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Read Ebook: Journal d'une femme de cinquante ans (2/2) by La Tour Du Pin Gouvernet Henriette Lucie Dillon Marquise De Liedekerke Beaufort Aymar Marie Ferdinand De Comte Editor

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Ebook has 177 lines and 24631 words, and 4 pages

Vers le milieu du printemps, en 1812, nous commen??mes ? voir passer des troupes en route pour l'Allemagne. Plusieurs r?giments de la jeune garde vinrent ? Bruxelles et y s?journ?rent. D'autres ne faisaient que traverser la ville en poste. Des instructions arrivaient prescrivant de rassembler des chariots de fermiers attel?s de quatre chevaux. Parfois on recevait l'ordre le matin seulement, et il fallait que le soir m?me quatre-vingts ou cent chariots fussent rassembl?s, pourvus de fourrages pour deux jours. Les gendarmes galopaient dans tous les sens pour avertir les fermiers. Ceux-ci, oblig?s de quitter leurs charrues, leurs travaux, ?taient de fort mauvaise humeur. Mais qui aurait os? r?sister? La pens?e n'en serait venue ? personne, depuis Bayonne jusqu'? Hambourg. Nous donn?mes quelques collations solides ? des corps d'officiers qui arrivaient ? 10 heures du soir pour repartir ? minuit. Sans doute, bien peu de ces braves gens seront revenus de cette funeste campagne.

On ?tait peu pr?par? ? la pens?e que l'arm?e fran?aise p?t aller ? Moscou. Aussi, lorsque M. de La Tour du Pin, ? son retour d'un voyage de quelques jours ? Paris, rapporta une belle carte d'Allemagne, de Pologne et de Russie, nous nous ?tonn?mes que Lapic e?t ajout? sur la marge un petit carr? de papier o? ?tait Moscou. La carte n'allait pas jusqu'au m?ridien de cette ville, et lorsque, attach?e sur la tenture du salon, on l'examinait, chacun ne manquait pas de pr?tendre que cette pr?caution du g?ographe semblait bien inutile. C'?tait un pronostic!

Pendant la courte absence de mon mari, j'eus l'occasion d'appliquer une certaine d?cision subite qui m'a r?ussi plusieurs fois dans la vie. Un matin, avant d?jeuner, je vis entrer, p?le, tout troubl?, le conseiller de pr?fecture remplissant les fonctions de pr?fet par int?rim. Il tenait dans la main trois ou quatre nominations de sous-lieutenants et d'auditeurs. Parmi elles, entre autres, s'en trouvait une pour chacun des deux messieurs de Robiano: pour le cadet, celle de sous-lieutenant dans un r?giment partant pour l'ann?e, et pour son fr?re a?n?, celle d'auditeur. Le sous-lieutenant ?tait mari? et avait deux jeunes enfants. Quelle d?solation dans cette famille. Sans perdre un instant, je pris mon parti. Je courus chez la m?re Robiano, je lui apprends cette funeste nouvelle, et je lui dis: <> La pauvre femme n'avait pas boug? de Bruxelles depuis quarante ans. La jeune Mme de Robiano se rangea de mon avis, et ? midi toutes deux se mettaient en route. Elles obtinrent que le jeune p?re de deux gar?ons resterait dans sa famille. Combien ces pauvres femmes m'ont souvent remerci?e depuis de la d?termination que je les avais amen?es ? prendre.

Le jeune Liedekerke, inspir? par un entra?nement du coeur associ? ? un certain esprit de calcul, comprit que Mlle de La Tour du Pin, avec ses agr?ments personnels, son nom et ses alliances, quoique sans fortune, convenait mieux ? sa propre aisance que quelque bonne Belge bien riche et bien obscure. Il d?clara ? ses parents qu'il n'aurait jamais d'autre femme que ma fille. Son p?re souleva quelques objections. Mais sa m?re, dans l'espoir que la carri?re politique de son fils serait favoris?e par un mariage qui le sortirait de son pays, obtint le consentement de son mari. Le premier de l'an 1813, ? 10 heures du matin, on m'annon?a Mme de Liedekerke. Elle me demanda ma fille pour son fils. J'?tais pr?par?e ? cette demande, que je re?us et que j'accordai avec bonheur. Mme de Liedekerke voulut voir ma fille, qu'elle embrassa, et il fut convenu que dans six semaines le mariage se ferait. Nous ne donn?mes que 2.000 francs de rente ? Charlotte, et ma tante, Mme d'H?nin, pourvut au trousseau.

