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Read Ebook: Mémoires d'une contemporaine. Tome 6 Souvenirs d'une femme sur les principaux personnages de la République du Consulat de l'Empire etc... by Saint Elme Ida

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Ebook has 578 lines and 77285 words, and 12 pages

<<--Pas si mauvaise, ce me semble, car elle ne tourne pas ? tout vent.

<<--Eh bien! ayez vos opinions, mais ne m'en parlez plus.

<<--Cela vous blesse donc les oreilles?

<> Ici j'?clatai par douleur et comme par pressentiment.

<

<<--Adieu, Ida, pour toujours adieu!>> Et il me quitta. J'?touffais, mes larmes coulaient en abondance; je restais debout; immobile, ?coutant ses pas fugitifs, je pressais mes mains contre mon coeur comme pour l'?touffer; ses pas ne retentirent plus dans l'escalier, la porte coch?re retomba lourdement, j'entendis un cabriolet s'?loigner, et pendant deux heures je cessai presque de vivre.

J'eus ? peine la force de m'?tendre sur mon lit, o? le sommeil vint heureusement me saisir. On m'?veilla de bonne heure en m'apportant une lettre de L?opold. Il m'envoyait des extraits des proclamations qu'il avait ramass?es sur toute la route <>

Je courus porter cette lettre ? Regnault. Je le trouvai plus agit? que moi-m?me, quoiqu'il n'e?t pas les m?mes raisons d'?motion. Il me bl?ma d'avoir laiss? partir L?opold sans l'en pr?venir. Je crus que la t?te lui tournait. Il tenait une de ces proclamations et une lettre de M. Bonnest; puis, tout en marchant, il s'?cria: <

<<--M. le comte, tout cela me para?t encore un r?ve.

<<--Oh! non;... le gant est jet?, la partie engag?e... Mais croyez-vous r?ellement Ney dans l'intention de marcher contre l'Empereur?

<<--Nul doute.

<<--Il vous l'a dit?

<<--Et presque d'une mani?re trop significative, en commen?ant contre moi la guerre. Ney pr?tend que ce retour serait fatal ? la France, et Ney est la loyaut? m?me; il ne dit que ce qu'il pense, et il agit comme il dit; je lui dois au moins cette justice. Je n'ai pas ? me louer de ses adieux; il r?sistera, soyez-en certain.

<<--Eh bien! dans ce cas, tout est perdu.

<<--Que ne restait-il donc dans son ?le, votre Empereur! Mon Dieu! il y ?tait si tranquille.

<<--La plaisanterie est excellente.

<<--Excellente! non, sans doute, mais juste. Consultez l'embarras o? vous ?tes, le trouble qui vous agite, et vous penserez comme moi.>>

Je rentrai petit ? petit dans ses id?es, et je lui annon?ai que puisque Ney ?tait parti pour Besan?on, j'allais y aller aussi. Regnault parut ravi de ma r?solution.

Je trouvai en rentrant une lettre qui me fit changer d'itin?raire et je partis pour ce voyage impromptu, et sans avoir, dans un trajet de quarante ou quarante-cinq heures, d'autre pens?e fixe que l'incertitude de ce que j'allais dire ? Ney? Comment va-t-il me recevoir?... Partout l'aspect des troupes suffisait pour me faire juger que Napol?on n'aurait qu'? repara?tre au milieu d'elles pour ramasser encore une fois la couronne. Ce spectacle en quelque sorte de la destin?e qui se pronon?ait, ne faisait qu'augmenter mes angoisses sur le mar?chal... Je ne pourrai l'aborder; ai-je encore le droit et aurai-je encore le courage de lui parler apr?s le cruel adieu de Paris?

D?barquement de Bonaparte en France.--?v?nemens de l'int?rieur.--Ney ? Lons-le-Saulnier.

