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Read Ebook: Le Tour du Monde; Croquis Hollandais Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905 by Various Charton Douard Editor

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Ebook has 899 lines and 41523 words, and 18 pages

pour lesquelles on ne mange pas de pain, et pourquoi l'on se nourrit de farineux, lait et beurre.

Les champs labour?s pr?sentent un aspect boueux, gras, argileux; aux ?poques pluvieuses, les charrettes y enfoncent jusqu'au moyeu. Cette terre serait impropre aux semis vari?s de nos contr?es plus meubles.

La betterave, en Z?lande, se cultive sur une vaste ?tendue. Quand vient l'automne, on voit de tous c?t?s des chariots tra?n?s par des chevaux robustes l'amener aux embarcad?res par v?ritables montagnes. Imposantes et magiques, ces montagnes s'?l?vent vers le ciel, telles une manne ?pandue soudainement, tri?e sans tr?ve et d?nombr?e par des groupes peu press?s; et leurs redondances coniques, ventrues ou bossues, semblent encore des symboles pour la race qui les p?se.

Les chalands, seuls transports possibles en ces contr?es humides, viennent les prendre, afin de les mener aux usines calmes o? la vapeur les transforme.

Sur les canaux aux mille croisements, ces chalands s'en vont. Tout le jour il en passe, et l'on se demande pu?rilement comment les bateliers peuvent ne jamais se perdre ? ces carrefours mouvants qui tous se ressemblent.... Mais le vent, qui les guide, ne les trompe point, et ils parviennent sans tracas aux ports vis?s, o? ils troquent leur cargaison soigneusement empil?e contre des florins tr?buchants ou des marchandises d'?change.

Les chalands qui glissent, avec les moulins qui tournent, forment la seule animation des paysages trop verts.

Derri?re les berges artificielles, ?lev?es pour pr?server ceux-ci, leurs m?ts orn?s de banderoles s'avancent doucement, et cela est tr?s curieux de consid?rer ces b?tons ou ces voiles, s'en aller ainsi au-dessus des herbes, ? la fa?on de grands cierges noirs.

Par l'eau tremblante du canal, Tournant leurs coques vers l'aval Muets, les chalands glissent... Les n?nuphars se plissent, Des z?brures s'esquissent....

Sur la berge nue, ahuris Des ?nes tirent, rabougris, D'un pas lent, d'un pas sage, Dans le vert paysage Du chemin de halage.

? droite, ? gauche, les polders Ind?finis, forment des mers O? les seuls signes d'hommes Sont les grands vols de gnomes Des moulins agronomes.

Avec leurs bras, presque rageurs, Ils font la nique aux voyageurs, Bondissent en cadence, Retombent en silence, En un rythme de danse....

Et graves, nonchalants, des boeufs Guident les vaches autour d'eux, Allant en robes brunes Sur les ciels des lagunes Tondre l'herbe une ? une....

Par l'eau tremblante du canal, Les chalands fondent vers l'aval, Suivis des sarabandes De canards qui truandent, Plongent sous les Hollandes....

La Hollande est le pays o? l'on entend le moins de bruit. Tout glisse sur l'eau.

On longe des sites un peu monotones, c'est vrai; mais quel repos, quelle b?atitude, dans le silence g?n?ral, de suivre des yeux la forme des nuages, et de l'oreille le bruissement de l'eau fendue par la proue! C'est la f?te des profondeurs, des fluides et des brumes, de la brise, de la lumi?re et des sillages.

La moindre vari?t? prend un relief singulier, et l'on admire un moulin coquet, une ferme rouge, un boeuf paisible, un gar?on pench?, remorquant sa barque, aid? de son chien.

Ce mode de roulage, du reste, r?pond si bien ? la nature du pays, qu'il semble ?tre le seul commode. Le plus grand nombre des services ex?cut?s ailleurs par charrette, se pratiquent ici au moyen de bateaux. Le jardinier conduit sa barque charg?e de l?gumes, de fruits ou de fleurs, de m?me qu'en France on conduit son ?ne ou sa voiture.

? Amsterdam, les d?m?nagements se font par eau. Le lait, les fleurs, le bois, etc., viennent de m?me, et tel canal r?unit le march? de l'un, tel canal r?unit le march? de l'autre.

