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Read Ebook: L'Exilée by Delly

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Ebook has 1846 lines and 59767 words, and 37 pages

M. DELLY

PARIS

LIBRAIRIE BLERIOT

HENRI GAUTIER, SUCCESSEUR

CHAPITRE I

Les nuages s'?taient un instant ?cart?s, un vif rayon de soleil d'avril frappait le vitrage du bow-window o? Myrt? reposait, sa t?te d?licate retombant sur le dossier du fauteuil, dans l'atmosph?re ti?de parfum?e par les violettes et les muguets pr?coces qui croissaient dans les caisses, ? l'ombre de palmiers et de grandes foug?res.

C'?tait une miniature de petite serre. Tout au plus, entre ces caisses et ces quelques plantes vertes, demeurait-il la place n?cessaire pour le fauteuil o? s'?tait gliss?e la mince personne de Myrt?.

Elle reposait, les yeux clos, ses longs cils dor?s fr?lant sa joue au teint satin? et nacr?, ses petites mains abandonn?es sur sa jupe blanche. Ses traits, d'une puret? admirable, ?voquaient le souvenir de ces incomparables statues dues au ciseau des sculpteurs de la Gr?ce. Cependant, ils ?taient ? peine form?s encore, car Myrt? n'avait pas dix-huit ans... Et cette extr?me jeunesse rendait plus touchants, plus attendrissants le pli douloureux de la petite bouche au dessin parfait, le cerne bleu?tre qui entourait les yeux de la jeune fille, et les larmes qui glissaient lentement de ses paupi?res closes.

Sur sa nuque retombait, en une coiffure presque enfantine, une lourde chevelure aux larges ondulations naturelles, une chevelure d'un blond chaud, qui avait ? certains instants des colorations presque mauves, et semblait, peu apr?s, dor?e et lumineuse. Ses bandeaux encadraient harmonieusement le ravissant visage, doucement ?clair? par ce gai rayon de soleil per?ant entre deux giboul?es.

Myrt? demeurait immobile, et cependant elle ne dormait pas. Quand m?me sa sollicitude filiale ne l'e?t pas tenue ?veill?e, pr?te ? courir ? l'appel de sa m?re, la douloureuse angoisse qui la serrait au coeur l'aurait emp?ch?e de go?ter un v?ritable repos.

Bient?t, demain peut-?tre, elle se trouverait orpheline et seule sur la terre. Aucun parent ne serait l? pour l'aider dans ces terribles moments redout?s d'?mes plus m?res et plus exp?riment?es, aucun foyer n'existait qui p?t l'accueillir comme une enfant de plus. Elle avait sa m?re, et celle-ci partie, elle ?tait seule, sans ressources, car la pension viag?re dont jouissait Madame Elyanni disparaissait avec elle.

Myrt? ?tait fille d'un Grec et d'une Hongroise de noble race. La comtesse Hedwige Gisza avait rompu avec toute sa parent? en ?pousant Christos Elyanni dont la vieille souche hell?nique ne pouvait faire oublier, aux yeux des fiers magistrats, que ses parents avaient d?rog? en s'occupant de n?goce, et que lui-m?me n'?tait qu'un artiste besogneux.

Artiste, il l'?tait dans toute l'acception du terme. Epris d'id?al, il vivait dans un r?ve perp?tuel o? flottaient des visions de beaut? surhumaine. La jolie Hongroise, vue un jour ? Paris, ? une f?te de charit? o? Christos s'?tait laiss? entra?ner par un ami, l'avait frapp? par sa gr?ce d?licate, un peu ?th?r?e, et la douceur radieuse de ses yeux bleus. Elle, de son c?t?, avait remarqu? cet inconnu dont les longs cheveux noirs encadraient un visage si diff?rent de tous ceux qui l'entouraient--un visage de m?daille grecque, o? le regard rayonnant d'une continuelle pens?e int?rieure mettait un charme ind?finissable. Elle se fit pr?senter l'artiste, obtint de la vieille cousine qui la chaperonnait que Christos f?t son portrait, et, un jour, elle offrit elle-m?me sa main au jeune Grec qui avait jusque-l? soupir? en silence, sans oser se d?clarer.

