Read Ebook: Œuvres complètes de lord Byron Tome 06 comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore by Moore Thomas Annotator Byron George Gordon Byron Baron Paris Paulin Translator
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Ebook has 3248 lines and 75263 words, and 65 pages
Qu'est-ce ? dire?
L'ESPRIT.
Oui, si, comme tu l'assures, ton essence est semblable ? la n?tre; nous avons satisfait ta curiosit? en d?clarant ici que nous n'avons rien ? d?m?ler avec ce que, vous autres mortels, appelez la mort.
MANFRED.
Ainsi, vainement je vous aurai conjur?s: vous ?tes impuissans ? me secourir, ou vous vous refusez ? le faire!
L'ESPRIT.
Parle; nous mettons ? tes pieds tout ce que nous poss?dons: tout est ? toi. Songes-y bien avant de nous renvoyer. Demande encore:--royaume, puissance, force, prolongation de tes jours.
MANFRED.
Maudits! qu'ai-je ? faire de nouveaux jours? Les miens ont ?t? trop longs d?j?:--hors d'ici!--fuyez!
L'ESPRIT.
Un instant encore; nous ne voudrions pas te quitter sans t'avoir ?t? utiles. Cherche;--n'est-il donc pas quelque don qui pourrait avoir du prix ? tes yeux?
MANFRED.
Aucun;--cependant, encore un moment.--Avant de nous s?parer, je voudrais vous contempler face ? face. J'entends vos voix, dont les accens m?lancoliques et doux semblent une musique sur les ondes. Je vois la clart? fixe d'une large et brillante ?toile; mais rien de plus. Montrez-vous ? moi, l'un de vous, ou tous ensemble, tels que vous ?tes, et dans la forme que vous avez coutume de rev?tir.
L'ESPRIT.
Notre forme est celle des ?l?mens dont nous sommes l'ame et le principe; mais d?signe celle qui te plaira le plus, et sur-le-champ elle se d?couvrira ? tes regards.
MANFRED.
Choisissez vous-m?mes, car, pour moi, il n'y a rien de beau ni de hideux sur la terre. Que le plus habile de vous prenne la figure qui lui conviendra le mieux.--Allons!
LE SEPTI?ME ESPRIT, apparaissant sous la figure d'une belle femme.
Regarde!
MANFRED.
Dieu! est-ce bien toi? N'est-ce pas un songe insens? ou une cruelle tromperie? Je puis donc encore go?ter le bonheur, te presser dans mes bras!--Nous pourrons encore.... Mon coeur est bris?!
Lorsque la lune argente les vagues, que le ver luisant brille dans l'herbe, que le feu follet s'agite autour des tombeaux et la flamme sur les mar?cages; lorsque les ?toiles sillonnent le ciel de leurs tra?n?es lumineuses, que les hiboux g?missent en se r?pondant, que les feuilles des arbres de la colline demeurent silencieuses et immobiles, mon ame p?se sur la tienne de tout son poids, arm?e d'un signe et d'un pouvoir redoutable.
Si profond que soit ton sommeil, encore ton esprit, ne reposera-t-il point. Il est des ombres qui ne pourront s'?vanouir, des pens?es qui t'assailliront sans rel?che. Une puissance inconnue te d?fend d'?tre jamais seul. Condamn? ? demeurer ?ternellement enferm? dans un charme qui t'enveloppe comme un linceul, qui t'entoure comme un nuage, tu ne me verras pas marcher ? tes c?t?s et tu me sentiras; tes yeux croiront m'apercevoir comme une chose qui, bien qu'invisible, doit ?tre pr?s de toi, et s'y trouvait l'instant d'auparavant. Alors, dans cette secr?te horreur, tu prom?neras tes regards autour de toi, me cherchant dans ton ombre, et, surpris de ne m'y point d?couvrir, tu reconna?tras la puissance que tu dois cacher. Les chants et les paroles magiques ont imprim? sur ton front un bapt?me de mal?diction; l'esprit de l'air t'a enlac? de ses lacs; du souffle des vents sort une voix qui ferme ton coeur ? la joie; la nuit n'a plus pour toi ni repos ni silence, et le jour ne te montre son ?clatant soleil que pour te faire d?sirer qu'il s'?clipse aussit?t.
