Read Ebook: La fille Elisa by Goncourt Edmond De
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Ebook has 353 lines and 37630 words, and 8 pages
alit?e, l'enfant ? la pens?e inoccup?e, r?vassante, assista aux aventures du d?shonneur, aux drames des liaisons cach?es, aux histoires des passions hors nature, aux consultations pour les maladies v?n?riennes, ? la divulgation quotidienne de toutes les impuret?s salissantes, de tous les secrets d?go?tants de l'Amour coupable et de la Prostitution.
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Le plus souvent la cause des emportements de la m?re d'?lisa ?tait autre. Les accouchements du bureau de bienfaisance ? huit francs, les accouchements de la maison ? cinquante francs, y compris les neuf jours de traitement, ne couvraient pas toujours les d?penses de l'entreprise. Dans l'ann?e, presque tous les mois, revenaient des semaines, o? des billets, plusieurs fois renouvel?s, se trouvaient chez l'huissier, o? le cr?dit s'arr?tait chez le boucher, la fruiti?re, le charbonnier. Ces semaines-l?, le portier avait l'occasion de voir redescendre, toute p?le et se tenant ? la rampe, la jeune fille mont?e, quelques heures avant, chez la sage-femme. De ce quanti?me du mois commen?aient, pour la mis?rable femme, les jours inquiets, les jours anxieux, les jours tremblante du Crime, les jours o? dans le regard qui s'arr?tait sur elle, elle percevait un soup?on; o? dans la parole, qui, sur son passage, s'occupait d'elle, elle flairait une d?nonciation; o? la lettre qu'on lui remettait lui faisait trembler les mains, comme ? la r?ception de la lettre de mort de l'avort?e; des jours enfin, o? chaque coup de sonnette lui semblait le coup de sonnette <
Mais ces coups encore, ?lisa les pr?f?rait aux nuits pass?es avec sa m?re! Alors que la pauvre maison avait toutes ses chambres prises par les pensionnaires, la sage-femme, chass?e de son lit, partageait celui de son enfant. Des cauchemars, des sursauts d'effroi, des cris de terreur, le dramatique et haletant somnambulisme du Remords dans une nature apoplectique, tenaient, jusqu'? l'aube, la fillette ?veill?e avec le frissonnant r?cit, par cette bouche qui dormait, de d?tails d'agonie inoubliables et de supr?mes paroles de jeunes mourantes. Des nuits, au bout desquelles, ? moiti? ?touff?e par l'?treinte de ce gros corps cramponn? ? son petit corps, comme si l'invisible main de la Justice tirait la sage-femme ? bas du lit,--?lisa se levait, gardant au fond d'elle une secr?te ?pouvante de sa m?re.
Un caract?re intraitable, un ?tre d?sordonn? dont on ne pouvait rien obtenir, sur lequel rien n'avait prise. En m?me temps une nature capricieuse et mutable, o? la r?pulsion d'?lisa pour sa m?re se transformait, certains jours, en une affection amoureuse, en un culte adorateur de sa beaut? rest?e grande encore, en une tendresse filiale, se t?moignant avec ces caresses de petites filles, qui se prom?nent sur le d?colletage de leur m?re par?e pour un bal. Aussi brusquement, se changeaient en antipathies les pr?f?rences de ce coeur, ainsi que le t?moignaient les paroles ?chappant ? l'habitu?e de bals publics, montrant ses entrevues avec ses danseurs comme des rencontres le plus souvent taquines et batailleuses, des amours pleines de disputes et de coups de griffes. Les hauts et les bas des humeurs d'?lisa semblaient se retrouver dans le jeu des forces de son corps, et les fluctuations de son activit?. Un jour c'?taient une rage de travail, un lavage ? grandes eaux, un balayage fougueux de tout l'appartement, retentissant de coups de balai; puis les jours d'apr?s, les semaines suivantes, un engourdissement, une torpeur, un cassement de bras et de jambes, une paresse qu'aucune puissance humaine n'avait le pouvoir de secouer.
?lisa montrait enfin la r?solution arr?t?e de se faire assommer, plut?t que de prendre l'?tat de sa m?re.
