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Read Ebook: Souvenirs militaires de 1804 à 1814 by Fezensac Raymond Aymery Philippe Joseph De Montesquiou Duc De

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Ebook has 898 lines and 149235 words, and 18 pages

SOUVENIRS MILITAIRES DE 1804 ? 1814

PAR

M. LE DUC DE FEZENSAC

G?N?RAL DE DIVISION.

Ouvrage honor? d'une souscription du Ministre de l'Instruction publique pour les Biblioth?ques scolaires.

QUATRI?ME ?DITION

PARIS LIBRAIRIE MILITAIRE. J. DUMAINE, LIBRAIRE-?DITEUR DE L'EMPEREUR, Rue et Passage Dauphine, 30.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

CAMP DE MONTREUIL.

PROJETS DE DESCENTE EN ANGLETERRE.--MON ARRIV?E AU CAMP DU 59e R?GIMENT.--MON SERVICE DANS LES GRADES INF?RIEURS.--JE SUIS NOMM? SOUS-LIEUTENANT.--LEV?E DES CAMPS.--D?PART POUR L'ALLEMAGNE.

Je suis entr? au service en 1804, ? vingt ans. J'avais depuis longtemps le d?sir d'embrasser la carri?re militaire; diff?rentes circonstances emp?ch?rent mes parents d'y consentir plus t?t. Il s'agissait de savoir par o? commencer. ? vingt ans, l'?cole militaire ne pouvait me convenir. Je devais donc m'engager. Je pensais ? la cavalerie, comme tous les jeunes gens. M. Lacu?e, ami de ma famille, me proposa d'entrer au 59e r?giment d'infanterie, dont il ?tait colonel; j'acceptai sans savoir ce que je faisais, n'ayant aucune id?e de la carri?re que j'allais entreprendre, et je n'eus pas lieu de m'en repentir: car c'est ? l'infanterie que j'ai d? tout mon avancement. Je partis de Paris en septembre 1804 pour me rendre ? l'arm?e r?unie sur les c?tes de l'Oc?an et dont le 59e faisait partie. Je dois d'abord raconter la composition et l'emplacement de cette arm?e.

L'Empereur, pour frapper au coeur l'Angleterre, voulut l'attaquer chez elle, et ne recula pas devant les difficult?s et les dangers d'une telle entreprise. Il r?unit sur les c?tes de l'Oc?an trois corps d'arm?e d'environ chacun vingt-cinq mille hommes et une r?serve de quarante mille hommes.

Ces corps d'arm?e campaient de la droite ? la gauche: ? Ambleteuse, mar?chal Davout; Boulogne, mar?chal Soult; ?taples, mar?chal Ney.

La r?serve se composait de la garde imp?riale, d'une division italienne, de trois divisions de dragons. Ind?pendamment de ces diff?rents corps, il y avait ? l'extr?me droite douze mille hommes au camp d'Utrecht; ? l'extr?me gauche dix mille ? Brest. Ainsi le personnel de l'arm?e s'?levait au moins ? cent cinquante mille hommes. On s'occupait d'armer et d'atteler quatre cents bouches ? feu de campagne et un grand parc de si?ge. On fit venir de tous c?t?s d'immenses approvisionnements, des vivres de toute esp?ce pour trois mois. Il s'agissait de transporter en Angleterre une arm?e si nombreuse et son mat?riel en pr?sence de la flotte ennemie. Apr?s de nombreux essais, on r?solut d'employer des chaloupes canonni?res, des bateaux canonniers et des p?niches. Celles-ci, plus l?g?res ne portaient que de l'infanterie: les autres portaient de l'artillerie, des vivres et quelques chevaux. Douze ? treize cents de ces b?timents suffisaient pour transporter cent vingt mille hommes, avec l'artillerie de campagne, des vivres et des munitions pour quelques jours. Une autre flottille de transport, compos?e de b?timents servant au cabotage et ? la p?che, devait transporter les chevaux, l'artillerie de si?ge, la totalit? des vivres et des munitions. Neuf cents ou mille b?timents suffisaient. Plus tard, les divisions r?unies ? Utrecht et ? Brest seraient embarqu?es sur les flottes fran?aise, hollandaise et espagnole.

Mais l'ex?cution de ce plan pr?sentait des difficult?s devant lesquelles aurait recul? le g?nie le plus aventureux et le plus intr?pide. Il fallait construire les b?timents dans tous les ports de France, les rassembler ? Boulogne, ? Ambleteuse, ? ?taples, ? travers les croisi?res anglaises, mettre ces trois ports en ?tat de les recevoir, faire les exp?riences d'embarquement et de d?barquement pour le mat?riel et pour le personnel; il fallait construire sur la c?te les magasins n?cessaires pour les vivres et les approvisionnements de l'arm?e, assurer les subsistances et le service des h?pitaux. On trouvera dans les historiens du temps, et principalement dans M. Thiers, les d?tails les plus int?ressants sur tous ces objets. Je dirai plus tard par quels moyens et ? quelle ?poque on comptait op?rer le d?barquement, les motifs qui firent successivement ajourner l'entreprise et qui forc?rent enfin d'y renoncer.