Apr?s avoir refoul?, chass?, endigu? l'eau, le Hollandais se pla?t ? la r?pandre partout, ? la guider ? travers les tranch?es, les foss?s; il en fait la cl?ture de ses champs, de ses prairies, les barri?res qui gardent ses troupeaux, sans qu'il ait besoin de chiens ni de bergers.

Il n'y a d'exception que pour les moutons, quadrup?des un peu sots, qui se noieraient sans le faire expr?s, le nez trop occup? ? chercher leur p?ture. On en rencontre quelquefois le long des canaux, broutant avec ardeur, gard?s par leur propri?taire, v?tu d'une houppelande rousse.

? Wemeldingen, au-dessous de Goes, ce spectacle se retrouve, t?moin ce croquis rapide qui me rappelle une de mes plus hollandaises sensations de Hollande: ciel de soir d'un gris l?ger, canal jaun?tre, chaland lent, moulins raides, polder brun, animaux blancs aux croupes molles, vieil homme contemplatif, silence.... Le chien lui-m?me, quand une brebis d?passe la limite, n'aboie pas, et se contente de mettre son museau aux pattes de la r?fractaire.

Wemeldingen est un bourg vieillot, gardien d'?cluses, avanc? sur le fleuve. J'y parvins par une matin?e pluvieuse o? le ciel furibond avait vid? ses cataractes. J'avais quitt? Zoutelande pour me rendre ? Westkapelle o? se trouve la fameuse digue qui n'a d'?gale que celle du Helder. Cette digue, longue de plusieurs milliers de m?tres, form?e de pierres ?normes et de pieux solides, repr?sente un travail ?tonnant, quand l'on songe qu'il n'existe ni carri?re ni for?t dans la r?gion. Un moulin colossal la domine, non loin des maisons aux toits rouges. Tout cela n'a pas d'apparence, c'est-?-dire ne frappe pas l'esprit au premier abord: la nature se charge en effet d'att?nuer cette preuve d'?nergie humaine, en comblant les interstices de gazon; mais la nature ne peut emp?cher la mer de d?ferler sans tr?ve et de faire songer, quand on se retourne vers la plaine basse, ? ce qu'elle a d? abandonner.

De Westkapelle ? Veere, la route bien pav?e n'est pas d?mesur?e. ? Veere, il y a un vieux manoir transform? en h?tel, situ? au bord m?me du flot. Une tour ronde forme le corps du logis et sert de salle commune, au premier ?tage. De hautes fen?tres ? embrasures profondes permettent de suivre la lutte des brumes contre les nu?es et des rayons contre les ombres.

Au jour tombant, des couleurs subtiles parent le vide impalpable, au milieu duquel des reflets glissent; puis, quand la nuit est venue, des fanaux dansants luisent, se dessinent, approchent, rougeoient, disparaissent, et l'on n'entend ni bruit de rames, ni fr?lement de voiles, ni chanson de gabier, et l'on imagine des vaisseaux-fant?mes, guid?s par des vieux enferm?s, cherchant au fil de l'eau les tr?sors dont on parle.

? Veere, je pris, le lendemain, le vapeur matinal et je d?barquai ? Zieriksee, sous une pluie fine, d?sesp?rante, une pluie de Hollande, qui se changea bient?t en hallebardes, descendant du firmament par tourbillons indompt?s.

Accroupi sous mon caoutchouc, j'essuyai sto?quement la bourrasque, consid?rant les chariots enfonc?s dans les champs mar?cageux, enlev?s par les efforts brusques de reins hippiques, souill?s de boue grasse.

Bref, le ciel se rass?r?na; j'enfourchai ma machine et je foulai par le pays, l'oeil attentif, la moustache au vent.

Je parcourus des kilom?tres nombreux, je traversai des ponts ? guillotine, des remblais, des p?turages, des cultures, des villages tous pareils, et je parvins ? Wemeldingen, au moment o? mon estomac criait famine.

L'h?telier, un grand homme sec, au profil de m?daille, me re?ut avec am?nit?. Il pr?vint sa femme. Celle-ci renon?a ? me comprendre, et appela ses filles. Cinq jeunes personnes fra?ches, rieuses, roses, apparurent et m'entour?rent de leurs bras nus, de leurs coiffes aux ailes rondes. Je saisis une feuille de papier et je dessinai un boeuf, puis un pain, une baratte et divers ingr?dients, symboles des nourritures que je d?sirais absorber. Elles joignirent leurs mains, riant tr?s fort, et parl?rent toutes ensemble en agitant leurs doigts menus, pour m'expliquer des foules de myst?res.

