Read Ebook: Le Tour du Monde; En Roumanie Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905 by Various Charton Douard Editor
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Ebook has 830 lines and 40977 words, and 17 pages
en m?moire de cette journ?e sanglante que depuis l'on a peint ses murailles en rouge vif.
Mais la perle de Curtea, c'est cette superbe ?glise blanche, toute scintillante sous ses coupoles dor?es, qui se dresse ? un quart de lieue de la ville, au sommet d'un monticule isol?; c'est l'?glise du monast?re, dont on a dit qu'? elle seule elle valait le voyage de Roumanie.
Le cr?ateur de ce bijou architectural, o? s'?panouit l'art byzantin, avec des r?miniscences d'art arabe et d'art persan, est le prince Neagu Voda Bessaraba, qui r?gna en Valachie en 1513. Dans son enfance, il fut amen? comme otage ? Constantinople. Le sultan le prit en affection et lui fit enseigner l'architecture par un homme de talent nomm? Manoli de Niaesia, avec lequel il b?tit, entre autres, une des grandes mosqu?es de Constantinople. De retour dans le pays, il construisit l'?glise du monast?re. Il y employa un gr?s calcaire tr?s fin, provenant des carri?res voisines d'Albesci. C'est dans ces m?mes carri?res que M. Lecomte de Nouy, l'architecte fran?ais qui, en 1875, restaura l'?difice, put encore ais?ment trouver les mat?riaux qui lui ?taient n?cessaires pour son travail.
D'une blancheur de marbre, rehauss?e par le bleu des ?maux et par la dorure des ornementations et des coupoles, l'?glise s'?l?ve au milieu d'une esplanade, entrecoup?e de jardins fleuris et cl?tur?e par un grillage artistique. Les tourelles, ainsi que les h?micycles de la partie post?rieure, sont couronn?es par des d?mes en cuivre dor?, ? grand relief et ? nervures, d'o? partent des cha?nes dor?es, qui vont relier les croix ? bras multiples, surmontant chaque coupole. Les murs ext?rieurs disparaissent sous les torsades, les ?cussons, les arceaux et les panneaux ? d?coration mauresque, qui les recouvrent. Toute cette profusion d'?maux bleus, rehauss?s de dorures, est d'une richesse, d'une vari?t? de d?tails telle, qu'un critique a dit <
Devant l'entr?e principale se dresse une gracieuse construction appel?e le baptist?re. C'est une sorte de pavillon ouvert, form? par quatre colonnes en pierre blanche soutenant quatre arceaux en plein cintre, d?coup?s en fer de lance barbel?. De lourdes torsades en ?mail bleu et des arabesques d'or sur fond d'azur d?corent le haut du petit ?difice. Une coupole de cuivre dor? et ? cha?nettes, comme celles de l'?glise, ?merge d'un couronnement de pierres blanches finement dentel?es.
Derri?re l'?glise s'?l?vent le monast?re, les b?timents du palais ?piscopal et l'?glise du s?minaire, le tout absolument neuf. Car lors de la restauration de la c?l?bre ?glise, il a fallu, pour l'isoler, d?molir toutes les anciennes constructions qui l'enserraient compl?tement.
? part ses ?glises, Curtea de Arges offre peu d'attrait pour l'?tranger. Des moines ? longs cheveux et ? longue barbe noire circulent de tous c?t?s. Leur toilette est irr?prochable et contraste singuli?rement avec le d?n?ment de la plupart des religieux des autres monast?res. Leur allure est fort simple, et ils s'entretiennent volontiers avec le peuple, qui semble les avoir en haute estime, et leur t?moigne le plus profond respect.
Dans l'unique rue de la ville, se tient en ce moment un grand march? de poisson. Il y a l? des monceaux de carpes colossales, recouvertes de gros blocs de glace, des carpes que le Danube, ? la suite des crues de ces derniers jours, a refoul?es dans ses affluents, et qui sont bient?t tomb?es dans les filets des p?cheurs. Ces poissons, dont le poids moyen est de dix ? vingt kilos, sont d?bit?s en grosses tranches et se vendent trente centimes le kilo.
Il nous reste une derni?re ?tape ? franchir avant d'arriver ? Bucarest, c'est celle qui nous m?ne ? Campolung. G?n?ralement les voyageurs s'y rendent par chemin de fer, en descendant jusqu'? Pitesci et en remontant ensuite par Golesci; mais nous pr?f?rons la route de voiture, qu'on dit ?tre originale et accident?e.