Au mois de septembre 1804, o? commence ce r?cit, l'arm?e ?tait r?unie dans les camps; le mat?riel achevait de s'organiser. Je dois d'abord faire conna?tre la composition du camp de Montreuil dont le 59e r?giment faisait partie, et qui formait la gauche de l'arm?e.

CAMP DE MONTREUIL.

MAR?CHAL NEY, COMMANDANT EN CHEF.

Le mar?chal Ney est trop connu pour que j'aie ? tracer ici son portrait, j'en parlerai ? l'?poque o? j'ai eu l'honneur de servir pr?s de lui; il prit au camp de Montreuil l'habitude de remuer des masses et de commander l'infanterie, arme pour laquelle il a t?moign? tout le reste de sa vie une grande pr?dilection.

Le g?n?ral Partouneaux, commandant la division dont mon r?giment faisait partie, venait de quitter l'arm?e, ? la suite d'une discussion qu'il eut avec le mar?chal ? propos d'une manoeuvre. Les g?n?raux de brigade Labass?e et Marcognet, anciens militaires, le dernier fort original ainsi qu'on le verra plus tard.

J'ai dit que le camp de Montreuil formait la gauche de l'arm?e de l'Oc?an. Il aurait d? s'appeler le camp d'?taples, car on avait ?tabli les baraques pr?s de cette petite ville sur la rive droite de la Canche et pr?s de son embouchure, ? 12 kilom?tres de Montreuil: la premi?re division derri?re le village des Camiers, faisant face ? la mer; la deuxi?me par brigade ? droite et ? gauche d'?taples; la troisi?me ? quinze cents m?tres en arri?re. Cette division, qui est la n?tre, campait dans l'ordre suivant: de la droite ? la gauche le 25e l?ger, le 59e et le 50e. Le 27e d?tach? sur la rive gauche de la Canche, au village de Saint-Josse, formant par cons?quent l'extr?me gauche de toute l'arm?e. On voit que l'ordre de bataille n'?tait point rigoureusement observ?; mais quelques r?giments ayant ?t? chang?s, on n'avait pas voulu op?rer de d?placements pour reprendre l'ordre des num?ros, ce qui ?tait raisonnable.

Les trois r?giments campaient sur une seule ligne, et les camps ?taient trac?s d'apr?s les principes de l'ordonnance. J'entre ici dans, quelques d?tails pour les personnes auxquelles les r?glements militaires ne sont point familiers.

La tenue ?tait bizarre et irr?guli?re; on arrivait ? une ?poque de transition. La grande tenue ?tait celle de l'ancien r?gime, sauf la couleur: habit bleu ? revers blancs et passe-poils rouges, coup? ? la Fran?aise; longue veste blanche ? basques, culotte blanche ? long pont sans bretelles, gu?tres noires montant au-dessus du genou, comme les bas roul?s des vieillards de la Com?die fran?aise, chapeau ? trois cornes coiff? droit, cheveux coup?s en brosse avec une queue sans poudre. Les officiers rempla?aient les grandes gu?tres par des bottes ? revers; singuli?re mode pour l'infanterie. Cette tenue, contraire ? toutes les habitudes du temps, ne pouvait pas ?tre la tenue habituelle. En petite tenue on portait une mauvaise capote de drap l'hiver, et l'?t? un sarrau de toile, un bonnet de police, un pantalon de toile ou de gros drap, suivant la saison, attach? par des bretelles, des gu?tres de toile blanche ou grise. On tol?rait, hors du service, quelques effets de fantaisie et m?me des bottes ? ceux qui pouvaient s'en procurer. Enfin, la tenue du sergent-major le plus ?l?gant d'alors ferait honte au dernier soldat d'aujourd'hui.

Voil? quels devaient ?tre mon logement, ma toilette, mes repas, ma soci?t?.

