Read Ebook: Le Tour du Monde; Mont Céleste Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905 by Various Charton Douard Editor
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Ebook has 1114 lines and 67210 words, and 23 pages
Le bazar de Tachkent ne ressemble gu?re ? ceux de Bokhara, de T?h?ran ou de Tiflis. C'est un quartier ? part, dont l'?l?ment tatar a ?t? modifi? par les races qui se sont tour ? tour succ?d? dans le Turkestan: quartier vieux et f?tide, dont la lumi?re et l'eau semblent ? jamais bannies.
Ce qui caract?rise le bazar de Tachkent, plus que les ruelles obscures et fangeuses, recouvertes de loques invraisemblables et de nattes ?raill?es, plus que les ?choppes encombr?es de marchandises bizarres, et plus que la foule bigarr?e qui s'y presse, ou y caracole, c'est la distribution des m?tiers en trente-deux groupes, et de chacun de ces groupes en trente-deux sp?cialit?s. Quelle complication pour le moindre achat qu'on y peut faire!
Tachkent est une vraie p?pini?re de races, ayant chacune son quartier, son temple, sa langue, son costume et ses traditions, anim?es les unes ? l'?gard des autres de rancunes et de haines que les si?cles n'ont pas ?touff?es. Au-dessus de ces races diverses, il existe un ?l?ment hybride, composite qui constitue le fond de la population de la ville, et forme, pour ainsi dire, un trait d'union entre les naturels et les exotiques: ce sont les Sartes. D'aucuns ont voulu croire que les Sartes ?taient un produit du m?lange d'Ouzbegs et de Tadjiks. C'est une erreur. Leur tige g?n?alogique s'est greff?e aux plus disparates tron?ons turco-mongoliques. Ce qui est certain, c'est qu'ils forment une caste privil?gi?e. Le Sarte est plus instruit, plus souple et plus entreprenant que tout autre de ses coreligionnaires.
L'habitation des indig?nes est plut?t mis?rable, et d'une solidit? assez probl?matique. Les maisons, toujours tr?s basses, divis?es au plus en deux ou trois compartiments, sont construites quelquefois en trav?es de bois, mais le plus souvent elles se composent exclusivement de murs en pis?. Les toits ne sont que des treillis de branchages, consolid?s par une ?paisse couche de terre, o? ne tardent pas ? se former des plants de coquelicots et de capucines. Tant que dure la belle saison, tout va bien. Pendant les grandes chaleurs, une agr?able fra?cheur r?gne ? l'int?rieur de ces demeures, et en hiver l'?paisseur de la couche d'argile est tr?s efficace ? conserver le peu de chaleur entretenue ? grand'peine par la petite quantit? de combustible dont on dispose. Mais, dans les fortes pluies, la terre se gonfle, craque, et la fr?le charpente s'effondre tout ? coup, surprenant quelquefois la famille au milieu de la nuit. Aussi a-t-on soin de maintenir la toiture en bon ?tat, afin d'?viter autant que possible ces sortes d'accidents.
Le 30 juin, ? cinq heures du matin, nous quittons Tachkent. Les tarentass, qu'on a lou?s la veille, nous attendent dans la cour de l'h?tel. Les bagages, plut?t encombrants, sont charg?s, et nous prenons place ? l'int?rieur, o? nous nous am?nageons une petite couchette sur une brass?e de paille.
Nous sommes dirig?s sur Prjevalsk, pr?s du lac Issik-Koul, au coeur m?me des Monts C?lestes. La distance qui nous en s?pare est d'environ 900 kilom?tres, que nous comptons pouvoir franchir en une semaine. Naturellement nous voyagerons jour et nuit, autant que nous le permettront l'?tat de la route, la solidit? de nos ?quipages et la qualit? des chevaux que nous relayerons le long du chemin.
Au moment du d?part, tout va bien: le yemtchik fait claquer son fouet, les grelots de la dounga tintent joyeusement, et l'air du matin chasse les derniers vestiges d'un sommeil opini?tre.
