Read Ebook: La fille Elisa by Goncourt Edmond De
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Ebook has 353 lines and 37630 words, and 8 pages
Son imagination appelait, pour lui offrir l'hommage et le sacrifice de sa vie, un homme se montrant ? elle, dans l'?mouvant cort?ge des dangers, des p?rils, des luttes mortelles, au milieu desquels elle voyait marcher ses Palicares. Alors, un soir, ?tait tomb? dans sa chambre un commis-voyageur, qui d?posait sur sa table de nuit des pistolets, un poignard, tout un arsenal de guerre. Les paroles de cet homme ne racontaient que des prises d'armes, des tueries d'?meutes, des sc?nes sanglantes de nature ? donner la chair de poule ? une femme. ? la lueur de la bougie, plac?e derri?re sa carte de visite, le commis-voyageur faisait voir ? ?lisa un bonnet de la libert? dans un triangle ?galitaire. Il pronon?ait, ? voix basse, le nom d'une redoutable soci?t? secr?te travaillant dans l'ombre ? renverser le gouvernement. L'inqui?tude de son corps, le coup d'oeil furtif et circulaire de ses yeux disaient le conspirateur traqu? par la police, craignant ? tout moment de voir jaillir un agent d'un placard. Avant de se coucher, il roulait la commode devant la porte. Il avait demand? du champagne; quand il fut gris, il commen?ait ? s'apitoyer sur sa jeunesse, sur la courte vie que devait, h?las! bient?t terminer la guillotine ou le peloton d'ex?cution. Par cette mort qu'il tenait suspendue sur sa t?te, par ce pass? d'affiliations t?n?breuses, par le prestige myst?rieux sur le peuple, de ce mot: <
Quelques jours apr?s la sc?ne avec Madame, le commis-voyageur, qui avait achev? sa tourn?e de Bourlemont, venait faire ses adieux ? la fille. ?lisa lui demandait dans quelle ville il allait, et quel jour il y serait.
Au jour dit, dans la ville qu'il avait nomm?e, le commis-voyageur arrivant du chemin de fer, son sac de nuit ? la main, ? l'heure o? s'allumaient les r?verb?res, fut tr?s-?tonn? de voir s'avancer ? sa rencontre, tout en battant le pav?, une femme qui ?tait ?lisa.
--Toi ici!
--Ne m'avais-tu pas dit que tu y serais aujourd'hui?
--Eh bien?
--Eh bien m'y voil?!... et maintenant tu me trouveras comme ?a... oui, tu me trouveras partout... o? tu iras!
?lisa cependant n'aimait vraiment pas. Rien d'une de ces passions physiques, qui viennent ? une femme de sa classe, par des causes secr?tes et inconnues pour un m?le sp?cial, ne remuait ses sens. Son coeur n'avait point ?t? touch?. Le commis-voyageur n'?tait au fond pour cette femme, ? la cervelle ?chauff?e, que le pr?texte ? un d?vouement pr?t ? jaillir, depuis des mois, au profit du premier passant. Disons-le, dans ces liaisons de femmes ? hommes, o? la femme se fait la protectrice de l'homme, prend ? charge et assume sur elle son bonheur, le manque d'amour est plus commun qu'on ne croit. La cr?ature a c?d? ? un attendrissement psychique, ? un de ces mouvements de charit? humaine entr'ouvrant un coeur; et un mobile, au-dessus des choses sensuelles, d?cide, la plupart du temps, de ces adoptions aveugles, o? l'?tre qui se donne se paye en pleine infamie, par le contentement pur des actions d?sint?ress?es. Le plus souvent dans ce r?le tut?laire de la fille, vous ne trouverez que la satisfaction l?gitime d'une faiblesse prot?geant une force, et encore le sentiment, ? ses propres yeux, du rel?vement et du rachat de cette fille au milieu de la v?nalit? du m?tier. Il existe dans l'immonde profession un besoin instinctif de la femme, et plus fort que son ?go?sme, de cr?er, de b?tir avec ses privations et ses souffrances une f?licit? d'homme. Tr?s-souvent dans la prostitution cette immolation d'une femme au profit d'un homme, d'un homme vil! oui, mais qu'importe? cette immolation prend quelque chose d'une touchante maternit?, en a les complaisances, les indulgences, les ?ternels pardons.