Je m'installai ensuite dans ma baraque, o? l'on me re?ut fort bien; et ma belle montre, mon linge fin, ma bourse assez bien garnie, furent l'objet de l'admiration g?n?rale. Le bruit se r?pandit tout de suite dans la compagnie que j'avais un louis ? manger par jour. C'est la mani?re des soldats d'exprimer la fortune. Comme l'heure de la soupe ?tait pass?e, on m'avait gard? ma portion dans un petit pot de terre. Je fis l'?loge du cuisinier, ne sachant pas encore que l'usage des militaires est de crier contre tout le monde et de trouver mauvais tout ce qu'on leur donne. D?s le lendemain ma m?tamorphose ?tait compl?te. Habill? de pied-en-cap, j'avais mang? ? la gamelle et couch? avec mes camarades; je commen?ai ? apprendre l'exercice pour lequel j'?prouvai quelques difficult?s, le fusil me semblant lourd par manque d'habitude, et parce que j'ai eu toujours les bras assez faibles. Je r?ussissais mieux ? la th?orie qui semblait un jeu ? mon intr?pide m?moire; aussi mes progr?s dans ce genre me valurent de grands ?loges. Le colonel affectait de ne me distinguer en rien; il ne m'invitait point ? venir le voir, quoiqu'en me recevant toujours tr?s-bien. Docile ? ses instructions, je faisais mon m?tier de soldat sans murmure; except? deux choses, qu'il ne put obtenir; la premi?re ?tait de faire les corv?es. Je comprenais l'avantage de faire moi-m?me l'exercice, de d?monter et de remonter mon fusil, d'en conna?tre toutes les pi?ces, et d'apprendre la th?orie; mais balayer les rues du camp, nettoyer la baraque, faire la cuisine, et sans doute si mal que personne n'aurait pu la manger, ? quoi cela pouvait-il me servir? Je r?sistai donc et mes camarades en furent charm?s, car pour quelques sous chacun d'eux me rempla?ait volontiers. Ma seconde r?sistance fut de couper mes cheveux en brosse et de prendre une queue. Je n'osai pourtant pas r?sister ouvertement; ma coquetterie de vingt ans n'aurait pas trouv? gr?ce. Il fut donc convenu que l'on attendrait que mes cheveux fussent assez longs, mais le perruquier de la compagnie, d'accord avec moi, me les coupait tous les huit jours. Si je me r?voltais contre les corv?es ennuyeuses, j'allais au-devant de celles qui auraient pu para?tre plus p?nibles. Peu de jours apr?s mon arriv?e, il fallut transporter des pierres au camp; je sollicitai la faveur de me joindre ? ceux qui ?taient command?s de corv?e ? ce sujet, et je m'attelai, comme les autres, aux petites charrettes pr?par?es pour ce transport. Deux jours apr?s, il fut question d'une autre corv?e plus p?nible, dont je rendis compte, ainsi qu'il suit, dans une lettre ? ma m?re: <>

Cette lettre eut beaucoup de succ?s dans ma famille, et M. Mol? m'?crivit ? cette occasion le billet le plus aimable; il m'assurait qu'il aurait suivi mon exemple, si les souvenirs de sa famille ne l'eussent point destin? ? la magistrature.

Je ne montai la garde qu'une seule fois comme soldat; on me mit en faction ? la porte du magasin d'habillement, et je quittai mon poste. J'ajoute tout de suite que j'?tais dans mon droit, car mon caporal y ?tait et le trouvait bon. Ma deuxi?me faction a ?t?, pr?s d'un demi-si?cle plus tard, comme garde national, ? l'entr?e de la caserne de la rue de la P?pini?re, apr?s 1848; et cette fois-l?, je n'ai pas d?sert? mon poste.

Avec ma r?putation de fortune, il ?tait assez naturel de payer ma bien-venue. Le colonel me dit que ce serait de bonne gr?ce de ma part, mais qu'il ne fallait pas me le laisser imposer. Les soldats m'en parl?rent, je r?pondis que nous verrions plus tard; et, au moment o? l'on y pensait le moins, je donnai un grand repas. J'invitai les soldats de ma baraque et tous les caporaux de la compagnie. Le repas se composait de quelques plats de grosse viande, d'une salade, d'un plat de pommes de terre, de la bi?re ? discr?tion, et de mauvais vin d'ordinaire, dont j'offrais dans de petits verres. Le vin, qui co?tait vingt-cinq sous la bouteille, ?tait un objet du plus grand luxe. Un verre d'eau-de-vie termina le repas. Nous ?tions quatorze et j'en fus quitte pour 21 francs. Mais un d?jeuner que j'offris souvent ? la chambr?e se composait d'un petit pain avec un verre d'eau-de-vie pour chacun; des soldats qui faisaient ce commerce nous les apportaient avant que nous fussions lev?s, et nous prenions ce premier repas en causant, chacun renferm? dans son sac. Rien au monde ne leur faisait plus de plaisir.

Un jeune caporal se chargeait particuli?rement de mon instruction. Ce caporal, me trouvant fort novice pour l'?tat militaire, croyait apparemment mon ignorance ?gale en toutes choses. Un jour, nous promenant ensemble sur les bords de la mer, il voulut m'apprendre ce que c'?tait que le flux et le reflux; pour le coup, ce fut ? moi de prendre ma revanche, et je lui dis que je me rappelais tr?s-bien que lorsque C?sar conduisit les l?gions romaines sur les bords de l'Oc?an, les soldats furent ?tonn?s de ce ph?nom?ne qui n'a point lieu dans la M?diterran?e. Il resta stup?fait.