Elle ?tait majeure, sans parent? proche, et pourvue d'une fortune peu consid?rable, mais ind?pendante. Elle devint Madame Elyanni... Et ce fut un m?nage ? la fois heureux et malheureux.

Heureux, car ils ?taient unis par un amour profond et ne voyaient rien au-del? l'un de l'autre... Malheureux, car ils avaient des d?fauts identiques, des go?ts trop semblables. Alors que la nature r?veuse et trop id?aliste de Christos e?t demand?, en sa compagne, le contrepoids d'une raison ferme, d'un jugement m?ri et d'habitudes pratiques, il ne devait trouver, en Hedwige, qu'un charmant oiseau adorant les fleurs, la lumi?re, les ?toiles claires et chatoyantes, incapable d'une pens?e s?rieuse et ignorant tout de la conduite d'une maison.

Apr?s avoir v?cu pendant deux ans dans la patrie de Christos, ils ?taient venus s'?tablir ? Paris. Le peintre aimait cette ville o? il ?tait n?, o? ?tait morte sa m?re, une Fran?aise. Il esp?rait surtout arriver ? percer enfin, atteindre quelque notori?t?, r?aliser le r?ve de gloire qui chantait en son ?me.

Mais il n'avait aucunement le go?t de la r?clame, et ses oeuvres, par leur caract?re d'id?alisme tr?s haut, ne s'adaptaient pas aux tendances modernes. La r?ussite ne vint pas, la fortune d'Hedwige se fondit peu ? peu, et le jour o? Christos mourut, d'une maladie due au d?couragement qui s'?tait lentement infiltr? en lui, il ne restait ? Madame Elyanni qu'une rente viag?re, relativement assez consid?rable, laiss?e au peintre, et apr?s lui ? sa veuve, par un veux cousin qui s'?tait ?teint quelques ann?es auparavant dans l'?le de Chio.

Myrt? avait ? cette ?poque douze ans. C'?tait une enfant vive et gaie, idol?tr?e de ses parents en admiration devant sa beaut? et son intelligence. Une pi?t? tr?s ardente et tr?s profonde, la direction d'une vieille institutrice, femme d'?lite, l'avaient heureusement pr?serv?e des cons?quences que pouvait avoir l'?ducation donn?e par ces deux ?tres charmants et bons, mais si peu faits pour ?lever un enfant... Et ? la mort de Christos, on vit cette chose touchante et exquise: la petite Myrt?, dominant la douleur que lui causait la perte d'un p?re tr?s ch?ri et la vue du d?sespoir de sa m?re, se r?v?lant tout ? coup presqu'une femme d?j? par le s?rieux et le jugement, organisant, avec l'aide d'un vieil ami de son p?re, une nouvelle existence, soignant avec un tendre d?vouement Madame Elyanni dont le chagrin avait abattu la sant? toujours fr?le.

La m?re et la fille s'install?rent ? Neuilly, dans un tr?s petit appartement, au quatri?me ?tage d'une maison habit?e par de modestes employ?s. Madame Elyanni, que l'exp?rience n'avait pas corrig?e, fit ajouter ? la fen?tre de sa chambre ce bow-window et voulut qu'il f?t continuellement garni de fleurs.

--Je me passerais plut?t de manger que de ne pas voir des fleurs autour de moi, avait-elle r?pondu au tuteur de Myrt? qui avan?ait discr?tement que les revenus ne permettraient peut-?tre pas...

--Oh! Monsieur, il ne faut pas que maman soit priv?e de fleurs! avait dit vivement Myrt?.