Ainsi, pour la petite fille, l'initiation presque d?s le berceau, ? tout ce que les enfants ignorent de l'amour. Plus tard, quand ?lisa fut mise trois ans chez les dames de Saint-Ouen, la fillette, rentrant le matin de ses cong?s, ?tait souvent, les jours d'hiver, oblig?e de d?m?ler, sur le pied du lit de sa m?re, son petit manteau du pantalon d'un chantre de la Chapelle de la Maternit?, une vieille liaison ? laquelle l'ancienne ?l?ve sage-femme ?tait rest?e fid?le. Plus tard encore, la jeune fille avait sous les yeux, jour et nuit, l'exemple que lui montrait sa vie de bonne et de garde-malade pr?s de toutes ces filles-m?res.
Le soir de la saign?e de la lorraine, au sortir d'une sc?ne abominable avec sa m?re, ?lisa, en bordant le lit de la femme, laissait jaillir, en phrases courtes et saccad?es, la d?termination secr?te et irr?vocable de sa pens?e depuis plus de six mois.
--Da! fit la lorraine un peu ?tonn?e, mais au fond tr?s-enchant?e de la proposition--elle n'avait pas l'habitude de faire de telles recrues--et apr?s s'?tre assur?e qu'?lisa avait plus de seize ans, lui avouait qu'elle ne demanderait pas mieux, mais qu'elle craignait que sa m?re f?t quelque esclandre chez le commissaire.
--Ayez pas de crainte; maman! elle ne mettra jamais la police dans ses affaires, et pour cause... Elle me croira chez un de mes danseurs de la Boule-Noire. Ce sera tout...
Les deux femmes convenaient du jour de leur d?part, et la fille disparaissait de la maison maternelle, le lendemain de cette soir?e.
? la descente du chemin de fer, ?lisa montait avec sa compagne dans un omnibus, qui la promenait le long de maisons noires, par des rues interminables. Enfin l'omnibus, d?charg? de ses voyageurs, prenait une ruelle tournante, dont la courbe, semblable ? celle d'un ancien chemin de ronde, contournait le parapet couvert de neige d'un petit canal gel?.
La voiture avan?ait p?niblement au milieu d'une tourmente d'hiver, ? travers laquelle,--une seconde--vaguement, ?lisa aper?ut, flagell? par les rafales de givre, un grand Christ en bois, aux plaies saignantes, que l'on entendait geindre sous la froide temp?te.
Quelques instants apr?s, au loin, dans un espace vague, au-dessus de l'unique maison b?tie en cet endroit, ?lisa voyait une lumi?re rouge. En approchant, elle reconnaissait que c'?tait une grande lanterne carr?e, qu'elle s'?tonnait, quand elle fut ? quelques pas, de trouver d?fendue contre les pierres des passants, par un grillage qui l'enfermait dans une cage.
?lisa ?tait devant la maison ? la lanterne rouge, qui s'affaissait ainsi que la ruine croulante d'un vieux bastion, et dont la porte, ferm?e et verrouill?e, laissait filtrer, par l'ouverture d'un judas, une lueur p?le sur la blancheur glac?e du chemin.
Au petit jour, le surlendemain de son arriv?e, ?lisa ?tait ?veill?e par le bruit d'un cheval sous sa fen?tre.
Elle se levait en chemise, et un peu peureusement, allait regarder, par l'entreb?illement d'un rideau, ce qui se passait dans la cour.
Dans le brouillard blanc du matin, un gros jeune homme, la blouse bleue sur des v?tements bourgeois, d?telait le cheval d'un tape-cul de campagne, en causant avec la ma?tresse de maison ainsi qu'avec une vieille connaissance.
--Le carcan m'a rudement men?, disait-il en promenant une main, comme une ?clanche de mouton, sur la croupe de la b?te; voyez, la m?re, il fume comme le cuveau de votre lessive...
Et comme la vieille femme s'appr?tait ? prendre le cheval par la bride:--Merci, pas besoin de vous, on conna?t le chemin de l'?curie... Et il y a du nouveau ? la maison, hein, la grosse m?re?