Je restai donc seul au milieu de tant d'hommes dont aucun ne pouvait m'entendre; aucun ne savait m?me le nom des personnes qui m'?taient ch?res, des lieux o? j'avais pass? ma vie. J'ai racont? comment nous ?tions nourris, v?tus, log?s. La mauvaise saison rendait la vie mat?rielle plus p?nible encore. ? peine pouvions-nous sortir, et n'ayant pas la permission d'avoir de la lumi?re, il fallait nous coucher quand le jour finissait. J'avais plus de vingt ans; depuis deux ans j'?tais mon ma?tre. Quel contraste avec la vie que l'on menait ? Paris, et que j'avais men?e moi-m?me l'hiver pr?c?dent. La chute du jour me causait une tristesse inexprimable; c'?tait le moment o? finissait notre journ?e et o? commen?aient les soir?es de Paris, et depuis cette ?poque je n'ai jamais entendu battre la retraite sans un serrement de coeur. Un soir, je portais ? souper ? un sergent de garde, c'?tait un des derniers beaux jours de l'automne. Je m'assis ? moiti? chemin, je regardai le coucher du soleil, dont les derniers rayons allaient dispara?tre; je pensai ? la vie du monde, ? l'?l?gance des toilettes, ? l'agr?ment de la conversation, mes yeux se fix?rent sur mes souliers ferr?s, mon pantalon et mon sarrau de grosse toile, le pot de terre qui renfermait le triste souper de mon sergent, et je me mis ? fondre en larmes.

Pourtant j'?tais loin de me sentir d?courag?. D'abord la l?g?ret? de l'?ge rendait mes impressions mobiles. La ga?t? succ?dait ? la tristesse, les plaisanteries et les chansons des soldats m'amusaient comme le premier jour. Mon emploi de caporal me donnait une petite importance; j'?tais fier du parti que j'avais pris, et je tenais ? honneur de ne pas c?der. J'appris ? cette ?poque que plusieurs jeunes gens de mes amis venaient de jouer la com?die ? Paris, et presqu'en public, avec des femmes qui se destinaient au th??tre. En pr?sence de pareils divertissements je ne me plaignais pas d'?tre caporal et de manger ? la gamelle.

On m'avait nomm? caporal d'ordinaire, emploi bien p?nible l'hiver; il fallait par tous les temps aller ? ?taples, ? pr?s de deux kilom?tres du camp, pour acheter des l?gumes. On sait qu'un soldat accompagne toujours le caporal d'ordinaire pour ?tre t?moin des march?s. L'usage est que le caporal et le soldat boivent la goutte ensemble aux d?pens de la compagnie; je donnai le bel exemple, fort peu suivi depuis, de payer cette d?pense, et la compagnie m'en sut beaucoup de gr?. Les soldats ne se faisaient aucun scrupule de tromper les marchands, et des hommes, fort honn?tes d'ailleurs, trouvaient cela tr?s-simple. Persuad?s que chacun les volait, depuis le ministre jusqu'? leur sergent-major, depuis les fournisseurs de l'arm?e jusqu'aux paysans, les petits vols qu'ils pouvaient faire ? leur tour leur semblaient une revanche tr?s-l?gitime.

Le colonel Lacu?e revint au commencement de janvier, parut satisfait de ma conduite et ne me parla point d'avancement. Chaque r?giment fournissait pour la garde des bateaux canonniers ? ?taples un d?tachement qu'on renouvelait tous les mois. Je fus d?sign? pour le d?tachement qui s'embarquait le 1er pluvi?se . Les militaires connaissent leur tour, et ce n'?tait pas le mien.

Mais je m'affligeais d'une situation qui me rendait toute occupation impossible, et je ne pouvais comprendre par quelle manie mon colonel me condamnait ? une corv?e aussi inutile. J'en eus bient?t l'explication, car au bout de cinq jours on vint m'apprendre que j'?tais nomm? sergent et que je devais rentrer au camp. C'?tait donc une malice, une ?preuve de patience pour mon caract?re. J'aurais d? m'en douter, connaissant mon colonel; si j'avais ?t? aussi fin que lui, et que j'eusse accepte cette corv?e gaiement et sans r?clamation, je me serais fait ? ses yeux un honneur infini.

La compagnie dans laquelle j'entrai ?tait command?e par un capitaine, tr?s-bon homme, insouciant dans son service, et ne sachant pas faire servir les autres, ayant pour sergent-major un mauvais sujet accabl? de dettes, un fourrier qui ne valait pas mieux, des sergents fort braves gens, d'un caract?re doux. Nous logions dans la m?me baraque, et nous mangions ensemble.

Je pris la semaine en arrivant au camp, et comme c'?tait jour d'inspection je passai en revue, pour la premi?re fois de ma vie, toute la compagnie, ce qui me flatta beaucoup. Je passai pr?s de deux mois dans ce nouveau grade et ils furent fort employ?s; le sergent-major ?tant en prison et suspendu de ses fonctions, un sergent d?tach?, un autre embarqu?, un troisi?me ? l'h?pital, je me trouvai seul dans une compagnie aussi mal command?e que mal administr?e. C'?tait de la besogne pour un d?butant, je m'en tirai le moins mal possible.