Ma fille C?cile se trouvait au couvent des dames de Berlaimont depuis six mois pour faire sa premi?re communion. Je lui promis de la reprendre le jour du mariage de sa soeur, et dans le m?me temps nous re??mes la nouvelle qu'Humbert, alors sous-pr?fet ? Florence, venait d'?tre nomm? sous-pr?fet de Sens, d?partement de l'Yonne. Cette nouvelle mit le comble ? notre satisfaction. Nous ne nous attendions gu?re ? la catastrophe qui nous allait atteindre.

M. de La Tour du Pin ?tait all? ? Nivelles assister au tirage de la conscription ou, pour mieux dire, ? une nouvelle lev?e d'hommes n?cessit?e par la continuation de la guerre que l'Empereur avait entreprise. Je me trouvais seule chez moi avant le d?jeuner, lorsque je vis entrer le secr?taire g?n?ral de la pr?fecture, la figure renvers?e, qui m'apprit que le courrier de Paris venait d'apporter la destitution de mon mari et son remplacement par M. d'Houdetot, pr?fet de Gand.

Cette nouvelle m'atteignit comme un coup de foudre, car j'y vis, dans le premier moment, une cause de rupture pour le mariage de ma fille. Cependant, je r?solus de ne pas c?der sans combattre, et me d?cidai, sans attendre M. de La Tour du Pin, ? qui j'envoyai un courrier, de partir sur l'heure pour Paris. Je dois ? M. de Liedekerke de d?clarer qu'il monta chez moi avec un empressement, et une chaleur qui doivent le surprendre maintenant, s'il se rappelle cette circonstance, pour me conjurer, de ne rien changer ? nos projets.

Je laissai ma tante et Mme de Maurville emballer tout ce qui nous appartenait dans la pr?fecture, et ? 4 heures je me mettais en route pour Paris. J'avais eu tant de choses ? faire et ? r?gler, en deux heures, que j'?tais d?j? fatigu?e lorsque je partis. La nuit pass?e dans une mauvaise chaise de poste et l'anxi?t? caus?e par notre nouvelle position, me caus?rent une fi?vre assez forte, avec laquelle j'arrivai ? Paris ? 10 heures du soir, le lendemain. Je descendis chez Mme de Duras, que je trouvai sortie. Ses filles venaient de se coucher. Elles se lev?rent et envoy?rent chercher leur m?re. Celle-ci, en rentrant, me trouva couch?e sur son canap?, ext?nu?e de fatigue. La place lui faisait d?faut pour me loger. Mais elle avait les clefs de l'appartement du chevalier de Thuisy, notre ami commun. Ma femme de chambre et le domestique qui m'avaient suivie, all?rent m'y pr?parer un lit, dans lequel je me r?fugiai aussit?t, sans y trouver le repos dont j'avais un grand besoin. Mme de Duras vint le lendemain de bonne heure avec Auvity, qu'elle avait envoy? chercher. Il me trouva encore beaucoup de fi?vre. Mais je lui d?clarai qu'il fallait me remettre sur pied co?te que co?te et que je devais ?tre en ?tat de me rendre Versailles avant le soir. Il me donna alors une potion calmante qui me fit dormir jusqu'? 5 heures. Je ne sais dans quel ?tat de sant? je me trouvais. En tout cas, je ne m'en occupai gu?re.

Je fis venir une voiture de remise, et, v?tue d'une toilette fort ?l?gante, j'allai chercher Mme de Duras. Nous part?mes ensemble pour Versailles. L'Empereur ?tait ? Trianon. Nous descend?mes dans une auberge, rue de l'Orangerie, o? on nous installa ensemble dans un appartement. J'ouvris aussit?t mon ?critoire. Mme de Duras, ? qui j'avais confi? seulement mon d?sir d'avoir une audience de Sa Majest?, me voyant prendre une belle grande feuille de papier, puis copier un brouillon que j'avais retir? de mon portefeuille, me dit: <>--<>

La lettre ?crite et cachet?e, nous remont?mes en voiture pour aller la porter ? Trianon. L?, je demandai le chambellan de service. J'avais pris la pr?caution de pr?parer pour lui un petit billet. Le bonheur voulut que ce f?t Adrien de Mun, qui ?tait fort de mes amis. Il s'approcha de la voiture et me promit qu'? 10 heures, quand l'Empereur viendrait au th? de l'Imp?ratrice, il lui remettrait ma lettre. Il tint sa promesse, et fut aussi satisfait que surpris quand, en regardant l'adresse, Napol?on dit, se parlant ? lui-m?me: <> Ces paroles confirm?rent mes soup?ons que certaine lettre, ?crite ? Mme d'H?nin, qui ne la re?ut jamais, et dans laquelle je lui racontais, assez plaisamment, le plan de campagne imagin? par l'archev?que de Malines pour remplacer celui de lord Chatham, avait ?t? saisie avant d'arriver ? destination.

