Read Ebook: Le Tour du Monde; L'Archipel des Feroé Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905 by Various Charton Douard Editor
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Ebook has 863 lines and 44107 words, and 18 pages
Les brouillards qui s?vissaient depuis les Shetland, ont augment? d'intensit?. Un canot, une yawl indig?ne est venue vers nous, gouvern?e par un vieillard ? tr?s longue barbe blanche. Sa barque une fois remplie de passagers press?s d'atterrir, il s'est ?loign?, s'effa?ant lentement dans les brumes, et se dirigeant vers la petite ville de r?ve qu'on discernait vaguement l?-bas, dans l'horizon moite et tout proche.
? l'aube, lorsque les vapeurs se furent un peu dissip?es, Thorshavn apparut, construite en amphith??tre au fond du petit golfe. La capitale de l'?le de Stromoe et de tout l'Archipel est ? peine plus grande que le chef-lieu de Sunderoe. Quelques centaines de p?cheurs habitent des chalets en planches goudronn?es et vernies, semblables ? ceux de Trangisvaag.
Le gros bourg de Thorshavn est le si?ge du Gouvernement. Le palais du Gouverneur domine le village. Il est en pierre, avec un toit d'ardoises. Sur une ?minence, presque hors ville, le Consulat anglais laisse flotter le pavillon britannique devant une maison construite ? la mode du pays, en sapin enduit de goudron de Finlande et de vernis.
L'Angleterre est le seul pays qui ait un consul de carri?re pour r?glementer les conflits de ses nationaux avec les indig?nes. Les autres nations n'ont ? Thorshavn que des agents consulaires. Celui de la France, M. Lutzen, est un n?gociant fort aimable et complaisant, qui parle bien l'anglais, mais ne sait pas un mot de fran?ais. Heureusement que M. Montaigu de Villiers, le consul anglais, est l? pour parler fran?ais ? ceux de nos compatriotes qui n'entendraient pas l'anglais. M. Lutzen vous re?oit dans sa boutique encombr?e de marchandises d'importation danoise ou anglaise et de produits indig?nes: tapis, vadmel , bas, gants ou fichus tricot?s, mocassins et sacs en peau de phoque ou de mouton.
Tout pr?s de l?, le port, combien rudimentaire et sordide! Ce n'est qu'une petite anse, qu'aucune construction n'autorise ? appeler port. Les t?tes d?capit?es des morues pourrissent par terre, en tas. Sous un hangar, il y a des amas d'une laitance jaune-rose qui servira ? amorcer d'autres p?ches. Le toit de m?tal de la s?cherie de poissons est couvert de petites morues ouvertes et vid?es: des triangles blanch?tres avec une bande transversale grise, et qui exhalent une odeur d?sagr?able.
Tout, ici, rappelle les ?ges ant?rieurs tels que les ?voquent les vieilles sagas. ? peu d'exceptions pr?s, les Fero?ens, comme jadis, n'ont pas de nom patronymique. Ils n'ont qu'un pr?nom, et celui de leur p?re leur tient lieu de nom de famille; ils s'appellent, par exemple: Hanssen, Jenssen ou Arnoldsen . Les pr?noms les plus usit?s sont: Olaf, Jakob, Peter, Ole, Bille, Nils, Andreas, Jens, Isak, Harald; et pour les filles: Nicline, Elsa, Conradine, Karen, Thurid, Olufa, Sigrid, Olewine, Gudrid, Gudrun, Maren, Astrid, Borgil. Cela seul suffit pour vous d?payser.
De quelle vie ?pre et monotone, mis?rable et presque sauvage vivent les insulaires! Pas d'autre b?tail que des moutons dont des corbeaux innombrables disputent aux hommes les agneaux; car il n'y a pas de bergeries, les animaux vivant dehors, en libert?.
Il en est de m?me des poneys, qu'on n'a jamais pu monter. Peut-?tre n'a-t-on pas essay? de les dresser: en Islande, les petits chevaux de m?me race sont tr?s apprivois?s et se laissent parfaitement seller. Aux Fero?, c'est tout au plus s'ils servent au transport de la tourbe et des poissons secs dont on remplit des caisses en bois ficel?es sur des b?ts grossiers. La plupart du temps, le poney fero?en est un animal ni utile ni nuisible, qui galope dans les landes sans que personne se soucie de lui.
Le docteur Bourel-Ronci?re dit que les Fero? sont connues depuis une vingtaine de si?cles au moins. En tout cas, Pline parle d'elles, et les appelle Electrides ou l'Ultime Thul?. Il faut avouer toutefois que sur cette ?poque primitive les documents sont plut?t rares.