Ce fut ? cette ?poque qu'on me chargea de d?fendre devant le conseil de guerre un soldat pr?venu de d?sertion, homme tr?s-born?, et qui r?ellement n'avait pas su ce qu'il faisait; je fis valoir aupr?s du Conseil son peu d'intelligence qui l'emp?chait d'avoir la conscience de sa faute, et je terminai par la p?roraison suivante:

Mon sergent-major sortit de prison et reprit ses fonctions; mais ce ne fut pas pour longtemps, et je fus la cause involontaire d'un nouveau malheur qui acheva de le perdre. Dans les premiers jours de mars, ce malheureux sergent-major m'invita ? un d?ner que donnait un de ses amis ? ?taples; il y avait ce jour-l? exercice des sous-officiers, le colonel demanda pourquoi je n'y ?tais pas, l'adjudant r?pondit que j'?tais de service, et j'?tais en effet de planton au magasin d'habillement. Mais un capitaine m'avait vu ? ?taples avec mon sergent-major. Le lendemain, mon colonel me fit venir, et apr?s un long sermon sur ce que je sortais ?tant de service, je r?pondis qu'il ignorait apparemment ce qu'?tait le service de planton au magasin; qu'apr?s avoir d?fil? la parade, le sergent se pr?sentait chez le capitaine d'habillement pour lui demander ses ordres, que le capitaine r?pondait qu'il n'en avait point, qu'alors le sergent rentrait au camp et se promenait pendant vingt-quatre heures, qu'enfin cela durait ainsi depuis mon arriv?e, et que je n'avais fait que suivre l'exemple g?n?ral. Le colonel avait la pr?tention de savoir tout ce qui se passait dans son r?giment, et rien ne l'impatientait plus que d'?tre pris en faute ? ce sujet; il fut donc fort en col?re, il cassa le sergent qui m'avait pr?c?d? dans ce poste malencontreux, et qui ne m'avait pas attendu pour me donner la consigne. Il fallait aussi me casser en compagnie de tous les sergents du r?giment, car j'ai d?j? dit qu'on ne faisait pas autre chose depuis un an. Quelque temps apr?s le sergent-major fut cass?, et plac? comme sergent dans une autre compagnie. Pour moi, je ne fus pas m?me consign?; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que, quinze jours apr?s, on me donna la place du sergent-major, dont j'avais involontairement compl?t? la disgr?ce.

Les sergents-majors avec qui j'ai v?cu dans l'intimit? pendant cinq mois ne se distinguaient pas des officiers. Ceux-ci avaient ?t? sergents; les sergents pouvaient devenir officiers. Plusieurs auraient pu s'?lever au-dessus des autres, mais ils n'avaient qu'un commencement d'?ducation, aucune fortune, quelques-uns contract?rent l'habitude de boire, et arriv?rent ? peine au grade de lieutenant ou de capitaine. Rester plusieurs ann?es soldat ou sous-officier est toujours une ?preuve pour un homme bien ?lev?. D?cours, jeune homme de mon ?ge, sergent comme moi dans la m?me compagnie, m'amusa beaucoup par son originalit?. D'une famille noble de Castillon?s , je n'ai connu que lui au r?giment qui e?t une v?ritable instruction. Il aimait la litt?rature, et nous avons fait bien des lectures ensemble. Aussi gascon que son origine, il e?t d? ?tre le sergent-major de Villars. On n'imagine pas toutes les histoires qu'il inventait sur lui et sur les autres. Mais la bravoure n'?tait pas en lui une gasconnade: brillant ? la guerre, je pourrais ajouter querelleur et duelliste en temps de paix, s'il m'appartenait de m'appesantir sur les d?fauts d'un camarade qui m'a toujours t?moign? une v?ritable amiti?.

Au commencement de mars, on donna ? chaque compagnie un petit jardin ? cultiver; tr?s-bon moyen pour occuper les soldats et pour leur procurer sans frais des l?gumes. Cependant ils s'en plaignirent, tant la paresse a de charmes. Les soldats sont comme les enfants, h?las! comme la plupart des hommes, il faut leur faire du bien malgr? eux.

Qu'est-ce donc qui occupait toute cette jeunesse dans les moments non employ?s ? l'exercice, au nettoiement des armes, aux soins de propret? pour lesquels on se montrait du moins assez s?v?re? Rien du tout, je puis le dire. Dormir une partie du jour, apr?s avoir dormi toute la nuit, chanter des chansons, conter des histoires, quelquefois se disputer sans savoir pourquoi, lire quelques mauvais livres que l'on parvenait ? se procurer; c'?taient leur vie, l'emploi de la journ?e des sergents comme des soldats, des officiers comme des sergents. Les moeurs ?taient meilleures qu'on n'aurait pu le croire. D'abord on ne voyait pas de femmes, nous n'allions jamais ? Montreuil distant de trois lieues. Si la ville d'?taples offrait des ressources, elles ?taient prises par la deuxi?me division, qui y campait. Sans doute on trouvait quelques paysannes aux environs, mais ces paysannes avaient leurs parents, leurs maris ou leurs amoureux et leurs confesseurs, et l'on ne pouvait les compter que comme de rares exceptions. Je suis persuad? que pendant toute la dur?e du camp, ? peine un homme sur cinquante a-t-il eu le moindre rapport avec une femme. Dira-t-on que cette privation devait engendrer des d?sordres d'une autre nature? Il y en avait sans doute, mais en tr?s-petit nombre. Je puis affirmer ce que j'avance; car quand on est aussi rapproch? les uns des autres, on sait ce qui se passe. Le fait est qu'on n'y pensait gu?re. Cette exp?rience m'a fait croire bien exag?r? ce que l'on raconte des mauvaises moeurs des couvents; d'autant plus que les moines regardent comme un devoir d'?loigner toutes les id?es que nous nous plaisions ? entretenir. En effet, si nous ?tions sages, c'?tait par manque d'occasions; quand par hasard une seule femme venait ? para?tre, on n'imagine pas l'excitation que causait sa pr?sence; et ces soldats, si tranquilles au camp, auraient tous voulu en garnison avoir une ma?tresse.

