Read Ebook: Souvenirs militaires de 1804 à 1814 by Fezensac Raymond Aymery Philippe Joseph De Montesquiou Duc De
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 898 lines and 149235 words, and 18 pages
Il ne fallait que quarante-huit heures pour faire sortir des ports notre flottille, traverser le d?troit. Il y a dans la Manche, en ?t?, de longs calmes pendant lesquels la croisi?re anglaise ne pouvait agir. Ainsi des b?timents construits pour marcher ? la rame comme ? la voile pouvaient passer, m?me en pr?sence de l'escadre anglaise. Les brumes de l'hiver offraient le m?me avantage. Dans ces deux cas on pouvait risquer la descente sans le secours de notre flotte; mais, ? l'aide de la flotte, on pouvait la risquer dans toutes les saisons. Ainsi l'Angleterre ?tait toujours tenue en alarme. On se croyait pr?t d?s le mois de septembre 1803; la n?cessit? de compl?ter l'?quipement et l'armement, ainsi que mille difficult?s qui se rencontrent toujours au dernier moment, firent remettre l'exp?dition jusqu'en ao?t 1804.
Napol?on se d?cidait enfin ? attendre l'arriv?e de nos flottes; ce parti plus prudent promettait un succ?s presque infaillible. La mort des amiraux Latouche-Tr?ville et Brueys caus?rent de nouveaux retards. L'amiral Villeneuve, qui rempla?ait Latouche-Tr?ville, partit de Toulon en janvier 1805; il devait se joindre aux flottes de Brest et de Rochefort, attirer les Anglais dans la mer des Antilles et revenir ensuite dans la Manche. Mais Villeneuve ?tait inquiet du mauvais ?tat du mat?riel de la flotte et de l'inexp?rience des ?quipages. Une tourmente dispersa les b?timents, et causa de grands dommages. Apr?s avoir fait soixante-dix lieues, Villeneuve rentra dans Toulon, et le projet ?choua encore. L'Angleterre commen?ait ? ne plus croire ? la descente, et le voyage de l'Empereur ? Milan, pour son couronnement comme roi d'Italie, continua ? entretenir cette illusion. Cependant Napol?on ne pouvait pas sans une n?cessit? absolue abandonner un plan qui, depuis deux ans, occupait toutes ses pens?es, et dont il attendait de si immenses r?sultats. L'Espagne venait de d?clarer la guerre ? l'Angleterre et sa flotte allait joindre la n?tre; le moment ?tait donc venu de tenter un dernier effort.
Villeneuve repartit de Toulon le 30 mars, rallia ? Cadix l'amiral Gravina et arriva ? la Martinique, mais la flotte command?e par Ganteaume ne paraissait pas. Les vents contraires la retenaient ? Brest, toujours bloqu?e par la flotte anglaise. Alors Villeneuve, au lieu d'attendre ? la Martinique la jonction de toutes les escadres, re?ut l'ordre de venir d?bloquer celles du Ferrol et de Brest, pour les conduire enfin dans la Manche. Un combat naval eut lieu au Ferrol, il fut ind?cis; le d?couragement de Villeneuve s'en augmenta. Personne ne peut r?voquer en doute le courage personnel de ce malheureux amiral, mais son caract?re ind?cis et inquiet le disposait toujours ? exag?rer les inconv?nients et les dangers. Les Espagnols n'?taient pour lui qu'un embarras: <
Pendant ce temps Napol?on, ? Boulogne, pr?parait le d?part de l'arm?e. Tout le mat?riel ?tait embarqu? et l'on avait fait plusieurs essais d'embarquement du personnel; chaque r?giment, chaque compagnie connaissait son emplacement, et le d?part pouvait avoir lieu sans le moindre embarras. En m?me temps, on continuait ? construire des baraques et le bruit d'une guerre continentale prenait quelque consistance. Irions-nous en Angleterre, en Allemagne; ou bien serions-nous condamn?s ? passer encore un hiver dans ce malheureux camp? Cette derni?re hypoth?se ?tait la seule qui nous effray?t. Napol?on, ?tonn? de ne pas voir arriver Villeneuve, commen?ait ? concevoir de l'inqui?tude, que le ministre augmentait encore en lui faisant part des irr?solutions de cet amiral. Enfin, on apprit, le 26 ao?t, que Villeneuve, au lieu de marcher sur Brest, se d?cidait ? retourner ? Cadix; et l'?poque de la saison, la r?union des flottes anglaises emp?chaient alors de rien entreprendre.
Heureusement, la nouvelle coalition de l'Europe permit ? Napol?on de remplacer cette exp?dition, si souvent et si inutilement annonc?e, par une grande guerre europ?enne. Aussi, d?s le lendemain 27 ao?t, apr?s une violente explosion de col?re contre l'incapacit? de l'amiral Villeneuve, qui faisait manquer le plus beau plan du monde, il y renon?a sur-le-champ, donna des ordres de d?part pour l'Allemagne et dicta le plan de la campagne de 1805.