En chaise de poste, il est impossible que la r?flexion ne vienne pas m?me ? une femme, et j'avoue que depuis que j'?tais en route le retour de Napol?on me paraissait plus naturel. Il ?tait impossible que Napol?on gard?t prison ? Porto-Ferrajo, quand un parti puissant et une arm?e d?vou?e l'appelaient ? Paris. Le mouvement inquiet et tumultueux de la population ? chaque pas me r?v?lait une partie des ?v?nemens. J'appris ainsi qu'? Lyon flottait d?j? le drapeau tricolore. L'ancienne reine des Gaules s'?tait rendue sans r?sistance au souverain d'une petite ?le de la M?diterran?e, suivi ou pour mieux dire escort? d'une arm?e de mille hommes. Et cependant, aucune haine fond?e ne s'?tait attach?e aux Bourbons, dans ce r?gne de dix mois qui ?tait pr?s de s'?vanouir. Un sentiment g?n?ral d'int?r?t, qui allait en quelques ames jusqu'? l'attendrissement, en quelques autres jusqu'? la passion, se m?lait dans la multitude ? l'expression d'entra?nement et d'enthousiasme qu'avait d?velopp?e le retour du h?ros. Napol?on venait de prouver aux cabinets de l'Europe que la gloire est aussi une esp?ce de l?gitimit?, et cette le?on terrible, qui a co?t? si cher aux nations, devait laisser des traces ineffa?ables dans l'histoire. Pourquoi fallait-il que je l'y visse plus tard ?crite en lettres de sang!

Je croyais p?n?trer les dispositions de Ney, mais je m'?tonnais qu'elles ne s'accordassent point avec sa conduite; et si j'avais moins connu son caract?re, l'?trange antipathie qui dut s'?tablir d?s le premier jour de la restauration entre ses sentimens et ses devoirs, serait encore pour moi un myst?re inexplicable: mais quand j'ai essay? de peindre cette grande ame, une des plus tendres, des plus g?n?reuses et des plus d?vou?es que la nature se soit plue ? former, je me suis condamn?e ? reconna?tre ce qui lui manquait de perfection pour atteindre ? une sublimit? id?ale. Ney portait sous ses formes h?ro?ques le coeur le plus doux et le plus facile. Accessible ? tous les t?moignages de bienveillance et d'affection, il s'y livrait avec une mobilit? qui a peu de dangers dans la soci?t? priv?e o? elle ne saurait effrayer que l'amiti? et l'amour, mais qui a des inconv?niens tr?s graves par leurs r?sultats dans une vie plac?e si haut, et quand il s'agit de si grands int?r?ts. Tout ce qu'il disait, il le sentait profond?ment; tout ce qu'il promettait, il ?tait d?cid? ? le faire; tout ce qu'il voulait, il croyait le vouloir en effet. Ce fut abuser indignement des mots que d'appeler Ney un tra?tre; il n'a trahi que sa volont? et ses r?solutions. On l'a calomni? en lui supposant un plan. L'id?e d'un plan suivi qui exigeait l'habitude du mensonge, est incompatible avec cette na?vet? d'ame et d'esprit qui l'a toujours caract?ris?. Un de ses officiers les plus aim?s, le brave et spirituel Esm?nard, me disait un jour: <> Voil? le prince de la Moskowa tout entier.

La d?fection de Ney ne pouvait ?tre d?termin?e que par de hautes consid?rations que l'histoire appr?ciera. Il eut lieu de croire que le sort de la France d?pendait de lui, et il agit comme il crut devoir agir, selon sa conscience et sa raison, dans l'intention ?vidente de ne pas livrer son pays aux chances d'une guerre civile; mais une ame telle que la sienne savait appr?cier tout ce qui est g?n?reux. Elle aimait tout ce qui est grand, et la belle conduite de M. de Grivel avait laiss? une tendre et profonde impression dans son esprit. Il en a parl? dix fois dans le cours de sa proc?dure, et le t?moignage d'un grand homme est assez glorieux pour d?dommager M. de Grivel des oublis ingrats du pouvoir. Si j'avais la force de m?ler quelques r?flexions ? des d?tails si p?nibles ? ?crire, et qui m'entra?nent de plus en plus vers un d?nouement ?pouvantable que je ne puis repousser de ma pens?e, je ferais remarquer ici une des causes qui ont le plus contribu? ? entretenir dans la m?moire du peuple quelque amour et quelque regret pour cette ?re imp?riale, si rapide et si brillante. C'est peut-?tre de tous les temps historiques celui o? le gouvernement a le mieux appr?ci? les hommes, parce que, suivant l'heureuse expression de madame de Sta?l, le gouvernement de Bonaparte s'?tait fait homme, et que, semblable ? l'homme de T?rence, il ne connaissait rien qui lui f?t ?tranger. Le g?nie, la valeur et la vertu n'avaient pas besoin de l'interm?diaire d'un grand seigneur, ou d'un homme ?minent dans l'?glise. Ils avaient ? qui parler en montant droit au tr?ne; et aucun titre n'?tait repouss?, aucun service n'?tait exclu. Quand Napol?on passa ? Lyon, il envoya la croix d'honneur au seul citoyen qui e?t accompagn? MONSIEUR jusqu'? la fin, dans une d?marche bien difficile, o? ce prince fit preuve ? la fois de courage, de prudence et de g?n?rosit?. Si Napol?on avait gagn? la bataille de Waterloo, s'il avait affermi cet empire dont l'heure ?tait venue, si ses institutions s'?taient consolid?es avec son pouvoir, M. de Grivel serait assis ? c?t? de Ney dans la chambre des Pairs, et c'est Ney qui l'y aurait appel?.