Je tirai mon Lexique.

--Lief boerin.... Jolies jeunes filles.

Elles se tr?mouss?rent. La m?re les fit mettre en rang, les compta de l'index, et se frappa le sein.

--C'est moi qui leur ai donn? la vie.

--Mes compliments... Ravissantes... J'ai faim!

Elles se pr?cipit?rent. L'une apporta du lait, l'autre du rosbif, une autre du pain, une derni?re du fromage. La cinqui?me, fort jolie, telle Marthe, resta qui?te, m'aidant ? me retrouver dans le labyrinthe de mes phrases obscur?ment n?erlandaises.

Comme un pacha, je m'attablai, servi par ces houris charmantes, dont la fra?cheur sereine me reposait. Je d?vorais des dents les victuailles, et des yeux leurs joues. En v?rit?, je ne fus jamais l'objet d'attentions pareilles, m?me chez mes pays, o? pourtant les jeunes filles sont aimables.

Quand je fus rassasi?, j'allumai une cigarette, et j'entrepris de tirer la bonne aventure ? ces jeunesses. Ce fut r?jouissant. Pench?es sur moi, elles me grisaient, et se grisaient peut-?tre, d'un fin ar?me de linge blanc, de teint frais; tandis que, le sourcil en ?querre, telle la sybille de Cumes, je consid?rais d'un oeil profond les lignes de leurs paumes.

Je voulus ensuite savoir leurs ?ges. Les mains se lev?rent; et, comme les marmots qui comptent sur leurs doigts pour faire une addition, elles ?num?r?rent les printemps dont elles ?taient nanties.

--O? sont-elles pass?es?... interrogeai-je en pi?tre allemand.

--L?-haut, r?pliqua-t-il, en montrant le plafond.

--Je voudrais bien les portraiturer.

--Attendez-un moment.

Au bas de l'escalier, cinq paires de mules noires orn?es de perles, attestaient une fuite pr?cipit?e. Malgr? mon d?sir, je n'osai grimper au harem, et je me mis ? griller du p?tun.

Un quart d'heure s'?coula de la sorte, puis j'entendis derri?re la porte des murmures ?touff?s. J'ouvris. Les trois a?n?es se tenaient l?, par?es de leurs plus beaux atours.

--Et les deux autres?

Elles hoch?rent la t?te, montr?rent leurs coiffures, hauss?rent les ?paules, et je crus comprendre qu'une affaire de coquetterie les emp?chait de descendre.

--Nous voil?, nous, mim?rent-elles.

Je les suivis dans le jardin, o? il y avait une barri?re verte, garnie de roses tr?mi?res, le long d'un petit chemin. Le soleil, par intervalles, d?chirait les nu?es lourdes qui chevauchaient par hordes au plein du firmament, ?clairant d'une lumi?re soudain jaune le violet des horizons, et les coiffes aux ailes rondes o? luisaient des yeux vifs, semblaient devant moi remplir tout l'espace d'un langage minutieux. Les jeunes filles riaient, les mains ballantes. Je les pris tour ? tour par le petit doigt et les conduisis ? la porte du clos, et je m'accoudai afin de leur d?biter en vieux fran?ais un compliment subtil, dont elles ne comprirent que le bruit, assez agr?able, car il ?tait dit en vers de Ronsard:

<>

Puis je fixai le jeu de leur trois minois, gravement satisfaits, et j'allai me promener, apr?s avoir mis l'index sur les papillons d'or qui retenaient leurs cheveux.

Je poussai le long du grand canal. Les ?cluses, ouvertes ? tout instant, laissaient passer des chalands lents, qui hissaient leurs voiles en ciseaux et s'?loignaient, encadr?s de vert, devant l'?cran du ciel instable. De gros nuages s'enfuyaient toujours. Des chariots, pr?s de l?, d?versaient des monceaux de betteraves. Un vieil homme gardait des moutons sur la pente des remblais. Du silence toujours,... puis la nuit.

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