Read Ebook: Les Contemporains Quatrième Série Etudes et Portraits Littéraires by Lema Tre Jules
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Ebook has 600 lines and 75502 words, and 12 pages
Seulement, pour que le dandy soit tout ce que j'ai dit, une condition est n?cessaire: il ne faut pas qu'il soit dupe de lui-m?me. Il faut qu'il ait conscience de la profonde ironie et du paradoxe effrayant de son oeuvre. M. d'Aurevilly en a-t-il conscience?
<
Je me le tiens pour dit, et je t?che de transformer mon ?tonnement en admiration. Apr?s tout, l'outrance et l'artifice port?s ? ce point deviennent des choses rares et qu'il faut ne consid?rer qu'avec respect. Mettons, pour sortir de peine, que le chef-d'oeuvre de M. d'Aurevilly, c'est M. d'Aurevilly lui-m?me. Quelle que soit dans son personnage la part de la nature et de la volont?, la constance, la s?ret?, la ma?trise infaillible avec lesquelles il a soutenu ce r?le ne sont pas d'un m?diocre g?nie. S'est-il content? d'achever, de pousser ? leur maximum d'expression les traits naturels de sa personne physique et morale? Ou bien est-ce un masque qu'il s'est compos? de toutes pi?ces et qu'il s'est appliqu?? On ne sait; et sans doute lui-m?me ne saurait plus le dire. Si c'est un masque, quel prodige de l'art! Ah! comme il tient! et depuis combien d'ann?es! secr?tement r?par? peut-?tre, mais toujours intact aux yeux, sans un trou, sans une f?lure. Soyez tranquille, la mort le prendra debout, niant le temps, la t?te haute, superbe et redress?, et s'?pandant en propos fastueux. Quelle force d'?me, quand on y songe, dans cet acharnement ? garder jusqu'au bout, en pr?sence des autres hommes, l'apparence et la forme ext?rieure du personnage sp?cial qu'on a r?v? d'?tre et qu'on a ?t?! C'est de l'h?ro?sme tout simplement, et, je vous prie de donner au mot tout son sens. Et si c'est de l'h?ro?sme inutile et incompris, c'est d'autant plus beau.
M. PAUL VERLAINE
LES PO?TES <
Peut-?tre, au risque de para?tre ing?nu, vais-je vous parler des po?tes symbolistes et d?cadents. Pourquoi? D'abord par un scrupule de conscience. Qui sait s'ils sont, autant qu'ils en ont l'air, en dehors de la litt?rature, et si j'ai le droit de les ignorer?--Puis par un scrupule d'amour-propre. Je veux faire comme Paul Bourget, qui se croirait perdu d'honneur si une seule manifestation d'art lui ?tait rest?e incomprise.--Enfin, par un scrupule de curiosit?. Il se peut que ces po?tes soient int?ressants ? ?tudier et ? d?finir, et que leur personne ou leur oeuvre me communique quelque impression non encore ?prouv?e. Mais, comme j'ai au fond l'esprit timide, j'ai besoin, avant de tenter l'aventure, de m'entourer de quelques pr?cautions. Je m'abrite derri?re deux hypoth?ses, inv?rifiables l'une et l'autre, et que je n'ai qu'? donner comme telles pour n'?tre point accus? soit de t?m?rit?, soit de snobisme.
Premi?rement, je suppose que les po?tes dits d?cadents ne sont point de simples mystificateurs. ? dire vrai, je suis tent? de les croire ? peu pr?s sinc?res--non point parce qu'ils sont terriblement s?rieux, solennels et pontifiants, mais parce que voil? d?j? longtemps que cela dure, sans un oubli, sans une d?faillance. Il ne leur est jamais ?chapp? un sourire. Une mystification si soutenue, qui r?clamerait un tel effort, et un effort si disproportionn? avec le plaisir ou le profit qu'on en retire, serait, il me semble, au-dessus des forces humaines. Puis j'ai coudoy? quelques-uns de ces initi?s, et j'ai eu, sur d'autres, des renseignements que j'ai lieu de croire exacts. Il m'a paru que la plupart ?taient de bons jeunes gens, d'autant de candeur que de pr?tention, assez ignorants, et qui n'avaient point assez d'esprit pour machiner la farce ?norme dont on les accuse et pour ?crire par jeu la prose et les vers qu'ils ?crivent. Enfin, leur ignorance m?me et la date de leur venue au monde , leur vie de noctambules, l'abus des veilles et des boissons excitantes, leur d?sir d'?tre singuliers, la myst?rieuse n?vrose , il me semble que tout cela suffirait presque ? expliquer leur cas et qu'il n'est point n?cessaire de suspecter leur bonne foi.