Il fallait aussi que Madame Elyanni e?t une nourriture d?licate... Et, comme elle abhorrait les nuances fonc?es, elle exigeait que sa fille f?t toujours v?tue de blanc ? l'int?rieur, coutume ?conomique, car la fillette, qui remplissait courageusement avec une souriante attention, bien des menus devoirs de m?nag?re, devait remplacer fr?quemment ces costumes que sa m?re ne souffrait pas voir tant soit peu d?fra?chis.

Il en ?tait ainsi de nombreux d?tails, et malgr? les ?conomies que Myrt?, devenue un m?nag?re accomplie, r?ussissait ? r?aliser sur certains points, le budget s'?quilibrait parfois difficilement.

Il avait fallu compter aussi avec les frais de son instruction. Gr?ce ? une extr?me facilit?, aux admirables dispositions dont elle ?tait dou?e, elle avait pu les r?duire au minimum. Elle avait conquis, l'ann?e pr?c?dente, son brevet sup?rieur, et avait r?ussi ? acqu?rir, en prenant de temps ? autre quelques le?ons d'un excellent professeur, un remarquable talent de violoniste.

Telle ?tait Myrt?, petite ?me exquise, ardente et pure, coeur d?licatement bon et d?vou?, chr?tienne admirable, enfant par sa candide simplicit?, femme par l'?nergie et la r?flexion d'un esprit m?ri d?j? au souffle de l'?preuve et des responsabilit?s.

Car tous les soucis retombaient sur elle. Madame Elyanni, languissante d'?me et de corps, se laissait g?ter par sa fille et d?clarait ne pouvoir s'occuper de rien. Depuis quelques ann?es, elle ne voulait plus sortir et passait ses journ?es ?tendue, s'occupant ? de merveilleuses broderies ou r?vant, les yeux fix?s sur le dernier tableau peint par Christos, et o? le peintre s'?tait repr?sent? entre sa femme et sa fille, dans son petit atelier illumin? de soleil.

Elle s'?tait ?tiol?e ainsi, h?tant la marche de la maladie qui l'avait terrass?e enfin deux jours auparavant. En voyant la physionomie soucieuse du m?decin appel? aussit?t, Myrt? avait compris que le danger ?tait grand... Et en entendant, la veille, sa m?re demander le pr?tre, elle s'?tait dit que tout ?tait fini, car l'?me insouciante de Madame Elyanni ?tait de celles qui attendent les derniers sympt?mes avant-coureurs de la fin pour oser songer ? se mettre en r?gle avec leur Dieu.

Ce matin, on lui avait apport? le Viatique... Et c'?tait autant pour la laisser faire en toute tranquillit? son action de gr?ces que pour d?rober ? son regard les larmes difficilement contenues pendant la c?r?monie, que Myrt? s'?tait r?fugi?e dans le bow-window.

Elle aimait profond?ment sa m?re, d'une tendresse qui prenait, ? son insu, une nuance de protection tr?s explicable par la faiblesse morale de Madame Elyanni. Son coeur avait besoin de se donner, de s'?pancher en d?vouement sur d'autres coeurs souffrants, faibles, ou d?courag?s. Sa m?re disparue, ce serait fini de cette sollicitude de tous les instants qu'exigeait, depuis quelques mois surtout, Madame Elyanni. Personne n'aurait plus besoin d'elle... A moins qu'elle ne se f?t religieuse pour d?verser sur ses fr?res en J?sus-Christ les tr?sors de tendresse d?vou?e contenus dans son coeur. Mais, jusqu'ici, la voix divine n'avait pas parl?, Myrt? ignorait si elle avait la vocation religieuse.

Dans le silence qui r?gnait, ? peine troubl? de temps ? autre par la corne d'un tramway, une voix faible appela:

--Myrt?!

La jeune fille se leva vivement et entra dans la chambre aux tentures claires, aux meubles de laque blanche. Des plantes vertes, des gerbes de fleurs en ornaient les angles, garnissaient les tables et la chemin?e... Et sur une petite table couverte d'une nappe blanche, d'autres fleurs encore s'?panouissaient entre les cand?labres dor?s et le crucifix.

