bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Le Tour du Monde; Aux ruines d'Angkor Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905 by Various Charton Douard Editor

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 818 lines and 44575 words, and 17 pages

Nos chars gravissent une terrasse gard?e par deux lions monstrueux. Une chauss?e de pierre s'avance au milieu des ?tangs, couverts de lotus, jusqu'? une premi?re enceinte, qui nous barre le passage, avec de longs couloirs coup?s de hautes salles carr?es. Un porche triomphal la domine. Nous le traversons, et nous voici dans l'enceinte sacr?e. Devant nous, mais bien loin encore, par-dessus la t?te des cocotiers, le temple d'Angkor-Wat dresse sa masse formidable, que trois d?mes align?s par la perspective h?rissent superbement. La chauss?e, aux grandes dalles, s'allonge vers lui, rigide et majestueuse; et sur ses c?t?s, deux petits temples, deux bijoux artistiques, les pieds perdus dans la vase des ?tangs, se rangent ? son passage. L?-bas, tout au bout, elle s'engouffre dans la profondeur des portiques superpos?s, et par une suite de perrons et d'escaliers, s'?l?ve jusqu'au d?me central, vers lequel, comme l'hommage universel de ces monuments prostern?s, tend tout l'effort d'inspiration de ce plan gigantesque. Aussi le p?lerin, parvenu du fond des for?ts au bord de la plaine, n'est-il pas embarrass? de son chemin; au milieu de tant de sanctuaires accumul?s, malgr? une triple enceinte, ? travers les couloirs sombres, les cours ensoleill?es, les clo?tres qui s'emm?lent, il est attir? vers la myst?rieuse unit? de ce lieu par une force qui le remplit d'un religieux effroi, et qui n'est que la suggestion de la ligne droite.

Fa?ades qui se continuent devant nous ? perte de vue; portiques harmonieux qui, deux par deux, veillent aux angles de ces fa?ades et en interrompent vers le centre la triomphante monotonie; colonnades autour desquelles grimpe, comme un lierre vivace, la profusion des ornements, et dont les intervalles r?guliers laissent p?n?trer largement la lumi?re du soleil, afin qu'on puisse sur les murailles des galeries, recouvertes de bas-reliefs, suivre la glorieuse histoire du peuple b?tisseur; couloirs ajour?s et salles sombres; vo?tes ogivales et plafonds plats; recoins myst?rieux o? tr?ne quelque Bouddha difforme sous la protection des chauves-souris; bassins int?rieurs qu'entourent des galeries; colonnes carr?es, rigidement align?es pour supporter les plafonds et les toitures, ou coquettement group?es dans les angles; cours ferm?es aux airs de clo?tres; cours ouvertes, pareilles ? des jardins, au milieu desquelles, ainsi que les fleurs d'un parterre, de gracieux petits temples ?gaient par leur aimable voisinage l'?crasante et s?v?re beaut? de celui qui les domine tous; mat?riaux effondr?s qui portent, comme la moisissure des si?cles, le relief des sculptures ? demi effac?es; pierres de taille tomb?es de quelque ruine, dont la masse d?concerte l'imagination, et qui n'?taient que d'infimes parties de ce tout prodigieux!

Comment parler dignement de tant de merveilles? D'ailleurs, ne semble-t-il pas qu'on commette un sacril?ge en voilant par la description des d?tails l'admirable unit? de ce chef-d'oeuvre? Cette unit? s'impose ? nos regards et p?se sur notre imagination pendant toute la visite du monument; elle sera l'impression d?finitive et souveraine que nous emporterons d'ici, impression grandiose d'une oeuvre con?ue tout d'une pi?ce, qui fascine par l'ampleur de ses proportions avant de charmer par la gr?ce infinie de ses ornements, o? le m?me puissant g?nie, qui tra?a ses grandes lignes, a d? en indiquer et grouper d'avance les charmants d?tails.