Les coups donn?s par sa m?re, les terreurs des nuits pass?es dans le m?me lit, comptaient pour quelque chose dans la fuite d'?lisa de la Chapelle et son entr?e dans la maison de Bourlemont, mais au fond la vraie cause d?terminante ?tait la paresse, la paresse seule. ?lisa en avait assez de la laborieuse domesticit?, que demandaient les lits, les feux, les bouillons, les tisanes, les cataplasmes de quatre chambres, presque toujours pleines de pensionnaires. Et le jour, o? elle succombait sous cette t?che de manoeuvre, regardant autour d'elle, elle se sentait ?galement incapable de l'application assidue qu'exige le travail de la couture ou de la broderie. Peut-?tre y avait-il bien, dans cette paresse, un peu de la l?chet? physique, qui chez quelques jeunes filles persiste longtemps apr?s la formation de la femme, pendant quelques ann?es les prive--les malheureuses, quand elles sont pauvres--de toute la vitalit? des forces de leur corps, de toute l'activit? oblig?e de leurs doigts. La paresse et la satisfaction d'un sentiment assez difficile ? exprimer, mais bien particulier ? cette nature port?e aux coups de t?te: l'accomplissement d'une chose violente, extr?me, ayant et le d?dain d'une r?solution contemptrice du qu'en dira-t-on et le caract?re d'un d?fi; voil? les deux seules raisons, qui avaient m?tamorphos? ?lisa, si soudainement, en une prostitu?e.
Il arrivait alors, que le doux honneur de ce corps, que sa virginit? devenait en cette maison, pour ?lisa, pendant trente-six heures, un tracas, un tourment, un sujet d'?moi tremblant, la tare d'un secret vice r?dhibitoire qu'elle s'ing?niait ? cacher, ? dissimuler, ? d?rober ? la connaissance de tous, peureuse de se trahir, craignant que la divulgation de sa chastet? n'emp?ch?t son inscription. Et la fille-vierge, en son imagination, se voyant ramen?e chez sa m?re, venait de jouer avec le hobereau campagnard une com?die de d?vergondage propre ? le tromper, ? lui donner ? croire que la novice ?tait d?j? une vieille recrue de la prostitution.
Les lieux m?mes, ce faubourg recul?, cette construction renfrogn?e, perdaient de leur horreur aupr?s d'?lisa; elle ne les voyait plus avec les yeux, un peu effray?s, du jour de son arriv?e. Le bourgeonnement des arbustes, la verdure mara?ch?re sortant de dessous la neige avec la fin des grands froids, commen?aient ? rendre aimable cette extr?mit? de ville, qui semblait un grand jardin avec de rares habitations, sem?es de loin en loin, dans les arbres. La maison, elle aussi, en d?pit de son aspect de vieille fortification, avait pour ses habitantes une distraction, un charme, une singularit?. Des battements d'ailes et des chants d'oiseaux l'enveloppaient tout le jour. C'?tait, cette maison, l'ancien grenier ? sel de la ville. Les murailles, infiltr?es et encore transsudantes de la gabelle emmagasin?e pendant des si?cles, disparaissaient, ? tout moment, sous le tourbillonnement de centaines d'oisillons donnant un coup de bec au cr?pi sal?, puis montant dans le ciel ? perte de vue, puis planant une seconde, puis redescendant entourer le noir b?timent des circuits rapides de leur joie ail?e. Et toujours, depuis l'aurore jusqu'au cr?puscule, le tournoiement de ces vols qui gazouillaient. La maison ?tait ?veill?e par une piaillerie aigu?, disant bonjour au premier rayon du soleil tombant sur la fa?ade du levant; la m?me piaillerie disait bonsoir au dernier rayon s'en allant de la fa?ade du couchant. Les jours de pluie, de ces chaudes et fondantes pluies d'?t?, on entendait de l'int?rieur--bruit doux ? entendre--un perp?tuel frou-frou de plumes battantes contre les parois, un incessant petit martelage de tous les jeunes becs picorant, ? coups press?s, l'humidit? et la larme du mur.
