Read Ebook: Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent by Dumas Alexandre
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Ebook has 334 lines and 28195 words, and 7 pages
Oui, monsieur.
LA LOI
Elle est enceinte de vous?
LE JEUNE HOMME, toujours apr?s h?sitation.
Oui, monsieur.
LA LOI
Vous refusez de l'?pouser?
LE JEUNE HOMME, sans h?sitation.
Oui, monsieur.
LA LOI
Vous refusez de reconna?tre votre enfant?
LE JEUNE HOMME
Oui, monsieur.
LA LOI
Vous avez d?shonor? une jeune fille, vous l'abandonnez, ainsi que votre enfant; c'est abominable, ce que vous faites l?! nous n'y pouvons rien. Rasseyez-vous.--Faites lever le p?re.
LA LOI, au p?re.
Vous reconnaissez que vous avez voulu tuer ce jeune homme?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Parce qu'il avait s?duit votre fille?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Alors vous avez pris un couteau?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Avec l'intention de tuer cet homme, s'il vous refusait d'?pouser votre fille?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Avec pr?m?ditation alors?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Et vous l'avez frapp? avec la ferme intention de lui donner la mort?
LE P?RE
Oui, monsieur.
LA LOI
Vous avez voulu vous faire justice vous-m?me, ce qui est d?fendu par toutes les lois; vous avez voulu tuer, ce qui est d?fendu par toutes les morales, humaine et divine; vous avez frapp? d'un couteau, vous avez accompli volontairement, sans h?sitation, sans remords, un homicide, un crime, ce qui doit ?tre puni de l'?chafaud ou des gal?res. C'est abominable, ce que vous avez fait l?! mais nous n'y pouvons rien. Ne vous rasseyez pas; vous pouvez tous rentrer chez vous.>>
Alors, magistrats, jury, gendarmes huissiers, Code civil, justice, all?gories mythologiques, mena?antes et rassurantes, Christ en croix, qu'est-ce que vous faites l?? Pourquoi tout cet appareil inutile, toute cette solennit? vide, toute cette d?pense, tout ce d?rangement? Ces trois individus coupables, tous les trois, de d?lits et de crimes qui compromettent non seulement leur propre honneur, leur propre morale, mais la morale universelle et la s?curit? des citoyens ?lecteurs, pourquoi les renvoyez-vous finalement chez eux, sans condamnation, sans fl?trissure, sans amende m?me?
Parce que, me r?pondrez-vous, c'est l? un cas exceptionnel. Cette jeune fille ?tait vraiment sympathique par sa bonne conduite ant?rieure, le p?re par l'honn?tet? de toute sa vie: il n'a pas pu r?sister ? sa douleur et ? sa col?re, devant la froide ingratitude et la cynique cruaut? de ce jeune homme, nous l'avons compris et nous l'avons acquitt?.
Non; ces raisons-l?, vous les donnez parce que vous ne pouvez pas, vous ne voulez pas donner les vraies raisons. Les vraies raisons, les voici: ne pouvant pas punir les vrais coupables, vous ?tes fatalement amen?s ? absoudre ceux dont le crime n'est que la cons?quence directe de cette culpabilit? non seulement impunie, mais dont, dans certains cas, il ne vous est pas permis de conna?tre, dont il vous est interdit de faire mention, que vous devez respecter en un mot, qui vous est sacr?e pour ainsi dire, comme la r?putation la plus intacte, comme le dogme le plus r?v?r?. Il est tel cas o? vous n'avez m?me pas le droit de prononcer le nom du v?ritable coupable, et o? vous ne pouvez punir que l'innocent et m?me la victime.
J'ai assist?, il y a deux ou trois ans, ? un proc?s criminel o? la coupable, du moins la personne amen?e ? la barre, ?tait une jeune femme. Elle s'?tait mari?e, enceinte, avec un jeune homme, lequel ignorait absolument ce d?tail. Elle accoucha, ? terme, sans que son mari se f?t dout? de cette grossesse et en l'absence de ce mari. Elle se d?livra elle-m?me; puis elle perdit la t?te et tua son enfant, dont elle cacha le corps dans une armoire. Le crime fut d?couvert et la jeune femme arr?t?e et traduite devant les assises.