C'est en s'aidant des mains autant que des pieds, presque en rampant, que l'on gravit la montagne sacr?e par des escaliers invraisemblablement raides, aux marches ?troites, ? peine saillantes. La majest? du sanctuaire se rehausse de cette escalade, et l'on se sent plus respectueux de ce qu'on a plus de peine ? atteindre. L?-haut, on trouve encore des vo?tes, des chapelles et des cours clo?tr?es, qui toutes viennent aboutir au d?me central, myst?rieux bloc dressant au-dessus de cette masse l'orgueil de sa t?te constell?e de joyaux. L?, dit-on, sont enferm?es les choses saintes et les documents qui racontent les annales d'une race fantastique. Ni portes, ni escaliers ne permettent d'en p?n?trer le secret. Mais aux quatre angles et au centre des fa?ades, de larges portiques laissent p?n?trer ? flots la lumi?re du ciel, et semblent appeler, de tous les points de l'horizon, les hommages de la nature et des hommes.

Assis sur les marches d'un de ces portiques, les pieds sur une corniche aux sculptures effrit?es, nous regardons le soleil se coucher derri?re le feuillage de la for?t. Au-dessous de nous, les cours et les clo?tres se voilent d'obscurit?, tandis que, ? la hauteur o? nous sommes, le sanctuaire flamboie des derniers rayons. Successivement, disparaissent les colonnes, les chapiteaux et ces bas-reliefs, partout reproduits, o? se d?ploie l'interminable th?orie des bayad?res sacr?es. Bient?t, nous distinguons ? peine les toitures aux lourdes pierres, longues et arrondies, qui s'alignent et se creusent avec la r?gularit? des sillons dans nos champs. Seule, appara?t parfois la robe jaune d'un bonze qui fr?le la muraille en faisant sa ronde.

Alors il nous semble que tous ces objets si rapproch?s de nos yeux aujourd'hui, et pourtant si ?loign?s de notre vieille Europe, ont pour nous quelque chose de d?j? vu. Au moment o? l'obscurit? subite, propre aux pays orientaux qui ne connaissent pas les heures charmantes du cr?puscule, nous les d?robe avec brutalit?, leurs formes confuses ?veillent en nous un monde de souvenirs inattendus.

L'architecture de ces monuments n'est pas pour nous enti?rement nouvelle. Dans des contr?es moins ?loign?es de nous, Babylone et Ninive ont connu ces terrasses ceintur?es de monuments, ces chauss?es aux larges dalles; et les murailles assyriennes ont ?t? recouvertes de cette m?me profusion de bas-reliefs. D'o? viennent les majestueuses figures, au masque hi?ratique, qui d?corent ? elles seules le fronton d'un palais ou le chef d'une tour? L'?gypte a marqu? l? son empreinte. Et ces merveilleux petits temples, avec leurs portiques et leurs colonnes d'un style si pur, o? l'harmonie de la ligne s'accommode si bien de la sobri?t? des ornements, n'est-ce pas dans la Gr?ce classique qu'il en faut chercher les mod?les, ou peut-?tre, qui sait, les imitations?

Que de choses ici nous semblent famili?res! Nous reconnaissons, pour les avoir d?j? vus sur les portes des vieux bahuts bretons, les colonnettes fusel?es et sculpt?es au tour, qui forment ici le grillage des fen?tres.

Tout en un mot d?note une race venue d'ailleurs et qui a d? puiser ses inspirations au berceau m?me du monde, sur ces fronti?res de l'Europe et de l'Asie o? naquirent les premi?res civilisations.

Non loin du temple, dans la for?t, est enfouie la cite royale d'Angkor-tom, dont l'immense enceinte carr?e mesure 4 kilom?tres sur chaque face. Le lendemain, pour nous y rendre, nous faisons de nouveau atteler nos charrettes. H?las! si la divinit? a pu maintenir debout le temple qui lui est consacr?, il n'en a pas ?t? de m?me des palais des hommes, et c'est au milieu de halliers inextricables qu'on en cherche les ruines. Tout d'un coup la roue du char cesse de courir sur le sol sablonneux, un choc tire de son r?ve le touriste occup? ? regarder les singes gambader ? la cime des grands arbres. C'est un perron que, bravement, les petits boeufs sont en train de gravir. Nous passons sous une ogive triomphale que surmonte une sorte de coiffe en pierre massive, ressemblant vaguement ? un bonnet de pair; de l?-haut, une figure impassible semble nous surveiller. ? travers le feuillage, on devine un long ruban de murailles noires qui se perdent dans les halliers; mais si par endroits le fourr? devient moins ?pais, on est stup?fait de s'apercevoir que ce mur d'enceinte est sculpt? comme un bas-relief de temple.