J'ai interrompu mon r?cit pour faire quelques r?flexions g?n?rales sur le r?giment et sur la vie que l'on menait au camp; elles seront mieux comprises apr?s ce qui a pr?c?d?, et en m?me temps elles ?clairciront ce qui va suivre.

Je continuai donc mon apprentissage de soldat et de sous-officier, et je dois convenir que si cette situation m'a caus? quelquefois de l'embarras, j'en ai recueilli l'avantage dans la suite de ma carri?re. En vivant avec les soldats, j'ai appris des choses que j'aurais toujours ignor?es et qui m'ont ?t? utiles quand j'ai ?t? appel? ? les commander.

J'ai dit que je venais d'?tre nomm? sergent-major, et malheureusement dans la m?me compagnie, la plus mauvaise du r?giment. Un capitaine insouciant et ne s'occupant d'aucuns d?tails, point de lieutenant, un sous-lieutenant vieux troupier, le sergent-major cass? pour sa mauvaise conduite, le fourrier paresseux, un tr?s-mauvais caporal g?tant tous les autres, des sergents, mes camarades de chambr?e, bonnes gens, sans caract?re, le plus distingu? de tous, D?cours, dont j'ai parl? plus haut, d'une soci?t? agr?able, mais embarrassant par sa mauvaise t?te: voil? tout ce qui me secondait. Je fus nomm? le 1er germinal . Il fallait r?gler le trimestre; mon pr?d?cesseur devait ? toute la compagnie, et niait une partie de ses dettes; c'?taient des r?clamations perp?tuelles, et le capitaine ne savait interposer son autorit? ni pour imposer silence aux soldats, ni pour leur faire rendre justice. Si l'on e?t voulu remettre de l'ordre dans cette compagnie, il e?t fallu y d?penser 500 francs. Quel d?but pour un jeune sergent-major, dont l'avancement est d?j? un sujet de m?contentement et d'envie! Tant de difficult?s et de m?comptes me rendaient d?sagr?able ce nouveau grade, que j'avais tant d?sir? et qu'au fond j'?tais tr?s-fier d'avoir obtenu. Je dois donc le dire ici en toute v?rit?, je n'ai point ?t? un bon sergent-major, et le quartier-ma?tre le dit un jour tr?s-nettement au colonel, que cela m?contenta beaucoup. La vie de soldat et de sous-officier commen?ait ? me fatiguer. On m'avait fait esp?rer d'?tre officier au bout de quelques mois; et plus j'approchais du terme, plus je voyais combien cela ?tait difficile. Je n'avais pas d'argent, et je n'en demandais pas; il est vrai que je faisais des dettes. Cette situation m'attristait, me m?contentait; au lieu de faire effort pour vaincre les difficult?s, j'?tais n?gligent dans mon service, et mon malheureux capitaine ne savait ni me diriger, ni m'encourager, n me r?primander. Pourtant je touchais au moment le plus grave et qui e?t d? stimuler tout mon z?le. Il y avait une place de sous-lieutenant vacante au r?giment, au tour du choix des officiers par suite d'une loi r?publicaine que l'Empire n'avait point encore abolie. Les sous-lieutenants d?signaient au scrutin trois candidats parmi les sous-officiers, et les lieutenants choisissaient un des trois. De m?me pour le grade de lieutenant, les lieutenants d?signaient trois sous-lieutenants, et les capitaines en choisissaient un. Le colonel avait toujours d?sir? me faire nommer de cette mani?re, elle ?tait en effet plus flatteuse; mais comment l'obtenir d'officiers d?j? jaloux d'un avancement que je n'avais pas trop bien justifi?, surtout dans ces derniers temps, et quand ces officiers avaient parmi les sous-officiers des amis, d'anciens camarades qui attendaient depuis longtemps cette distinction, si importante pour leur avenir, et qui tous la m?ritaient mieux que moi? Cependant l'autorit? du colonel, le d?sir de lui ?tre agr?able, surtout la crainte de lui d?plaire dans un temps o? la puissance des chefs de corps ?tait immense; tous ces motifs vainquirent l'opposition, et je fus nomm? sous-lieutenant le 26 mai. Mais avant d'?tre re?u, il fallait la confirmation de l'Empereur, et jusque-l? je devais continuer mon service de sergent-major. En ce moment parut un d?cret qui exigeait quatre ans de service avant d'?tre nomm? officier. Ce d?cret, qui combla de joie les vieux militaires, me donna de vives inqui?tudes. Ma nomination serait-elle confirm?e? Elle avait eu lieu avant la promulgation du d?cret fatal; mais l'Empereur comptait pour rien les r?gles, et peut-?tre voudrait-il faire ex?cuter tout de suite un d?cret qu'il avait rendu pour flatter les anciens. Mon colonel fut d'avis d'attendre; au bout d'un mois, cependant, il se d?cida ? me faire recevoir. L'inspecteur aux revues consentit ? me payer avant le d?cret de confirmation. Tout se pr?parait pour la descente en Angleterre; on parlait en m?me temps de rupture avec l'Autriche; la guerre ?tait donc imminente, et il pensa avec raison que l'on ne m'?terait point mon grade en pr?sence de l'ennemi. Je fus donc re?u ? la t?te du r?giment, le 2 juillet, et cette nomination fut g?n?ralement mieux accueillie qu'on n'aurait pu le croire. D'abord on s'y ?tait toujours attendu; mon service de soldat et de sergent ?tait un jeu, et l'on savait tr?s-bien que je n'?tais entr? au r?giment que pour devenir officier. Cette nomination faisait plaisir au colonel, que l'on voulait se rendre favorable. Quelques sous-lieutenants, mieux ?lev?s que les autres, ?taient bien aises de m'avoir pour camarade. Enfin, malgr? la jalousie que j'inspirais, malgr? quelques reproches que l'on pouvait me faire, j'?tais aim? au r?giment. On me savait gr? d'avoir support? de bonne gr?ce l'?preuve que je subissais depuis dix mois, et l'on savait que ce noviciat, bien court pour les autres, avait d? me para?tre terriblement long. Mon bonheur ?tait donc parfait, lorsque ce m?me soir il fut troubl? par un ?v?nement bien funeste.

