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Read Ebook: Jacquine Vanesse by Cherbuliez Victor

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Ebook has 1411 lines and 95244 words, and 29 pages

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--M'autorisez-vous, une fois pour toutes, une bonne fois, ? vous parler librement de lui? S'il me d?pla?t, c'est que je n'ai de go?t que pour les gens s?rs, et je regrette que vous vous plaisiez tant dans sa compagnie. Qu'il soit un grand musicien, c'est possible; je ne m'y connais gu?re. La musique, j'en conviens, est pour moi le plus obscur des grimoires, une imp?n?trable ?nigme, dont ma pauvre intelligence a renonc? depuis longtemps ? trouver le mot. Le seul instrument que je comprenne est le tambour; celui-l? du moins dit clairement ce qu'il pense. Mais je veux que M. Saintis ait autant de g?nie qu'il lui pla?t de le croire: vous voyez que je lui fais bonne mesure, que je ne lui refuse rien. Il m'est tomb? l'autre jour sous les yeux un article de journal plein d'allusions malignes ? ses bonnes fortunes, aussi c?l?bres, para?t-il, que ses op?ras, et je trouve en v?rit? qu'il vient trop souvent ici.>>

Et, roulant les yeux, il ajouta d'un ton presque tragique:

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Elle ne put s'emp?cher de sourire, pendant qu'une l?g?re rougeur lui montait aux joues. L'id?e du docteur lui semblait bizarre, baroque, et m?me un peu comique. Qu'on p?t la compromettre, que ses vieillards et ses pauvres fussent capables de se mettre en t?te qu'elle avait une aventure, quelle invraisemblance! quelle ?normit?! Cependant, ? y bien r?fl?chir, cette id?e ?norme avait son c?t? flatteur. Un homme de sens rassis, tel que le docteur Oserel, trouvait donc qu'elle ?tait encore une assez jolie femme pour qu'on p?t croire, s'imaginer.... Il lui faisait beaucoup d'honneur, et c'est pourquoi elle avait en m?me temps souri et rougi.

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--Beaucoup de choses. Et d'abord, vous ne savez pas, mon bon monsieur, que M. Saintis a ?t? mon ami d'enfance, que nous sommes n?s tous deux au Sentier, lui dans les soieries, le demi-gros, le rassortiment, moi dans les tissus, dans le gros, que nos familles ?taient intimement li?es, que je ne vais jamais ? Paris sans passer au moins une demi-journ?e avec sa soeur, Mme Leyrol. Autre d?tail: avant d'acheter son ch?teau, mon p?re louait une villa ? Louvecienne, et le petit Valery Saintis y a fait de nombreux s?jours. Nous allions ensemble ? la maraude; nous avons croqu? t?te ? t?te des pommes vertes, clandestinement cueillies chez le voisin, ce qui leur donnait un go?t particulier. Ce sont l? des complicit?s qui unissent deux coeurs ? jamais. Je l'appelais mon petit Valery, il m'appelait Lolotte.

--Et vous appelle-t-il encore Lolotte?

--Non, le respect est venu. Pendant que je devenais respectable, il a fait un chemin fort brillant dans le monde, et, j'en conviens, je me sens flatt?e d'?tre l'amie d'un homme c?l?bre; si vous-m?me vous l'?tiez moins, peut-?tre me seriez-vous plus indiff?rent; les femmes sont si vaniteuses! Mais ce qui me touche plus encore que sa renomm?e, c'est son talent. Je ne suis pas comme vous; sans ?tre musicienne, j'aime passionn?ment la musique; elle me d?tend, me d?lasse. ? peine M. Saintis s'est-il assis devant mon piano et laisse-t-il courir ses doigts sur le clavier, mes fatigues, mes soucis s'?vanouissent; nous en avons tous et nous sommes heureux de les oublier. En l'?coutant, il me semble que la vie est une histoire qui finit bien.

--Est-ce l? vraiment tout ce qui se passe entre vous? Allez, madame, on n'en fait pas accroire ? un vieux m?decin. Avouez que cet homme de g?nie se compla?t ? d?vider devant vous son ?cheveau tr?s compliqu?, qu'il vous conte avec une joie secr?te ses nombreux p?ch?s, que vous ne perdez pas un mot de ce qu'il vous dit, que son cas vous para?t int?ressant, que vous lui prodiguez les sages conseils, que vous vous ?tes promis de le convertir, qu'il feint une contrition qu'il ne ressentira jamais, que vous lui imposez de douces p?nitences, et qu'il n'a pas besoin de les accomplir pour que vous lui donniez l'absolution. Selon moi, le grand tort de la morale chr?tienne est de glorifier le repentir; le vrai repentir, madame, est aussi rare que l'oiseau bleu.... Ai-je devin? juste? Est-il vrai que depuis trois mois que votre ami d'enfance est venu planter sa tente dans ce pays, vous vous livrez souvent ? ces savoureux et p?rilleux entretiens, qui remplacent avec avantage les pommes vertes d'autrefois? J'envie son sort; heureux les p?cheurs qui se confessent ? vous!