Sur le bord d'une clairi?re, voici un monticule tout embroussaill? d'une v?g?tation g?ante, et au milieu des arbres, aux t?tes ambitieuses, pointent des masses sombres, ?nigmatiques, qui semblent leur disputer une place au soleil. Ce monticule n'est autre qu'un monument de l'art khmer, temple, palais ou tombeau; et sur ses robustes vo?tes, comme sur un terrain solide, la for?t s'est ?tendue. Les cours, les portiques, les ?l?gantes colonnades, les terrasses, les escaliers dress?s comme des ?chelles, le labyrinthe des salles, les ?tages effondr?s, tout est envahi par cette v?g?tation inconsciente qui d?truit elle-m?me son pi?destal. Au-dessus du triple ?tage des vo?tes, on se prom?ne sur un sol jonch? de d?bris ?normes, de colonnes, de pierres de taille. Partout des d?mes se dressent au-dessus des ruines, comme des gardiens immuables. Ce sont d'ordinaire quatre t?tes g?antes r?unies sous un m?me bonnet; et rien n'a pu faire perdre ? ces faces hi?ratiques leur expression de hautaine s?r?nit?, ni l'injure des arbres qui poussent dans les interstices des pierres et transforment leur majestueuse coiffure en une perruque h?riss?e, ni l'irr?v?rencieuse gambade des singes qui fr?lent en passant leur visage.

Dans le myst?re de la for?t, au milieu de ces ruines o? les tigres parfois ont cach? leurs petits, sous le regard de ces figures de pierre fig?es dans leur r?ve ?ternel, l'imagination s'exalte, tente d'?voquer le pass?; et parmi ces choses mortes, la vie rejaillit, comme une ?tincelle derni?re, des milliers de sculptures dont les pierres ?parses sont couvertes et anim?es. Voici les monarques passant dans leur gloire sur leurs chars de combat, que tra?nent des chevaux capara?onn?s d'or; un cort?ge de pr?tres et de courtisans les accompagne. Puis l'arm?e des guerriers, l'arm?e des esclaves, et fermant la marche, la prodigieuse cohorte des ?l?phants. Ce sont les bas-reliefs d'Angkor-Wat qui s'animent et d?filent processionnellement sur l'immense chauss?e entre le palais et le temple. Mais tout cela est mort ? jamais; les pillards ont aid? le temps dans son travail de destruction, et les l?gendes m?me ont disparu de la m?moire du peuple, ignorant de sa glorieuse histoire.

Les cases o? habitent les bonzes, autour du temple, forment avec celui-ci le plus saisissant contraste. Le village n'est qu'un assemblage de paillottes. Nous logeons sous un grand hangar, ouvert de tous c?t?s, ?lev? sur pilotis, et auquel un treillage de bambous tient lieu de plancher: on y acc?de par une ?chelle. La nuit, pendant que nous nous retournons sur nos matelas en proie ? des r?ves gigantesques, tout autour de nous s'?l?vent les voix nasillardes des bonzes qui psalmodient des litanies, ou entonnent une sorte de plain-chant liturgique. Cela dure jusqu'? onze heures du soir, et recommence d?s l'aube pour r?pondre ? l'appel claironnant des coqs. Et pendant les quelques heures de repos que nous laissent ces chants pieux, ? travers la claire-voie de bambous, montent mille bruits bizarres, qui inqui?tent le voyageur couch? en plein air dans ce pays de scorpions et de serpents: ce sont nos petits boeufs attach?s au-dessous de nous, qui ruminent, s'agitent et se fr?lent doucement.

Pourtant ce peuple qui vit dans des cases de bois et de paille, et qui semble plut?t un primitif qu'un d?g?n?r?, est bien le descendant des grands b?tisseurs d'Angkor. Membres robustes, traits accentu?s et presque semblables aux n?tres, yeux largement ouverts, tout indique qu'il vient de loin. ? coup s?r ces gens-l? sont de m?me race que les Indiens qui, ? la m?me ?poque, presque fabuleuse, construisaient les m?mes monuments gigantesques. Ils ne peuvent se renier mutuellement, car ils sont encore aujourd'hui fr?res par les traits de leur visage, comme ils l'?taient jadis par le g?nie. Mais comment expliquer cette d?ch?ance absolue, sans esp?rance et sans regrets? Le ph?nom?ne, h?las! n'a rien de rare.

