?j? dit pour excuser l'imprudence de ma d?marche. Il faisait encore jour lorsque j'arrivai au lieu du rendez-vous. Le g?n?ral vint au devant de moi avec une politesse respectueuse, et tout-?-fait propre ? me rassurer sur les cons?quences de ma d?marche. <

--<

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? ce refus positif, mon coeur se serra; je devins tremblante. <> J'insistai de nouveau. Grouchy ne r?pondait pas: enfin il me d?veloppa en peu de mots toutes les difficult?s qui l'emp?chaient d'obtemp?rer ? ma demande. Je dois dire ? sa louange qu'il ne parla pas une seule fois des dangers personnels auxquels pouvait l'exposer un tel acte de complaisance pour moi.

Nous ?tions insensiblement arriv?s ? la porte d'un kiosque ?l?gant, situ? au bout de l'all?e dans laquelle nous marchions. On avait tout pr?par? d'avance pour y faire de la musique dans la soir?e: le temps ?tait froid; l'obscurit? augmentait ? chaque instant. Le kiosque ?tait ?clair?: nous y entr?mes, et nous nous ass?mes aupr?s du feu. Je renouvelai mes supplications; je peignis avec force la position affreuse des deux ?migr?s, leurs angoisses et leur mis?re. Grouchy me regardait en silence, puis soupirait en d?tournant les yeux; enfin apr?s une longue h?sitation: <>

--<>

Il y eut un nouveau silence. Voyant que je ne pouvais l'amener ? consentir formellement, j'employai toutes les formes de persuasion, tous les t?moignages d'estime et de confiance qu'il m'?tait permis de donner, pour obtenir la signature qui pouvait sauver la vie ? mes prot?g?s. Nous avions l? tout ce qu'il fallait pour ?crire. Grouchy avait pris et jet? plusieurs fois la plume: le temps s'?coulait, et chaque minute d'attente ajoutait aux souffrances des malheureux fugitifs. <>

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