De tes larmes trompeuses j'ai distill? un poison capable de donner la mort; j'ai extrait de ton coeur le plus noir de ton sang; j'ai arrach? ? ton sourire le serpent qui s'y dressait comme du milieu de la foug?re; j'ai enlev? ? tes l?vres le charme qui rendait leurs blessures mortelles, et tous ces poisons ont ?t? essay?s avec les poisons les plus connus, et j'ai trouv? que les tiens ?taient les plus dangereux. Entends-tu! par ton coeur glac? et ton sourire de serpent, par les imp?n?trables ab?mes de tes ruses, par ces regards menteurs et l'hypocrisie d'une ame inaccessible, par l'habilet? de cet art qui voile la m?chancet? de ton coeur, par la joie que tu puises dans les maux des autres hommes, par ta fraternit? avec Ca?n, entends, je te condamne ? trouver ton enfer en toi-m?me.
Voil? que je brise sur ta t?te le vase d'o? vont d?couler les tourmens. Plus de repos, ni dans le sommeil, ni dans la mort. La mort, tu la verras sans cesse sous tes pas, tu l'appelleras, et ce sera pour la redouter aussit?t. Vois! le charme agit: d?j? une cha?ne t'enveloppe de ses anneaux silencieux. Ma parole a p?n?tr? dans ta t?te et dans ton coeur qu'elle a fl?tris en les touchant!
MANFRED, seul, sur les rochers.
Les esprits que j'avais soulev?s m'abandonnent;--mes enchantemens, fruit de longues et patientes ?tudes, me trompent,--et le rem?de qui devait me soulager s'est chang?, pour moi, en un poison cuisant. Loin de moi tout secours surhumain; la puissance sur le pass? m'a ?t? refus?e; et pour l'avenir, tant que le m?me pass? n'aura pas ?t? enseveli dans les t?n?bres, il est hors de mes recherches. O terre! ? ma m?re! et toi, douce fra?cheur du matin! vous, montagnes! pourquoi vous montrez-vous si belles? il m'est interdit de vous aimer. Soleil! oeil brillant de la nature, qui r?pands tes rayons sur tous les corps, qui les p?n?tres de joie,--tu ne resplendis plus sur mon coeur. Vous, rochers! ? la pointe desquels je m'arr?te, contemplant, ? une infinie distance, les pins gigantesques qui bordent le torrent, et qui ne me paraissent, d'ici, que de ch?tifs arbrisseaux, lorsqu'un saut, un pas, le plus l?ger mouvement, un souffle m?me, pr?cipiterait mon corps sur ce lit de pierres, lit d'un ?ternel repos,--d'o? vient que je balance? je sens l'impulsion--et je ne m'y abandonne pas; je contemple le p?ril, sans vouloir m'en arracher. Ma t?te chancelle--et mon pied est ferme. Il y a en moi un pouvoir qui me retient et me condamne ? l'affreuse fatalit? de vivre,--si c'est vivre, que porter en soi l'aride et d?serte solitude de son esprit, d'?tre soi-m?me le s?pulcre de son ame. D?j? j'ai cess? de justifier mes actions ? mes propres yeux, et ceci est le dernier sympt?me du mal.--Oui, ministre ail?, qui franchis les nues , dont le vol hardi s'?l?ve dans les cieux; oui, tu peux fondre sur moi, et m'enlever dans tes serres;--je deviendrai ta proie, et de ma chair tu nourriras tes aiglons. Mais tu disparais dans ces r?gions o? mon oeil ne saurait le suivre, tandis que tes regards per?ans d?couvrent tout ce qui t'entoure dans les airs ou sur la terre.--Quelle beaut? ravissante! Qu'il est beau ce monde visible! qu'il est glorieux en lui-m?me et dans l'action qui l'a produit! Mais nous, qui nous proclamons ses ma?tres! nous, moiti? poussi?re, moiti? dieux, inhabiles ? p?n?trer plus profond?ment sous notre terre, ou ? planer dans les cieux, nous voyons les ?l?mens de notre double essence dans une lutte perp?tuelle, nous respirons le souffle de l'orgueil et de la bassesse; en proie, tour ? tour, ? nos vils besoins et ? nos superbes d?sirs, jusqu'? ce que notre nature mortelle prenant le dessus, l'homme devienne--ce qu'il craint de s'avouer ? lui-m?me, ce qu'ils tremblent de s'apprendre les uns aux autres. Silence! J'entends les sons simples et sans art de la fl?te des montagnes. Ce qu'on raconte de la vie des patriarches n'est point ici une vaine fable pastorale; le chalumeau marie ses modulations in?gales au bruit des clochettes du troupeau bondissant. Mon ame voudrait s'enivrer de ces ?chos.--Oh! que ne suis-je l'invisible esprit d'une douce m?lodie, une voix vivante, une harmonie anim?e, une joie incorporelle--qui na?t et s'?vanouit avec le souffle divin qui l'a cr??e!