<<--De la part de l'Empereur!>>

Au m?me moment, un homme fort galonn? entrait en disant:

<<--Sa Majest? attend Mme de La Tour du Pin demain ? 10 heures du matin.>>

Cette heureuse nouvelle ne troubla pas mon sommeil, et le lendemain matin, apr?s avoir aval? un grand bol de caf? que Claire avait fabriqu? de ses propres mains, pour me r?veiller l'esprit, disait-elle, je partis pour Trianon. On me fit attendre dix minutes dans le salon qui pr?c?dait celui o? Napol?on recevait. Personne ne s'y trouvait, ce dont je fus bien aise, car j'avais besoin de ce moment de solitude pour fixer le cours de mes pens?es. C'?tait un ?v?nement assez important dans la vie qu'une conversation en t?te ? t?te avec cet homme extraordinaire, et cependant je d?clare ici dans toute la v?rit? de mon coeur, peut-?tre avec orgueil, que je ne me sentais pas le moindre embarras.

La porte s'ouvrit; l'huissier, par un geste, me fit signe d'entrer, puis en referma les deux battants sur moi. Je me trouvai en pr?sence de Napol?on. Il s'avan?a ? ma rencontre et dit d'un air assez gracieux:

<<--Madame, je crains que vous ne soyez bien m?contente de moi.>>

<<--J'esp?re que cela ne fera pas manquer le mariage, et, dans ce cas, vous ne devriez pas le regretter.>>

Puis tout en parcourant de long en large ce grand salon o? je le suivais en marchant ? ses c?t?s, il pronon?a ces paroles--c'est la seule fois peut-?tre qu'il les ait prof?r?es dans sa vie, et le privil?ge m'?tait r?serv? de les entendre:

Je r?pliquai:

<<--Votre Majest? peut le r?parer.>>

Alors il passa la main sur son front, et dit:

<<--Ah! il y a un travail sur les pr?fectures; le Ministre de l'Int?rieur vient ce soir.>>

Il nomma ensuite quatre ou cinq noms de d?partements, et ajouta:

<<--Il y a Amiens. Cela vous conviendrait-il?>>

Je r?pondis sans h?siter:

<<--Parfaitement, Sire.>>

<<--Dans ce cas, c'est fait, dit-il. Vous pouvez aller l'apprendre ? Montalivet.>>

Et avec ce charmant sourire dont on a tant parl?:

<<--? pr?sent, m'avez-vous pardonn??>>

Je lui r?pondis de mon meilleur air:

<<--J'ai besoin aussi que Votre Majest? me pardonne de lui avoir parl? si librement.>>

<<--Oh! vous avez tr?s bien fait.>>

Je lui fis la r?v?rence, et il s'approcha de la porte pour me l'ouvrir lui-m?me.

Je retrouvai, en sortant, Adrien de Mun et Juste de Noailles, qui me demand?rent si j'avais arrang? mes affaires. Je leur r?pondis seulement que l'Empereur avait ?t? tr?s aimable pour moi. Sans perdre de temps, je remontai en voiture, et prenant Mme de Duras qui, ne pouvant ma?triser son impatience, ?tait venue m'attendre dans l'all?e de Trianon, nous retourn?mes ? Paris.

Apr?s avoir d?pos? Mme de Duras ? sa porte, j'allai chez M. de Montalivet, o? j'arrivai vers 2 heures et demie. Il me re?ut avec amiti?, d'un air fort triste, en me disant: <> Dans le but de m'amuser un peu de lui, je r?pondis: <>--<>--<> r?pliquai-je d'un air un peu cafard, <>--<> s'?cria-t-il avec emportement. Sans avoir l'air de le comprendre, j'ajoutai: <> Il me regarda avec stup?faction, et je repris tout simplement: <> M. de Montalivet poussa un cri, me prit les mains avec beaucoup d'amiti? et d'int?r?t, et en m?me temps, me regardant des pieds ? la t?te: <>

Je repartis pour Bruxelles, o? je d?sirais vivement retrouver mes enfants et o? j'avais d'ailleurs mille choses ? faire. M. de La Tour du Pin passa par Amiens pour pr?parer notre installation. Il vint ensuite me rejoindre, avec mon cher Humbert, de retour de Florence, et qui avait re?u ? Paris sa nomination ? la sous-pr?fecture de Sens. Qui aurait pr?vu, ? ce moment, que dix mois plus tard, il en serait chass? par les Wurtembergeois.

