bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: De la Démocratie en Amérique tome quatrième by Tocqueville Alexis De

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 327 lines and 26840 words, and 7 pages

?mocratique, o?, depuis l'origine, les citoyens ont toujours ?t? ?gaux. C'est ce que l'exemple des Am?ricains ach?ve de prouver.

Les hommes qui habitent les ?tats-Unis n'ont jamais ?t? s?par?s par aucun privil?ge; ils n'ont jamais connu la relation r?ciproque d'inf?rieur et de ma?tre, et, comme ils ne se redoutent et ne se ha?ssent point les uns les autres, ils n'ont jamais connu le besoin d'appeler le souverain ? diriger le d?tail de leurs affaires. La destin?e des Am?ricains est singuli?re: ils ont pris ? l'aristocratie d'Angleterre l'id?e des droits individuels et le go?t des libert?s locales; et ils ont pu conserver l'une et l'autre, parce qu'ils n'ont pas eu ? combattre d'aristocratie.

Si, dans tous les temps, les lumi?res servent aux hommes ? d?fendre leur ind?pendance, cela est surtout vrai dans les si?cles d?mocratiques. Il est ais?, quand tous les hommes se ressemblent, de fonder un gouvernement unique et tout puissant; les instincts suffisent. Mais il faut aux hommes beaucoup d'intelligence, de science et d'art, pour organiser et maintenir, dans les m?mes circonstances, des pouvoirs secondaires, et pour cr?er, au milieu de l'ind?pendance et de la faiblesse individuelle des citoyens, des associations libres qui soient en ?tat de lutter contre la tyrannie, sans d?truire l'ordre.

La concentration des pouvoirs et la servitude individuelle cro?tront donc, chez les nations d?mocratiques, non seulement en proportion de l'?galit?, mais en raison de l'ignorance.

Il est vrai que, dans les si?cles peu ?clair?s, le gouvernement manque souvent de lumi?res pour perfectionner le despotisme, comme les citoyens pour s'y d?rober. Mais l'effet n'est point ?gal des deux parts.

Quelque grossier que soit un peuple d?mocratique, le pouvoir central qui le dirige n'est jamais compl?tement priv? de lumi?res, parce qu'il attire ais?ment ? lui le peu qui s'en rencontre dans le pays, et que, au besoin, il va en chercher au dehors. Chez une nation qui est ignorante aussi bien que d?mocratique, il ne peut donc manquer de se manifester bient?t une diff?rence prodigieuse entre la capacit? intellectuelle du souverain et celle de chacun de ses sujets. Cela ach?ve de concentrer ais?ment dans ses mains tous les pouvoirs. La puissance administrative de l'?tat s'?tend sans cesse, parce qu'il n'y a que lui qui soit assez habile pour administrer.

Les nations aristocratiques, quelque peu ?clair?es qu'on les suppose, ne donnent jamais le m?me spectacle, parce que les lumi?res y sont assez ?galement r?parties entre le prince et les principaux citoyens.

Le pacha qui r?gne aujourd'hui sur l'?gypte a trouv? la population de ce pays compos?e d'hommes tr?s-ignorants et tr?s-?gaux, et il s'est appropri?, pour la gouverner, la science et l'intelligence de l'Europe. Les lumi?res particuli?res du souverain arrivant ainsi ? se combiner avec l'ignorance et la faiblesse d?mocratique des sujets, le dernier terme de la centralisation a ?t? atteint sans peine, et le prince a pu faire du pays sa manufacture, et des habitants ses ouvriers.