Les femmes, au milieu desquelles se trouvait ?lisa, ?taient pour la plupart des bonnes de la campagne, s?duites et renvoy?es par leurs ma?tres. Vous les voyez! ces ?paisses cr?atures, dont la peau conservait, en d?pit de la parfumerie locale, le h?le de leur ancienne vie en plein soleil, dont les mains portaient encore les traces de travaux masculins, dont les rigides boutons de seins faisaient deux trous dans la robe us?e, ? l'endroit contre lequel ils frottaient. Une jupe noire aux reins, une camisole blanche au dos, ces femmes aimaient ? vivre les pieds nus dans des pantoufles, les ?paules couvertes du fichu jaune, affectionn? par la fille soumise de la province. Chez ces femmes aucune coquetterie, nul effort pour plaire, rien de cet instinct f?minin, d?sireux, m?me chez la prostitu?e, d'impressionner, de provoquer une pr?f?rence, de faire na?tre un caprice, de mettre enfin l'apparence et l'excuse de l'amour dans la v?nalit? de l'amour; seulement une amabilit? banale, o? l'humilit? du m?tier se confondait avec la domesticit? d'autrefois, et qui avait ? la bouche, pour l'homme press? entre les bras, le mot <
La moins brute de la compagnie ?tait une grande fille, ? l'?troit front bomb?, aux noirs sourcils reli?s au-dessus de deux yeux de gazelle, aux joues briquet?es d'un rouge d?non?ant un estomac nourri de cochonneries, ? la petite bouche accompagn?e de fossettes ironiques, ? l'ombre follette de cheveux tombant sur le sourire cern? de ses yeux et r?pandant, dans toute sa physionomie, quelque chose de sylvain et d'?gar?. Chez la rustique et ?trange cr?ature, la fantasque d?raison d'une sant? de femme mal ?quilibr?e ?clatait ? tout moment, en taquineries violentes, en caprices m?chants, en actes d'une domination contrariante.
Dans la Divine d'alors, il ?tait rest? beaucoup de la petite Morvannaise d'autrefois. Sortait-elle? il n'y avait pas de haie capable de d?fendre les pois, les chicots de salade, qu'elle mangeait tout crus. La lune ?tait-elle dans son plein? Bon gr?, mal gr?, elle faisait cligner les yeux ? ses compagnes jusqu'? ce qu'elles eussent vu, dans le dessin brouill? de l'astre p?le--et nettement vu--<
Monsieur et Madame consultaient maintenant ?lisa pour leurs affaires. Elle ?tait le secr?taire qu'ils employaient pour ?crire ? une fille ?lev?e dans un couvent de Paris. Elle prenait la plume pour r?pondre aux lettres du jour de l'an commen?ant et se terminant ainsi: <
Divine, qui, depuis quelques ann?es, exer?ait dans l'int?rieur la petite tyrannie despotique d'une femme malade, d?pit?e de tomber au second plan, quittait la maison. Et devant la consid?ration t?moign?e par Madame ? ?lisa, ses compagnes descendaient naturellement ? se faire ses domestiques.
Au moment du d?part de Divine, un ?v?nement fortuit grandissait encore la position de la Parisienne. Elle avait la fortune de faire na?tre un coup de coeur chez le fils du maire de l'endroit. De ce jour affichant ? son cou, dans un grand m?daillon d'or, l'image photographi?e du fils de l'autorit? municipale, ?lisa conqu?rait dans l'?tablissement le caract?re officiel de la ma?tresse d?clar?e d'un h?ritier pr?somptif. Elle pouvait s'affranchir des corv?es de l'amour, son linge ?tait chang? tous les jours. Au lieu de la soupe que l'on mangeait le matin, elle prenait, ainsi que Madame, une tasse de chocolat. Au d?ner elle buvait du vin de Bordeaux, du vin du fils de la maison pour sa maladie.