La route, en sortant des faubourgs, d?bouche dans la rase campagne et remonte lentement un long plateau, d'une triste sauvagerie. La teinte br?l?e du gazon, macul?e ?a et l? de flaques saum?tres, s'?tend ? l'infini et s'estompe dans la ligne de l'horizon. Le terrain, sur lequel nous roulons ? toute allure, s'enchev?tre peu ? peu de bosses et de fondri?res. Le tarentass se fait alors conna?tre pour ce qu'il vaut. Nous avons beau nous cramponner aux rebords de la capote et appuyer ?nergiquement les pieds sous le si?ge du cocher, impossible d'?viter les chocs et les heurts de la course folle. Deux mouvements contraires secouent avec rage nos v?hicules: un mouvement d'avant en arri?re et d'arri?re en avant et un mouvement de gauche ? droite et de droite ? gauche, le tangage et le roulis! On saute, on danse, on rebondit, on se cogne contre les ferrures, on est projet? contre son voisin et on retombe d'une hauteur de plusieurs pieds sur les valises qui servent de si?ges.
Le soleil, qui s'est lev?, br?le d?j? nos visages. Les chevaux, quand ils ne s'embourbent pas dans la terre molle, soul?vent des nuages de poussi?re, qui nous recouvrent enti?rement, bien que nos ?quipages se tiennent ? une discr?te distance l'un de l'autre, afin d'amoindrir cet ennui. Le prince et moi, nous jetons quelquefois un coup d'oeil en arri?re, afin de constater si Zurbriggen et Abbas nous suivent. Nous n'apercevons ni chevaux ni voiture, mais une v?ritable nu?e qui fonce sur nous ? une vitesse effr?n?e. De temps ? autre, nous rencontrons d'interminables th?ories de chariots, tra?n?s par des chevaux ou par des buffles, attach?s au v?hicule qui les pr?c?de. Plus loin, ce sont de longues caravanes de chameaux qui s'?cartent sur le bord de la route, avec de grotesques balancements de t?tes et de lasses courbatures de corps, comme s'ils marchaient sur une surface mouvante. Ces convois, s'avan?ant d'un pas rythm?, m?canique, hommes, b?tes et choses de la m?me teinte, ressemblent ? des processions de revenants condamn?s par la fatalit? ? errer sans cesse sur la terre.
Peu avant Tchimkent, nous devons traverser une s?rie de petits foss?s, dont l'eau, en se faufilant dans les orni?res trac?es par les roues, a converti la couche de poussi?re en une boue tenace et profonde d'o? nos attelages ont mille peines ? se d?p?trer. On cherche ? ?viter cette fondri?re en prenant ? c?t?, mais c'est quelquefois pire.
Nous traversons une rivi?re et nous p?n?trons peu apr?s dans la ville de Tchimkent. Il est dix heures du soir. Sauf quelques rares lumi?res, c'est l'obscurit? la plus compl?te, et de toute la <
Il y a l? un g?n?ral qui doit se rendre ? Viernyi, et il va sans dire que les chevaux disponibles sont pour lui. C'est un contre-temps qui ne laisse pas de nous aigrir....
? minuit nous repartons, et nous regagnons bient?t le steppe. La route para?t bonne, et nous cherchons ? nous assoupir. L'air est relativement frais, et surtout il n'y a pas de poussi?re.
Fatigu?s par un cahotement de vingt-quatre heures, les muscles d?tendus, nous finissons par sommeiller autant que nous le permettent le roulement de la voiture, le carillon de la dounga, et les cris, les sifflements dont le cocher se sert pour encourager ses chevaux.
Mais le soleil ne tarde pas ? nous frapper en plein visage; en m?me temps nous ?prouvons des secousses si violentes et si continues, que nos yeux s'ouvrent: impossible de dormir. Nous descendons un couloir d'?rosion, o? les galets d?tach?s des terrains sup?rieurs se sont donn? rendez-vous sur la route m?me. Quant ? les entasser sur les bords, ou ? les transporter ailleurs, personne n'y songe.
N'allez pas croire que le yemtchick ait mod?r? l'allure endiabl?e de ses chevaux: sauf l? o? la pente est trop raide, et o? forc?ment il doit ralentir son train, c'est comme s'il roulait sur une pelouse.