Je crois que la centralisation extr?me du pouvoir politique finit par ?nerver la soci?t?, et par affaiblir ainsi ? la longue le gouvernement lui-m?me. Mais je ne nie point qu'une force sociale centralis?e ne soit en ?tat d'ex?cuter ais?ment, dans un temps donn? et sur un point d?termin?, de grandes entreprises. Cela est surtout vrai dans la guerre o? le succ?s d?pend bien plus de la facilit? qu'on trouve ? porter rapidement toutes ses ressources sur un certain point, que de l'?tendue m?me de ses ressources. C'est donc principalement dans la guerre que les peuples sentent le d?sir et souvent le besoin d'augmenter les pr?rogatives du pouvoir central. Tous les g?nies guerriers aiment la centralisation qui accro?t leurs forces, et tous les g?nies centralisateurs aiment la guerre, qui oblige les nations ? resserrer dans les mains de l'?tat tous les pouvoirs. Ainsi, la tendance d?mocratique qui porte les hommes ? multiplier sans cesse les privil?ges de l'?tat et ? restreindre les droits des particuliers est bien plus rapide et plus continue chez les peuples d?mocratiques, sujets par leur position ? de grandes et fr?quentes guerres, et dont l'existence peut souvent ?tre mise en p?ril, que chez tous les autres.

J'ai dit comment la crainte du d?sordre et l'amour du bien-?tre portaient insensiblement les peuples d?mocratiques ? augmenter les attributions du gouvernement central, seul pouvoir qui leur paraisse de lui-m?me assez fort, assez intelligent, assez stable pour les prot?ger contre l'anarchie. J'ai ? peine besoin d'ajouter que toutes les circonstances particuli?res qui tendent ? rendre l'?tat d'une soci?t? d?mocratique troubl? et pr?caire, augmente cet instinct g?n?ral et porte, de plus en plus, les particuliers ? sacrifier ? leur tranquillit? leurs droits.

Un peuple n'est donc jamais si dispos? ? accro?tre les attributions du pouvoir central qu'au sortir d'une r?volution longue et sanglante qui, apr?s avoir arrach? les biens des mains de leurs anciens possesseurs, a ?branl? toutes les croyances, rempli la nation de haines furieuses, d'int?r?ts oppos?s et de factions contraires. Le go?t de la tranquillit? publique devient alors une passion aveugle, et les citoyens sont sujets ? s'?prendre d'un amour tr?s-d?sordonn? pour l'ordre.

Je viens d'examiner plusieurs accidents qui tous concourent ? aider la centralisation du pouvoir. Je n'ai pas encore parl? du principal.

La premi?re des causes accidentelles qui, chez les peuples d?mocratiques, peuvent attirer dans les mains du souverain la direction de toutes les affaires, c'est l'origine de ce souverain lui-m?me et ses penchants.

Les hommes qui vivent dans les si?cles d'?galit? aiment naturellement le pouvoir central et ?tendent volontiers ses privil?ges; mais s'il arrive que ce m?me pouvoir repr?sente fid?lement leurs int?r?ts et reproduise exactement leurs instincts, la confiance qu'ils lui portent n'a presque point de bornes, et ils croient accorder ? eux-m?mes tout ce qu'ils lui donnent.

L'attraction des pouvoirs administratifs vers le centre sera toujours moins ais?e et moins rapide avec des rois qui tiennent encore par quelque endroit ? l'ancien ordre aristocratique, qu'avec des princes nouveaux, fils de leurs oeuvres, que leur naissance, leurs pr?jug?s, leurs instincts, leurs habitudes, semblent lier indissolublement ? la cause de l'?galit?. Je ne veux point dire que les princes d'origine aristocratique qui vivent dans les si?cles de d?mocratie ne cherchent point ? centraliser. Je crois qu'ils s'y emploient aussi diligemment que tous les autres. Pour eux, les seuls avantages de l'?galit? sont de ce c?t?; mais leurs facilit?s sont moindres, parce que les citoyens, au lieu d'aller naturellement au-devant de leurs d?sirs, ne s'y pr?tent souvent qu'avec peine. Dans les soci?t?s d?mocratiques, la centralisation sera toujours d'autant plus grande que le souverain sera moins aristocratique; voil? la r?gle.