Un verger s'?tendait derri?re la maison. Aux premi?res ti?deurs du printemps, les femmes quittaient le salon pour habiter toute la journ?e le jardin, ne rentrant qu'? la nuit tombante. Les habitu?s ?taient accueillis dans de petits bosquets de ch?vrefeuille, grimp?s aux branches de vieux abricotiers en plein vent, sous lesquels ils buvaient du cassis, de la bi?re, de la limonade gazeuse. L?, parmi la floraison des arbres fruitiers, au milieu du reverdissement de la terre, sous le bleu du ciel, un peu de l'innocence de leur enfance revenait chez ces femmes dans la turbulence d'?bats enfantins. Le plaisir de petites filles qu'elles prenaient ? courir, ? jouer, effa?ait en elles l'animalit? impudique, rapportait ? leurs gestes de la chastet?, rajustait sur leurs corps gaminants une jeune pudeur. Dans le jardin, ces femmes ne semblaient plus gu?re des prostitu?es, et les hommes, sans savoir pourquoi, se sentaient plus de retenue avec elles.
Le violonneux n'?tait point un musicien de la ville, mais un paysan d'un village voisin, qui ?tait et l'ami, et le confident, et le conseiller, et l'homme d'affaires des dames de la maison.
L'original vieillard, qui avait une aptitude singuli?re ? jouer de tous les instruments, arrivait le dimanche avec son violon, un gosier intarissable, un entrain, un enl?vement des gens, qui mettaient bient?t en branle le monde. Toute la journ?e, son violon faisant rage, et la verve de sa parole trouvant des stimulants drolatiques, il faisait, par ma foi, huit heures durant, bonnement sauter ces hommes et ces femmes, ainsi que d'honn?tes filles et d'honn?tes gar?ons dans un bal de campagne.
La prostitution de la petite ville de province diff?re de la prostitution des grands centres de population. Le m?tier pour la fille, dans la petite ville, a une douceur relative; l'homme s'y montre humain ? la femme. L?, l'heure est plus longue pour le plaisir, et la h?te brutale command?e par l'activit? de la vie des capitales n'existe pas. Une d?bauche plus na?ve, plus sensuelle, moins c?r?brale, moins hant?e de lectures cruelles ne recherche point dans la V?nus physique l'humiliation et la douleur de la cr?ature achet?e. Et le public demandant en province moins de honte ? la prostitu?e, la prostitution, en ses maisons ? jardins, perd de son d?go?t et de son infamie, pour se rapprocher un peu de la v?nalit? galante, ing?nument exerc?e, dans la molle indulgence de peuples primitifs, sur des terres de nature.
Par toutes ces causes, et il faut le dire aussi, au bout de ce compagnonnage honteux de ces jeunes hommes avec Monsieur et Madame, de l'immixtion un peu salissante dans les choses et les secrets de la maison, de ce long spectacle d?moralisateur du commerce de l'endroit, il arrive que la femme pay?e prend sur l'homme qui la choisit toujours, l'esp?ce de domination attachante d'une femme qui se donne, et que la prostitu?e de petite ville ?chappe ? la d?gradation de son ?tat, triomphe souvent de l'impossibilit? de pouvoir, semble-t-il, ?tre aim?e avec le coeur.
Bient?t l'attrist?e maison se remplissait du noir et de l'horreur que met entre quatre murs l'agonie furieuse d'un jeune mourant qui ne veut pas mourir. Le fils de la maison n'avait plus que quelques semaines ? vivre, et chaque crise, qui l'approchait du terme, amenait une ?pouvantable sc?ne, o? dans la terreur de la mort, de sa bouche impitoyable, il injuriait sa m?re, l'appelant de noms inf?mes qu'on entendait de la rue, l'accusant de sa fin pr?matur?e, criant que Dieu le punissait, lui, du sale m?tier qu'elle faisait!
?lisa, par l'habitude que son enfance avait eu de soigner les femmes en couche, devenait naturellement la garde-malade de ce gar?onnet. Les jours, o? il ne voulait supporter la pr?sence ni de son p?re ni de sa m?re, elle le soignait, elle le veillait, et au milieu de la disposition chagrine de son esprit et du douloureux de sa t?che, elle cherchait une distraction dans la lecture des livres, des romans qui tra?naient sur le lit du jeune homme, et qu'il lisait comme un malade, en allant de l'un ? l'autre, dans les entr'actes de la souffrance.