Ainsi se termin?rent nos incertitudes. Les trois divisions du camp de Montreuil, toujours sous le commandement du mar?chal Ney, partirent pour Strasbourg le 1er septembre. J'?tais ravi de faire la guerre comme officier, et les fatigues de l'infanterie me semblaient l?g?res, n'ayant plus que mon ?p?e ? porter. L'Empereur n'avait point confirm? ma nomination; mais j'?tais tranquille, bien persuad? qu'on ne me d?graderait pas sur le champ de bataille.
CAMPAGNE DE 1805.
Ire PARTIE.
MARCHE EN ALLEMAGNE.--COMBAT DE GUNTZBOURG.--PRISE D'ULM.
La troisi?me division partit du camp de Montreuil le 1er septembre. Les deux premi?res nous avaient pr?c?d?s ? un jour de distance. Ces deux jours furent pr?cieux au moment d'un d?part si pr?cipit?. Nous marchions par division, la gauche en t?te; ainsi les 59e r?giment, 50e, 27e et 23e l?ger. Rien ne fatigue plus les troupes que la marche par division. Il faut de la place pour loger huit mille hommes, et, apr?s une longue route, les compagnies se trouvaient souvent oblig?es d'aller chercher par des chemins de traverse et ? d'assez grandes distances le village qu'on leur assignait.
En vingt-six jours, la division atteignit les bords du Rhin ? Seltz, au-dessous de Strasbourg, en passant par Arras, La F?re, Reims, Ch?lons, Vitry, Saint-Dizier, Nancy et Saverne. Nous marchions dans le plus grand ordre par le flanc, sur trois rangs, les officiers constamment avec leurs compagnies. Un jour que j'?tais rest? en arri?re un quart d'heure pour achever de d?jeuner ? la halte, mon capitaine me dit que lui-m?me ne se serait pas permis ce que je venais de faire. Quand les officiers donnent un pareil exemple, on peut ?tre s?r que tout va bien. Aussi le passage d'une arm?e aussi nombreuse ne donna lieu ? aucune plainte. Il y avait dans nos r?giments beaucoup de conscrits qui support?rent admirablement cette longue marche; il y eut peu de malades, point de tra?nards, et les hommes ? qui l'on accorda des cong?s pour aller voir un instant leur famille, rentr?rent tous avant le passage du Rhin.
J'avais esp?r? moi-m?me une permission pour revoir mes parents apr?s un an d'absence et au moment d'entrer en campagne. Mon colonel l'avait promis ? ma m?re, et je le vis avec surprise, le second jour de route, partir pour Luxembourg, d?p?t du r?giment, sans me parler de rien. Il nous rejoignit, le 15, ? Saint-Dizier, et j'appris la cause de cette rigueur. Le second jour de marche j'?tais de service ? l'arri?re-garde, corv?e fort ennuyeuse, car on doit faire filer devant soi tous les bagages. Je causais avec une cantini?re ? la fin d'une longue ?tape, et comme elle me dit qu'elle se sentait fatigu?e et un peu souffrante, je lui offris mon bras sans y penser et comme ? une dame de Paris. Le g?n?ral Malher nous vit et f?licita mon colonel sur la galanterie des officiers qui donnaient le bras aux cantini?res. Il n'en fallait pas tant pour exciter sa col?re. Apr?s m'avoir vivement reproch? mon ?tourderie, il me dit que cette sottise l'avait emp?ch? de me donner plus t?t une permission, mais que mes parents ne pouvaient pas ?tre punis pour ma faute; que j'allais partir pour Paris, ? la condition d'?tre de retour pour le passage du Rhin, le 26. Ainsi, en douze jours, il fallait faire deux cents lieues en poste, car je ne pouvais pas perdre un des instants consacr?s ? ma famille. N'ayant point de voiture, je prenais ? chaque poste un cabriolet, une carriole, une petite charrette, o? l'on attelait un cheval; le postillon assis ? c?t? de moi, courant ainsi jour et nuit sans arr?ter, prenant ? peine le temps de manger. Mon arriv?e ? Paris fut un jour de f?te pour ma famille et pour moi.