Les Fellahs n'ont-ils pas construit les Pyramides? N'est-ce pas aux Cinghalais qu'on doit les colosses d'Anuradhapura, dans l'?le de Ceylan? Ces peuples asservis travaillaient pour le compte du ma?tre, et par la puissance de leurs millions de bras, lui permettaient d'accomplir des prodiges auxquels leur intelligence n'avait nulle part. Machines humaines, ils se mouvaient sous la direction d'une ?lite peu nombreuse, et ils retourn?rent ? la simplicit? de la nature, le jour o? disparut cette aristocratie combin?e de la puissance et du g?nie.

Au matin du quatri?me jour, nous ?tions sur pied de bonne heure pour visiter une derni?re fois le temple avant de regagner notre jonque. Le soleil se levait derri?re le sanctuaire. Les d?mes resplendissaient au-dessus de nos t?tes, et le colosse se r?v?lait peu ? peu ? nos yeux dans une aur?ole rose. Autour de nous, tout ?tait encore plong? dans l'ombre: les paillottes, les charrettes ? boeufs, nos conducteurs cambodgiens, la troupe des bonzes accourus pour la distribution des crayons de couleur; et nous cr?mes voir l'image du pass? de ce peuple. Une lumi?re sup?rieure a brill? sur ces contr?es et tir? momentan?ment les habitants de l'ombre, pour les associer ? sa splendeur, comme les esclaves ? la fortune du ma?tre. Cette lumi?re n'?tait que le reflet d'une civilisation ?trang?re; et sans doute, tant que les souverains d'Angkor furent en rapports avec le berceau de leur race, ils r?chauff?rent leur g?nie ? ce foyer des arts qui illumina longtemps le vieux monde. C'est de l? qu'ils tir?rent leurs architectes, leurs peintres, leurs sculpteurs. Mais un jour la communication fut interrompue par le fait des guerres malheureuses, et peut-?tre aussi par suite du retrait de la mer; car il est hors de doute qu'? cette ?poque lointaine le Tonl?-sap ?tait un golfe parfaitement accessible. Le sang n'affluant plus du coeur, les membres se dess?ch?rent; et les rois, traqu?s par les invasions venues du Nord, suivirent le flot descendant. Ils le suivirent si bien, qu'ils abandonn?rent ? tout jamais leur berceau magnifique, et qu'aujourd'hui cette province est au pouvoir d'un peuple rival. C'est le Siam en effet qui poss?de ces ruines, et il ne se pr?occupe gu?re de les entretenir. Et quand nous avons pass? ? Siem-r?ap, un gouverneur siamois est venu nous demander nos passeports et prendre nos noms pour les envoyer ? Bangkok.

Apr?s un dernier regard jet? sur le colosse d'Angkor-Wat, un regard qui ne peut l'embrasser tout entier, nous redescendons, nous aussi, le cours de la rivi?re pour rejoindre notre bateau. Depuis quatre jours nos rameurs nous attendent, fid?les ? leur poste. Les coolies chargent p?le-m?le sur leur dos matelas et provisions, touristes et bagages; en moins d'une demi-heure, le transbordement est fait, et vogue la gal?re!

<> Puis l'excellent homme fr?tille et sourit, ?change avec nous force poign?es de main, et rentre dans son gyn?c?e flottant.

L'avouerai-je? Nous sommes rest?s un peu d?sappoint?s, devant le sympathique mais peu majestueux descendant des grands monarques d'Angkor. Le r?sident, notre tr?s aimable h?te, auquel nous communiquons nos impressions, nous conseille de nous arr?ter en passant ? Compong-luong. <>