Le roman! qui en expliquera le miracle? Le titre nous avertit que nous allons lire un mensonge, et au bout de quelques pages, l'imprim? menteur nous abuse comme si nous lisions un livre <
La lecture ?tait devenue une fureur, une rage chez ?lisa. Elle ne faisait plus que lire. Absente de corps et d'esprit de la maison, la fille, autant que lui permettait l'id?al bas et born? de sa nature, vivait dans un vague et g?n?reux soul?vement, dans le r?ve ?veill? d'actions grandes, nobles, pures, dans une esp?ce d'hommage de son cerveau ? cela que son m?tier lui faisait profaner ? toute heure.
--?lisa!
--Madame?
--Monte, ma fille!
Le dialogue avait lieu du haut en bas de l'escalier.
--De quoi, Madame? fit ?lisa, arriv?e sur le seuil de la chambre ? la porte toujours ouverte.
--Qu'est-ce qu'on me dit... Des messieurs se plaignent que vous n'?tes plus amoureuse... En voil? un renom propre pour ma maison... C'est les sales livres que tu lis toute la journ?e... Un peu vite que tu vas me ficher tout ?a dans les lieux de l'Enfer, petite tra?n?e!...
Aussi, apr?s le premier ?tonnement de ces paroles, lui tombant ? l'improviste sur la t?te ainsi que des soufflets, le mouvement instinctif de la rageuse ?lisa fut-il de se pr?cipiter sur la grosse femme, que la peur faisait tomber de sa chaise, pendant qu'?lisa roulait sur son corps dans une violente attaque de nerfs.
Monsieur, tr?s-d?sagr?ablement surpris de se voir quitter par le premier sujet de son ?tablissement, sa casquette ? la main, montait prier ?lisa de ne point s'en aller. Quelques instants apr?s, apparaissait Madame suant et soufflant, suivie de toutes les filles de la maison, qui, derri?re elle, les unes portant une porcelaine, les autres un bouquet, faisaient, avec des figures de circonstance, dans l'escalier en spirale, une longue et th??trale procession. La grosse femme, en pleurnichant, disait qu'elle ?tait bien malheureuse, s'excusait sur le chagrin qui la rendait <
Il y avait longtemps que plus rien n'attachait ?lisa ? la maison; m?me, depuis quelques jours, la conception vague d'une r?solution bizarre et g?n?reuse la poussait vers la porte. Dans l'enfoncement de sa pens?e parmi les romans du cabinet de lecture de Bourlemont, dans cette existence c?r?brale pendant des mois, en plein milieu d'actes d'h?ro?sme et de d?vouement, ?lisa s'?tait sentie mordue du d?sir d'accomplir des actions se rapprochant de celles qu'elle avait lues, et un besoin imp?rieux de se d?vouer ? sa fa?on tourmentait son coeur de fille.
Son imagination appelait, pour lui offrir l'hommage et le sacrifice de sa vie, un homme se montrant ? elle, dans l'?mouvant cort?ge des dangers, des p?rils, des luttes mortelles, au milieu desquels elle voyait marcher ses Palicares. Alors, un soir, ?tait tomb? dans sa chambre un commis-voyageur, qui d?posait sur sa table de nuit des pistolets, un poignard, tout un arsenal de guerre. Les paroles de cet homme ne racontaient que des prises d'armes, des tueries d'?meutes, des sc?nes sanglantes de nature ? donner la chair de poule ? une femme. ? la lueur de la bougie, plac?e derri?re sa carte de visite, le commis-voyageur faisait voir ? ?lisa un bonnet de la libert? dans un triangle ?galitaire. Il pronon?ait, ? voix basse, le nom d'une redoutable soci?t? secr?te travaillant dans l'ombre ? renverser le gouvernement. L'inqui?tude de son corps, le coup d'oeil furtif et circulaire de ses yeux disaient le conspirateur traqu? par la police, craignant ? tout moment de voir jaillir un agent d'un placard. Avant de se coucher, il roulait la commode devant la porte. Il avait demand? du champagne; quand il fut gris, il commen?ait ? s'apitoyer sur sa jeunesse, sur la courte vie que devait, h?las! bient?t terminer la guillotine ou le peloton d'ex?cution. Par cette mort qu'il tenait suspendue sur sa t?te, par ce pass? d'affiliations t?n?breuses, par le prestige myst?rieux sur le peuple, de ce mot: <
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