Au Moyen ?ge, les pirates normands y faisaient escale, et ce furent probablement eux qui y acclimat?rent les moutons, dont ils laiss?rent des troupeaux pour leur ravitaillement.
La post?rit? de ces hardis pirates a bien d?g?n?r?. Le Fero?en moderne, uniquement pr?occup? du souci de sa vie mat?rielle et obstin?ment r?fractaire au progr?s, s'ent?te dans sa routine s?culaire. Ce que faisaient ses p?res ?tait bien fait; point n'est besoin d'inventions nouvelles qui sont peut-?tre meilleures, peut-?tre pires. Ainsi, le marin fero?en s'embarque sur des yawls ou de petits voiliers d'une forme gracieuse et surann?e, il se sert des m?mes engins de p?che que ses anc?tres: lignes, hame?ons, filets, pendant que les trawlers de Grimsby, de Hull, d'Aberdeen emploient des chaluts perfectionn?s qui commettent d'irr?parables d?g?ts, car, tout en ramassant profus?ment les harengs et les morues, ils arrachent les herbes marines, an?antissant de la sorte les millions d'oeufs qu'y d?pose chaque femelle.
Les indig?nes voient d'un mauvais oeil ces ?trangers qui viennent s'enrichir ? leurs d?pens. Et ils traitent volontiers de voleurs et de brigands les habiles p?cheurs qu'ils voient s'?loigner au bout de peu de semaines avec un butin qui peut ?tre ?valu? de 300 ? 1 000 livres.
Pour obvier au danger de d?population des mers fero?ennes, le Gouvernement danois avait ?dict? des lois prohibant aux chalutiers de p?cher ? moins de 3 milles des c?tes, sous peine de d?tention des engins de p?che, du poisson captur?, et d'une amende de 20 ? 400 couronnes . La loi du 8 juillet 1902 a port? l'amende de 200 jusqu'? 2 000 couronnes; ? 4 000 couronnes et ? la confiscation du chalutier, s'il y a r?cidive.
La vie des Fero?ens est ?pre et s?v?re; mais ils ne sont pas tr?s ? plaindre, car, ne soup?onnant pas d'autre existence que celle qu'ils m?nent, ils ne peuvent pas faire les comparaisons qui leur r?v?leraient combien mis?rable est leur sort.
Les vieux se souviennent comme d'un affreux cauchemar de leurs mis?res pass?es, et de l'existence lamentable que support?rent leurs grands-parents. Les Fero?ens furent opprim?s pendant une partie de leur histoire; les vainqueurs les tyrannisaient et les exploitaient: interdiction, sous peine d'emprisonnement et d'amendes disproportionn?es, de vendre, d'acheter ou d'?changer quoi que ce soit, hors des magasins royaux.
La mis?re ?tait grande. Les marchands royaux imposaient des tarifs arbitraires, donnant des prix d?risoires des produits locaux, ?valuant par contre ? des sommes exorbitantes leurs propres marchandises. Comme il s'agissait d'objets de premi?re n?cessit?, les Fero?ens ?taient oblig?s de subir les conditions qu'exigeaient ces rapaces; et, tout en trimant comme des forcen?s, ils vivaient mal. D'abord, s'insurgeant contre les lois draconiennes qu'?dictaient leurs tyrans, ils brav?rent leurs ma?tres; les exactions de ceux-ci l?gitim?rent les fraudes et les r?voltes; mais, durement furent r?prim?es toutes vell?it?s d'ind?pendance. Les Fero?ens s'?tant fait apporter clandestinement par les matelots des marchandises, les cach?rent sous les toits, les marches de l'escalier, ou dans l'?paisseur des murs. Ces subterfuges ayant ?t? d?couverts, on ch?tia les malins comme s'ils avaient commis des crimes. Et, d?courag?s, les vaincus se laiss?rent d?pouiller.
Depuis 1874 seulement, le commerce est libre. Le roi Christian de Danemark a abrog? toutes les ordonnances vexatoires. Aujourd'hui, la m?tropole est maternelle aux Fero?ens. Elle les administre sagement, tout en respectant leurs libert?s. Elle leur envoie un amtmand , un sorenskriver, des baillis. Les m?decins, les pharmaciens sont des fonctionnaires danois. Et Copenhague contribuera probablement ? l'installation du t?l?graphe Marconi, installation dont les Anglais veulent prendre l'initiative.