Le lendemain, d?s l'aube, notre jonque accostait la berge de Compong-luong. Le gouverneur indig?ne r?quisitionne pour nous des charrettes ? boeufs, et nous nous avan?ons sur une chauss?e, large comme une route nationale, qui conduit ? Oudong-la-Superbe, le Versailles du Cambodge. Vraiment, cette avenue a grand air, malgr? son ?tat de d?labrement, avec sa bordure de cocotiers dominant la plaine fertile; et sa belle mine nous donne par avance une haute opinion des palais qu'elle dessert. Aussi quel n'est pas notre ?tonnement lorsque subitement cette large voie s'?trangle et se perd dans un champ de riz. En face de nous, une sorte de vague oasis nous attire. Nous franchissons une palissade de gros pieux, surmont?e d'un porche de style composite, et nous voil? dans l'enclos de l'ancien palais royal. ? l'extr?mit? d'un petit ?tang, on rencontre d'abord une <>, hangar ? deux ?tages, dont les pieds plongent dans l'eau. Trois petites estrades sont rang?es devant, ? la hauteur du toit, emmanch?es au bout de trois grosses perches qui mesurent bien 10 m?tres de haut; malgr? un vague air de gibet, ces colonnes servaient tout bonnement au monarque pour s'exhiber ? son peuple. ? c?t?, un temple banal, blanc et or, dont les mat?riaux s'effritent, renferme un grand Bouddha, cach? sous un rideau de percale fleurie ? six sous le m?tre. Un groupe de bonzes dessert ce sanctuaire et loge dans les b?timents du palais proprement dit. D?ception: le palais n'est qu'une paillote, une paillote de belles dimensions d'ailleurs, longue et profonde, quelque chose comme un mod?le d?fra?chi du genre. ? l'int?rieur, les appartements du roi, p?re de Norodom, poss?daient des cloisons de planches et de torchis, o? paraissent encore des restes de fresques. Mais pas une pierre n'est entr?e dans la construction de cette r?sidence souveraine, pas une sculpture n'y ?veille une impression d'art. Myst?rieux b?tisseurs d'Angkor, que sont devenus vos descendants?

Dans un coin de la plaine, la reine-m?re a construit un mausol?e ? la m?moire de son ?poux, ce monarque si mal log?. C'est un temple carr? et entour? d'un p?ristyle de colonnes l?g?res, comme tous les sanctuaires du pays. Le toit, ?l?gamment relev?, avec deux cornes qui prolongeait le fa?tage, est couvert d'une mosa?que de tuiles de couleur. Une triple terrasse, prot?g?e par une balustrade, moiti? pierres et moiti? fa?ence, sert de pi?destal au monument; et sur ses degr?s, un r?giment de petits dieux s'?bat et grimace: pantins monstrueux, v?ritables ?pouvantails ? moineaux, ils repr?sentent, para?t-il, le Panth?on brahmanique au grand complet. Au bord de tous les perrons, aux angles de toutes les murailles, les uns ?maill?s et bariol?s, d'autres rev?tus d'un stuc laiteux, ils veillent autour du temple pour en d?fendre les tr?sors. Peine inutile, car le voleur sacril?ge serait le premier vol?. Il faut entrer dans ce sanctuaire pour contempler une fois dans sa vie le plus parfait exemple de mauvais go?t, le plus prodigieux ramassis de camelote. Des fresques se d?roulent le long des murs et semblent provoquer par leurs teintes tapageuses les grincements des chauves-souris; des glaces, entour?es de mirifiques cadres dor?s, pendent aux piliers et refl?tent l'?pre coloris des murailles. Sur l'estrade o? Bouddha est assis, voici tout un d?ballage de marchand forain, la boutique ? deux sous, o? ? tous coups l'on gagne: il y a l? des petits pots en porcelaine avec des fleurs en papier, des boules de verroterie bleues et jaunes, des animaux en pl?tre dor?, des bonshommes en carton peint; enfin, pi?ces de choix et gloire de cet ?talage, quatre superbes bocaux de pharmacien, deux rouges et deux verts.

Sans doute, pour rendre ? son ?poux cet hommage posthume, la reine-m?re a d?pens? tout son douaire: les architectes et les artistes ont d? lui co?ter tr?s cher. Pourtant ces splendeurs encore neuves se d?sagr?gent et menacent ruine. Mainte statue n'a plus de t?te, les corniches gisent ? terre, les incrustations des portes se soul?vent comme la terre humide sous l'effort de la gel?e. Pour ?tre plus ? port?e de surveiller la construction de l'?difice, la vieille reine habitait tout ? c?t? une case de bambou; et, si j'?tais un des bonzes qui occupent aujourd'hui les appartements de la souveraine, je me sentirais plus en s?ret? sous l'humble toiture de chaume, qu'? l'abri des murailles peu solides du temple.