Il faudrait avoir pass? un an au camp pour comprendre ce que j'?prouvai ? Paris. Ce s?jour me parut enchant?, je croyais r?ver; et pourtant, en me retrouvant dans le lieu o? j'avais pass? mon enfance, je me demandais quelquefois si le camp de Montreuil n'?tait pas plut?t un mauvais r?ve. Quelqu'un disait qu'en lisant Hom?re, les hommes lui paraissaient avoir six pieds de haut. On peut dire aussi que les gens bien ?lev?s semblent des ?tres d'une autre nature, des esp?ces de g?nies sup?rieurs aux hommes. La toilette des femmes, la conversation, le ton, les mani?res me transportaient dans un nouveau monde. On avait fort approuv? le parti que j'avais pris, et qui ?tait d?j? couronn? de succ?s, puisque j'?tais officier. D'ailleurs, M. Lacu?e ?tant l'ami de la maison, le num?ro du r?giment augmentait encore l'affection qu'inspirait le jeune sous-lieutenant. Ces moments de bonheur dur?rent peu. Arriv? ? Paris le 17 septembre, j'en devais partir de mani?re ? arriver sur le Rhin le 26.
Mon voyage eut lieu, comme je l'ai dit, en charrette de poste, jour et nuit; il fallait mon ?ge et ma sant? pour supporter de pareilles ?preuves. On attendait l'Empereur, et c'est ? peine si je pouvais obtenir le seul cheval dont j'avais besoin. Quelquefois un voyageur demandait la permission de monter avec moi; j'y consentais, pourvu qu'il donn?t quelque chose au postillon et que la rapidit? de la course ne f?t point ralentie.
J'arrivai ? Seltz le 26, veille du passage du Rhin; mais dans quel ?quipage! J'avais achet? ? Paris tout ce dont j'avais besoin; on le mit ? la diligence. La, rapidit? de notre marche et notre changement de direction m'emp?ch?rent de le recevoir. Je passai le Rhin avec une ?paulette et une ?p?e d'emprunt. C'est ainsi que j'ai toujours manqu? de tout dans le cours de ma carri?re. J'ai ?t? sergent-major sans argent pour payer le pr?t, voyageur en poste sans voiture, officier sans ?paulette ni ?p?e, aide de camp sans chevaux. Je suis venu ? bout de toutes ces difficult?s, en les bravant hardiment, en ne doutant jamais ni de moi ni de la Providence. La division passa le Rhin le 27 sur un pont de bateaux, entre Seltz et Lauterbourg. Ce passage fut une v?ritable f?te. Les soldats portaient de petites branches d'arbres ? leurs habits, en guise de lauriers. Nous d?fil?mes de l'autre c?t? du Rhin, devant les g?n?raux, au cri de: Vive l'Empereur!
Le 30, le corps d'arm?e se r?unit ? Stuttgard, en passant par Carlsruhe et Prorsheim. Nous y s?journ?mes jusqu'au 3 octobre.
Il faut maintenant raconter la position de l'ennemi, expliquer les projets de Napol?on. On verra ensuite quelle part fut r?serv?e au sixi?me corps, dans leur ex?cution, quel r?le joua le 59e dans les op?rations du corps d'arm?e, enfin la part tr?s-minime que j'ai prise aux exploits de ce r?giment.
La coalition form?e par les Anglais, les Autrichiens, les Russes, les Su?dois et les Napolitains, esp?rait attirer les Bavarois, tout le reste de l'Allemagne et la Prusse elle-m?me. Plusieurs attaques se pr?paraient par la Pom?ranie, la Lombardie et le midi de l'Italie. La seule dont j'aie ? m'occuper devait suivre la vall?e du Danube; elle ?tait confi?e aux Autrichiens et aux Russes, mais les Russes ?taient en arri?re. Si l'arm?e autrichienne se f?t port?e ? leur rencontre, elle e?t d?couvert l'Allemagne, que Napol?on aurait envahie et forc?e de se joindre ? lui. Le g?n?ral Mack, qui commandait l'arm?e autrichienne, r?solut de le pr?venir; il traversa la Bavi?re et vint prendre position, la droite ? Ulm, la gauche ? Memmingen, couvert par l'Iller. Il supposait que Napol?on l'attaquerait de front par les d?fil?s de la for?t Noire, entre Strasbourg et Schaffouse; il comptait pouvoir se d?fendre avantageusement dans la forte position qu'il avait prise; et, en supposant m?me qu'il f?t vaincu, il op?rerait sa retraite en se rapprochant des Russes. Il avait d?tach? le g?n?ral Kienmeyer ? Ingolstadt pour observer les Bavarois et se lier avec les Russes qu'on attendait par la route de Munich.