? sept heures et demie du matin nous sommes pr?ts pour notre exp?dition. ? peine sommes-nous partis depuis une heure, que nous ?prouvons une s?rie de d?boires. Les eaux, fortement gonfl?es par les derni?res pluies, ont emport? les ponts, et il nous faut suivre une route impraticable, descendre en plein lit des torrents, parfois tr?s rapides, au risque d'?tre inond?s dans la voiture. Tout autour de nous, le paysage r?v?le la plus grande mis?re. Les fermes, les huttes, les chapelles sont dans le plus triste ?tat de d?labrement, et l'on se demande vraiment si quelque cataclysme a secou? ce coin de terr? o? plus rien n'est debout et o? tout semble vou? ? la destruction. ? part quelques p?cheurs descendus dans les torrents et qui retiennent de grands filets pour capturer les poissons, nous ne voyons pas un seul habitant. Ce n'est qu'? Domnesci que l'animation reprend.
Domnesci n'est qu'un pauvre village, mais, ? l'occasion du dimanche, tous les habitants ont rev?tu leurs plus coquets atours. D?s que nous exhibons nos appareils de photographie, on nous entoure de la fa?on la plus sympathique. Nous n'avons qu'un geste ? faire et ces braves gens se mettent en groupe, enchant?s de poser devant nous. Il y a m?me certaines jeunes personnes pour qui l'objectif a un tel attrait qu'elles nous suivent pas ? pas et que nous sommes oblig?s d'user d'artifices pour ne pas les retrouver constamment sur nos clich?s. L'?glise du village, po?tiquement abrit?e par un bouquet de grands arbres, est entour?e d'une cour dans laquelle on p?n?tre par une porte de style tr?s curieux. Cette porte, quoique appartenant ? la plus mis?rable commune, perdue au fond des montagnes, est d?cor?e d'adorables figurines d'anges et de saints, d'inscriptions et de guirlandes vraiment artistiques. Ces d?corations sont dues ? des artistes nomades qui, ? force de reproduire les m?mes figurines, acqui?rent de l'habilet? et m?me un vrai talent.
Le pope du village traverse en ce moment la route et regagne le domicile conjugal, un pain sous le bras. Il est d?guenill?; il para?t si mis?rable, sous sa houppelande d?teinte et sa haute toque brune, qu'instinctivement nous dirigeons notre objectif vers lui. Mais l'avouerai-je, nous sommes retenus par un certain respect devant cette pauvret? digne et fi?re, qui semble vouloir se d?rober ? nos regards peut-?tre indiscrets. Ces popes de village sont de tr?s braves et tr?s dignes gens, peu instruits, g?n?ralement aim?s des populations dont ils partagent la triste condition, mais sur lesquelles ils n'exercent cependant que peu d'influence.
En remontant les pentes de la vall?e de Domnesci on aper?oit, presqu'au sommet d'une colline, les coupoles scintillantes d'une ?glise de village. C'est l'?glise de Slanic, charmante localit? propre et coquette, en contraste frappant avec la r?gion mis?rable et peu habit?e que nous venons de traverser. Tout ce village respire l'aisance et la gaiet?. D'?normes fermes ?talent leurs vastes b?timents, leurs larges et belles cours d'une propret? irr?prochable. Des jeunes filles, fort jolies et ? la mise ?l?gante, vont, viennent, vaquant aux soins du m?nage, au milieu des poulets, des dindons, des canards, qui sont les seuls h?tes actuels de ces grandes fermes. Le gros b?tail en est absent. Durant tout l'?t?, il p?ture en libert? dans les montagnes. Le soir, on le parque dans des enclos, et pas un abri ne le prot?ge contre les intemp?ries.
Au sortir de Slanic, c'est la solitude qui recommence. Des pasteurs conduisant leurs troupeaux, des groupes de travailleurs tout blancs, se reposant sous les arbres des rudes fatigues de la fenaison, sont les seuls ?tres vivants que nous rencontrions en chemin pendant la derni?re partie du trajet qui nous s?pare de Campolung. La route traverse une s?rie de vall?es po?tiques qui descendent des Carpathes. Dans les lointains, de ravissants bois de bouleaux abritent de leur ombre les boeufs errant sur les coteaux. ? gauche, toujours la cha?ne bleuissante et vaporeuse des Alpes de Transylvanie. Mais plus une habitation, plus une hutte; et tout autour de nous c'est un silence de mort. Enfin, vers quatre heures de l'apr?s-midi, nous faisons notre entr?e ? Campolung.