De Oudong, la chaloupe, aid?e par le courant, nous remorque jusqu'? Pn?m-penh. L? r?side le roi actuel du pays, Norodom, au nom populaire; et encore tout impr?gn?s des souvenirs de son p?re, nous dirigeons vers lui notre premi?re visite. Nous p?n?trons dans la vaste enceinte qu'occupent les b?timents royaux. Au lieu d'un palais proprement dit, tel que nous pourrions nous le figurer avec nos id?es d'Europ?ens, nous nous trouvons en pr?sence d'un assemblage sans ordre de constructions sans art. On entre l? comme dans un moulin. Partout l'herbe pousse, des d?bris jonchent le sol, les cours sont ? proprement parler des basses-cours o? la volaille se prom?ne, o? s?chent des oripeaux, o? des rosses ?tiques courent dans des paddocks. Voici d'abord la salle du tr?ne, long hangar qui me fait songer ? la salle de distribution des prix dans mon vieux coll?ge: dans l'int?rieur, un mobilier de pacotille o? s'?tale pompeusement l'article de Paris d?fra?chi, faux bronzes et fausses porcelaines, faux ors, au milieu du clinquant de la verroterie; car nos commer?ants malins reprennent au monarque une partie de sa liste civile en lui vendant fort cher de pr?tendus objets d'art. Plus loin, on nous montre une maisonnette du plus mauvais style bourgeois, achet?e toute faite ? je ne sais quelle Exposition. Le souverain demeure dans une villa de m?me esp?ce, avec v?randah, bow-window et vitraux de couleur, tout ce qui constitue le confortable d'un commer?ant retir?.

Quelquefois, cependant, Norodom voit grand; alors les immenses enceintes d'Angkor semblent troubler ses r?ves. Ainsi, il vient d'achever un monument qui doit illustrer son r?gne: la grande pagode dor?e; et l'inauguration de cet ?difice donne cette ann?e aux f?tes du T?t un ?clat inaccoutum?. Imaginez-vous une cour carr?e aux proportions colossales. Tout autour s'allonge une galerie en bois, et sur le mur qu'elle prot?ge les l?gendes du Cambodge revivent en des fresques grossi?res, d'un effroyable coloris. Cette imitation, pr?tentieuse et na?ve ? la fois, des admirables bas-reliefs d'Angkor donne la mesure de la d?cadence de l'art cambodgien. Au centre de la cour, la pagode, aux proportions fr?les mais ?l?gantes, aux toitures gentiment retrouss?es, fait assez bonne impression. Fa?tages et corniches, portes et balcons, tout est flamboyant d'or; les balustres sont en marbre rouge, et les colonnes, hardies et l?g?res, ont ?t? taill?es dans le plus pur marbre de Paros. Mais notre curiosit? de touristes, pareille ? celle des enfants qui veulent toucher ? tout ce qu'ils voient, nous a co?t? la perte de nos illusions. Car, en montant les marches du temple, nous constatons que la blancheur des colonnes n'est qu'un rev?tement de pl?tre, et que les balustrades sont faites d'une vulgaire poterie, tach?e de chaux, pour simuler les veines du marbre.

Il arrive aux peuples, comme aux vieillards, de retourner ? l'enfance. L'?ge m?r de cette race fut aussi son ?ge d'or. Depuis cette ?poque lointaine, les descendants d?g?n?r?s des Khmers n'ont conserv? de leur glorieux pass? qu'un souvenir inconscient, une sorte d'instinct qui leur fait aimer les constructions ? grand effet: ils ont le go?t non plus de ce qui est noble et beau, mais de ce qui brille, et dissimulent la pauvret? de l'inspiration sous une couche bien ?clatante d'ocre, d'indigo et d'or. Aupr?s des merveilles architecturales et des sculptures d'Angkor, leurs oeuvres apparaissent comme des jouets d'enfants.

Ils ne travaillent pas pour l'avenir; aussi la solidit? est-elle le moindre de leurs soucis. Le pr?sent leur suffit, c'est-?-dire la dur?e d'une vie humaine ou d'un caprice royal. Pourvu que les murailles soient blanches et que les toitures et les ornements flamboient au soleil, il leur importe peu que le marbre soit du pl?tre, l'or de la bronzine, les murs de la terre battue et les incrustations un mauvais placage. Le roi qui a construit un monument veillera peut-?tre ? son entretien, mais ? coup s?r son successeur ne s'en pr?occupera nullement. D'ailleurs, pourquoi les monarques cambodgiens se seraient-ils embarrass?s d'?difices durables puisqu'ils ont partout ?t? ?tablis comme en un camp volant? Depuis le jour o? ils quitt?rent Angkor, la ville de pierre, leurs capitales successives ont jalonn? les rives du fleuve, et chaque si?cle les a vus se rapprocher un peu plus de la mer.