Quand une vieille race de rois dirige une aristocratie, les pr?jug?s naturels du souverain se trouvant en parfait accord avec les pr?jug?s naturels des nobles, les vices inh?rents aux soci?t?s aristocratiques se d?veloppent librement, et ne trouvent point leur rem?de. Le contraire arrive quand le rejeton d'une tige f?odale est plac? ? la t?te d'un peuple d?mocratique. Le prince incline, chaque jour, par son ?ducation, ses habitudes et ses souvenirs, vers les sentiments que l'in?galit? des conditions sugg?re; et le peuple tend sans cesse, par son ?tat social, vers les moeurs que l'?galit? fait na?tre. Il arrive alors souvent que les citoyens cherchent ? contenir le pouvoir central, bien moins comme tyrannique que comme aristocratique; et qu'ils maintiennent fermement leur ind?pendance non seulement parce qu'ils veulent ?tre libres, mais surtout parce qu'ils pr?tendent rester ?gaux.

Une r?volution qui renverse une ancienne famille de rois pour placer des hommes nouveaux ? la t?te d'un peuple d?mocratique, peut affaiblir momentan?ment le pouvoir central; mais quelque anarchique qu'elle paraisse d'abord, on ne doit point h?siter ? pr?dire que son r?sultat final et n?cessaire sera d'?tendre, et d'assurer les pr?rogatives de ce m?me pouvoir.

La premi?re et en quelque sorte la seule condition n?cessaire pour arriver ? centraliser la puissance publique dans une soci?t? d?mocratique est d'aimer l'?galit? ou de le faire croire. Ainsi, la science du despotisme, si compliqu?e jadis, se simplifie: elle se r?duit, pour ainsi dire, ? un principe unique.

Que parmi les nations europ?ennes de nos jours, le pouvoir souverain s'accro?t, quoique les souverains soient moins stables.

Si l'on vient ? r?fl?chir sur ce qui pr?c?de, on sera surpris et effray? de voir comment, en Europe, tout semble concourir ? accro?tre ind?finiment les pr?rogatives du pouvoir central et ? rendre chaque jour l'existence individuelle plus faible, plus subordonn?e et plus pr?caire.

Les nations d?mocratiques de l'Europe ont toutes les tendances g?n?rales et permanentes qui portent les Am?ricains vers la centralisation des pouvoirs, et, de plus, elles sont soumises ? une multitude de causes secondaires et accidentelles que les Am?ricains ne connaissent point. On dirait que chaque pas qu'elles font vers l'?galit? les rapproche du despotisme.

Il suffit de jeter les yeux autour de nous et sur nous-m?mes, pour s'en convaincre.

Durant les si?cles aristocratiques qui ont pr?c?d? le n?tre, les souverains de l'Europe avaient ?t? priv?s ou s'?taient dessaisis de plusieurs des droits inh?rents ? leur pouvoir. Il n'y a pas encore cent ans que, chez la plupart des nations europ?ennes, il se rencontrait des particuliers ou des corps presque ind?pendants qui administraient la justice, levaient et entretenaient des soldats, percevaient des imp?ts, et souvent m?me faisaient ou expliquaient la loi. L'?tat a partout repris pour lui seul ces attributs naturels de la puissance souveraine; dans tout ce qui a rapport au gouvernement, il ne souffre plus d'interm?diaire entre lui et les citoyens, et il les dirige par lui-m?me dans les affaires g?n?rales. Je suis bien loin de bl?mer cette concentration des pouvoirs; je me borne ? la montrer.

? la m?me ?poque il existait en Europe un grand nombre de pouvoirs secondaires qui repr?sentaient des int?r?ts locaux et administraient les affaires locales. La plupart de ces autorit?s locales ont d?j? disparu; toutes tendent rapidement ? dispara?tre ou ? tomber dans la plus compl?te d?pendance. D'un bout de l'Europe ? l'autre, les privil?ges des seigneurs, les libert?s des villes, les administrations provinciales, sont d?truites ou vont l'?tre.