Mais Napol?on forma un tout autre plan. Il ne se proposait pas de battre les Autrichiens, mais de les envelopper et de les d?truire, pour marcher lui-m?me au-devant des Russes. Il organisa son arm?e en sept corps, et lui donna pour la premi?re fois le nom de Grande Arm?e, ce nom devenu si c?l?bre. Chaque corps d'arm?e se composait de deux ou trois divisions d'infanterie, d'une brigade de cavalerie et d'un peu d'artillerie. Le mar?chal Bernadotte commandait le premier, Marmont le deuxi?me, Davout le troisi?me, Soult le quatri?me, Lannes le cinqui?me, Ney le sixi?me, Augereau le septi?me. La grosse cavalerie, compos?e de carabiniers, de cuirassiers et de dragons, ?tait r?unie en un seul corps, que commandait habituellement le prince Murat; la garde imp?riale formait la r?serve. La Grande Arm?e pr?sentait une masse de cent quatre-vingt-six mille combattants, ? laquelle allaient bient?t se joindre vingt-cinq mille Bavarois, huit mille Badois et Wurtembergeois, car l'?lecteur de Bavi?re, apr?s beaucoup de perplexit?, avait fini par s'unir franchement ? la France.
Voici les dispositions que prit Napol?on pour ex?cuter son plan:
Le 23 septembre, Murat avec une partie de la cavalerie et quelques bataillons du cinqui?me corps, paraissant faire l'avant-garde de l'arm?e, passa le Rhin ? Strasbourg et se pr?senta aux d?fil?s de la for?t Noire, pour faire croire au g?n?ral Mack qu'il allait ?tre attaqu? de ce c?t?; les fausses nouvelles, les achats de vivres, rien n'avait ?t? n?glig? pour confirmer son erreur. Pendant ce temps, les corps de la Grande Arm?e franchissaient le Rhin de la droite ? la gauche: le sixi?me ? Lauterbourg; le quatri?me ? Spire; le troisi?me ? Manheim; les premier et deuxi?me arriv?rent de la Hollande et du Hanovre ? Wurtzbourg. Tous ces corps se dirigeaient sur le bas Danube, pour le passer ? Donauwerth, s'emparer du pays situ? entre le Lech et l'Iller, forcer le passage de cette rivi?re, afin d'investir Ulm par la rive droite; le mar?chal Ney, avec le sixi?me corps, devait rester sur la gauche et s'approcher d'Ulm le plus possible.
Ainsi, nous part?mes de Stuttgard le 3 octobre pour suivre la grande route d'Ulm. La troisi?me division logea pendant deux jours dans de mauvais villages. Le 5, au soir, avant d'arriver ? Geislinigen, elle tourna ? gauche pour suivre le mouvement des autres corps, sur le bas Danube. Nous march?mes la nuit et la journ?e suivante avec quelques moments de repos, et sans manger. L'Empereur avait ordonn? de faire porter aux soldats du pain pour quatre jours, et d'avoir pour quatre jours de biscuit dans les fourgons. Je ne sais ce qui avait lieu dans les autres corps, mais, quant ? nous, nous n'avions rien; et comme le 59e marchait le dernier par son ordre de num?ro, il n'arriva qu'? l'entr?e de la nuit au bivouac pr?s de Giengen, ville o? logeait le g?n?ral Malher. Le colonel lui dit que son r?giment arrivait apr?s une marche de trente-six heures, et lui demanda la permission de faire une r?quisition de vivres. Le g?n?ral refusa, parce qu'il avait promis de m?nager la ville, mais c'?tait autoriser tous les d?sordres: aussi les villages environnants furent saccag?s; et le premier jour de bivouac devint le premier jour de pillage. Le colonel, qui mourait de faim lui-m?me, trouva les grenadiers faisant r?tir un cochon. Sa pr?sence causa d'abord de l'embarras; au bout d'un instant, un grenadier plus hardi lui offrit de partager leur repas, ce qu'il fit de grand coeur, et le pillage se trouva autoris?.
Le lendemain 7 nous bivouaqu?mes pr?s d'Hochstedt. Ce m?me jour, le mar?chal Soult passait le Danube ? Donauwerth. Le mar?chal Ney re?ut l'ordre de revenir sur ses pas pour se rapprocher d'Ulm, et de s'emparer des ponts de Guntzbourg et de Leipheim, afin de resserrer la place et de faciliter la communication entre les deux rives.
La troisi?me division fut charg?e de cette op?ration. Il fut impossible d'aborder le pont de Leipheim, ? cause des marais impraticables qui l'entouraient. Le g?n?ral Marner, avec la brigade Marcognet, entreprit l'attaque du grand pont de Guntzbourg en face de la ville. Le lit du Danube, en cet endroit, est coup? par diff?rentes ?les; elles furent toutes enlev?es avec r?solution. Mais il fut impossible de franchir le grand bras du Danube, qui touche ? la ville. Une trav?e du pont avait ?t? d?truite, et les travailleurs, expos?s aux coups des Autrichiens plac?s de l'autre c?t? du fleuve, ne purent r?ussir ? r?tablir le pont. Il fallut se retirer dans les ?les bois?es et renoncer ? cette op?ration, qui avait d?j? co?t? pr?s de trois cents hommes.