Campolung est une jolie localit? dont l'importance remonte ? Radu Negru, fondateur de la principaut? de Valachie. Il n'existe plus aujourd'hui que de faibles traces de l'ancien palais de ce prince; mais le grand monast?re qu'il fonda ? l'entr?e de la ville, bien qu'ayant subi d'importantes restaurations, subsiste encore. Une tour romane, haute de 40 m?tres, large de 6, donne acc?s ? la cour int?rieure du monast?re. Cette tour imposante, dont le style rappelle l'influence lombarde, a beaucoup de caract?re. C'est un des monuments les plus anciens et les plus appr?ci?s de la Roumanie. La ville est si propre, si bien situ?e, l'air y est d'une puret? si remarquable que, chaque ann?e, bon nombre de citadins viennent y passer une partie de l'?t?.
Des hauteurs qui environnent la ville, on d?couvre un superbe panorama de montagnes. Nous sommes d'ailleurs tout proche des Carpathes, et les vall?es qui en descendent sont autant de buts d'excursions agr?ables et vari?es. La ville, quoique peu ?tendue, a pourtant son quartier tzigane: une rue enti?re non loin du monast?re. Quelle rue singuli?re, surtout vers la soir?e, alors que de toutes les habitations largement ouvertes se projettent les lueurs rouges et sinistres des feux de forge, devant lesquels circulent de superbes femmes en haillons, au teint mat et aux yeux noirs, et des amours d'enfants demi-nus, qu'on a rev?tus, par d?cence sans doute, d'une courte veste descendant jusqu'? la ceinture. Des hommes grands et minces, ? la figure bronz?e, ?clair?e par la lueur des foyers, frappent le fer; d'autres dans l'ombre agitent des soufflets de forge. C'est l'heure du travail pour ces parias. Leur rude m?tier n'est pas supportable pendant les chaleurs du jour, et ce n'est qu'? la nuit tombante que ce quartier se r?veille.
L'excursion du d?fil? de Dimboviciora est le compl?ment oblig? de tout s?jour ? Campolung. Cette gorge est une des plus c?l?bres et des plus visit?es de cette partie des Carpathes.
Depuis le d?part de Campolung, c'est une succession ininterrompue de points de vue superbes, d'horizons ?tranges, o? les cha?nes de montagnes s'?tagent les unes par-dessus les autres, jusque dans un lointain infini. Au village de Rocaru, nous traversons la Dimbovitza, que nous c?toierons dans le d?fil? jusqu'? la grotte de Dimboviciora. La roche blanche qui ?merge de son lit, entrem?l?e de touffes de verdure sombre, encadre merveilleusement cette petite rivi?re aux eaux pures et cristallines. Puis nous approchons rapidement de la haute muraille d?chiquet?e qui, depuis quelque temps, borne notre horizon, et au milieu de laquelle se dissimule l'entr?e du c?l?bre d?fil?. ? peine p?n?trons-nous dans la gorge, qu'un spectacle r?ellement admirable se d?couvre ? nos yeux. Des tours massives, des aiguilles ?lanc?es, des murailles inaccessibles, des gradins en ruine, le tout d'une superbe teinte blanc ros?, nous enserrent dans l'?troite crevasse; et dans le haut, une frange de verdure se dessine sur le ciel bleu.
? la sortie du d?fil?, le paysage devient moins s?v?re, plus alpestre, et l'on rencontre quelques p?turages et quelques huttes de bois. ? l'une de ces huttes nous mettons pied ? terre, et un jeune gar?on nous m?ne jusqu'? la grotte de Dimboviciora, ? travers un nouveau d?dale de rochers ?boul?s. La grotte s'ouvre au milieu d'un d?cor des plus sauvages; mais malgr? les descriptions enthousiastes des guides, elle vaut ? peine une visite. ? l'entr?e, des montagnards affair?s, munis de quelques maigres chandelles, s'offrent ? nous pr?c?der. On s'attend ? quelque chose d'un peu fantastique, et l'on n'a devant soi qu'une caverne de 15 ? 20 m?tres de profondeur, avec quelques stalactites et quelques stalagmites d'un blanc jaun?tre.