Au bout de quelques mois, ce n'?tait plus seulement son amour qu'?lisa donnait ? son conspirateur, c'?tait l'argent de ses cigares, puis l'argent de ses d?penses de caf?, puis l'argent de toutes choses, l'argent pour assoupir les dettes criardes des ann?es pr?c?dentes, l'argent pour payer les frais arri?r?s d'une pr?tendue condamnation, enfin tout l'argent que gagnait ?lisa. Ses chemises us?es, elle arriva ? ne pouvoir les remplacer, et n'eut bient?t plus ? se mettre sur le dos que la robe indispensable pour faire le trottoir. En r?compense de cette mis?re, ?lisa n'obtenait cependant que des paroles ? l'adresse d'un chien, parfois des coups. Et la femme, aux mains batailleuses, se laissait maintenant frapper, sans se rebiffer. Elle ne se plaignait pas, ne se lassait pas, ne se rebutait pas. De jour en jour plus maltrait?e et plus d?pouill?e, elle devenait plus douce, plus soumise, plus pr?venante, comme si elle trouvait, parmi les impitoyables exigences de l'entretenu, un martyre aux douces et exaltantes tortures. Il semblait qu'?lisa ressentait une jouissance orgueilleuse dans le sacrifice, et on aurait vraiment dit qu'elle ?tait reconnaissante ? cet homme de tout ce qu'il lui faisait souffrir dans son ?me et dans sa chair. Un jour, la fr?n?sie de son d?vouement pour son bourreau ?clatait en ce cri sauvage: <
Puis le coiffeur parti, dans l'air o? d'invisibles araign?es semblent tisser leurs toiles couleur de poussi?re, revient l'ennui de cette vie de t?n?bres, et cela jusqu'? l'heure o?, parmi le flamboiement du gaz, se l?ve le jour de la prostitution.
Ces journ?es ?taient les journ?es de la nouvelle existence parisienne d'?lisa.
Le moment ?tait venu. Un foulard blanc au cou, sur la t?te un chapeau de velours noir avec un bouquet de g?raniums ponceau, ?lisa, dans la triste et neutre toilette du vice pauvre, enfournait le caraco banal, bord? de poil de lapin, qui servait, tour ? tour, ? toutes les filles de la maison.
Elle sortait de l'all?e, o? la lampe de l'escalier mettait sur l'humidit? des murs un ruissellement rougeoyant, et se lan?ait sur le trottoir: un trottoir c?toyant de vieilles b?tisses ressoud?es tant bien que mal, interrompu par les rentrants des maisons b?ties d'apr?s le nouvel alignement, coup?, ?? et l?, par des bornes d?fendant des entr?es de cours, noy? par l'eau du ruisseau, au moindre orage.
La sortie d'?lisa avait lieu, quand elle pouvait l'obtenir, en ces commencements de nuits parisiennes, o? le p?le fa?te des maisons se perd dans l'azur d?color? d'un ciel resserr? entre deux toits, tout au haut duquel tremblotte une petite ?toile.