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<<--Mettez-en trente-six>>, r?pondis-je, et je passai devant un mauvais miroir pour faire de ma toilette de voyage une toilette de table d'h?te. Il y avait peu de chose ? changer. Ce genre de rapports n?cessaires avec des gens dont on ne ferait nulle part ailleurs sa soci?t?, et qui ne r?pondent pas une fois sur mille ? la disposition de votre esprit et aux mouvemens de votre humeur, m'a toujours singuli?rement d?plu. Mais c'?tait un jour, un ?v?nement historique; j'allais entendre nommer celui dont le nom ?tait le bonheur et la gloire de ma vie, et j'attachais aussi quelque importance ? conna?tre ces fiers montagnards dont l'histoire se rattache ? tant d'?v?nemens extraordinaires. J'avais entendu parler de l'effet que ces g?ans du Jura produisirent ? la f?d?ration de 1790, quand leur bataillon de colosses entra dans le Champ-de-Mars, pr?c?d? d'un ermite des rochers, et d'un vieillard de cent vingt ans, doyen de sa province, et peut-?tre du genre humain; j'aimais le Jura par cet instinct qui m'attache aux pays et aux moeurs extraordinaires; j'aimais surtout ce qui avait vu Ney, tout ce qui pouvait m'apporter un souvenir de lui, tout ce qui pouvait en r?fl?chir l'image sur mon coeur. Je descendis.

La longue et triste salle ? manger ?tait encore vide. Elle me rappelait quelque chose d'une station de guerre dans une place menac?e. Des feux de joie ou de pr?caution passaient de minute en minute devant la fen?tre; des p?tards ?clataient sur la place. Des chants extraordinaires se m?laient ? ces sc?nes de terreur et ne les embellissaient pas. Les belles demoiselles de la maison se pressaient autour de moi, en me disant: <> C'?tait l'id?e qu'elles s'?taient faite, et je ne sais pourquoi, car il y a des secrets de l'ame qui ne se r?v?lent que par une longue habitude ou une puissante sympathie, et je n'avais pas m?me nomm? le mar?chal. Rebut?e aux Fran?ais sous la couronne d'une reine tragique, il m'?tait r?serv? de passer malgr? moi pour une imp?ratrice ? l'?le d'Elbe, et pour une princesse dans le Jura.

Peu ? peu la sc?ne s'anima d'une mani?re ?trange. Des soldats d'ordonnance se succ?daient dans la salle. Un lieutenant g?n?ral, en grand uniforme, descendu d'un petit escalier obscur, la traversa en passant une main soucieuse dans ses cheveux, et en regardant ? droite et ? gauche s'il ?tait observ?. Je crus reconna?tre M. de Bourmont. Les groupes se pressaient; il les parcourut en souriant aux femmes, en pressant la main des officiers qui avaient suivi le mouvement du matin, en adressant aux autres un regard de reconnaissance, de tristesse et de regret, et en jetant de loin quelques mots caressans aux enfans. Peu d'hommes ont eu plus d'art ? faire valoir ces prestiges gracieux de l'esprit qu'enseigne le besoin de plaire. Il avait ?t? si malheureux! Pourquoi a-t-il oubli? plus tard ce qu'une infortune honorable, et qui tiendra une place distingu?e dans l'histoire, devait ? une infortune glorieuse dont le souvenir retentira dans tous les si?cles?