Au retour de cette excursion remarquable, dont certains sites rappellent la c?l?bre Bastei de la Suisse saxonne, nous visitons une bien modeste petite abbaye de religieuses, l'abbaye de Namaesci qui pr?sente un d?tail curieux: son ?glise est enti?rement creus?e dans un monolithe. Seuls la tour et un petit avant-corps sont en ma?onnerie. Tout l'int?rieur est taill? dans le rocher, au-dessus duquel on peut circuler ? l'aise, et d'o? l'on jouit d'un panorama magnifique. Nous disons adieu ? Campolung. Un embranchement de chemin de fer nous m?ne ? Golesci, o? nous retrouvons la grande ligne de Bucarest.
Th. HEBBELYNCK.
Droits de traduction et de reproduction r?serv?s.
EN ROUMANIE
Par M. TH. HEBBELYNCK.
L'entr?e ? Bucarest est une d?ception pour l'?tranger. De la gare au centre de la ville, on traverse des rues dignes des villages les plus primitifs, des rues bord?es de masures en ruine et de boutiques infectes, o? les trottoirs disparaissent sous des monceaux de fruits et de l?gumes. Mais l'impression se modifie bient?t. ? ces faubourgs malpropres succ?dent de superbes art?res, o? des ?difices luxueux rappellent ceux des plus grandes villes d'Europe.
Les Roumains sont tr?s fiers de leur capitale, et vantent volontiers le confort qu'on y trouve. Ils comparent, avec un visible amour-propre national, leurs voies publiques, admirablement pav?es, aux abominables rues de Belgrade, o?, apr?s un quart d'heure de voiture, on a les reins bris?s. Aussi se plaisent-ils ? appeler Bucarest le Paris de l'Orient. D?j? en 1884, M. de Blowitz, revenant d'une promenade en Orient, disait: <
Avec non moins de v?rit?, Carmen Sylva, la reine de Roumanie, disait en 1892: <
Encore aujourd'hui Bucarest nous appara?t avec tout l'orgueil, toute l'ambition de l'affranchi d'hier, qui cherche, par son luxe nouveau, ? faire oublier son trop r?cent ?tat de servage. De l?, ces contrastes frappants auxquels on se heurte ? chaque pas dans la cit?: ici des maisons basses, vrais taudis de boh?miens, d'o? s'?chappent des gens ? peine v?tus; l? des palais somptueux, comme ceux de la Caisse d'?pargne et de l'H?tel des Postes, des caf?s richement d?cor?s, o? s'?tale toute la haute soci?t? roumaine. D'un c?t?, des boutiques de ferblanterie, comme celles de la rue de Leipzig, o? les d?taillants exhibent toutes leurs marchandises sur les trottoirs; de l'autre c?t?, des magasins luxueux, du go?t le plus moderne, pouvant rivaliser avec les plus beaux magasins de Paris.
Les diff?rentes classes de la soci?t? pr?sentent la m?me antith?se. D'une part, la caste inf?rieure, qui n'a pu encore se d?pouiller de l'allure craintive et timide que lui a laiss?e son long esclavage; et d'autre part, la classe riche qui, voulant tout d'un coup s'?lever au niveau de la civilisation moderne, s'inspire des moeurs et de la litt?rature ?trang?res, et qui, ? cause de cela, n'a aucune physionomie propre. D?s qu'on est au centre de la ville, on ressent cette impression du plagiat de Paris, Paris l'id?al, copi? dans ses monuments, dans ses magasins et m?me dans l'allure de ses habitants. Mais si les plus beaux ?difices publics sont b?tis en style parisien, les maisons particuli?res ne sont malheureusement pas toujours construites dans le go?t le plus pur. La fortune priv?e est peu importante, et pourtant chacun veut cr?er du monumental. De l?, ces vieilles constructions tout habill?es de pl?tre neuf, ? grand relief, qui s'effritent aux premi?res rigueurs de l'hiver, et qui sont en perp?tuelle r?paration.
De par sa situation au milieu d'une grande plaine largement ouverte au nord-est, Bucarest a tous les inconv?nients du climat sib?rien. L'hiver y est si long et si dur qu'on n'y circule qu'en tra?neau pendant trois mois. En ?t?, le thermom?tre monte parfois jusqu'? 40 degr?s, et les temp?ratures extr?mes peuvent pr?senter des ?carts de 70 degr?s. Aussi les beaux arbres sont-ils fort rares: ceux du Nord ne r?sistent pas aux chaleurs torrides de l'?t?, et ceux du midi et de l'Orient succombent sous les froids rigoureux de l'hiver.