Le plus souvent, ?lisa ?tait dehors, en des heures recul?es, qui n'ont pour lumi?re, dans le lointain endormi et le ciel ent?n?br?, que les rondes lanternes des h?tels o? on loge ? la nuit. Bient?t les passants se faisaient rares. Dans la rue il n'y avait plus, et encore de temps en temps, qu'un ivrogne attard? qui pissait contre la palissade en parlant tout haut. L'une apr?s l'autre les boutiques s'?taient ?teintes, puis ferm?es; seule la lueur d'un quinquet chez le coiffeur mettait un rayonnement trouble dans les vieux pots de pommade de la devanture, montrant, sous un ?clairage fantastique, deux petits bustes. Sur un commencement de gilet rose et sur une cravate bleu de ciel, riait une t?te de n?grillon, aux cheveux cr?pus, sous un chapeau gris, un chapeau joujou, et le n?grillon avait comme pendant, sous un autre petit chapeau, mais noir, un joli jeune homme aux cheveux blonds fris?s, en cravate blanche attach?e par une broche, avec de petites moustaches sur le bois colori? de sa figure. Ainsi que les choses lumineuses dans l'obscurit? prennent, forcent le regard, les deux petits bustes, chaque fois que passait devant eux ?lisa, arr?taient la promeneuse, et la retenaient de longs instants, pendant lesquels, dans la fatigue de ce man?ge sur place, dans l'ahurissement de cette promenade toujours allante et revenante, ses yeux, sans la conscience de ce qu'ils regardaient, contemplaient stupidement les deux poup?es macabres.
Soudain ?lisa, donnant un coup de plat de main sur sa jupe, se redressant, relevant la t?te, reprenait un moment sa marche, qui, sur le pav? gras, sur le pav? mouill? de toutes les lavures des boutiques, perdait bient?t son impudique ?lasticit?, et devenait lente, paresseuse, tra?narde.
--Mon enfant, vous ?tes ? l'amende!
C'?tait Madame qui, pendant le d?ner, faisant le tour de la table et passant la main dans le dos d'?lisa, la surprenait sans son corset.
La semaine suivante, il y avait une nouvelle amende prononc?e contre ?lisa par Madame, qui affichait la plus grande rigidit? au sujet de la tenue de ses femmes, et une autre semaine encore, une autre amende: si bien qu'?lisa d?sertait la maison au bout de deux mois, et allait dans la maison de la rue voisine. L?, presque aussit?t, une dispute avec une camarade la faisait quitter le bazar. Elle changeait de nouveau, ressortait d'une construction aux pl?tres mal essuy?s, dont elle emportait une <
En ce besoin inquiet de changement, en cet incessant d?go?t du lieu habit? et des gens d?j? pratiqu?s, en cette perp?tuelle et lunatique envie de nouveaux visages, de nouvelles compagnes, de nouveaux milieux, ?lisa ob?issait ? cette loi, qui pousse d'un domicile ? un domicile, d'un g?te ? un g?te, d'un antre ? un antre, d'un lupanar ? un lupanar, la prostitu?e toujours en qu?te d'un mieux qu'elle ne trouve pas plus que l'apaisement de cette mobilit?, ne permettant ? son existence circulante que de stationner le temps de s'asseoir, sous le m?me toit.
L'?branlement perp?tuel du syst?me nerveux par le plaisir, en un corps qui ne l'appelle ni ne le sollicite;--la nourriture ? la viande noire, flanqu?e des quatre saladiers de salades au hareng saur de fondation;--les exc?s d'alcool, sans lesquels une fille, devant une commission, d?clarait <
Un esprit mobile, inattentionn?, distrait, fuyant, vide et plein de vague, ne pouvant s'arr?ter sur rien, incapable de suivre un raisonnement, tourment? du besoin de s'?tourdir de bruit, de tapage, de loquacit?.
Une imagination, o?, dans la terreur religieuse d'un de ces cultes de l'extr?me Orient pour ses divinit?s du Mal, est tout en haut des tremblantes adorations de la femme: Monsieur le Pr?fet de police. Une imagination frapp?e et toujours troubl?e par des appr?hensions, par des craintes, par des peurs de l'inconnu d'un avenir fatal, dont elle va d'avance demander le secret aux tireuses de cartes. <
?a: c'est l'?tre psychologique.
L'?tre physiologique avec les diversit?s des organisations, des temp?raments, des constitutions, se personnifie moins bien dans une individualit?. Cependant, ?lisa pr?sentait certains caract?res g?n?riques. Elle commen?ait ? prendre un peu de cette graisse blanche, obtenue ainsi que dans l'engraissement t?n?breux des volailles. Il y avait chez elle cette distension de la fibre, cette molasserie des chairs, ce d?veloppement des seins. Et ses l?vres, toujours un peu entr'ouvertes, ?taient ces l?vres, o? le ressort du baiser semble comme cass?.