Nous trouv?mes le r?giment assez en d?sordre. Il avait r?sist? aux charges de cavalerie, comme au feu de l'infanterie, et cette journ?e lui fit beaucoup d'honneur. Pour dire la v?rit?, je ne crois pas que les attaques de l'ennemi aient ?t? bien vives. Je trouvai les officiers agit?s et inquiets, s'occupant d'encourager les soldats et de t?cher de remettre de l'ordre, les compagnies se trouvant m?l?es; car, comme je l'ai dit, il avait fallu passer le pont un ? un, et en arrivant dans la plaine recevoir les coups de l'ennemi avant d'avoir le temps de se mettre en d?fense. Je suis persuad? qu'il y eut un moment o? une attaque ? la ba?onnette et une charge de cavalerie sur nos flancs nous eussent ramen?s et pr?cipit?s dans le Danube. Dans cette situation, nos deux compagnies de r?serve auraient pu ?tre d'un grand secours. Mais les capitaines, press?s de se rendre sur le champ de bataille, n'avaient point voulu se donner le temps de les former apr?s le passage du pont, et le r?giment les e?t entra?n?es dans sa d?route. Heureusement, il faisait nuit, les Autrichiens ignoraient notre petit nombre, et je crois m?me qu'ils ne combattirent que pour assurer leur retraite. Le feu cessa bient?t; le 50e vint nous rejoindre, et il est ? regretter qu'il ne soit pas venu plus t?t. Nous pass?mes la nuit sous les armes, sans allumer de feu. J'ai appris alors que le colonel avait re?u une blessure grave; il mourut quand on le transportait de l'autre c?t? du pont. Son dernier mot fut d'ordonner ? l'officier qui le conduisait de le laisser mourir et de retourner au combat. Au point du jour, nous entr?mes dans Guntzbourg, que l'ennemi avait ?vacu?; nous y pr?mes quelques heures de sommeil.
La perte du colonel Lacu?e fut vivement sentie dans l'arm?e et particuli?rement dans son r?giment. Ceux qui l'aimaient le moins, ceux que lui-m?me traitait le plus s?v?rement, rendaient justice ? ses belles et nobles qualit?s. Il fut enterr? le jour m?me dans le cimeti?re de Guntzbourg: les r?giments qui se r?unissaient dans cette ville y assist?rent; mon capitaine pronon?a un petit discours que je regrette de n'avoir pas conserv?. Le colonel Colbert, ami particulier de Lacu?e, voulut avoir sa dragonne, et par un souvenir tout militaire de son affection il se promit bien de donner avec elle un bon coup de sabre, et il a bien tenu parole. Pour moi, je n'ai pas besoin de dire que j'en ?prouvai une vive douleur. Il m'avait t?moign? la tendresse d'un p?re; je lui devais ma nomination d'officier, et la lettre que j'?crivis ce jour-l? m?me ? ma m?re fut souvent interrompue par mes larmes.
Le r?giment eut ? l'affaire de Guntzbourg douze hommes tu?s, en comptant le colonel et deux sous-lieutenants, et une quarantaine de bless?s, y compris le capitaine Villars. M. Silbermann, le plus ancien des deux chefs de bataillon, prit le commandement du r?giment.
Nous marchions en r?serve ce jour-l?, et nous voyions revenir les bless?s, soit ? pied, soit sur des charrettes. Ce spectacle est p?nible pour un r?giment qui compte beaucoup de conscrits, et le dispose mal ? entrer en ligne ? son tour. Un vieux soldat les amusait en leur disant que nous ?tions loin encore, puisque les musiciens se trouvaient ? notre t?te. Au m?me instant, nous en v?mes revenir deux; ce fut une joie g?n?rale.
Le m?me jour, le g?n?ral Dupont avait rencontr? le corps du g?n?ral Werneck, sorti d'Ulm pour t?cher de trouver une direction par laquelle l'arm?e autrichienne p?t op?rer sa retraite. Le g?n?ral Dupont le battit et l'emp?cha de rentrer dans la place.
Le lendemain 15 vit compl?ter l'investissement. Le mar?chal Ney enleva les hauteurs du Michelsberg, le mar?chal Lannes celles du Frauenberg, qui toutes deux dominent la place. On s'avan?a jusque sur les glacis, et m?me un bastion fut un instant occup?; mais l'attaque ?tait pr?matur?e, et il fallut se retirer. L'Empereur remit au lendemain la capitulation ou l'assaut.