L'Europe a ?prouv?, depuis un demi-si?cle, beaucoup de r?volutions et contre r?volutions qui l'ont remu?e en sens contraires. Mais tous ces mouvements se ressemblent en un point: tous ont ?branl? ou d?truit les pouvoirs secondaires. Des privil?ges locaux, que la nation fran?aise n'avait pas abolis dans les pays conquis par elle, ont achev? de succomber sous les efforts des princes qui l'ont vaincue. Ces princes ont rejet? toutes les nouveaut?s que la r?volution avait cr??es chez eux, except? la centralisation: c'est la seule chose qu'ils aient consenti ? tenir d'elle.

Ce que je veux remarquer, c'est que tous ces droits divers qui ont ?t? arrach?s successivement, de notre temps, ? des classes, ? des corporations, ? des hommes, n'ont point servi ? ?lever sur une base plus d?mocratique de nouveaux pouvoirs secondaires, mais se sont concentr?s de toutes parts dans les mains du souverain. Partout l'?tat arrive de plus en plus ? diriger par lui-m?me les moindres citoyens et ? conduire seul chacun d'eux dans les moindres affaires.

Presque tous les ?tablissements charitables de l'ancienne Europe ?taient dans les mains de particuliers ou de corporations; ils sont tous tomb?s plus ou moins sous la d?pendance du souverain, et, dans plusieurs pays, ils sont r?gis par lui. C'est l'?tat qui a entrepris presque seul de donner du pain ? ceux qui ont faim, des secours et un asile aux malades, du travail aux oisifs; il s'est fait le r?parateur presque unique de toutes les mis?res.

L'?ducation, aussi bien que la charit?, est devenue, chez la plupart des peuples de nos jours, une affaire nationale. L'?tat re?oit et souvent prend l'enfant des bras de sa m?re, pour le confier ? ses agents; c'est lui qui se charge d'inspirer ? chaque g?n?ration des sentiments, et de lui fournir des id?es. L'uniformit? r?gne dans les ?tudes comme dans tout le reste; la diversit?, comme la libert?, en disparaissent chaque jour.

Je ne crains pas non plus d'avancer que chez presque toutes les nations chr?tiennes de nos jours, les catholiques aussi bien que les protestantes, la religion est menac?e de tomber dans les mains du gouvernement. Ce n'est pas que les souverains se montrent fort jaloux de fixer eux-m?mes le dogme; mais ils s'emparent de plus en plus des volont?s de celui qui l'explique; ils ?tent au clerg? ses propri?t?s, lui assignent un salaire, d?tournent et utilisent ? leur seul profit l'influence que le pr?tre poss?de; ils en font un de leurs fonctionnaires et souvent un de leurs serviteurs, et ils p?n?trent avec lui jusqu'au plus profond de l'?me de chaque homme.

Mais ce n'est encore l? qu'un c?t? du tableau.

Non seulement le pouvoir du souverain s'est ?tendu, comme nous venons de le voir, dans la sph?re enti?re des anciens pouvoirs; celle-ci ne suffit plus pour le contenir; il la d?borde de toutes parts et va se r?pandre sur le domaine que s'?tait r?serv? jusqu'ici l'ind?pendance individuelle. Une multitude d'actions qui ?chappaient jadis enti?rement au contr?le de la soci?t?, y ont ?t? soumises de nos jours, et leur nombre s'accro?t sans cesse.

Chez les peuples aristocratiques, le pouvoir social se bornait d'ordinaire ? diriger et ? surveiller les citoyens dans tout ce qui avait un rapport direct et visible avec l'int?r?t national; il les abandonnait volontiers ? leur libre arbitre en tout le reste. Chez ces peuples le gouvernement semblait oublier souvent qu'il est un point o? les fautes et les mis?res des individus compromettent le bien-?tre universel, et qu'emp?cher la ruine d'un particulier doit quelquefois ?tre une affaire publique.