?lisa entrait alors dans une maison de l'avenue de Suffren, vis-?-vis de la fa?ade lat?rale de l'?cole militaire, en face de ce grand mur jaune, montrant, ? toutes ses fen?tres, des bustes de soldats en manches de chemise.
? la nuit, la maison au gros num?ro, morne et sommeillante pendant le jour, s'allumait et flambait, par toutes ses fen?tres, comme une maison enfermant un incendie. Dix lustres, multipli?s par vingt glaces plaqu?es sur les murs rouges, projetaient dans le caf?, dans le long boyau du rez-de-chauss?e, un ?clairage br?lant, travers? de lueurs, de reflets, de miroitements ?lectriques et aveuglants, un ?clairage tombant, comme une douche de feu, sur les cervelets des buveurs. Au fond, tout au fond de la salle resserr?e et profonde et ayant l'infini de ces corridors de lumi?re d'un grossier palais de f?erie, confondues, m?l?es, ?paul?es les unes aux autres, les femmes ?taient ramass?es, autour d'une table, dans une esp?ce d'amonc?lement pyramidant et croulant. Du monceau de linge blanc et de chair nue, s'avan?aient, ? toute minute, des doigts fouillant ? m?me dans un paquet de maryland commun, et roulant une cigarette. ? une des extr?mit?s, une femme assise de c?t?, les jambes allong?es sur la banquette, et soutenant, un peu de l'effort de son dos, l'affaissement du groupe, ?pu?ait une chatte, qui tenait une patte raidie arc-bout?e sur un de ses seins, dans un d?fiant et coquet mouvement animal. Un jupon blanc sur une chemise aux manches courtes ?tait toute la toilette de ces femmes, toilette montrant, dans le d?colletage d'un linge de nuit et de lit, leurs bras, la naissance de leurs gorges,--chez quelques-unes l'ombre duveteuse du sinus de leurs ?paules. Toutes, au-dessus de deux accroche-coeurs, avaient ?chafaud? une haute coiffure extravagante, parmi laquelle couraient des feuilles de vigne en papier dor?. Plusieurs portaient sur la peau du cou--une ?l?gance du lieu--d'?troites cravates de soie, dont les longs bouts roses ou bleus flottaient dans l'entre-deux des seins. Deux ou trois s'?taient fait des grains de beaut? avec des p?pins de fruits.
La porte-persienne du caf? commen?ait ? battre. Les pantalons garance cognant leurs sabres-ba?onnettes aux tabourets, les hommes ? casques tr?buchant dans leurs lattes, prenaient place aux tables. ? mesure que l'un d'eux s'asseyait, du tas de femmes, une fille se d?tachait, et chantonnante et la taille serr?e entre ses deux mains, venait se pi?ter tout contre le nouvel arriv?, laissant d?border, sur le drap de son uniforme, ses nudit?s molles.
Les tables s'emplissaient. Des militaires de toutes armes se tassaient les uns sur les autres. C'?taient des lignards, des zouaves, des artilleurs, des dragons, des carabiniers... M?me, ? un moment, la porte s'entr'ouvrait, un gar?on appelait le ma?tre de la maison, et l'on voyait tirer d'une petite voiture un invalide cul-de-jatte, que les deux hommes d?posaient sur la banquette. Et aussit?t entour? de tasses, de verres, et imbib? de caf? et de liqueurs et de bi?re, le glorieux tronc tout guilleret, tout branlant sur ses assises de poussah, racontait ses campagnes ? la femme qui ?tait venue s'asseoir ? c?t? de lui.
Les deux gar?ons, aux longues moustaches noires, couraient de tous c?t?s. Les consommations s'accumulaient sur le marbre des tables. La parole devenait bruyante, sur les voix de l'infanterie s'?levaient les voix imp?rieuses et sonores de la cavalerie. D'un bout de la salle ? l'autre, se croisaient dans l'air, par instants, des injures de femmes. Sous les cr?nes tondus, des ivresses batailleuses montaient aux rouges faces. Il y avait de nerveux remuements d'armes, et le tumulte de la salle grondait comme un bruit de col?re.