Qu'aurait donc pu faire le g?n?ral Mack pour ?viter d'?tre r?duit aune pareille situation? Il est certain qu'en s'y prenant ? temps, il aurait pu essayer de gagner le Tyrol par la rive droite du Danube, ou mieux encore la Boh?me par la rive gauche. L'archiduc Ferdinand, qui commandait une division de l'arm?e, le voulait. Il obtint du moins la permission de sortir pour son compte; et le 14 au soir, jour de la bataille d'Elchingen, il alla joindre le g?n?ral Werneck, ce qui privait le g?n?ral Mack de vingt mille hommes, et le r?duisait ? trente mille. Murat fut charg? de les poursuivre avec la division Dupont, les grenadiers Oudinot et la r?serve de cavalerie. En quatre jours il d?passa Nuremberg, en passant par Meustetten, Heidenheim, Neresheim et Nordlingen; chaque jour fut marqu? par un combat, ou plut?t par un triomphe. Le g?n?ral Werneck fut forc? de capituler; l'archiduc Ferdinand se sauva en Boh?me avec deux mille chevaux. Jamais on ne vit une telle rapidit?, jamais une suite de succ?s si ?clatants.
Il ne restait plus au malheureux g?n?ral Mack qu'? capituler avec ses trente mille hommes. Mack ne pouvait obtenir d'autre condition que celle de mettre bas les armes. Les soldats devaient ?tre conduits en France, les officiers rentreraient en Autriche avec parole de ne pas servir. Tout le mat?riel ?tait livr? ? l'arm?e fran?aise. Le g?n?ral Mack conservait jusqu'au dernier moment l'espoir d'?tre secouru, soit par l'arm?e russe, soit par l'archiduc Charles, oppos? en Italie au mar?chal Mass?na. Il ne pouvait renoncer ? cette pens?e, qui l'avait engag? ? se tenir enferm? dans Ulm, sans essayer de se faire jour ? travers l'arm?e fran?aise, quand il en ?tait temps encore. ? peine les assurances les plus positives et la parole donn?e par le mar?chal Berthier furent-elles suffisantes pour lui prouver que, d'apr?s les positions respectives des arm?es, tout secours ?tait impossible. Il fut donc convenu que la place serait remise le 25 octobre ? l'arm?e fran?aise, si elle n'?tait pas secourue ? cette ?poque; cela faisait huit jours depuis le 17, ?poque de l'ouverture des n?gociations. Mais le 19, Napol?on, ayant appris la capitulation du g?n?ral Werneck, repr?senta au g?n?ral Mack que ce d?lai ?tait parfaitement inutile et ne faisait que prolonger les souffrances et les privations des deux arm?es. Il obtint que la place f?t rendue le lendemain 20, ? condition que les troupes du mar?chal Ney ne sortiraient point d'Ulm avant le 25. Ce fut une coupable faiblesse et bien inexcusable, car on ne pouvait, exiger de lui que d'ex?cuter la capitulation; et avec un adversaire tel que Napol?on, il n'?tait pas indiff?rent de gagner quatre jours. Quoi qu'il en soit, cette clause nous a priv?s de l'honneur d'?tre ? Austerlitz.
Ainsi, le 20 octobre, la garnison d'Ulm, au nombre de vingt-sept mille hommes, dont deux mille de cavalerie, sortit avec les honneurs de la guerre, et d?fila entre l'infanterie et la cavalerie fran?aises. Napol?on ?tait en avant de l'infanterie, et assista pendant cinq heures ? ce beau triomphe. Il fit appeler successivement tous les g?n?raux autrichiens, conversa avec eux, leur t?moigna beaucoup d'?gards, mais en s'exprimant durement et avec menaces sur la politique de l'empereur d'Autriche.
J'ai toujours regrett? de n'avoir point assist? ? cette belle journ?e. J'avais ?t? envoy?, deux jours auparavant, dans un village pour une r?quisition de bestiaux, et c'est ? peine si je pus arriver ? Ulm le 22.
Tel fut le r?sultat de cette campagne si courte et si brillante. On croit r?ver quand on pense que le 1er septembre nous ?tions encore au camp de Boulogne, et que, le 20 octobre, soixante mille Autrichiens se trouvaient en notre pouvoir, avec dix-huit g?n?raux, deux cents bouches ? feu, cinq mille chevaux et quatre-vingts drapeaux.
Je n'ai pas voulu interrompre ce r?cit tr?s-succinct des op?rations, et j'y ajoute maintenant quelques r?flexions.
Un autre jour, un petit soldat de la compagnie, ? qui j'avais rendu quelques services, me donna en cachette un morceau de pain de munition et la moiti? d'un poulet, qu'il avait envelopp? dans une chemise sale. Je n'ai de ma vie fait un meilleur repas.