Un autre personnage qui le cherchait probablement le rencontra presque sous mes yeux. C'?tait un homme d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, dont les formes lourdes et carr?es n'annon?aient qu'un paysan ? son aise, et qu'on aurait pris tout au plus ? son visage couperos?, ? ses mani?res brusques et tranchantes, ? son chapeau rond de flibustier, ? sa d?marche abandonn?e et sauvage, pour un officier de marine en r?forme. Il fit le tour de la salle en promenant sur tous les convives un regard mort qui ?tincela quand il arriva aux femmes. Ce rayon d'un feu cynique m'avait effray?e chez Moreau et ailleurs; je me couvris de mon voile: je venais de reconna?tre Lecourbe.

L'aspect de cette table ?tait pour moi un objet d'?tudes toutes nouvelles. J'?tais dans le Jura, c'est-?-dire dans le pays le plus caract?ris? de la France, le jour de l'?v?nement le plus extraordinaire des temps modernes, et sur le th??tre o? il venait de se passer. Je cherchai ? distinguer parmi les convives quelques unes de ces figures saillantes que la nature semble avoir moul?es pour l'histoire. ? ma droite ?tait assis un homme que l'on appelait le commandant Vivian, et dont la taille presque gigantesque, dont les cheveux noirs, ?pais et cr?pus, dont la physionomie rude et aust?re contrastaient d'une mani?re surprenante avec le son de voix le plus doux qui ait jamais vibr? dans mon oreille, et surtout avec le ton de conversation le plus affectueusement obligeant, le plus r?serv?, le plus poli, dont une voyageuse un peu aventuri?re ait jamais eu ? se louer dans une auberge. Il ?tait souffrant encore d'une blessure tr?s grave et presque incroyable: un biscayen avait travers? sa poitrine, quelques lignes au-dessous du coeur, ? la bataille de Lutzen.

La conversation ne tarda pas ? s'animer. On d?plora des exc?s dont l'?loignement trop subit du mar?chal avait rendu la r?pression impossible. Le caf? Bourbon, qui ?tait le point de r?union des royalistes, venait d'?tre livr? aux violences de la populace. Une femme charmante qui en faisait l'ornement, et dont tout le monde s'accordait ? louer la vertu, l'esprit et la beaut?, avait ?t? oblig?e de se r?fugier, au p?ril de sa vie, sur les toits d'une maison voisine. En g?n?ral, ces messieurs paraissaient fort oppos?s au gouvernement des Bourbons, mais je n'avais pas con?u jusque l? qu'une opinion aussi absolue que la leur p?t se concilier avec tant de mod?ration et de bienveillance; je m'expliquai cette id?e en les regardant. La nature leur avait imprim? ? un si haut degr? les signes de la force, que l'on concevait qu'un peuple ainsi organis? aurait d?rang? trop ais?ment l'?quilibre du monde, si un profond sentiment de la justice et une extr?me douceur n'eussent temp?r? l'immense puissance physique dont ils ?taient dou?s. Je me rappelai ces rois g?ans dont l'imagination de Rabelais a dot? la Touraine, et qui ?taient les meilleurs des hommes.

<<--En derni?re analyse, dit un jeune homme qui n'avait parl? jusqu'alors qu'? basse voix, et qui c?dait pour la premi?re fois ? l'entra?nement d'une conversation publique, ? quoi cela nous m?nera-t-il? ? retomber sous le sceptre d'un tyran... Je ne prendrai part ? de semblables succ?s que lorsqu'ils tourneront ? l'avantage de la libert?!...

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<<--Pourquoi pas? r?pondit le jeune homme.