Vers le soir, nous atteignons le col de Tchak-pak, large d?pression qui s'ouvre dans la cha?ne du Karataou, se d?tachant des monts Alexandre, et s'avan?ant, comme une jet?e cyclop?enne, dans l'espace plat et d?sert. Au del?, nous nous engageons dans une petite gorge boursoufl?e de rochers, et parsem?e de broussailles blanch?tres. Comme la route est en pente raide, le cocher a attach? les roues du tarentass, afin que son poids n'entra?n?t pas les chevaux. Ayant mis pied ? terre, pour nous d?gourdir un peu, nous d?couvrons une source d'eau fra?che qui jaillit de la f?lure d'un rocher. C'est une aubaine inattendue, qui nous permet de nous rafra?chir le gosier, br?l? par la chaleur et la poussi?re.
Ce pays a ?t? la voie historique des migrations, de la guerre, et du commerce entre la Chine du nord et l'Asie occidentale. Mais les villes que b?tissait un conqu?rant, un autre les renversait, et l'on n'y voit plus que des ruines. Il en est ainsi de Merke et de Pichpek, que nous rencontrons sur notre chemin, et o? de nombreuses colonies russes cherchent ? redonner l'ancienne fertilit? ? ce sol st?rilis? par le d?peuplement.
La fatigante monotonie des plaines du steppe est ici fr?quemment rompue par le cours des rivi?res, sur la berge desquelles des fouillis de joncs gigantesques ?mettent une odeur de fourr?s de fauves. Les tigres y apparaissent quelquefois pour donner la chasse aux sangliers et aux antilopes qui y pullulent.
Enfin, nous approchons des montagnes, qui, depuis plusieurs jours, se d?roulaient sans fin sur notre droite, et qui, avec leur dentelle de neige, ne faisaient qu'augmenter notre impatience. Le paysage a chang? d'aspect, et le regard peut se rafra?chir en se reposant sur la verdure des prairies. Mais pas la moindre trace d'un bois, d'une for?t quelconque. Allons-nous en ?tre priv?s pendant toute la dur?e du voyage? Au moment o? nous formulons cette question, nous voyons venir au-devant de nous une file de chariots charg?s de troncs de sapins. C'est d'un heureux pr?sage.
Vers le milieu de la troisi?me nuit, nos voitures s'arr?tent ? la station de Tjillaryk, isol?e compl?tement, et accot?e ? l'escarpement d'un promontoire, ? l'entr?e des gorges de Bouam.
Ici, un incident se produit. ? la merci d'un vent furieux et glac?, nous frappons ? la maison de poste, mais inutilement. On explore les environs; pas le moindre signe de vie. Tandis que quelques-uns de nous, d?courag?s, vont s'enfouir dans le tarentass, Zurbriggen revient ? la charge.
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Nous apprenons qu'il n'y a pas un seul cheval libre, et que, d'ailleurs, la route ?tant mauvaise, il est prudent d'attendre jusqu'au lendemain. De bonne heure, on pourra aller chercher les b?tes, qui ne sont pas rentr?es du p?turage. Nous profitons de ce sursis pour faire un petit somme, blottis sous les couvertures. ? la premi?re lueur du jour on attelle les chevaux, et on repart.
Cette fois, les voitures ont chang? leur train enrag?, et c'est ? petits pas que nous grimpons un raidillon, surplombant un affreux pr?cipice. La route est trac?e sur de nombreux mamelons qu'on remonte et redescend, tel un ruban qu'on laisserait choir sur une surface ondul?e.
En somme, c'est une gorge tr?s int?ressante pour le g?ologue, mais ennuyeuse pour le simple voyageur qui doit ? chaque instant mettre pied ? terre, et n'a pas m?me la compensation d'une ?chapp?e pittoresque. Apr?s deux relais, pendant lesquels nous repassons sur la rive droite du Tchou, nous apercevons devant nous une nappe d'eau bleu?tre qui s'?tend ? perte de vue. Au del?, une muraille cr?nel?e, s'estompant dans la brume, nous annonce l'approche de la haute montagne. C'est le lac Issik-Koul et la cha?ne du Terske? Ala-taou.
Le tableau est admirable de couleur et de ligne. Au premier plan, la d?clivit? fauve du talus de la montagne s'?vase lentement vers le lac, o? de minuscules falaises abritent des colonies de cygnes sauvages, de p?licans, de toute une tribu vari?e d'oiseaux aquatiques. La gr?ve, d'un rouge dor?, borde la chatoyante surface de l'eau, d'une polychromie sans cesse changeante. Tout au fond, au-dessus d'une couche ouat?e de vapeurs violettes, le Terske? Ala-taou dresse son rempart de roches, avec les arabesques lumineuses de ses reliefs et le fouillis cendr? de ses ombres. Le tout est si t?nu, si effac? et si dilu?, que l'?loignement semble beaucoup plus grand qu'il ne l'est en r?alit?.