Toutes ces causes d?velopp?rent l'insubordination, l'indiscipline et le maraudage. Lorsque par un temps pareil des soldats allaient dans un village chercher des vivres, ils trouvaient tentant d'y rester. Aussi le nombre d'hommes isol?s qui parcouraient le pays devint-il consid?rable. Les habitants en ?prouv?rent des vexations de tous genres, et des officiers bless?s qui voulaient r?tablir l'ordre furent en butte aux menaces des maraudeurs. Tous ces d?tails sont inconnus de ceux qui lisent l'histoire de nos campagnes. On ne voit qu'une arm?e valeureuse, des soldats d?vou?s, rivalisant de gloire avec leurs officiers. On ignore au prix de quelles souffrances s'ach?tent souvent les plus ?clatants succ?s. On ignore combien, dans une arm?e, les exemples d'?go?sme ou de l?chet? s'unissent aux traits de g?n?rosit? et de courage.
La prompte reddition d'Ulm mit bient?t fin ? tant de d?sordres. Les soldats isol?s rentr?rent ? leurs corps, et quelques-uns re?urent de leurs camarades une punition militaire. J'ai m?me vu dans l'occasion les capitaines donner quelques coups de canne. Il est certain qu'il y a des hommes dont on ne peut pas venir ? bout autrement; mais il faut ?tre sobre de ce moyen de correction, et surtout savoir ? qui l'on s'adresse: car il y a tel soldat qui se r?volterait ? moins; il est vrai que ceux-l? n'ont pas besoin de pareilles le?ons.
Le 6e corps passa six jours ? Ulm en vertu des capitulations. Ce s?jour, bien long pour cette ?poque, nous reposa de nos fatigues, en nous pr?parant ? celles qui devaient suivre.
CAMPAGNE DE 1805.
IIe PARTIE.
Apr?s avoir d?truit l'arm?e autrichienne, l'Empereur se h?ta de marcher au-devant des Russes. Il voulait les pr?venir ? Vienne, que les Autrichiens ne pouvaient plus d?fendre, et leur livrer ensuite bataille. On sait avec quelle rapidit? il ex?cuta ce plan, et combien la fortune seconda encore son g?nie. Vienne fut occup?e, et, le 2 d?cembre, ? Austerlitz, l'arm?e russe d?truite comme l'arm?e autrichienne l'avait ?t? ? Ulm. Je n'ai point ? raconter de brillants succ?s auxquels le 6e corps ne prit aucune part, mais on va voir qu'en d'autres lieux sa coop?ration ne fut pas inutile.
En effet, plus l'arm?e dans sa direction sur Vienne s'avan?ait entre les montagnes de la Styrie et le cours du Danube, plus il convenait d'assurer sa marche en couvrant ses flancs. Le mar?chal Ney fut donc charg? de la conqu?te du Tyrol. Le 6e corps ne se composait plus que de deux divisions, la deuxi?me , la troisi?me , la division Dupont ayant re?u une autre destination; j'ignore m?me pourquoi la division Loison se trouvait alors r?duite ? sa seconde brigade . En y ajoutant cent cinquante chevaux des 3e hussards et 10e chasseurs, ainsi que quelque artillerie, le tout ne s'?levait pas ? neuf mille hommes. Il fallait la confiance qu'inspirait l'audace du mar?chal Ney, pour lui confier cette op?ration avec d'aussi faibles moyens. Vingt-cinq mille Autrichiens occupaient le Tyrol, sans compter la milice; car, dans ce pays, la guerre ?tait nationale, les habitants, d?vou?s ? l'Autriche, craignant d'?tre donn?s ? la Bavi?re, ce qui eut lieu en effet. Ils ?taient command?s par l'archiduc Jean, le g?n?ral Jellachich et le prince de Rohan.
Pour p?n?trer dans le Tyrol, on n'avait que le passage de Fuessen, celui de Scharnitz et celui de Kufstein. Le mar?chal choisit Scharnitz, point interm?diaire entre les deux autres et que traverse la route directe d'Insbr?ck.
Nous part?mes d'Ulm le 26 octobre, et d?s le premier jour de marche, je ne reconnus plus le r?giment. La capitulation d'Ulm ayant mis ? la disposition de l'arm?e un grand nombre de chevaux, on permit aux capitaines d'infanterie d'en prendre, et ce fut un malheur. Les chevaux ne marchant pas du m?me pas que les hommes, les capitaines se trouvaient ? la t?te ou ? la queue du bataillon. Un capitaine ne doit jamais quitter ses soldats; plus les marches sont longues et fatigantes, plus sa pr?sence est n?cessaire. Il soutient leur courage par son exemple; il apprend ? les conna?tre en ?coutant leurs conversations. Un mot de lui peut pr?venir une querelle; la gaiet? augmente si le capitaine s'en amuse. Les lieutenants et sous-lieutenants, toujours ? pied, rempla?aient les commandants de compagnie, mais avec moins d'autorit?.