Le lendemain il devait y avoir un simulacre d'embarquement pour tout le corps d'arm?e. Le 27e r?giment, d?tach? au camp de Saint-Josse, sur la rive gauche de la Canche, vint passer la nuit dans nos baraques. Officiers et soldats, chacun s'empressa de bien accueillir ces nouveaux h?tes, et ce fut un jour de f?te pour les deux r?giments. Le soir nous nous r?un?mes tous au caf?, grande baraque construite ? l'extr?mit? du camp, et en entrant le bruit et la chaleur me port?rent ? la t?te, je n'eus donc pas de peine ? achever de me griser, et nous y ?tions encore ? minuit au nombre de sept ou huit seulement. M. Lafosse, capitaine de police, qui nous tenait compagnie, fit observer alors que le colonel se promenait dans les rues du camp, que peut-?tre il trouverait mauvais que l'on rest?t si tard au caf?, que d'ailleurs on prenait les armes de grand matin et qu'il serait temps de nous retirer; je r?pondis qu'il n'avait point d'ordres ? nous donner, qu'?tant officier je n'?tais plus soumis ? l'appel, que nous ?tions bien les ma?tres de rester au caf? toute la nuit, et que si nous ?tions pr?ts pour la prise d'armes, on n'avait rien ? nous dire. Le capitaine r?pliqua et moi aussi. Un de mes camarades me fit de la morale, et au bout d'un instant m'emmena sans r?sistance. Apr?s mon d?part, quelques officiers bl?m?rent ma conduite avec une vivacit? qu'eux-m?mes avaient oubli?e le lendemain. Mais le colonel avait tout entendu. On ne peut se figurer sa col?re. C'?tait donc l? la r?compense de tant de soins; il m'avait re?u dans son r?giment; il m'avait fait rapidement franchir les diff?rents grades; lorsqu'il fallut remettre de l'ordre dans l'administration d'une compagnie, il m'avait presque impos? au capitaine comme sergent-major. J'avais r?pondu ? sa confiance en servant n?gligemment et en faisant des dettes. Loin de se d?courager, il avait obtenu des officiers de me nommer sous-lieutenant; et, le soir m?me de ma r?ception, je commen?ais par un acte d'insubordination, par la d?sob?issance envers le capitaine de police. Aussi, plus il m'avait t?moign? de bont?, plus il devait maintenant se montrer s?v?re. Ce n'?tait plus pour m'apprendre mon m?tier, pour me faire le caract?re, c'?tait pour me punir et se justifier lui-m?me aupr?s des officiers. J'appris donc, ? ma grande surprise, apr?s le profond sommeil qui suit toujours l'ivresse, j'appris que j'?tais aux arr?ts forc?s avec un factionnaire ? ma porte; l'officier aux arr?ts paye ce factionnaire trois francs par jour; voil? comment on m'aidait ? acquitter mes dettes. Cette rigueur dura quinze jours et fut suivie de huit jours d'arr?ts simples. Dans cette occasion, comme en d'autres, on manqua le but en le d?passant. La punition attira l'attention sur la faute, qui n'?tait rien par elle-m?me, rien que quelques propos d'homme ivre sans valeur, puisqu'apr?s avoir refus? de m'en aller, j'?tais sorti de moi-m?me l'instant d'apr?s. Le capitaine Lafosse, ? qui j'en ai parl? depuis, quand nous ?tions, lui chef de bataillon et moi g?n?ral, m'a assur? qu'il ne m'aurait pas m?me mis aux arr?ts.