Mais les Fero?ens sont rest?s d?prim?s et meurtris de trop de coups si longtemps support?s. Les longues pers?cutions acharn?es leur ont donn? une empreinte ind?l?bile de r?signation abrutie, et ce je ne sais quoi d'effarouch?, de <
Le Fero?en vit strictement, sans but ni int?r?t:
<
Travailler pour gagner au jour le jour de quoi manger et boire, avoir un toit et des v?tements chauds, du feu et de la lumi?re, voil? tout; la vie n'a rien d'autre ? lui offrir. Le superflu ne lui est pas n?cessaire, l'indispensable lui suffit.
Avec une telle conception de la vie, le Fero?en v?g?te plut?t qu'il ne vit. Il ne se passionne pour rien, et rien ne l'intrigue. Il ignore l'?tonnement, <
Dans les pays peu fr?quent?s par les voyageurs, les rares ?trangers excitent g?n?ralement la curiosit? des naturels. Tout au moins, les enfants les harc?lent, les suivent, les examinent avidement. Aux Fero?, loin de vous regarder comme une b?te curieuse, il semble qu'ils ne s'aper?oivent m?me pas de votre pr?sence. Doux et timor?s, inoffensifs, insignifiants et timides presque jusqu'? la sauvagerie, ils font entendre, lorsqu'ils passent devant vous, une sorte de grognement. Vous vous demandez quelle mal?diction ils peuvent bien murmurer, de ce ton hostile et bourru, avec cet air de pester contre vous, et presque de vous menacer. Et l'on est d'autant plus perplexe qu'ils s'expriment dans leur langue, qui d?rive du scandinave, et qui est incompr?hensible pour ceux qui ne l'ont pas sp?cialement ?tudi?e. Et puis, l'on finit par apprendre qu'ils veulent ?tre aimables, et qu'ils disent simplement bonjour.
Le manque de communications avec le reste du monde ne contribue pas peu ? les maintenir dans leur marasme s?culaire. Hors quelques petits vapeurs norv?giens qui apportent le bois de construction et le charbon, le service des transports est accapar? par les navires postaux danois, dont les tarifs sont trop ?lev?s. Il est ? pr?sumer que les Anglais organiseront une concurrence qui obligera la Compagnie danoise ? modifier ses prix: pour un baril de p?trole exp?di? d'?cosse aux Fero?, on paie 5 shillings . Les m?taux, le sel, les farines, le th?, le caf?, la margarine, le fromage, les conserves, les allumettes sont tax?s ? l'avenant.
Heureusement encore qu'il n'y a pas de douane, sauf pour les alcools qui sont lourdement grev?s, la m?tropole cherchant ? enrayer ainsi l'intoxication par les eaux-de-vie et les liqueurs fortes.
Aux Fero?, personne n'est riche, mais personne non plus ne meurt de faim. L'argent, du reste, y est presque inconnu. Chaque habitant a droit ? un lopin de terre sur lequel il b?tit lui-m?me sa demeure, vers l'?ge o? il pense au mariage, entre 20 et 25 ans. Outre la tourbe et les blocs de basalte qu'ils trouvent sur place, ils emploient du bois et quelques pi?ces de m?tal qu'ils ?changent contre de la laine, du poisson, des oiseaux. Chacun a aussi un champ, un lot de la lande et une portion de tourbi?re.
Peu de distractions. Le dimanche, d'o? le rigorisme protestant bannit toute activit?, est ?videmment le jour o? ils s'ennuient le plus; ils s'en vont, les bras ballants, arpentant les venelles qui s?parent les maisons et les jardinets ch?tifs. Ou bien, assis au bord de l'eau, ils regardent dans le vague, sous l'oeil protecteur d'un policeman ventripotent.
Cependant, la jeunesse cherche ? se distraire. Dans les yawls ? 10, 16, 20 rameurs, on excursionne dans les alentours. Le soir, on se r?unit pour danser dans une salle qui appartient ? M. Restorf, le boulanger-p?tissier-confiseur.