--Quand on est un homme de science, reprit-elle, d'un ton grave, on doit se piquer d'?tre exact. M. Saintis n'est dans ce pays que depuis six semaines, et vous savez que je suis tr?s occup?e, qu'on me d?range ? tout moment, qu'il n'est pas toujours facile de s'entretenir seul ? seule avec moi.... Au surplus, docteur, est-il d?fendu aux femmes d'avoir, comme vous autres, leurs secrets professionnels?>>

Il se leva brusquement et n'attendit pas d'?tre ? la porte pour se coiffer de son chapeau ? grands bords.

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? ces mots, il partit sans lui avoir donn? la main; cela arrivait quelquefois. Elle releva une m?che de ses cheveux ch?tains qui s'?garait souvent sur son front, s'accouda sur l'appui de la fen?tre, et comme il traversait la terrasse, avan?ant la t?te:

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Il ne r?pondit point; il se contenta de hausser deux fois de piti? ses larges et puissantes ?paules, et doubla le pas.

N'ayant jamais ?t? amoureux, il d?pensait son fonds de jalousie inn?e dans ses amiti?s, qui ?taient ses romans; c'est ainsi qu'il payait son tribut ? l'humaine faiblesse. Il avait chagrin? Mme Charlotte Sauvigny, qui aurait voulu que ses amis s'aimassent comme elle les aimait; elle leur en demandait trop, et puis, s'ils se jalousaient, elle y ?tait, malgr? elle, pour quelque chose: nature contenue, r?serv?e, discr?te, ses moindres attentions avaient beaucoup de prix; il ?tait naturel qu'on se les disput?t.

Si, quelques mois auparavant, on avait annonc? ? M. Saintis que, plantant l? ses belles amies, il irait s'installer dans un lieu solitaire, en pleins champs, au bord d'une route o? il passait plus de voitures de roulier et de chariots de foin que d'?quipages; que, pendant toute une saison ou mieux encore durant toute une ann?e, il ne quitterait que de loin en loin et pour affaires pressantes sa th?ba?de si cruellement tranquille; qu'il y serait pauvrement log?, qu'il habiterait une maison de paysan, sans autre soci?t? quotidienne que celle de son valet de chambre, d'une cuisini?re lou?e dans le pays, d'un grand tilleul, de deux pruniers, de quelques groseilliers ? maquereau, de cinq ou six poules, d'une lapine toujours pr?s de mettre bas, d'un carr? de choux, d'une chatte et d'une vieille girouette rouill?e, qui grin?ait lamentablement en tournant, mais qui par bonheur ne tournait presque jamais; si on l'avait assur? que, dans sa profonde retraite, il n'aurait pas un moment d'ennui, qu'il travaillerait d'arrache-pied, emploierait ses jours et ses longues soir?es ? composer un op?ra et, par mani?re de passe-temps, des concertos et des ?l?gies pour piano, mais qu'il changerait sa m?thode de travail, que dor?navant grand ?plucheur et devenu s?v?re ? lui-m?me, il r?p?terait sans cesse: <>; si quelqu'un lui avait dit comment il amuserait ses loisirs et que sa principale, sa seule r?cr?ation serait de se rendre ? cheval ou ? bicyclette dans une villa distante de trois kilom?tres, laquelle n'aurait pas d'autres f?tes ? lui offrir que les divertissements qu'on peut trouver dans un hospice de vieillards et dans une salle d'op?rations, il aurait s?rement trait? le proph?te d'imposteur.