Les voitures publiques, tr?s nombreuses, sont l?g?res, commodes, toujours attel?es de deux chevaux fringants, russes ou moldaves, et conduites par des cochers ? longue robe de velours serr?e ? la taille par une ceinture de couleur, et la t?te couverte d'une casquette plate. Les voitures les plus propres, les chevaux les plus vifs appartiennent ? des cochers russes de la secte des <
Bucarest n'a qu'une population de 250 000 habitants, et cependant sa superficie est ?gale ? celle de Vienne: 30 kilom?tres carr?s. Aussi, lorsque de l'une ou de l'autre colline, on jette un regard sur la ville, on est frapp? du grand nombre de jardins et de terrains vagues que l'on y aper?oit. Les constructions, les rues, les places publiques, n'occupent que le quart de son ?tendue. Aux extr?mit?s de la ville, se trouvent diss?min?s de mis?rables faubourgs; la ville proprement dite s'?tend dans le voisinage de la Dimbovitza. Sur la rive gauche, se concentrent les minist?res, les palais, le quartier commer?ant; sur la rive droite, se groupent des monuments religieux et des ?tablissements de bienfaisance.
Nous commen?ons la visite de la ville par une de ses plus anciennes ?glises, la M?tropole, construction en style n?o-byzantin, datant de 1656. Elle est situ?e sur une colline de la rive droite, et l'on y jouit d'une vue admirable sur une partie de la ville. Tout autour se trouvent les b?timents de l'ancien monast?re, modifi?s et transform?s aujourd'hui, ceux de gauche en r?sidence du m?tropolitain, ceux de droite en Chambre des d?put?s.
Au bas de la colline, au premier plan du panorama qui se d?roule devant nous, s'?l?ve, au milieu de jardins fleuris, l'?glise de Domna Balasa, la plus belle et la plus luxueuse des ?glises de Bucarest. Cette ?glise, qui apr?s celle de Curtea de Arges passe pour la plus remarquable de la Roumanie, est un chef-d'oeuvre de style n?o-byzantin.
Domna Balasa est entour?e d'h?pitaux fond?s, ainsi que l'?glise m?me, par la fille de Constantin Brancovan, l'avant-dernier vo?vode indig?ne de la Valachie.
Le nombre des h?pitaux est tr?s consid?rable ? Bucarest, et de tout temps de riches particuliers ont l?gu? leur fortune pour la cr?ation et l'entretien de ces ?tablissements de bienfaisance, qui font la gloire de la Roumanie. Leur n?cessit? s'explique par les maladies ?pid?miques qu'am?ne annuellement le contact de la Roumanie avec les ports d'Orient.
Tout pr?s de Domna Balasa se trouve l'?glise de Spiritou Nou, remarquable par ses vastes proportions. Cet ?difice, qui date de 1858, a remplac? une ancienne basilique o? les princes phanariotes se faisaient couronner ? leur retour de Constantinople.
Hormis ces quelques ?difices religieux, la rive droite de la Dimbovitza n'offre que peu d'int?r?t; et pour se donner une juste id?e du Bucarest moderne, il faut se rendre dans l'art?re principale de la ville, la Calea Victoriei, ainsi appel?e au lendemain de la victoire russo-roumaine sur la Turquie, en 1877-78.
Ici, se concentre tout le mouvement, et dans cette rue interminable s'?chelonnent le Palais, l'?v?ch?, l'Ath?n?e, le Th??tre, les Minist?res, les Ambassades. Les magasins les plus luxueux s'ouvrent sur la Calea Victoriei, et, devant les principaux h?tels, le long des trottoirs, sont attabl?s de nombreux consommateurs, d?gustant des glaces et des confitures exquises et vari?es. Tout ? l'extr?mit? de la Calea Victoriei, s'ouvre la fameuse chauss?e de Kisselef.
Cette chauss?e, qui est pour ainsi dire le Bois de Boulogne de Bucarest, est la promenade favorite et presque obligatoire de la soci?t? ?l?gante et mondaine. Tous les jours, en hiver, alors que la neige recouvre la ville, et au printemps qui brusquement succ?de aux hivers rigoureux, c'est dans ces grandes avenues, de deux ? quatre heures, un luxe inou? de tra?neaux et d'?quipages. En ?t?, la chauss?e est absolument d?serte, et cette longue avenue solitaire, sans ombre, br?l?e par le soleil, encadr?e d'arbres sans vigueur, n'est pas faite pour enthousiasmer le voyageur.