Les femmes, qui sont de taille moyenne et plut?t trapues, portent une robe en vadmel, sorte de flanelle tiss?e avec la laine qu'elles-m?mes ont card?e et fil?e. Elles se coiffent d'un fichu tricot? ou d'un chapeau de paille dont la calotte est simplement entour?e d'un ruban vert ou brun clair. Les hommes ont une veste ? boutons de m?tal, une culotte en vadmel, des sandales en peau de phoque ou de mouton; leur coiffure, ? mille raies bleues et rouges, est d'une forme mal d?finie: chacun la plie ou la roule ? son gr?, en fait un colback ou un bonnet de police, un bonnet de coton ou une casquette de cocher de diligence, un bonnet phrygien ou napolitain. Toute la population, qui est blonde, avec un visage tr?s color?, est entass?e dans la sombre petite salle de bal. Ils dansent, ou plut?t ils tournent. Pas d'orchestre, pas m?me un crincrin ou un accord?on: hommes et femmes se tenant par la main dansent des rondes en chantant les sagas traditionnelles qui c?l?brent les h?ros et les dieux, les Wikings ou enfants des anses, le Walhalla o? les Valkyries servent aux Ases l'hydromel et la chair in?puisable du sanglier Skrimmer. Quand l'air est triste, ils vont lentement; ils courent, se tirant les uns les autres, quand la musique est joyeuse et accompagne un po?me d'amour ou un chant de victoire. Ils s'?battent lourdement, s'amusent avec une gravit? comique. On dirait plut?t des ?tres qui accomplissent un devoir fastidieux, que des jeunes gens qui se divertissent.
En deux occasions seulement, les Fero?ens se montrent admirables de vitalit?, de vaillance et d'?nergie. Il est vrai qu'il s'agit d'assurer leur subsistance de l'ann?e.
Leurs instincts ataviques se r?veillent lorsqu'il s'agit d'aller aux Fuglebjerg, ou ?les d'oiseaux.
Pour escalader les rochers escarp?s, les d?nicheurs d'oiseaux emploient des cordes termin?es par des crampons ou des noeuds coulants, qu'ils jettent de terrasse en terrasse; ils vont aux grottes profondes o? s'abritent les oiseaux, pour r?colter les oeufs et le duvet qui remplissent les nids. C'est un m?tier dangereux: le moindre risque qu'on y court est de s'y rompre bras et jambes.
Mais c'est surtout ? l'?poque des grands massacres de dauphins, que les Fero?ens s'en donnent ? coeur-joie; leur exub?rance passag?re contraste violemment avec leur indolence naturelle. La chasse aux dauphins exige peut-?tre moins de souplesse et d'agilit?, mais plus de violence, et tout autant de sang-froid que le d?nichage des oiseaux.
G?n?ralement, entre juin et septembre, apparaissent dans les eaux fero?ennes les bandes de dauphins ou cachalots que guettent en permanence des hommes post?s en vigies sur les rochers les plus ?lev?s.
Voguant contre le vent, ainsi que l'a remarqu? Lac?p?de, les dauphins vont par bandes de deux, trois, quatre cents, sous la conduite des vieux m?les les plus exp?riment?s.
Des b?chers faits avec des mottes de tourbe, de vieilles ar?tes de poissons et les plumes huileuses du p?trel des temp?tes, sont allum?s au fa?te des rochers, et signalent aux habitants des ?les la pr?sence des bandes de dauphins dans les eaux fero?ennes.
Tous les insulaires, depuis longtemps, vivaient dans l'attente de cette grande joie et de cette bonne affaire. Chacun, aussit?t, cherche vivement son paquetage toujours pr?t en vue de l'?v?nement tant d?sir?, chacun proc?de fi?vreusement aux pr?paratifs de combat. On s'agite, on se bouscule, on fait tapage: une fois n'est pas coutume, et ils ont de longs mois de silence ? rattraper. Dans la h?te des d?parts trop pr?cipit?s, ils perdent du temps; et, tout en se d?menant, ils poussent le cri de: <
Tr?s vite, ils sont pr?ts. Ils sont bien oblig?s de se h?ter, car si, au bout d'un quart d'heure environ, ils ne sont pas en mesure d'aller ? la poursuite des dauphins, ils risquent d'en perdre la trace. Donc, peu de minutes apr?s que les feux allum?s de toutes parts ont donn? l'alerte, les chasseurs ont endoss? leurs v?tements de toile huil?e, pr?par? leurs armes: harpons, couteaux, pieux et crocs, et quelques provisions.
Femmes, enfants et vieillards assistent au d?part. Les enfants t?moignent par des cris, de leur agitation. Les femmes, h?tivement, glissent dans les besaces en peau de phoque une bouteille d'eau-de-vie, quelques tranches de poisson ou de mouton cru. Tandis que les grands-p?res, comme <
Les hommes d?tachent les amarres retenant au rivage leurs yawls, qui arborent ? la proue et ? la poupe un long couteau. Vigoureusement, les rameurs nagent, tout en chantant ? tue-t?te des chants liturgiques. Ils vont, suivant la yawl dont le ma?tre aper?ut le premier les dauphins, et les signala aux habitants de l'Archipel. Cette embarcation, qui en guise de drapeau porte au sommet du m?t un vieux v?tement, une loque quelconque, avance elle-m?me dans une direction myst?rieuse que lui indiquent une agitation inusit?e de la mer, et des bruits de b?tes puissantes qui respirent et reniflent bruyamment.