Lorsque M. de La Tour du Pin arriva de Bruxelles, dans les derniers jours de mars, il me trouva ?tablie avec mes enfants chez le marquis de Trazegnies, qui nous avait offert une bonne et cordiale hospitalit?. M. d'Houdetot avait annonc?, sans d?licatesse, qu'il prendrait possession de la pr?fecture le surlendemain m?me du jour de mon retour ? Bruxelles. Je d?sirais qu'il ne trouv?t aucun vestige de notre s?jour de cinq ans dans la maison qu'il allait habiter. Tout ce qui nous appartenait ?tait emball? et parti. Quant au mobilier de la pr?fecture, chaque objet avait ?t? remis ? la place d?sign?e par l'inventaire. Rien ne manquait. M. d'Houdetot prit de l'humeur de cette exactitude, et fut plus sensible encore aux regrets que toutes les classes exprimaient hautement du d?placement de M. de La Tour du Pin. Il chercha un pr?texte pour retourner ? Gand et y demeurer jusqu'apr?s notre d?part, fix? au 2 avril. Ma fille devait se marier le 1er. Mon mari pouvait dire, comme Guzman:

J'?tais ma?tre en ces lieux, seul j'y commande encore.

Il fit donc venir le chef de la police, M. Malaise, et l'engagea ? emp?cher qu'il n'y e?t quelque manifestation trop prononc?e de la part du peuple lors du mariage de notre fille. Le maire, le duc d'Ursel, fixa dans le m?me but une heure avanc?e de la soir?e, 10 heures et demie, pour le mariage ? la municipalit?. Cela n'emp?cha pas le peuple de se porter en foule dans toutes les rues o? nous devions passer et ? l'H?tel de Ville, brillamment illumin?. On n'entendait que des phrases de regret et de bienveillance ? l'adresse de M. de La Tour du Pin. Lorsque nous rev?nmes, apr?s le mariage ? l'H?tel de Ville, chez Mme de Trazegnies, nous trouv?mes tous les salons du rez-de-chauss?e ?clair?s, et ?tablie dans la rue, sous les fen?tres, pour nous donner une s?r?nade, une troupe nombreuse compos?e de tous les musiciens de la ville. Mon mari fut, comme de raison, fort sensible ? ces manifestations de la bienveillance publique.

Le lendemain, ma fille se maria dans la chapelle particuli?re du duc d'Ursel. Apr?s un beau d?jeuner de parents et d'amis, elle partit avec son mari pour Noisy, o? son beau-p?re l'avait pr?c?d?e de quelques heures. Je la conduisis jusqu'? Tirlemont. Ce fut une cruelle s?paration. Il fallait cependant que je parusse heureuse!... J'?tais bien loin de l'?tre!... Mon gendre, peu de temps auparavant, avait ?t? nomm? sous-pr?fet du chef-lieu, ? Amiens. Nous ne devions donc pas, gr?ce au ciel, ?tre longtemps loin l'une de l'autre, Charlotte et moi.

Jusqu'ici, je n'ai plus parl? de M. de Chambeau, notre ami et notre compagnon d'infortune pendant notre ?migration en Am?rique. Il ?tait rentr? en possession de quelque peu de la fortune qui devait lui revenir et avait pass? ? Bruxelles la plus grande partie de ses jours de loisirs. Ses affaires, en effet, l'obligeaient ? faire de longs s?jours dans le midi de la France. Depuis un an, il occupait ? Anvers un emploi temporaire, il est vrai, mais qui lui assurait de l'avancement. Quand il apprit la catastrophe qui nous ?loignait si pr?cipitamment de Bruxelles, il arriva aussit?t, connaissant le mauvais ?tat de nos affaires, chez M. de La Tour du Pin et lui dit: <> Il assista au mariage de Charlotte, dont il ?tait le parrain.

Au moment o? j'?cris ces lignes, ? Pise, au commencement de 1845, je ne sais plus rien de cet excellent homme. Je l'ai revu il y a dix ans ? Paris. ? cette ?poque, install? dans une petite maison de campagne ? ?pinay, il ?tait tout entier subjugu? par deux jeunes servantes qui avaient acquis un f?cheux empire sur sa vieillesse. Elles ont pris soin d'emp?cher qu'il ne se rapproch?t de nous. Notre pauvre ami n'existe probablement plus.

Ce fut au mois d'avril 1813 que nous arriv?mes ? Amiens, o? nous ?tions destin?s ? voir se d?rouler des ?v?nements auxquels nous ?tions loin de nous attendre. Nous y trouv?mes notre beau-fr?re, le marquis de Lameth, dont l'amiti? nous avait d?j? m?nag? une r?ception tr?s favorable de la part de la noblesse et des gens en vue de la ville, jusqu'alors fort m?contents de leurs pr?fets.