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Le chamois a quitt? ce sentier: ses pieds agiles l'ont d?rob? ? ma poursuite. A peine si ma chasse d'aujourd'hui me d?dommagera de ces courses o? j'ai failli me rompre le cou.--Quel est cet homme? Il n'est pas des n?tres, et pourtant le voil? perch? ? une hauteur o? n'est jamais parvenu aucun de nos montagnards, et que nos meilleurs chasseurs pourraient seuls atteindre. Autant que je le puis voir d'ici, ses habits sont riches, son aspect m?le, et ses regards fiers comme le regard d'un paysan libre:--Approchons-nous plus pr?s.
MANFRED, n'apercevant pas le chasseur.
Vivre ainsi!--blanchir sous les angoisses, comme ces pins d?pouill?s, ruines d'un seul hiver, sans ?corce, sans branches, tronc pourri sur une racine maudite, qui ne le soutient que pour pr?senter une image de mort; vivre ainsi, toujours ainsi, et se rappeler d'autres journ?es! Maintenant, mon front est sillonn? de rides qu'y ont grav?es, non les ans, mais des instans, des heures.--Ces heures de tortures o? j'ai surv?cu ? moi-m?me!--Cimes glac?es, avalanches qu'un souffle fait rouler du haut des montagnes, d?tachez-vous, ?crasez-moi! Souvent j'ai contempl? vos effroyables chutes; mais vous passiez ? mes c?t?s, pour aller engloutir des ?tres qui ne demandaient qu'? vivre; vos ravages s'exercent sur les jeunes et verdoyantes for?ts, sur la cabane ou le hameau de l'innocent villageois.
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Les brouillards commencent ? s'?lever du fond de la vall?e: si je ne l'engage ? descendre, il pourra bien perdre en m?me tems son chemin et la vie.
MANFRED.
Les brouillards montent et paraissent suspendus aux glaciers; les nuages roulent sous mes pieds, blancs et sulfureux, semblables ? l'?cume qui jaillit des lacs de l'enfer, dont chaque vague vient se briser sur un rivage o? les damn?s sont amoncel?s comme des pierres.--La t?te me tourne.
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Il faut s'approcher de lui doucement; ma vue inattendue le ferait sauter. On dirait d?j? qu'il chancelle.
MANFRED.
Des montagnes se sont ?croul?es, d?chirant les nues, et de leur choc ont ?branl? les monts o? elles ?taient adoss?es; elles ont rempli les vertes vall?es de leurs d?bris, interrompu brusquement le cours des rivi?res, dont les eaux s'?lan?aient en humides tourbillons, et forc? les sources qui les alimentaient ? se creuser un nouveau canal.--Ainsi, ainsi s'ab?ma le vieux mont Rosenberg.--Que ne me suis-je, alors, trouv? sous ses ruines!
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Camarade! prenez garde ? vous! un pas de plus et vous ?tes perdu. Pour l'amour de celui qui vous a cr??, ?loignez-vous du bord de l'ab?me.
MANFRED, sans l'entendre.
S?pulture digne de moi! sous sa masse ?norme mes os eussent repos? en paix, au lieu de rester ?pars sur les rochers, roul?s ?? et l? par le vent--comme bient?t--bient?t dans leur chute.--Adieu, cieux entr'ouverts! ne me regardez pas d'un oeil de r?probation,--ce n'est point pour moi que vous devriez vous ouvrir.--Et toi, terre, reprends tes at?mes!
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Hol?! insens?!--Si tu es fatigu? de la vie, ne souille pas nos honn?tes vall?es de ton sang coupable.--Viens ici,--tu ne me quitteras pas.
MANFRED.
Mon coeur se soul?ve:--ne me serre pas ainsi.--Je n'ai plus la moindre force;--les montagnes tournent autour de moi;--mes yeux se ferment.--Qui es-tu?
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
Tu le sauras plus tard.--Sortons d'ici.--Les nuages se chargent et deviennent plus ?pais.--Par ici.--Maintenant, appuie-toi sur moi,--mets ton pied l?,--l?, prends ce b?ton, et accroche-toi un instant ? cette branche que tu vois.--Maintenant, donne-moi la main et ne quitte pas ma ceinture,--doucement,--bien.--
Avant une heure, nous serons arriv?s au chalet.--Avance: nous trouverons bient?t un sentier plus s?r, quelque chose comme un sentier, creus? depuis l'hiver dernier par le torrent.--A merveille! c'est bravement marcher; tu aurais pu ?tre un de nos chasseurs.--Suis-moi.
FIN DU PREMIER ACTE.
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