Les dauphins filent vertigineusement, dans l'?pouvante des ?tres inconnus qui les poursuivent et qui, les traquant de pr?s, aiguillent vers le cul-de-sac d'un fjord, la troupe admirablement disciplin?e des c?tac?s.
Lorsqu'ils sont entr?s dans le pi?ge, on les laisse prendre leurs ?bats, fol?trer joyeusement, avec le soulagement d'avoir ?chapp? au danger inconnu. Les barques qui les serraient de pr?s, semblent avoir renonc? ? les pers?cuter; mais, en toute h?te, elles se rangent pour fermer le chenal: ce n'est plus un fjord ouvert sur le large, mais un lac, un champ clos o? sera circonscrit le combat, ou plut?t le massacre, car, fatalement, tous les dauphins sont vou?s ? la mort.
En voyant les maisons du village, les gr?ves de sable gris, les grands mammif?res aquatiques font volte-face, avan?ant toujours rapidement, en une s?rie de gambades et de plongeons. Mais, soudain, ils rencontrent l'obstacle. Et, tandis que, d?sorient?s, ils s'appr?tent ? faire de nouveau demi-tour sur les ?paules, le patron de la barque directrice donne le premier coup de harpon.
Les dauphins s'effarent. Les lobes puissants de leurs nageoires s'agitent fr?n?tiquement, faisant bouillonner l'eau, et chavirer les barques.
Les chants ont cess?, on n'entend plus que le cri de: <
Seul, l'enthousiasme du peuple espagnol aux courses de taureaux, peut donner une id?e de l'excitation des Fero?ens pendant le massacre des l?gions de dauphins, massacre qui se prolonge parfois pendant deux et trois jours.
Les dauphins vont mourir. Leur peau huileuse est empourpr?e par tout le sang qui coule de leurs horribles blessures. Leurs convulsions d'agonie agitent l'eau du fjord, de grands remous. Leurs nageoires, avec une force d?cupl?e par la rage et la douleur, se crispent encore avec de grands soubresauts, et renversent plus d'une yawl. Mais les Fero?ens, g?n?ralement doux et serviables, ne s'aper?oivent pas de la d?tresse de leurs camarades. L'appel de ceux qui vont se noyer et dont un coup de nageoire peut briser les reins, est domin? par l'assourdissante clameur des: <
Alors, on pousse vers la plage les cadavres, qui ont environ 6 m?tres de long. Sous la pr?sidence du Gouverneur et des maires, les sysselmands, on les num?rote en d?coupant des chiffres sur leurs dos luisants. On d?p?ce ensuite les charognes, et l'on proc?de ? la distribution des viandes: on en donne aux pr?tres, aux vieillards, aux veuves et aux orphelins. Apr?s que chaque Fero?en a re?u sa part, on vend ce qui reste moyennant 4 ?re la livre. Le produit de la vente des peaux, de l'huile et du lard appartient aux combattants.
Les habitants du fjord emportent des hott?es de viandes flasques et p?teuses; chacun en a sa charge, m?me les petits enfants qui sont accourus avec un seau ou un baquet qu'ils remorquent tant bien que mal.
Les yawls s'emplissent aussi de chairs grenat que les hommes d?coupent, d?chirent et pi?tinent. Tandis qu'un nuage de corbeaux et d'oiseaux de mer tourbillonne, s'abaisse de plus en plus vers la terre, chacun guignant, en piaillant, sa part de la cur?e. Les yawls, bient?t, se dispersent vers leurs fjords respectifs. Ce n'est plus la course folle des chasseurs poursuivant leur proie: les barques s'?loignent lentement, tout appesanties par le butin. Et puis, c'est la r?action de tant d'heures d'ivresse: les hommes nagent avec indolence, s'apercevant enfin de la fatigue. Pour s'entra?ner, ils entonnent de nouveau des chants liturgiques, dont le rythme monotone ne suffit pas ? les ?lectriser.
Le calme et le silence r?gnent dans le fjord du combat. Seulement, ? plusieurs kilom?tres ? la ronde, l'eau est rouge, le sable des plages noirci par tout le sang r?pandu, le ciel obscurci par les bandes d'oiseaux criards qui emportent lambeau par lambeau les reliefs de la f?te sanglante.
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