La maison affect?e ? la pr?fecture ?tait charmante. Elle venait d'?tre remeubl?e ? neuf, avec ?l?gance et avec luxe. Le rez-de-chauss?e comprenait un appartement complet, o? je me logeai avec mon mari. ? c?t? se trouvait aussi le cabinet du pr?fet, communiquant avec les bureaux. Le tout donnant sur un magnifique jardin de sept ? huit arpents, bien plant?. Cela nous procurait presque le plaisir d'?tre ? la campagne.

Les premiers jours de l'?t? se pass?rent tr?s agr?ablement. Nous allions souvent d?ner dans les environs, chez des voisins qui y r?sidaient pendant la belle saison: Mme d'Hauberville, les Roug?, un M. de Vismes, le marquis de Lameth. Ma fille C?cile, ?g?e ? cette ?poque de treize ans, poss?dait d?j? un talent distingu? en musique, en m?me temps qu'une voix charmante et tr?s ?tendue. Je lui avais donn?, pendant les cinq ans que nous avions pass?s ? Bruxelles, un excellent ma?tre d'italien. Originaire de Rome et ne sachant pas le fran?ais, il avait habitu? ma fille ? parler le bel idiome romain. Elle s'exprimait dans cette langue avec facilit?. Charlotte et elle faisaient en outre des lectures non seulement en italien, mais ?galement en anglais. Nous nous trouvions tr?s bien ?tablis ? Amiens, quand nous commen??mes ? entendre gronder l'orage. On ?tait si confiant dans la fortune de Napol?on, que l'id?e ne venait ? personne d'admettre qu'il e?t d'autre ennemi ? craindre que les frimas qui lui avaient ?t? si fatals pendant la campagne de Russie.

Cependant, apr?s la bataille de Leipzig, commenc?rent les r?quisitions, les lev?es d'hommes et l'organisation des gardes d'honneur. Cette derni?re mesure jeta la d?solation dans les familles.

M. de La Tour du Pin eut besoin, dans cette circonstance, de toute sa fermet?. Il servait le gouvernement de bonne foi, et la pens?e de la restauration n'avait pas encore surgi dans son esprit. Il ne la pr?voyait ni ne la d?sirait. Toutes les fautes et tous les vices, causes de la premi?re R?volution, lui ?taient encore trop pr?sents ? la m?moire pour qu'il p?t ?carter la crainte de voir la famille royale exil?e ramener avec elle, par faiblesse, des abus de tous genres. Le mot si bien justifi?: <> revenait souvent ? sa pens?e. Cependant il t?chait, autant que possible, d'apporter des adoucissements dans l'application de l'organisation des gardes d'honneur. C'?tait parmi les gens riches qu'on trouvait le plus de r?sistance ? certaines mesures, et je lui ai souvent entendu r?p?ter: <> Dans une ville de fabriques de laines, comme Amiens, les r?quisitions ?taient tr?s pesantes, et mon mari redoutait surtout l'avidit? et la friponnerie des r?quisitionnaires.

Le canon de Laon, que nous entend?mes ? Amiens, nous donna la premi?re pens?e de l'envahissement du territoire. Quelques jours plus tard, M. d'Houdetot, le pr?fet de Bruxelles, fuyant devant l'invasion, entra un soir dans notre salon au moment m?me o? le receveur g?n?ral, M. d'Haubersaert, qui voyait tout en beau, nous disait qu'il venait de recevoir une lettre de Bruxelles, et que la Belgique ?tait ? l'abri d'un coup de main.

Bient?t apr?s, on signala l'apparition d'un corps de Cosaques, command? par le g?n?ral Geismar, dans les plaines aux environs de la ville. C'est ? cette ?poque que passa ? Amiens le g?n?ral Dupont, sous l'escorte de gendarmes. Il avait d'abord ?t? transf?r? du ch?teau de Joux, o? Napol?on l'avait fait enfermer apr?s la capitulation de Baylen, ? la citadelle de Doullens. On le conduisait maintenant ? Tours, afin qu'il ne f?t pas d?livr? par les alli?s. Il n'alla pas plus loin que Paris, et la s?v?rit? dont il avait ?t? l'objet fit sa fortune.

Les Cosaques s'approch?rent si pr?s d'Amiens qu'on les voyait du clocher de la cath?drale. L'escadron de chasseurs en garnison dans la ville, command? par notre aimable major, se porta au-devant d'eux, et leur en imposa si bien qu'ils ne reparurent plus.

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