Myrt? s'avan?a pr?s du lit, elle se pencha vers le p?le visage fl?tri, entour? de cheveux blonds grisonnants.

--Me voil?, maman ch?rie. Que voulez-vous de votre Myrt?? demanda-t-elle en mettant un tendre baiser sur le front de sa m?re.

--Je veux te parler, mignonne... Ecoute, j'ai compris depuis... depuis que je sens venir la mort...

--Maman! murmura Myrt?.

Les yeux bleus de la malade envelopp?rent la jeune fille d'un regard navr?.

--Il faut bien nous faire ? cette pens?e, enfant... J'ai donc compris que je n'ai pas ?t? pour toi une bonne m?re...

--Maman! redit encore Myrt? avec un geste de protestation.

--Si, ma ch?rie, c'est la v?rit?. Je t'ai beaucoup aim?e, c'est vrai, mais autrement, je n'ai rempli aucun des devoirs maternels. J'ai laiss? ? ta petite ?me courageuse toutes les responsabilit?s, tous les soucis, je n'ai su que m'enfermer dans mon chagrin et d?penser ?go?stement tout notre petit revenu, au lieu de songer ? ?conomiser pour toi.

--C'?tait juste, maman, c'?tait bien ainsi! Moi je suis jeune, je travaillerai...

--Tu travailleras!... Pauvre mignonne aim?e! que pourrais-tu faire! La concurrence est ?norme... et d'ailleurs tu ne peux vivre seule, Myrt?. Il te faut l'abri d'un foyer, la s?curit? au milieu d'une famille s?rieuse... j'ai donc song? ? ma cousine Gis?le. Tu sais que, seule de toute ma famille, elle a continu? ? se tenir en rapports avec moi, par quelques mots sur une carte au 1er janvier, par des lettres de faire-part. Elle avait ?pous?, trois ans avant mon mariage, le prince Sigismond Milcza. Un fils est n? de cette union. Elle m'apprit quelques ann?es plus tard son veuvage, puis son second mariage, la naissance de quatre enfants, et enfin un nouveau veuvage. Nous nous aimions beaucoup, et j'ai song? qu'en souvenir de moi elle accepterait peut-?tre de t'accueillir.

Myrt? se redressa vivement.

--Maman, voulez-vous que j'aille mendier la protection et l'hospitalit? de ces parents qui n'ont pas voulu accepter mon cher p?re?

--Oh! les autres, non! Mais Gis?le n'a jamais cess? de me consid?rer comme de la famille.

--Cependant, maman, il ne me para?t pas admissible que je sois ? la charge de la comtesse Zolanyi! dit vivement Myrt?.

--Non, mais elle doit avoir des relations ?tendues et tr?s hautes, car les Gisza, les Zolanyi, les Milcza surtout sont de la premi?re noblesse magyare. Ces derniers sont de race royale, et leur fortune est incalculable. Gis?le pourra donc, mieux que personne, t'aider ? trouver une position s?re, elle sera pour toi une protection, un conseil... Et je voudrais que tu lui ?crives de ma part, afin que je te confie ? elle.

--Ce que vous voudrez, m?re ch?rie! murmura Myrt? en baisant la jolie main amaigrie pos?e sur le couvre-pied de soie blanche un peu jaunie.

Sous la dict?e de sa m?re, elle ?crivit un simple et path?tique appel ? cette parente inconnue d'elle. A grand'peine, Mme Elyanni parvint ? y apposer sa signature... Myrt? demanda:

--O? dois-je adresser cette lettre?

--Depuis son second veuvage, Gis?le m'a donn? son adresse au palais Milcza, ? Vienne. Je suppose qu'apr?s la mort du comte Zolanyi, elle a d? aller vivre pr?s de son fils a?n?, qui n'est peut-?tre pas mari? encore. Envoie la lettre ? cette adresse. Si Gis?le ne s'y trouve pas, on fera suivre.

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