Les nations d?mocratiques de notre temps penchent vers un exc?s contraire.

Il est ?vident que la plupart de nos princes ne veulent pas seulement diriger le peuple tout entier; on dirait qu'ils se jugent responsables des actions et de la destin?e individuelle de leurs sujets, qu'ils ont entrepris de conduire et d'?clairer chacun d'eux dans les diff?rents actes de sa vie, et, au besoin, de le rendre heureux malgr? lui-m?me.

De leur c?t? les particuliers envisagent de plus en plus le pouvoir social sous le m?me jour; dans tous leurs besoins ils l'appellent ? leur aide, et ils attachent ? tous moments sur lui leurs regards comme sur un pr?cepteur ou sur un guide.

J'affirme qu'il n'y a pas de pays en Europe o? l'administration publique ne soit devenue non seulement plus centralis?e, mais plus inquisitive et plus d?taill?e; partout elle p?n?tre plus avant que jadis dans les affaires priv?es; elle r?gle ? sa mani?re plus d'actions, et des actions plus petites, et elle s'?tablit davantage tous les jours ? c?t?, autour et au-dessus de chaque individu, pour l'assister, le conseiller et le contraindre.

Jadis, le souverain vivait du revenu de ses terres ou du produit des taxes. Il n'en est plus de m?me aujourd'hui que ses besoins ont cr? avec sa puissance. Dans les m?mes circonstances o? jadis un prince ?tablissait un nouvel imp?t, on a recours aujourd'hui ? un emprunt. Peu ? peu l'?tat devient ainsi le d?biteur de la plupart des riches, et il centralise dans ses mains les plus grands capitaux.

Il attire les moindres d'une autre mani?re.

? mesure que les hommes se m?lent et que les conditions s'?galisent, le pauvre a plus de ressources, de lumi?res et de d?sirs. Il con?oit l'id?e d'am?liorer son sort, et il cherche ? y parvenir par l'?pargne. L'?pargne fait donc na?tre, chaque jour, un nombre infini de petits capitaux, fruits lents et successifs du travail; ils s'accroissent sans cesse. Mais le plus grand nombre resteraient improductifs, s'ils demeuraient ?pars. Cela a donn? naissance ? une institution philanthropique qui deviendra bient?t, si je ne me trompe, une de nos plus grandes institutions politiques. Des hommes charitables ont con?u la pens?e de recueillir l'?pargne du pauvre et d'en utiliser le produit. Dans quelques pays, ces associations bienfaisantes sont rest?es enti?rement distinctes de l'?tat; mais, dans presque tous, elles tendent visiblement ? se confondre avec lui, et il y en a m?me quelques unes o? le gouvernement les a remplac?es, et o? il a entrepris la t?che immense de centraliser dans un seul lieu, et de faire valoir par ses seules mains l'?pargne journali?re de plusieurs millions de travailleurs.

Ainsi, l'?tat attire ? lui l'argent des riches par l'emprunt, et par les caisses d'?pargne il dispose ? son gr? des deniers du pauvre. Pr?s de lui et dans ses mains, les richesses du pays accourent sans cesse; elles s'y accumulent d'autant plus que l'?galit? des conditions devient plus grande; car, chez une nation d?mocratique, il n'y a que l'?tat qui inspire de la confiance aux particuliers, parce qu'il n'y a que lui seul qui leur paraisse avoir quelque force et quelque dur?e.

Ainsi le souverain ne se borne pas ? diriger la fortune publique; il s'introduit encore dans les fortunes priv?es; il est le chef de chaque citoyen et souvent son ma?tre, et, de plus, il se fait son intendant et son caissier.