<<--Pourquoi pas? continua un troisi?me interlocuteur dont l'?loquence originale et bizarre paraissait en droit de fixer exclusivement l'attention des auditeurs, car un silence universel s'?tablit; pourquoi pas? reprit-il en promenant un regard extraordinaire de calme et de fixit? sur la soci?t? attentive et muette, et en bourrant son nez de tabac ? quatre reprises, exercice qu'il renouvelait d'ailleurs ? chaque membre de ses p?riodes, et qui ?tait comme la ponctuation de son discours: il ne faudrait pour cela qu'appr?cier nos forces et en faire un bon usage; mais ce n'est pas dans l'?tat o? nous sommes que nous pouvons jouir des douceurs de la libert?. Nous avons des casernes, et cela am?ne des soldats; nous avons des ?glises, et cela appelle des pr?tres; nous avons des maisons ?l?gantes et orn?es, et c'est ce qui pla?t aux riches. Comment voulez-vous ?tre libres dans un pays o? il y a des riches, des pr?tres et des soldats? Nos montagnes suffiraient dix fois ? loger sous leurs grottes et ? nourrir de leurs herbages et de leurs laiteries ce qui m?rite d'?tre conserv? dans la population. Un peuple parvenu ? cette hauteur n'a plus besoin, ni de sciences, ni d'arts, ni de m?tiers, et une fois qu'on s'est mis au-dessus de ces besoins, on est s?r d'?tre libre. N'est-il pas honteux pour nous de l'?tre moins que les ours et les hiboux de nos rochers, nous ? qui ces rochers appartiennent au moins autant qu'aux ours et aux hiboux, et qui ne savons pas ?tre heureux, parce que nous ne daignons pas jouir de l'ind?pendance facile que nous a donn?e la nature. Si vous m'en croyez, ajouta-t-il en plongeant solennellement trois doigts dans sa tabati?re, nous mettrons le feu ce soir ? ces horribles repaires d'hommes, o? tous les despotes et toutes les factions viennent nous apporter des s?ductions ou des cha?nes? Bathilde, allez acheter six torches de r?sine. Voil? de l'or.>>

J'avoue que ce qui m'?tonna le plus dans cette ?trange allocution, ce fut de voir qu'elle n'?tait accueillie que par une expression d'hilarit? complaisante et presque respectueuse, qui ne se communiqua pas ? l'orateur. Il garda son effrayante gravit? et vida sa tabati?re.

Je me trompe cependant; quelque chose m'?tonna davantage. Un convive que je n'avais pas remarqu?, et qui s'?tait plac? ? l'extr?mit? la plus obscure de la longue table, se leva tout ? coup, et nous montra la figure la plus martiale, mais la plus h?t?roclite que j'aie observ?e en ma vie. Il ?tait mis avec une propret? assez recherch?e, mais il n'avait point de cravatte; des cheveux d'un noir d'?b?ne flottaient sur ses larges ?paules, et une barbe plus noire encore s'?chappait du col de sa chemise et ? travers les plis de son jabot. <

<<--Meynal, dit brusquement Vivian!

<<--Meynal>>, r?p?ta brusquement un homme d'une figure s?v?re que je n'avais pas encore entendu, mais dont j'avais remarqu? seulement l'impatience ironique et la d?rision am?re au milieu de toutes ces folies. <

<<--Oudet, s'?cria le jeune homme qui avait parl? le premier: Si Oudet vivait, ce ne serait pas le drapeau tricolore qui flotterait ce soir sur la tour de l'Horloge; ce serait le drapeau rouge et noir du Jura.

<<--Cela est possible, dit Vivian, mais il est mort, et notre r?publique avec lui. Que Dieu nous garde l'Empereur!...

<<--Mal?diction sur les tyrans de toutes les couleurs et de toutes les dynasties, dit le jeune homme en se levant: Je bois ceci ? la m?moire d'Oudet, et j'y boirais du sang!

<<--? Oudet, cri?rent tous les convives. ? Oudet, r?p?tai-je en tremblant: Quel est donc cet Oudet, ajoutai-je, en me retournant du c?t? de Vivian: Qui a laiss? de pareils souvenirs?...

<<--Un grand homme mort trop t?t, me r?pondit Vivian, et qui, si la mort l'avait respect?, aurait plac? dans l'histoire un nom dont Napol?on serait jaloux. Il ?tait n? dans un village qu'on appelle Meynal, et que vous avez laiss?, il y a quelques heures, ? votre gauche, si vous arrivez de Lyon.