Je logeais dans ma nouvelle baraque avec trois officiers. Ces baraques, aussi malsaines que celles des soldats, ?taient au moins plus spacieuses et plus commodes.

Mes arr?ts furent enfin lev?s et je me pr?sentai chez mon colonel avec moins de crainte encore que de douleur de l'avoir afflig?. Son accueil fut froid, triste et s?v?re: il ne voulait plus ?tre que mon colonel, puisque l'amiti? qu'il me t?moignait r?ussissait si mal; il avait cess? toute correspondance avec ma famille, ne pouvant pas dire du bien de moi, et n'en voulant pas dire de mal; sans doute cette affaire le brouillerait avec mes parents, parce qu'on lui donnerait tort et il regretterait de renoncer ? une soci?t? aussi aimable. Je fus charm? de pouvoir le rassurer ? cet ?gard, en lui disant que loin d'excuser ma conduite, dont j'avais d?j? instruit mes parents, ils penseraient sans doute que j'?tais coupable, puisqu'il me punissait, et que jamais rien ne pourrait ni ? leurs yeux ni aux miens diminuer la reconnaissance que nous lui devions. Je me gardai bien d'ajouter combien sa rigueur me semblait excessive. Au bout de peu de temps je retrouvai toute son ancienne bont?.

Au mois de juillet je fis partie d'un d?tachement ? Montreuil, et, le 1er fructidor , j'embarquai sur les canonni?res, cette fois comme sous-lieutenant. Ce fut un plaisir pour moi de sortir du camp, de voir d'autres objets que cette plaine sur laquelle nous ?tions camp?s, et d'autres figures que celles de nos soldats. D'ailleurs, j'?tais si content, si fier de mon nouveau grade, que tout me semblait bon et beau. Le moment le plus important dans la carri?re d'un militaire est celui o? il devient sous-lieutenant. L'arm?e est divis?e en deux classes: les officiers et la troupe, et un intervalle immense les s?pare. Or un adjudant, le premier sous-officier du r?giment, fait partie de la troupe, comme le dernier tambour; un sous-lieutenant fait partie des officiers comme le doyen des mar?chaux de France. Si cette diff?rence est sensible en garnison, elle l'?tait bien plus encore au camp, o? nous vivions entre nous, r?unis dans un petit espace et sans autre soci?t? que nous-m?mes; aussi ces deux classes semblaient s?par?es par un ab?me. Plusieurs sous-lieutenants, qui d?siraient m'avoir pour camarade, n'auraient pas pu me faire la plus simple politesse, avant que je fusse devenu leur ?gal. J'ai vu des sous-officiers amis, anciens camarades, compagnons de plaisir; l'un ?tait nomm? sous-lieutenant, tout rapport cessait entre eux. Quelquefois un mot de bont? d'un c?t?, un remerc?ment respectueux de l'autre: voil? tout ce qui restait de leur ancienne intimit?. C'est donc apr?s avoir pass? dix mois sans sortir du camp et dans une telle inf?riorit? vis-?-vis des officiers, que je me suis trouv? tout d'un coup leur ?gal, et que j'ai vu au-dessous de moi tout le reste du r?giment, o? j'avais si longtemps connu des camarades ou des sup?rieurs. Ainsi sans parler m?me de l'avancement auquel ce premier pas donne des droits, c'est pour le pr?sent un avantage incalculable et l'on en jouirait tous les jours de sa vie, si l'on devait toute sa vie rester sous-lieutenant.

Cependant, au mois d'ao?t 1805, l'exp?dition tant annonc?e ne partait point encore. J'ai dit au commencement de ce r?cit avec quel bonheur et quelle habilet? tous les moyens de transport avaient ?t? r?unis sur la c?te; mais comment transporter cette immense flottille en Angleterre? Pouvait-on risquer le passage en pr?sence de la croisi?re ennemie? Fallait-il attendre l'arriv?e de notre flotte qui e?t occup? les Anglais pendant que nous aurions pass?? Ces deux partis furent longuement discut?s.

Il ne fallait que quarante-huit heures pour faire sortir des ports notre flottille, traverser le d?troit. Il y a dans la Manche, en ?t?, de longs calmes pendant lesquels la croisi?re anglaise ne pouvait agir. Ainsi des b?timents construits pour marcher ? la rame comme ? la voile pouvaient passer, m?me en pr?sence de l'escadre anglaise. Les brumes de l'hiver offraient le m?me avantage. Dans ces deux cas on pouvait risquer la descente sans le secours de notre flotte; mais, ? l'aide de la flotte, on pouvait la risquer dans toutes les saisons. Ainsi l'Angleterre ?tait toujours tenue en alarme. On se croyait pr?t d?s le mois de septembre 1803; la n?cessit? de compl?ter l'?quipement et l'armement, ainsi que mille difficult?s qui se rencontrent toujours au dernier moment, firent remettre l'exp?dition jusqu'en ao?t 1804.

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