Cette instabilit? semble avoir ?t? toujours la caract?ristique de la race, le germe fatal que son g?nie portait en lui et qui peu ? peu devait l'?touffer. Elle est en partie cause de l'abandon dans lequel les Khmers ont laiss? tant de monuments grandioses; et leurs descendants, avertis par cet exemple de leur propre inconstance, ont perdu l'habitude d'employer des mat?riaux solides pour des oeuvres destin?es ? une ruine prochaine.

Pnomh-penh sera, esp?rons-le, la capitale d?finitive du Cambodge. Nous y avons construit des ?difices en bonnes pierres, nous avons apport? ? ces Orientaux alanguis l'activit? des climats plus temp?r?s et le d?sir du progr?s, qui n'exclut ni la curiosit? ni m?me le culte du pass?; il faut encore les aider ? renouer leurs traditions vingt fois s?culaires, afin de r?veiller par l? l'?nergie de leur ?me endormie. Le Cambodge est un arbre vigoureux o? nous cueillerons de beaux fruits, ? condition de le poss?der jusqu'en ses racines; or, ses racines sont du c?t? d'Angkor, dans les provinces que Norodom r?clamait comme siennes. Le devoir de la France est donc de soutenir les l?gitimes r?clamations du monarque dont elle a fait son prot?g?.

Nous avons visit?, dans l'?le de Ceylan, des ruines superbes que les Anglais s'efforcent d'arracher ? l'oubli de la jungle. Apr?s avoir conquis le pays, ils ont voulu faire revivre les gloires de son histoire et les chefs-d'oeuvre de son g?nie. Pourtant, les Anglais sont gens d'affaires, et non de sentiment. La France au contraire se pique d'?tre la protectrice passionn?e des arts. Elle ne peut, sans se m?conna?tre elle-m?me, abandonner ? un peuple encore demi-barbare, l'une des merveilles du monde et les reliques d'une civilisation troublante par les myst?res de son existence autant que par sa puissante originalit?.

En pla?ant les rois du Cambodge sous notre protectorat, nous avons sauv? leur personnalit? que le Siam mena?ait d'absorber. Mais il convient d'achever notre oeuvre et de remonter avec eux le cours de la rivi?re pour les remettre en possession de leur chartrier. Telle est l'obligation morale assum?e par nous le jour o? nous avons recueilli cette monarchie qui s'en allait ? la d?rive, au fil de l'eau.

Vicomte de MIRAMON-FARGUES.

Droits de traduction et de reproduction r?serv?s.

TABLE DES GRAVURES ET CARTES

L'?T? AU KACHMIR

En <> sur la route du mont Abou. 1

L'?l?phant du touriste ? Dja?pour. 1

Petit sanctuaire lat?ral dans l'un des temples dja?ns du mont Abou. 2

Pont de cordes sur le Djhilam, pr?s de Garhi. 3

Les <> ou plateaux alluviaux form?s par les ?rosions du Djhilam. 4

<> et <> sur la route du Kachmir: vue prise au relais de Rampour. 5

Le vieux fort Sikh et les gorges du Djhilam ? Ouri. 6

Sh?r-Garhi ou la <>, palais du Mah?r?dja ? Sr?nagar. 7

L'entr?e du Tchinar-B?gh, ou Bois des Platanes, au-dessus de Sr?nagar; au premier plan une <>, au fond le sommet du Takht-i-Souleiman. 7

Ruines du temple de Brankoutri. 8

Types de Pandis ou Brahmanes Kachmirs. 9

Le quai de la R?sidence; au fond, le sommet du Takht-i-Souleiman. 10

La porte du Kachmir et la sortie du Djhilam ? Baramoula. 11

Nos tentes ? Lahore. 12

<> ou bateau de passagers au Kachmir. 13

Vichnou port? par Garouda, idole v?n?r?e pr?s du temple de Vidja-Broer 13

Enfants de bateliers jouant ? cache-cache dans le creux d'un vieux platane. 14

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

 

Back to top