De l'escalier menant ? l'?tage sup?rieur descendait quelquefois, avec le grincement de pleurs rageuses, le glapissement d'une vieille s'?criant: <
La chaleur devenait ?touffante, dans l'atmosph?re flamboyante de gaz et de punch, et les gouttes de sueur, sur la peau des femmes, laissaient des traces noires, ? travers le maquillage ? bon march?.
Les partants ?taient remplac?s par de nouveaux arrivants, auxquels se m?laient des hommes en chapeaux gris et en casquettes. Plus tapageuse, plus braillarde continuait l'orgie, en d?pit de la somnolence des femmes.
Un moment, la vue d'une pi?ce d'or, emport?e sur une assiette, par un gar?on, secouait l'assoupissement de toutes ces femmes. Chacune, tour ? tour, donnait superstitieusement au louis un petit coup de dent.
La nuit s'avan?ait cependant. Les tables peu ? peu se vidaient. De temps en temps, un soldat, un peu moins ivre que son camarade, l'empoignait ? bras le corps, l'arrachait de sa place avec une amiti? brutale, et passait la porte en se battant avec lui.
Minuit enfin! Les volets se fermaient, le gaz de la salle ?tait ?teint. Il ne restait d'allum? que le lustre du fond, sous la lumi?re duquel, pouss?s et soutenus par les femmes qui leur tenaient compagnie, se serraient deux ou trois ivrognes ind?racinables, bient?t rejoints par des noctambules de barri?res, qu'introduisait ? toute heure la sonnette de nuit.
Alors dans les t?n?bres emplissant la salle du caf?, pr?s la porte du jour, dans une obscurit? ?paisse de la fum?e du tabac et des mol?cules de la suante humanit? renferm?e l? toute la soir?e, on voyait les femmes avec des mouvements endormis, ayant et l'affaissement et la couleur gris?tre d'un battement d'aile de chauve-souris bless?e, s'envelopper de tartans, de vieux ch?les, de la premi?re loque qui leur tombait sous la main, cherchant les banquettes aux pieds desquelles il y avait moins de crachats. L?-dessus elles s'allongeaient inertes, bris?es, ?pandues, ainsi que des paquets de linge frip?, dans lesquels il y aurait la d?formation d'un corps qui ne serait plus vivant. Aussit?t, elles s'endormaient, et, endormies, ?taient, de temps en temps, r?veill?es par leurs propres ronflements. Un moment retir?es de leurs troubles r?ves, elles se soulevaient sur le coude, regardaient stupides.
Dans le cadre lumineux du fond, sous les trois Gr?ces en zinc dor? du calorif?re, des pochards gesticulaient entre deux ou trois de leurs compagnes, assises sur des chaises ? califourchon, sommeillant la t?te pos?e sur le dossier, les jupes remont?es jusqu'? mi-cuisses.
Se ressouvenant, les dormeuses retombaient sur la banquette, et l? passaient la nuit jusqu'au jour, jusqu'? quatre heures du matin, o? elles allaient se coucher dans leurs lits.
?lisa se prenait encore ? aimer le tapage militaire, que faisait tout le jour le quartier tambourinant,--et ces sonneries de clairons de l'?cole militaire, r?veillant soudain la fille de ses somnolences ?coeur?es.
Neuf femmes, qui n'?taient gu?re connues que sous des noms de guerre, composaient, lors de l'entr?e d'?lisa, le personnel de la maison.
Dans un orage, o? le tonnerre tomba deux fois sur l'?cole-Militaire, toutes les femmes, folles de peur, s'?taient r?fugi?es ? la cave, cherchant l'obscurit?, s'enfon?ant la t?te dans les recoins les plus noirs. ?lisa et Alexandrine se tenaient aplaties dans la nuit d'un entre-deux de portes. Mais l?, dans les pleines t?n?bres de l'?troit r?duit, il sembla ? ?lisa qu'il continuait ? ?clairer; elle ferma les yeux, les rouvrit peureusement, s'?tonna de voir une luminosit? sur les cheveux d'Alexandrine, instinctivement les toucha, ?prouva comme un picotement au bout des doigts.