... En bien, non! je ne parlerai pas d'eux, parce que je n'y comprends rien et que cela m'ennuie. Ce n'est pas ma faute. Simple Tourangeau, fils d'une race sens?e, mod?r?e et railleuse, avec le pli de vingt ann?es d'habitudes classiques et un incurable besoin de clart? dans le discours, je suis trop mal pr?par? pour entendre leur ?vangile. J'ai lu leurs vers, et je n'y ai m?me pas vu ce que voyait le dindon de la fable enfantine, lequel, s'il ne distinguait pas tr?s bien, voyait du moins quelque chose. Je n'ai pu prendre mon parti de ces s?ries de vocables qui, ?tant encha?n?s selon les lois d'une syntaxe, semblent avoir un sens, et qui n'en ont point, et qui vous retiennent malicieusement l'esprit tendu dans le vide, comme un r?bus fallacieux ou comme une charade dont le mot n'existerait pas...
En ta dentelle o? n'est notoire Mon doux ?vanouissement, Taisons pour l'?tre sans histoire Tel voeu de l?vres r?sumant.
Toute ombre hors d'un territoire Se teinte it?rativement ? la lueur exhalatoire Des p?tales de remuement...
J'ai pris ces vers absolument au hasard dans l'un des petits recueils symbolistes, et j'ai eu la na?vet? de chercher, un quart d'heure durant, ce qu'ils pouvaient bien vouloir dire. J'aurais mieux fait de passer ce temps ? regarder les signes grav?s sur l'ob?lisque de Louqsor; car du moins l'ob?lisque est proche d'un fort beau jardin, et il est rose, d'un rose adorable, au soleil couchant... Si les vers que j'ai cit?s n'ont pas plus de sens que le bruit du vent dans les feuilles ou de l'eau sur le sable, fort bien. Mais alors j'aime mieux ?couler l'onde ou le vent.
< < < < Cela veut dire, sauf erreur: --Supposons que le po?te veuille, pour que l'amante y dorme le soir, un paysage digne d'elle et qui fasse r?ver d'amour. Ce paysage id?al, il le demandera vainement ? la nature: toujours quelque d?tail disparate y rompra l'harmonie r?v?e. Alors il fera son choix dans les mat?riaux que lui offre le monde r?el. Il disposera ? son gr? les pierres nuanc?es; il arrangera les ramures droites sur les troncs ?lanc?s ou pliants et charg?s d'oiseaux; il s?mera le gazon de branches mortes et laissera entrevoir, parmi la feuill?e, une large rivi?re, avec de grands lis et un torse de vierge, etc. Et plus loin: < Cela veut dire: < < < Cela signifie, je crois, en langage humain, que certaines formes, certains aspects du monde physique font na?tre en nous certains sentiments, et que, r?ciproquement, ces sentiments ?voquent ces visions et peuvent s'exprimer par elles. Cela signifie aussi, par suite, que le po?te ne copie pas exactement la r?alit?, mais ne lui emprunte que ce qui correspond, en elle, ? l'impression qu'il veut traduire... Mais est-ce qu'il ne vous semble pas que nous nous doutions un peu de ces choses? Seulement, prenez garde: si vous les rayez, celles qui resteront seront toujours charmantes; mais vous verrez qu'elles n'exprimeront plus rien de bien pr?cis, qu'elles ne vous sugg?reront plus que l'id?e vague d'une brisure, d'une blessure secr?te. Les symboles pr?cis et clairs par eux-m?mes sont assez peu nombreux. Il est tr?s vrai que la plus belle po?sie est faite d'images, mais d'images expliqu?es. Si vous ?tez l'explication, vous ne pourrez plus exprimer que des id?es ou des sentiments tr?s g?n?raux et tr?s simples: naissance ou d?clin d'amour, joie, m?lancolie, abandon, d?sespoir... Et ainsi le symbolisme devient extr?mement commode pour les po?tes qui n'ont pas beaucoup d'id?es. Et voici la seconde d?couverte des symbolistes hagards. Ariane, ma soeur, de quelle amour bless?e Vous mour?tes aux bords o? vous f?tes laiss?e! Et le noir, c'est l'orgue; le blanc, la harpe; le bleu, le violon; le rouge, la trompette; le jaune, la fl?te. Et l'orgue exprime la monotonie, le doute et la simplesse ; la harpe, la s?r?nit?; le violon, la passion et la pri?re; la trompette, la gloire et l'ovation; la fl?te, l'ing?nuit? et le sourire. Faisons un acte de foi. Le bon Sully-Prudhomme ne demandait pas mieux