<<--Il est mort, repris-je, ? Wagram.--? Wagram!...>> C'?tait cet Oudet dont le nom, dont le souvenir, dont la gloire planaient sur mon ame comme une apparition, objet de tendresse et de terreur, de d?sir et d'inqui?tude, qui me poursuivait dans tous les pays, et qui vit pour ma pens?e, comme si une pareille existence ne pouvait pas se d?truire. Il me semble encore qu'il m'?coute et qu'il me lit.

Je ne dormis pas pendant quelques jours; j'?crivis. Voil? pourquoi je retrace les souvenirs de cette soir?e avec la pr?cision et la vivacit? d'une impression r?cente. Au reste, j'ai visit? beaucoup de pays, et je ne crois pas qu'on puisse oublier jamais le Jura ni ses habitans.

Retour ? Paris par Auxerre.--Entrevue du mar?chal Ney.--Les Tuileries.--Le 20 mars.

Le spectacle de ces troupes qui semblaient avoir retrouv? les joies bruyantes et presque furieuses du combat et de la victoire, ces discours militaires respirant le double enthousiasme de la guerre et de la libert?, le d?lire pour Napol?on et l'admiration pour Ney, qui devant moi s'?taient enflamm?s, tout cet ensemble de faits miraculeux, de passions h?ro?ques, m'avaient replac?e au milieu de la vie que j'aime, celle des ?motions. Quoique arriv?e ? Lons-le-Saulnier ? la fin de l'hiver, je trouvais le temps magnifique, le ciel sans nuage; l'esp?rance semblait un astre nouveau qui se levait pour tout embellir. Quant ? moi, la visite de Lons-le-Saulnier m'avait soulag?e. Ney, me disais-je, va m'appara?tre comme aux plus beaux jours de l'empire. Dans mon impatience de lui t?moigner tout ce que me faisait ?prouver de bonheur la sympathie renaissante de nos effusions politiques, je quittai l'h?tel qui servait de quartier g?n?ral ? l'enthousiasme imp?rial, r?publicain, et surtout militaire du moment. Je courus ? l'endroit qu'on m'avait indiqu? pour ?tre la r?sidence du mar?chal. La cour de la maison ?tait encombr?e d'officiers qui venaient de prendre ses ordres, mais j'appris d'eux que lui-m?me venait de monter en chaise de poste, et que leur g?n?ral courait depuis un quart d'heure sur la route d'Auxerre.

Trouver des chevaux, une voiture, stimuler au poids de l'or le d?vouement des postillons, arriver ? Auxerre comme le vent, on devine bien que telles furent ma pens?e et ma conduite. C'?tait un spectacle bien extraordinaire que celui des routes et des campagnes. Les paysans accourus dans les villes, tout le monde sur les portes et sur les places publiques, des ordonnances traversant au galop les routes et arr?t?es ? chaque pas par l'impatience populaire, ? laquelle elles jetaient en passant proclamations et cocardes. C'?tait partout un m?lange de surprise, d'incertitude, de stupeur de la part des autorit?s, et une ivresse de mouvement, de curiosit? et d'enthousiasme dans la plus grande partie de la population.

Je vis le mar?chal Ney quelques heures; il venait d'avoir une premi?re entrevue avec Napol?on; il s'?tait pr?sent? avec franchise et loyaut?; il avait annonc? ? celui avec qui il avait vaincu vingt ans, que son ancien compagnon rentrait sous les aigles, parce qu'il sentait bien qu'il faudrait bient?t les d?fendre contre l'?tranger. Ney n'?prouva aucun embarras ? mon aspect impr?vu, parce que son coeur n'avait ? se reprocher aucun d?tour: d?s le premier mot, toutes mes craintives h?sitations ?taient ?vanouies.<<--Eh bien, Ida, me dit-il en riant, les ?v?nemens ont tourn? ? vos souhaits; vous ?tes ravie, n'est-ce pas?

<<--? en perdre la t?te. Mon ami, comment est l'Empereur? a-t-il bonne mine? est-il content?

<<--Il serait bien difficile, s'il n'?tait enchant?! Jamais dans les plus beaux jours de sa fortune il ne fut salu? par les acclamations d'un pareil enthousiasme. Je ne vous cache pas que je ne pouvais croire ? cette r?action d'admiration et d'amour.

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