L'homme qui l'avait rendue m?re ?tait mari?, c'est-?-dire doublement coupable; il l'avait eue sous sa protection, ce qui le rendait triplement coupable; il l'avait garantie comme la plus honn?te fille du monde au jeune homme, lorsque celui-ci ?tait venu lui demander des renseignements, ce qui le constituait quadruplement coupable; ni l'accus?e, ni l'accusation, ni la d?fense n'avaient le droit de prononcer le nom de cet homme, le premier, le seul coupable, parce que la recherche de la paternit? est interdite par nos lois. Cet homme ?tait n?gociant. S'il n'avait pas pay? un de ses billets, vous lui auriez saisi ses meubles, et tout ce qu'il poss?dait; vous l'auriez d?clar? en faillite, en faillite frauduleuse, si ses livres n'avaient pas ?t? bien en r?gle, et vous l'auriez condamn? ? la prison. Il avait trahi le mariage, trahi la tutelle, trahi la confiance d'un honn?te homme, donn? le jour ? un enfant ill?gitime; il ?tait la cause d'un meurtre, du meurtre de son propre enfant; l'action qu'il avait commise amenait la femme qu'il avait dit aimer sur les bancs de la cour d'assises, la faisait condamner aux gal?res, car elle fut condamn?e; condamnait le mari de cette femme ? la honte, au d?sespoir, au ridicule, au c?libat, ? la st?rilit?, ? n'avoir plus d'?pouse l?gale, ? n'avoir plus d'enfant l?gitime, et vous ne pouviez rien contre le vrai coupable, ? peine le r?primander, dans le vide, et encore anonyme. S'il plaisait ? ce coupable de se reconna?tre dans ce que j'?cris en ce moment, il pourrait m'attaquer en diffamation; je ne pourrais pas faire la preuve, et vous me condamneriez comme diffamateur, probablement ? un franc d'amende, ce qui ne serait pas cher, mais ce qui serait encore une condamnation sup?rieure ? celle que vous pouviez lui infliger.
Qui avez-vous donc v?ritablement puni du double crime commis par cet homme et par cette fille? Celui qui n'en avait commis aucun, le mari, l'honn?te homme, l'innocent. L'amant n'a m?me pas ?t? inqui?t?; l'infanticide, son temps fait, redeviendra libre, et tr?s probablement elle n'aura fait que la moiti? de son temps, si elle s'est ce qu'on appelle bien conduite, depuis son emprisonnement; quant au mari, ? qui vous n'avez rien ? reprocher que d'avoir eu confiance, que d'avoir voulu aimer selon les lois, d'avoir voulu constituer la famille, le foyer, l'exemple, ce qui est recommand? par toutes les religions et toutes les morales, dont vous vous d?clarez les d?fenseurs, il reste et demeure ?ternellement la victime de cet homme adult?re et de cette femme infanticide; et si, demain, il avait un enfant d'une autre femme que celle-l?, vous condamneriez cet enfant ? n'avoir jamais ni famille r?guli?re, ni nom l?gal, ? moins que sa m?re n'e?t l'id?e comme l'autre de le tuer, auquel cas, le mari, devenu ? son tour adult?re et p?re ill?gal et d?natur?, n'encourrait, comme coupable, aucune des peines qui lui ont ?t? inflig?es comme innocent!
Vous me r?pondrez encore: <
Ainsi, celui qui ?crit ces lignes , ainsi celui qui ?crit ces lignes a, de cette fa?on, beaucoup contribu? ? la d?moralisation de son ?poque; seulement ceux qui emploient le mot d?moralisation, ? propos de moi ou de tout autre, l'emploient ? tort et le confondent souvent, tromp?s qu'ils sont par un ph?nom?ne purement ext?rieur, avec un autre mot qui, du reste, n'existe pas et que l'on ferait peut-?tre bien de cr?er.
Une soci?t? dont on dit qu'elle se d?moralise, ce que l'on a dit d'ailleurs de toutes les soci?t?s depuis que le monde existe, une soci?t? qui se d?moralise n'est pas toujours une soci?t? qui modifie sa morale, mais une soci?t? qui modifie ses moeurs, ce qui n'est pas la m?me chose, et ce qui est m?me ? l'avantage de la morale ?ternelle, dont on ne peut pas plus supprimer un des principes fondamentaux qu'on ne peut supprimer un des ?l?ments qui composent l'air respirable.
Aucun r?volutionnaire, aucun novateur, aucun radical n'aura jamais l'id?e de proclamer que l'on doit, que l'on peut tuer, voler, manquer ? sa parole, ? l'honneur, s?duire les jeunes filles, abandonner sa femme, d?laisser ses enfants, renier, trahir et vendre sa patrie. Celui qui soutiendrait une pareille th?se passerait pour fou, et tout le monde lui tournerait le dos. La morale ne s'alt?re donc pas, mais elle s'?largit, elle se d?veloppe, elle se r?pand, et, pour cela, elle brise ces formules ?troites et partiales dans lesquelles elle ?tait in?galement contenue et dos?e et qu'on appelle les moeurs et les lois.
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