que de le faire. Il disait humblement ? un jeune < --Pardonnez-moi. J'essaye de comprendre ce que vous voulez faire. Vous ne consid?rez, n'est-ce pas, que la valeur musicale des mots, sans tenir compte de leur sens? Le bon jeune homme r?pondit: --Nous en tenons compte dans une certaine mesure. --Mais alors, dit Sully, prenez garde: vous allez ?tre obscurs. Dans quelle mesure les jeunes symbolards tiennent encore compte du sens des mots, c'est ce qu'il est difficile de d?m?ler. Mais cette mesure est petite; et, pour moi, je ne distingue pas bien les endroits o? ils sont obscurs de ceux o? ils ne sont qu'inintelligibles. Ils ont d?couvert la m?taphore et l'harmonie imitative! Est-ce ? dire qu'il n'y e?t plus rien ? d?couvrir en po?sie? Je ne dis pas cela. Il y avait quelque chose peut-?tre. Quoi? je ne sais. Quelque chose de moins pr?cis, de moins raisonnable, de moins clair, de plus chantant, de plus rapproch? de la musique que la po?sie romantique et parnassienne. Notre po?sie a toujours trop ressembl? ? de la belle prose. Ceux m?mes qui y ont mis le moins de raison en ont encore trop mis. Imaginez quelque chose d'aussi spontan?, d'aussi gracieusement incoh?rent, d'aussi peu oratoire et discursif que certaines rondes enfantines et certaines chansons populaires, des s?ries d'impressions not?es comme en r?ve. Mais supposez en m?me temps que ces impressions soient tr?s fines, tr?s d?licates et tr?s poignantes, qu'elles soient celles d'un po?te un peu malade, qui a beaucoup exerc? ses sens et qui vit ? l'ordinaire dans un ?tat d'excitation nerveuse. Bref, une po?sie sans pens?e, ? la fois primitive et subtile, qui n'exprime point des suites d'id?es li?es entre elles , ni le monde physique dans la rigueur de ses contours , mais des ?tats d'esprit o? nous ne nous distinguons pas bien des choses, o? les sensations sont si ?troitement unies aux sentiments, o? ceux-ci naissent si rapidement et si naturellement de celles-l? qu'il nous suffit de noter nos sensations au hasard et comme elles se pr?sentent pour exprimer par l? m?me les ?motions qu'elles ?veillent successivement dans notre ?me... Comprenez-vous?... Moi non plus. Il faut ?tre ivre pour comprendre. Si vous l'?tes jamais, vous remarquerez ceci. Le monde sensible vous entre, si je puis dire, dans les yeux. Le monde sensible cesse de vous ?tre ext?rieur. Vous perdez subitement le pouvoir de l' < Quant ? l'homme de cette po?sie, je veux que ce soit un ?tre exceptionnel et bizarre. Je veux qu'il soit, moralement et socialement, ? part des autres hommes. Je me le figure presque illettr?. Peut-?tre a-t-il fait de vagues humanit?s; mais il ne s'en est pas souvenu. Il conna?t peu les Grecs, les Latins et les classiques fran?ais: il ne se rattache pas ? une tradition. Il ignore souvent le sens ?tymologique des mots et les significations pr?cises qu'ils ont eues dans le cours des ?ges; les mots sont donc pour lui des signes plus souples, plus mall?ables qu'ils ne nous paraissent, ? nous. Il a une t?te ?trange, le profil de Socrate, un front d?mesur?, un cr?ne bossu? comme un bassin de cuivre mince. Il n'est point civilis?; il ignore les codes et la morale re?ue. On a vu dans le c?nacle parnassien sa face de faune cornu, fils intact de la nature myst?rieuse. Il s'enivrait, avec les autres, de la musique des mots, mais de leur musique seulement; et il est rest? un ?tranger parmi ces Latins sens?s et lucides... Un jour, il dispara?t. Qu'est-il devenu? Je vais jusqu'au bout de ma fantaisie. Je veux qu'il ait ?t? publiquement rejet? hors de la soci?t? r?guli?re. Je veux le voir derri?re les barreaux d'une ge?le, comme Fran?ois Villon, non pour s'?tre fait, par amour de la libre vie, complice des voleurs et des malandrins, mais plut?t pour une erreur de sensibilit?, pour avoir mal gouvern? son corps et, si vous voulez, pour avoir veng?, d'un coup de couteau involontaire et donn? comme en songe, un amour r?prouv? par les lois et coutumes de l'Occident moderne. Mais, socialement avili, il reste candide. Il se repent avec simplicit?, comme il a p?ch?