Le 4 novembre, nous ?tions devant Scharnitz. Le fort qui porte ce nom est une demi-couronne taill?e dans le roc, avec un large foss? appuy? ? sa droite par le fort de Leutasch. On devait enlever ces deux postes pour p?n?trer dans le Tyrol et les enlever promptement, afin de cacher ? l'ennemi notre petit nombre et ne pas lui laisser le temps de se r?unir. Le 69e r?giment de la division Loison attaqua le fort Leutasch. La colonne, guid?e par des chasseurs de chamois, s'engagea dans des sentiers qu'on jugeait impraticables. Surpris par cette attaque impr?vue, le commandant se rendit avec trois cents hommes. Alors le g?n?ral Loison envoya le 76e ? Seefeld, pour tourner Scharnitz. En m?me temps, le 69e gravit les hauteurs presque inaccessibles du c?t? de Leutasch, malgr? les balles et les pierres lanc?es par les chasseurs tyroliens. Les soldats, en s'accrochant aux arbustes, aux racines, en enfon?ant les ba?onnettes dans les fentes des rochers, parvinrent au sommet o? ils plant?rent l'aigle du r?giment. ? cette vue, la troisi?me division commen?a l'attaque de front; en peu d'instants le 25e l?ger, soutenu par le 27e, emporta le fort d'assaut.
La seconde brigade restait en r?serve. On prit dans Scharnitz mille huit cents hommes et seize pi?ces de canon. Le mar?chal Ney se h?ta d'arriver ? Insbr?ck, o? l'on trouva beaucoup de pi?ces d'artillerie, seize mille fusils et un grand approvisionnement de poudre. Par une heureuse circonstance, le 76e y reprit ses drapeaux qu'il avait autrefois perdus dans le pays des Grisons.
La veille de l'attaque de Scharnitz fut l'?poque de la cr?ation des compagnies de voltigeurs. On en avait fait l'essai au camp de Montreuil, sous le commandement de M. Mazure, mon capitaine. ? ce titre le commandement de la nouvelle compagnie lui appartenait dans le premier bataillon. On choisit les hommes les plus petits, les plus lestes, et le bataillon se trouva encadr? entre deux compagnies d'?lite, les grenadiers ? droite, les voltigeurs ? gauche. D?s les premiers instants on sentit l'avantage de cette cr?ation: aussi, tout le monde sait les services qu'ont rendus les voltigeurs, la r?putation qu'ils ont acquise.
Je ne regrettai point le capitaine Mazure, dont j'avais ? me plaindre et qui ne me comprenait point. Je dois dire que c'?tait un des meilleurs officiers du r?giment. La vivacit? de son caract?re, son extr?me activit? faisaient oublier sa petite taille, son air ch?tif. L'?tude et l'application suppl?aient tant bien que mal ? l'?ducation qui lui manquait. Pr?tentieux, susceptible, jaloux des avantages qu'il n'avait pas, il ne voyait en moi qu'un jeune homme de Paris que la faveur de notre pauvre colonel avait fait nommer officier et pour lequel on devait se montrer s?v?re. Je gagnai au change de toutes mani?res. M. Jacob, lieutenant, d?tach? depuis longtemps pour une mission, revint prendre le commandement de la compagnie. Fils d'un bourgeois de Paris, il avait fait lui-m?me son ?ducation et il portait toujours avec lui un recueil d'extraits de nos meilleurs auteurs, qu'il avait choisis avec intelligence et qu'il aimait ? relire. Jacob, d'un caract?re froid, s?rieux, mais doux et bienveillant, me t?moigna toujours une grande amiti?. Son ext?rieur r?serv? cachait assez d'ambition; je le revis en 1813 tr?s-content d'?tre devenu officier sup?rieur. Il fut tu? peu apr?s ? Lutzen, ? la t?te du bataillon qu'il ?tait bien digne de commander.
Les trois derni?res compagnies du 1er bataillon, 6e, 7e et 8e, furent charg?es de la garde des forts de Scharnitz et Leutasch. J'ai d?j? dit que la 7e compagnie ?tait la mienne. Le sous-lieutenant de la 6e Lonchamps, ?lev? au Prytan?e, faisait partie du petit nombre d'officiers qui ne sortaient pas des rangs de l'arm?e ; son excessive paresse nuisait ? son avancement, et dans un moment d'humeur il donna sa d?mission. Plus tard il voulut reprendre du service, et m'?crivit ? ce sujet. L'Empereur, qui n'aimait pas les d?missionnaires, refusa net. En 1813, ? Dresde, Lonchamps s'estimait heureux d'un emploi dans les vivres. M. Isch, son ancien capitaine, alors lieutenant-colonel dans la garde imp?riale, l'engagea ? venir me voir. Le pauvre gar?on n'osa jamais se pr?senter chez son ancien camarade devenu g?n?ral de brigade.
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page