? l'entr?e de la chauss?e s'?l?ve le palais de l'ancien ministre Stourdza, chef du parti lib?ral. Ce palais colossal, bien qu'un peu surcharg? d'ornements, n'en est pas moins une construction fort imposante. Il fait face au boulevard Coltei, de cr?ation r?cente, o? l'on rencontre une s?rie d'h?tels nouveaux, tout blancs, ? l'aspect original. La plupart de ces constructions appartiennent ? des particuliers riches; mais, de m?me que la chauss?e, ce boulevard est d?sert, et les propri?taires de ces riantes habitations sont dispers?s dans les lieux de vill?giature recherch?s en Roumanie.
Mais tous ces quartiers nouveaux, quelque riants qu'ils apparaissent, n'ont aucun cachet original, et l'on se prend ? regretter que les Roumains, dans leur l?gitime ambition de placer Bucarest ? la hauteur des grandes villes occidentales, se soient laiss? entra?ner ? une v?ritable rage de d?molition, au point d'effacer, pour ainsi dire, toute trace du pass?. Ce que les guerres ont ?pargn?, les Roumains, pour l'esth?tique de leur capitale, le d?truisent tous les jours.
Il reste pourtant un petit bijou d'?glise qui, malgr? son ?tat de v?tust?, est encore appropri?e au culte grec: c'est le Straviopolis. Cette construction, vieille de deux cents ans, est en style byzantin b?tard, avec un curieux p?ristyle arabe, aux arcades trilob?es, emprunt?es au style mauresque. Les emprunts au style arabe sont, d'ailleurs, tr?s fr?quents en Roumanie, et constituent un des traits distinctifs de l'architecture roumaine.
Terminons notre promenade ? travers la ville, par une visite ? l'Universit?, qui renferme, outre les locaux destin?s aux facult?s de th?ologie, de m?decine, etc., une grande salle r?serv?e au S?nat roumain, ainsi que diff?rents mus?es. Au mus?e d'arch?ologie, nous retrouvons les superbes fresques anciennes enlev?es aux monast?res, les manuscrits pr?cieux, les tapisseries brod?es. Mais la perle de ce mus?e est le tr?sor de Petrossa, autrement dit le tr?sor des Goths. Ce tr?sor se compose de dix pi?ces en or massif, datant du IIe si?cle de notre ?re. Il fut d?couvert en 1837 par des ouvriers qui le vendirent ? vil prix ? des boh?miens de passage. Ceux-ci, pour reconna?tre la nature du m?tal, fendirent ? coups de hache plusieurs de ces objets, entre autres un plat merveilleux, d?cor? de figurines ? relief, qui se trouve au mus?e. Parmi les pi?ces qui ?chapp?rent au massacre, il faut citer un diad?me orn? de gros grenats, une coupe enrichie de pierreries, une grande aigui?re, un anneau massif. La d?couverte de ce tr?sor constitue une tr?s importante r?v?lation arch?ologique.
On ne peut quitter Bucarest sans visiter Cotroceni, le premier palais du roi de Roumanie, aujourd'hui r?sidence du prince-h?ritier Ferdinand de Hohenzollern. Le palais, entour? de jardins, est situ? un peu en dehors de la ville, sur une colline bois?e.
C'est un ancien monast?re fond? en 1679 par un Cantacuz?ne, et quoique transform? et consid?rablement embelli il a conserv? son aspect monacal: il est froid, s?v?re et triste. On y p?n?tre par une grande porte vo?t?e qui m?ne dans une premi?re cour, o? les cellules et les clo?tres sont convertis en communs. Au milieu d'une seconde cour, se trouve l'?glise, derri?re laquelle s'abrite le palais, artistement orn? de guirlandes et de cabochons en majolique. L'int?rieur, qu'on nous permet de visiter en d?tail, est fort riche, et d?cor? avec tout le go?t, le luxe et le confort modernes. Le grand hall est peupl? des victimes cyn?g?tiques du prince: ours, sangliers, aigles, coqs de bruy?re. Dans le cabinet de travail, de nombreuses cartes marines, des coupes, des plans de navires, indiquent les go?ts et les ?tudes pr?f?r?es de l'h?ritier de la Couronne. ? l'?tage, on trouve le home: les boudoirs, les salons priv?s de la famille, les chambres d'?tude des jeunes princes, leurs salles de jeux, encombr?es de jouets luxueux. Tout cela est gai, riant, s?duisant, et forme contraste avec l'aspect aust?re de la fa?ade ext?rieure. Entre Bucarest et Sina?a, se rencontre Slanic, qui poss?de une des exploitations de sel gemme les plus importantes de la Roumanie. Un tron?on de chemin de fer, greff? sur la ligne principale, nous y m?ne directement.