--et d'un repentir catholique, fait de terreur et de tendresse, sans raisonnement, sans orgueil de pens?e: il demeure, dans sa conversion comme dans sa faute, un ?tre purement sensitif... Puis une femme, peut-?tre, a eu piti? de lui, et il s'est laiss? conduire comme un petit enfant. Il repara?t, mais continue de vivre ? l'?cart. Nul ne l'a jamais vu ni sur le boulevard, ni au th??tre, ni dans un salon. Il est quelque part, ? un bout de Paris, dans l'arri?re-boutique d'un marchand de vin, o? il boit du vin bleu. Il est aussi loin de nous que s'il n'?tait qu'un satyre innocent dans les grands bois. Quand il est malade ou ? bout de ressources, quelque m?decin, qu'il a connu interne autrefois, le fait entrer ? l'h?pital; il s'y attarde, il y ?crit des vers; des chansons bizarres et tristes bruissent pour lui dans les plis des froids rideaux de calicot blanc. Il n'est point d?class?: il n'est pas class? du tout. Son cas est rare et singulier. Il trouve moyen de vivre dans une soci?t? civilis?e comme il vivrait en pleine nature. Les hommes ne sont point pour lui des individus avec qui il entretient des relations de devoir et d'int?r?t, mais des formes qui se meuvent et qui passent. Il est le r?veur. Il a gard? une ?me aussi neuve que celle d'Adam ouvrant les yeux ? la lumi?re. La r?alit? a toujours pour lui le d?cousu et l'inexpliqu? d'un songe... Il a bien pu subir un instant l'influence de quelques po?tes contemporains; mais ils n'ont servi qu'? ?veiller en lui et ? lui r?v?ler l'extr?me et douloureuse sensibilit?, qui est son tout. Au fond, il est sans ma?tre. La langue, il la p?trit ? sa guise, non point, comme les grands ?crivains, parce qu'il la sait, mais, comme les enfants, parce qu'il l'ignore. Il donne ing?nument aux mots des sens inexacts. Et ainsi il passe aupr?s de quelques jeunes hommes pour un abstracteur de quintessence, pour l'artiste le plus d?licat et le plus savant d'une fin de litt?rature. Mais il ne passe pour tel que parce qu'il est un barbare, un sauvage, un enfant... Seulement cet enfant a une musique dans l'?me, et, ? certains jours, il entend des voix que nul avant lui n'avait entendues... On dirait d'abord que ce po?te est, peu s'en faut, un ignorant.--Vous me r?pondrez que vous en connaissez d'autres, et que cela ne suffit pas pour ?tre original.--Mais je suppose ce point admis que, malgr? tout et en d?pit de ce qui lui manque, M. Verlaine est un vrai po?te. Disons donc que ce po?te est souvent peu attentif au sens et ? la valeur des signes ?crits qu'il emploie, et que, d'autres fois, il se laisse prendre aux grands mots ou ? ceux qui lui paraissent distingu?s. J'ouvre le livre ? la premi?re page. Dans les vingt vers qui servent de pr?face, je lis que les hommes n?s sous le signe de Saturne doivent ?tre malheureux, Roule En gr?sillant leur triste id?al qui s'?croule. Voil? des m?taphores qui ne se suivent gu?re. Je tourne la page. J'y lis que, dans l'Inde antique, Ces bigarrures f?cheuses, ces dissonances baroques, vous les rencontrez ? chaque instant chez M. Verlaine, et plus nombreuses d'un volume ? l'autre. Chose inattendue, ce po?te, que ses disciples regardent comme un artiste si consomm?, ?crit par moments comme un ?l?ve des ?coles professionnelles, un officier de sant? ou un pharmacien de deuxi?me classe qui aurait des heures de lyrisme. Il y a une ?norme lacune dans son ?ducation litt?raire. La mienne, il est vrai, me rend peut-?tre plus sensible que de raison ? ces insuffisances et ? ces ridicules. C'est amusant, apr?s cela, de le voir faire l'artiste impeccable, le sculpteur de strophes, le monsieur qui se m?fie de l'inspiration,--et ?crire avec b?atitude: ? nous qui ciselons les mots comme des coupes Et qui faisons des vers ?mus tr?s froidement... Ce qu'il nous faut, ? nous, c'est, aux lueurs des lampes, La science conquise et le sommeil dompt?.
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