Les grands bonheurs se paient. Les hommes du m?tier qui trouvaient injuste qu'il ne per??t pas s'indignaient qu'il e?t trop perc?. La critique se montra malveillante, grincheuse. Les plus indulgents de ses juges lui reconnaissaient une remarquable virtuosit?, la science de l'instrumentation, certaines qualit?s m?lodiques et l'entente des d?veloppements; ils vantaient certain solo de hautbois qui avait ravi en extase les premi?res loges et qu'on avait triss?; mais ils accusaient ce jeune homme trop heureux de s'amuser ? la moutarde, aux curiosit?s de l'art, aux effets d'orchestre, aux combinaisons de timbres, aux sonneries de trompettes, aux carillons de cloche, de m?ler ? ses nouveaut?s trop d'archa?smes, d'?tre plus industrieux que vraiment personnel. Un autre disait: <> Ce feuilletoniste venimeux n'ajoutait pas qu'il e?t donn? vingt palettes, une pinte de son sang pour trouver la recette de la sauce Saintis, qui all?chait si fort un public p?m?. Un troisi?me ?crivait: <>

Dix-huit mois durant, ce fut une ivresse; mais il avait trop de vrai talent pour se griser plus longtemps de fum?e. Il entra un jour dans un caf? o? des inconnus parlaient de lui; l'un d'eux disait:

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Il avait fort n?glig? son amie d'enfance. Elle s'?tait mari?e ? seize ans et avait ?t? introduite par son mari dans le monde de la finance, qui n'?tait pas celui qu'il fr?quentait. Depuis qu'elle s'?tait retir?e dans un chalet, c'est-?-dire depuis dix ann?es bien compt?es, il l'avait perdue enti?rement de vue, elle avait disparu de son horizon. Elle ?tait venue passer quelques jours ? Paris, o? elle avait conserv? un pied-?-terre. Il la rencontra un soir chez sa soeur, Mme Leyrol, qui donnait un grand d?ner. Elle fut sa voisine de table, et, heureuse de le revoir, elle se mit en frais pour lui. Il lui parut qu'elle avait un visage tout nouveau; que c'?tait une ?trang?re, qu'il voyait pour la premi?re fois. Il s'occupa beaucoup d'elle, et quand il sortit de table, il avait d?cid? qu'il connaissait nombre de femmes plus brillantes ou plus belles, qu'il n'en connaissait aucune qui f?t plus distingu?e et plus charmante. Cette rencontre lui avait fait une si profonde impression, lui avait laiss? un si vif souvenir que, huit jours apr?s, elle eut la surprise de le voir entrer dans son chalet et d'apprendre qu'il avait lou? une maison de paysan, qu'il s'y trouvait fort bien, qu'il se proposait d'y passer plusieurs semaines, plusieurs mois peut-?tre, qu'?tant devenu son voisin, il comptait la voir tr?s souvent. Cette aventure l'?tonna et lui plut, et quand elle sut quelles raisons l'avaient d?termin? ? s'enfermer dans un ermitage, elle les jugea bonnes et n'h?sita pas ? le lui dire.

Il tint parole. Elle le voyait souvent arriver, mais il ne restait longtemps que lorsqu'elle ?tait seule; un f?cheux interrompait-il leurs entretiens, peu ma?tre de ses impressions, il en t?moignait de l'humeur. Les choses ne se passaient pas comme l'avait pr?tendu le docteur. Il ne lui faisait point le d?tail de ses p?ch?s; il lui contait quelquefois des historiettes plus ou moins scandaleuses, en cherchant ? lui persuader qu'il n'en ?tait point le h?ros; elle en pensait ce qu'elle voulait. La plupart du temps, il lui d?clarait d'un ton contrit qu'il ?tait bien revenu des vanit?s du monde et de ses caresses perfides, des folles amours, des gourmandises de l'amour-propre, des creux plaisirs que procurent les joies tapageuses, leurs grosses caisses et les clochettes de leurs chapeaux chinois; que les seuls biens solides ?taient les affections s?rieuses et le travail, que le reste ne valait pas le zeste d'un citron. Elle approuvait, elle encourageait d'un signe de t?te ses bons sentiments, ses repentirs, auxquels elle ne croyait que par intermittences. Elle avait la passion de la r?gle; si elle aimait ? ranger les armoires, les papiers, elle aimait encore plus ? remettre un peu d'ordre dans les ?mes troubl?es, d?sorient?es, et aucune ?me ne lui paraissait plus int?ressante ni plus pr?cieuse que celle de cet ami d'enfance, qui ?tait devenu un grand musicien. Mais elle ne le sermonnait point; quoique protestante, elle n'?tait point pr?cheuse; elle ne croyait qu'aux le?ons de choses et elle s'appliquait ? rendre sa maison agr?able ? ce malade d?sireux de gu?rir; elle constatait avec joie et un peu d'orgueil qu'il semblait s'y plaire. Elle en concluait que le fond du coeur n'?tait pas g?t?, et elle lui marquait un bon point.