--Ah mon chignon! dit Alexandrine, tu ne savais pas cela, oui, c'est comme le dos d'un chat, quand on lui passe dessus la main ? rebrousse-poil..., mais tu n'as rien vu, tu vas voir tout ? l'heure!
L'orage fini, les deux femmes mont?rent dans la chambre d'?lisa. Les volets ferm?s, l'obscurit? faite dans la petite pi?ce, Alexandrine assise sur le pied de son lit, ?lisa commen?a ? passer son peigne dans les cheveux de son amie, qui se mirent ? cr?piter, ? ?tinceler, ? r?pandre bient?t, dans la petite cellule, une lueur assez vive, pour qu'on v?t tr?s-distinctement le zouave,--le petit pantin ? la calotte et aux braies rouges,--qu'alors, dans toutes les maisons ? soldats, les filles avaient comme l'ornement de leur glace.
D?s lors, tous les jours, sur les deux heures, Alexandrine montait dans la chambre d'?lisa. Il y avait d'abord, de la part d'Alexandrine, une r?sistance, des <
Le peigne, plus rapide, entrait plus profond?ment dans les cheveux, des cheveux ch?tains, des cheveux tr?s-fins, et, ? chaque coup, les m?ches, se redressant, s'?cartaient avec des col?res sifflantes, du bruit, qui jetait des ?clairs. ? voir jaillir ces ?tincelles, ?lisa prenait un plaisir qu'elle n'aurait pu dire, et elle peignait toujours d'une main plus vite, plus volante. Au bout d'un quart d'heure, la chevelure d'Alexandrine, droite derri?re sa nuque, comme l'ondulation d'une longue vague, ?tait une chevelure de feu, divis?e par des raies noires: les dents du peigne de corne passant et repassant dans l'incendie p?tillant. Alors ?lisa, ? la fois effray?e et charm?e, prenait dans ses mains ces cheveux du flammes, longuement les maniait, les tripotait, les assouplissait, sentant, pendant ce , de petites secousses ?lectriques lui remonter du bout des doigts jusqu'aux coudes. Puis, instantan?ment, comme sous le coup d'une inspiration subite, elle ?chafaudait, dans la chevelure lumineuse, une ?trange et haute coiffure, o? demeurait quelque chose de la vie diabolique de ces cheveux.
Alexandrine, elle, se r?veillait dans un ?tirement o? son corps semblait se fondre, regardant devant elle, dans le noir de la chambre, avec des yeux ardents.
De cette heure pass?e ensemble, tous les jours, de ces s?ances bizarres, de ce commerce extraordinaire, de ce d?gagement de fluide, il ?tait n? entre ces deux femmes un lien myst?rieux, comme il en existe dans les m?tiers qui touchent au surnaturel, une attache semblable ? celle qu'on remarque entre le magn?tiseur et la somnambule.
Le soldat l'aime avec jalousie. Le soldat partage avec elle son sou de l'?tat. Le soldat la prom?ne avec orgueil. Le soldat lui ?crit... Dans la d?molition d'une maison de la Cit?, un paquet de lettres, trouv? dans les d?combres, me fut apport?. Toutes les lettres ?taient des lettres de soldats.
Il est peut-?tre parfois brutal le soldat, ses caresses ressemblent ? la large tape dont il flatte les flancs de sa jument. Ses fureurs amoureuses rappellent souvent les violences du rapprochement de certains animaux. Tout dans les manifestations de son ?tre est brusque, temp?tueux, exasp?r?. Mais le soldat n'apporte pas, dans ses amours, l'ironie de l'ouvrier ou du petit bourgeois vicieux: un certain rire gouailleur appartenant en toute propri?t? aux civils.
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