Non seulement le pouvoir central remplit seul la sph?re enti?re des anciens pouvoirs, l'?tend et la d?passe, mais il s'y meut, avec plus d'agilit?, de force et d'ind?pendance qu'il ne faisait jadis.

Tous les gouvernements de l'Europe ont prodigieusement perfectionn?, de notre temps, la science administrative; ils font plus de choses, et ils font chaque chose avec plus d'ordre, de rapidit?, et moins de frais; ils semblent s'enrichir sans cesse de toutes les lumi?res qu'ils ont enlev?es aux particuliers. Chaque jour, les princes de l'Europe tiennent leurs d?l?gu?s dans une d?pendance plus ?troite, et ils inventent des m?thodes nouvelles pour les diriger de plus pr?s, et les surveiller avec moins de peine. Ce n'est point assez pour eux de conduire toutes les affaires par leurs agents, ils entreprennent de diriger la conduite de leurs agents dans toutes leurs affaires; de sorte que l'administration publique ne d?pend pas seulement du m?me pouvoir; elle se resserre de plus en plus dans un m?me lieu, et se concentre dans moins de mains. Le gouvernement centralise son action en m?me temps qu'il accro?t ses pr?rogatives: double cause de force.

Quand on examine la constitution qu'avait jadis le pouvoir judiciaire, chez la plupart des nations de l'Europe, deux choses frappent: L'ind?pendance de ce pouvoir, et l'?tendue de ses attributions.

Non seulement les cours de justice d?cidaient presque toutes les querelles entre particuliers; dans un grand nombre de cas, elles servaient d'arbitres entre chaque individu et l'?tat.

Je ne veux point parler ici des attributions politiques et administratives que les tribunaux avaient usurp?es en quelques pays, mais des attributions judiciaires qu'ils poss?daient dans tous. Chez tous les peuples d'Europe, il y avait et il y a encore beaucoup de droits individuels, se rattachant la plupart au droit g?n?ral de propri?t?, qui ?taient plac?s sous la sauvegarde du juge, et que l'?tat ne pouvait violer sans la permission de celui-ci.

C'est ce pouvoir semi-politique qui distinguait principalement les tribunaux d'Europe de tous les autres; car tous les peuples ont eu des juges, mais tous n'ont point donn? aux juges les m?mes privil?ges.

Si l'on examine maintenant ce qui se passe chez les nations d?mocratiques de l'Europe qu'on appelle libres, aussi bien que chez les autres, on voit que, de toutes parts, ? c?t? de ces tribunaux, il s'en cr?e d'autres plus d?pendants dont l'objet particulier est de d?cider exceptionnellement les questions litigieuses qui peuvent s'?lever entre l'administration publique et les citoyens. On laisse ? l'ancien pouvoir judiciaire son ind?pendance, mais on resserre sa juridiction, et l'on tend, de plus en plus, ? n'en faire qu'un arbitre entre des int?r?ts particuliers.

Le nombre de ces tribunaux sp?ciaux augmente sans cesse, et leurs attributions croissent. Le gouvernement ?chappe donc chaque jour davantage ? l'obligation de faire sanctionner par un autre pouvoir ses volont?s et ses droits. Ne pouvant se passer de juges, il veut, du moins, choisir lui-m?me ses juges et les tenir toujours dans sa main, c'est-?-dire que, entre lui et les particuliers, il place encore l'image de la justice, plut?t que la justice elle-m?me.

Ainsi, il ne suffit point ? l'?tat d'attirer ? lui toutes les affaires, il arrive encore, de plus en plus, ? les d?cider toutes par lui-m?me sans contr?le et sans recours.

Il y a chez les nations modernes de l'Europe une grande cause qui, ind?pendamment de toutes celles que je viens d'indiquer, contribue sans cesse ? ?tendre l'action du souverain ou ? augmenter ses pr?rogatives: on n'y a pas assez pris garde. Cette cause est le d?veloppement de l'industrie, que les progr?s de l'?galit? favorisent.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top