Mais, peu de jours apr?s, comme il fumait une pipe dans son jardin entre onze heures et minuit, il se confessa ? lui-m?me que ses subtilit?s, ses tortillages psychologiques n'?taient que des subterfuges, des ?chappatoires pu?riles, par lesquelles il s'abusait volontairement, que ces nuages, ces fant?mes ?taient destin?s a lui cacher une ?vidente et terrible v?rit?, que son amiti? respectueuse et romanesque ?tait un amour lancinant, qui commen?ait ? le faire souffrir, qu'il ne lui suffisait plus de voir, qu'il voulait poss?der, et que le cas ?tait grave. Il se souvint que jadis, six ou sept ans apr?s le mariage de Mlle Charlotte Callaix avec M. Sauvigny, lorsqu'elle avait vingt-deux ou vingt-trois ans, ayant demand? ? un jeune homme qu'il savait li? avec elle s'il la voyait souvent, ce joli gar?on, qui passait pour n'?tre point timide, lui avait r?pondu d'un air navr?:

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On ?tait maintenant plus libre de le lui dire, mais c'?tait une affaire de grande cons?quence. Il avait lu dans les fins contours de ce front si pur, dans ces yeux d'un brun si doux, dans ce regard immacul?, dans la limpidit? de ce sourire et jusque dans les lignes de ces mains aux longs doigts menus, jusque dans les plis de cette robe, que, pour la poss?der, il se verrait contraint de se d?juger, de d?mentir tous ses principes, toutes ses maximes. Combien de fois n'avait-il pas d?clar?, hautainement, que le mariage lui faisait horreur, que cette funeste institution ?tait le tombeau du talent, que jusqu'? sa mort il resterait le tr?s humble esclave de sa ch?re libert?! En proie ? de violents combats int?rieurs, perplexe, tourment?, il tourna, vira dans son enclos jusqu'? deux heures du matin. Sa conclusion fut que le mieux ?tait de s'en aller, d'en revenir ? sa premi?re id?e, de partir bien vite pour les Canaries, apr?s quoi il d?couvrit qu'on ne veut pas toujours ce qu'on veut.

Le lendemain, ? la tomb?e de la nuit, il se pr?sentait chez Mme Sauvigny et, pour sonder le gu?, il lui parlait d'une affaire importante, sur laquelle il d?sirait avoir son avis: il lui ?tait venu, depuis peu, disait-il, une vague envie de se marier; ?tait-ce un bon ou un mauvais mouvement? Qu'en disait l'oracle? Elle r?pondit que son id?e lui paraissait heureuse; elle ajouta on riant qu'elle n'avait jamais compris les r?pugnances des artistes pour le mariage, que, loin de refroidir ou d'?touffer l'imagination, l'air des prisons l'excite et l'exalte, que Rousseau se plaignait de n'avoir jamais ?t? mis ? la Bastille, o? il aurait fait, assurait-il, les plus beaux r?ves de sa vie.

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Ce soir-l?, il ne poussa pas plus loin sa pointe; il se mit au piano et lui joua tous les airs qu'elle lui demanda.

Deux jours apr?s, le 31 ao?t, il ?tait ? Paris, o? son premier soin fut d'aller voir sa soeur. Elle revenait d'une plage et se disposait ? accompagner M. Leyrol chez des amis, qui les attendaient pour ouvrir la chasse. Elle avait re?u tout r?cemment de son fr?re une lettre dans laquelle il c?l?brait les louanges de Mme Sauvigny avec une chaleur, une exaltation extraordinaires, et cette lettre l'avait fort r?jouie. Convaincue que, dans l'int?r?t de son talent, il importait de le marier au plus t?t, elle s'?tait dit que le plus grand bonheur qui p?t lui arriver serait d'?pouser la seule femme qui, ? sa connaissance, p?t le tenir et le gouverner, la seule qui f?t capable ? la fois de donner d'excellents conseils et l'envie de les suivre. Elle avait pris cette affaire ? coeur, r?pondu courrier par courrier. Elle fut charm?e de le voir et de battre le fer pendant qu'il ?tait rouge.

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Il lui repartit d'un ton d'humeur qu'elle ?tait trop press?e, qu'elle br?lait les ?tapes, et il lui fit un long discours, qu'il termina en disant qu'il craignait de s'exposer ? un refus, que cette m?saventure lui para?trait fort d?sobligeante.