Les couches de sel gemme s'?tendent d'une mani?re ininterrompue, mais ? des niveaux tr?s diff?rents, sur tout le versant moldave et valaque des Carpathes. Ainsi, ? Rimnik-Sarat, en Moldavie, on voit une montagne de sel scintillant au soleil; dans d'autres r?gions, le gisement affleure le sol; mais le plus souvent il faut creuser ? dix, vingt, et m?me trente m?tres de profondeur. Certaines couches n'ont qu'une ?paisseur de deux m?tres et demi ? trois m?tres, mais la plupart ont une ?paisseur beaucoup plus consid?rable.
Le sel roumain constitue une des grandes richesses du pays, et il pourrait, pendant des si?cles, approvisionner l'Europe enti?re. En g?n?ral, il est tr?s blanc et cristallin, mais la qualit? n'est pas partout la m?me, et l'on trouve, dans les meilleures salines, des veines stri?es de rubans noir bleut?. Ces stries indiquent la pr?sence de l'argile, et le sel qui en provient n'est pas livr? ? la consommation: on s'en sert uniquement pour les besoins de l'agriculture. Parfois aussi, dans certaines couches, se rencontrent des poches p?trolif?res qui communiquent au sel une saveur tr?s caract?ristique que l'on retrouve m?me dans le pain auquel on ajoute de ce sel.
Depuis 1862, l'?tat a monopolis? l'exploitation du sel gemme. Comme la production ?tait trop importante en ces derniers temps, il a arr?t? le travail dans les mines de Doftana, dont le produit annuel ?tait de 25 000 tonnes, mais dont le sel ?tait plus bleu?tre et de qualit? inf?rieure ? celui de Slanic. Il ne reste donc plus en activit? aujourd'hui que les exploitations de Slanic, de Targul-Ocna et d'Ocna-Mare.
La profondeur actuelle de la mine de Slanic est de 100 m?tres. Au passage de la cage de descente, on aper?oit ? 20 ou 30 m?tres une premi?re galerie, puis bient?t on arrive au niveau de la grande salle, taill?e en vo?te comme une superbe ogive, de 60 m?tres de hauteur. On se croirait dans une cath?drale de marbre, dont les murs scintillent sous les reflets blafards des grandes lampes ?lectriques. Les parois ressemblent, en effet, ? s'y m?prendre, au marbre d?poli, et, comme pour rendre l'illusion plus grande encore, on a m?nag? le long de ces ?normes murailles des parties saillantes, formant contrefort, et repr?sentant des piliers carr?s.
Trois cents ouvriers, tout habill?s de blanc, travaillent dans cette grande salle; quelques-uns ne conservent que le pantalon, car la besogne est rude. L'extraction se fait dans le bas dans le sol m?me, qui va ainsi toujours s'approfondissant. Depuis la muraille jusqu'au petit chemin m?nag? au centre de la galerie pour la circulation des wagonnets, on creuse, ? la pioche, des sillons parall?les, distants de 60 centim?tres et ayant 20 centim?tres de largeur sur 50 de profondeur. Puis, au moyen de lourds leviers actionn?s par deux ou trois hommes, on d?tache du sol de gros blocs qu'on divise ensuite en morceaux de 25 ? 50 kilos. Dans la salle que nous visitons, le travail est ex?cut? par des hommes libres, mais dans des galeries s?par?es, il est fait par des for?ats. Avant 1848, ces malheureux, une fois descendus dans la mine, ne remontaient plus au jour, et bien peu d'entre eux survivaient ? trois ou quatre ann?es de ce r?gime barbare. Aujourd'hui, leur vie est devenue supportable et, tous les jours, apr?s huit heures de travail en hiver et douze heures en ?t?, ils rentrent au p?nitencier. En outre, ils re?oivent une gratification de 60 ? 80 bani par jour.
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