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--Elle aime tant la musique! r?pliqua Mme Leyrol; il lui manque un musicien. Elle l'a, elle sera bien aise de le garder.>>

Puis, d'un ton plus s?rieux, elle lui expliqua que M. Sauvigny avait ?t? un de ces maris m?diocres, assez agr?ables pour ne pas d?go?ter une femme du mariage, mais pas assez pour qu'elle d?sesp?re de trouver mieux, qu'? deux reprises sa veuve avait eu l'occasion de se remarier, qu'elle s'y ?tait refus?e, non qu'elle e?t un parti pris, mais parce que les deux pr?tendants ne lui plaisaient qu'? moiti? et que, devenue difficile, elle entendait qu'on lui pl?t tout ? fait. Mme Leyrol ajouta que les mauvais sujets r?ussissent souvent o? ?chouent les bons gar?ons.

Voyant qu'il h?sitait encore, elle voulut frapper un grand coup.

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L?-dessus, pour l'inqui?ter, elle lui parla non du docteur Oserel, qui n'?tait pas un rival bien redoutable, mais d'un certain M. Andr? Belfons, proche voisin de Mme Sauvigny, grand et riche propri?taire, r?put? excellent agronome, et qui passait pour un homme d'un commerce aussi attrayant que s?r et d'une figure assez engageante. On le voyait souvent au Chalet.

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Elle avait mis le feu aux poudres, et peu s'en fallut que la poudri?re ne saut?t. Il avait d?n?, lui aussi, avec M. Belfons; il d?cida que ce grand propri?taire ?tait un danger et avait toute la mine d'un voleur. Il d?clara ? sa soeur avec une mena?ante v?h?mence qu'? l'extr?me rigueur, pourvu qu'il v?t tous les jours Mme Sauvigny, il pouvait se r?signer ? vivre sans l'?pouser, mais que si elle lui faisait le chagrin d'?pouser M. Belfons, il penserait s?rieusement ? se br?ler la cervelle. Il disait vrai; c'?tait bien l? le v?ritable ?tat de son coeur.

Il regagna pr?cipitamment son terrier, et d?s le lendemain, comme elle achevait de d?jeuner, Mme Sauvigny les avait aper?us sous sa fen?tre, lui et sa jument blanche; mais la grosse t?te du docteur Oserel ?tait apparue et l'avait mis en fuite. Il revint dans la soir?e. Il la trouva seule, occup?e a ?crire une lettre d'affaires; elle en ?crivait beaucoup. S'empressant de poser sa plume et de fermer son buvard, elle lui tendit la main et remarqua qu'il avait un air singulier. Elle lui avait dit, peu de jours auparavant: <> Elle pensa qu'il s'?tait d?cid? et qu'il venait le lui dire. L'autre fois, il avait commenc? par les paroles et fini par la musique; cette fois-ci, il fit tout le contraire, ce fut par la musique qu'il commen?a. Se sentant la gorge serr?e, incertain s'il aurait le courage de parler, il se mit au piano, essaya d'improviser une fugue, qu'il interrompit d?s les premi?res mesures.

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Il la prit par la main, la conduisit dans la petite loge vitr?e, la fit asseoir dans un fauteuil, s'assit modestement sur un simple tabouret, et il eut un instant l'air d'un ?colier bien sage qui se dispose ? r?citer sa le?on. Mais ce n'?tait pas une le?on apprise, ce fut vraiment son coeur qui parla.

--C'est donc un complot! s'?cria-t-elle. L'autre jour, le docteur m'a forc?e d'entendre l'?num?ration de mes vertus; ? la v?rit?, il me trouve encore plus ?tonnante qu'admirable. Je suis ce que je suis, et je n'ai jamais aim? qu'on m'analys?t, qu'on me diss?qu?t.

--Il faut pourtant que vous m'entendiez; si je supprimais mes pr?misses, ma conclusion serait en l'air. Le docteur est sans doute un grand savant, mais je le d?fie de vous conna?tre ? fond; il faut ?tre artiste pour vous comprendre. Qu'est-ce que l'art? il consiste ? fondre dans l'harmonie d'un ensemble des oppositions, des dissonances ing?nieusement pr?par?es et sauv?es. Votre ?me, ch?re madame, est une oeuvre d'art, et je le r?p?te, un artiste seul peut savoir ce que vous valez.>>

Ne pouvant l'arr?ter, elle s'?tait r?sign?e ? l'entendre; elle se renversa dans son fauteuil, croisa les bras, ferma les yeux.

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Elle avait souri parce qu'elle pensait qu'il y avait un grain de v?rit? dans ce qu'il disait, mais qu'il exag?rait beaucoup, que les artistes exag?rent toujours.

<> dit-elle en rouvrant les yeux.

Elle aurait voulu que ce f?t tout; elle commen?ait ? se demander avec un peu d'inqui?tude o? il voulait en venir.

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