Pendant les premi?res cent verstes, la campagne est absolument inculte et inhabit?e. La route traverse de nombreux c?nes de d?jection, encombr?s de d?bris de la montagne, et bossel?s de petits tertres de terre, portant chacun une touffe de gramin?es. Notre passage met en ?moi des milliers de li?vres, qui se sauvent de chaque c?t? du chemin, tandis que de grands vautours les guettent, perch?s sur un tombeau kirghize, ou planant au-dessus de nos t?tes.
Mais ? mesure que nous avan?ons, le paysage s'anime de quelques troupeaux de b?tail; nous voyons des aouls kirghizes, et des villages de Kozaques; deux de ces derniers sont m?me de petits bourgs tr?s florissants, gr?ce ? des torrents qui arrosent les environs.
Le long de la route d?filent d'innombrables tombeaux kirghizes group?s en n?cropoles, ou isol?s dans le steppe. Les bords du lac Issik-Koul sont r?put?s comme sacr?s par les nomades, et les gens ais?s s'y font construire des monuments fun?raires. Tous ces tombeaux sont en terre glaise battue, et affectent presque toujours la forme d'une pyramide tronqu?e s'?levant en menus gradins. Quelques-uns sont m?me tr?s somptueux par rapport aux mat?riaux employ?s et ? l'endroit d?sol? o? ils se trouvent. Leur construction se compose de quatre murs en argile, supportant un d?me, sur le haut duquel sont fix?s diff?rents attributs, comme cr?nes d'animaux, verroteries et queues de cheval flottant au bout d'une perche. La fa?ade est agr?ment?e d'ouvertures ogivales, ouvrag?es de motifs et inscriptions en relief, le tout fa?onn? dans un style incertain et avec des sym?tries enfantines.
? l'extr?mit? orientale du lac, le Kounghe? Ala-taou court tout pr?s du lac, et le chemin est taill? quelquefois dans le roc. Les flancs de la montagne sont tr?s tourment?s, et se h?rissent de quelques sombres sapini?res. ? droite, dans un endroit d?sert et sauvage, le monast?re de Tro?tsky mire ses b?tisses dans les eaux du lac. Il para?t que ce couvent est une prison, un refuge, un lieu d'exil, et un cottage en m?me temps.
? dix heures, le 6 juillet, nous passons par Preobrajensk, qui ?chelonne ses maisons sur le dos d'une falaise. Nous ne sommes plus qu'? 30 verstes de Prjevalsk. Le plateau qui s?pare les deux villes, s'?tage en plusieurs terrasses successives, entrecoup?es par les eaux du Tioum et du Djargalan qui ont creus? des lits profonds dans cet instable terrain d'alluvions. Sauf au bord de l'eau, le sol est partout d?pourvu de v?g?tation.
Enfin nous atteignons le dernier repli, et nous entrevoyons l'ancienne Karakol, assise pittoresquement au milieu d'une verte frondaison et appuy?e au pied d'un amphith??tre de hautes montagnes neigeuses. De prime abord, elle ressemble ? une bourgade des Alpes, avec ses clochers, ses vergers, ses bois et ses glaciers, s'?tageant sur les hauteurs. Seulement, autour d'elle, le steppe la cerne, inculte et comme br?l? par le feu. Cette grande tache de vert tendre, perc?e de points blancs et dor?s, r?jouit nos yeux. M?me de loin on sent la bienfaisante influence de cette v?g?tation inopin?e, et la vue seule de la neige nous rafra?chit le visage.
Aux abords de la ville, la route est flanqu?e de peupliers, au del? desquels s'?tendent des champs de c?r?ales et de pavots multicolores. Un cimeti?re s'allonge ? la droite du chemin, avec ses tumulus et ses sarcophages en terre glaise.
Il est deux heures de l'apr?s-midi quand nous p?n?trons dans la cour de la maison de poste de Prjevalsk. Nous quittons nos tarentass. Ce n'est pas trop t?t! Nous sommes tous meurtris, et comme d?sarticul?s. Zurbriggen ne peut s'emp?cher d'exprimer sa satisfaction. Il nous assure que jamais, dans ses voyages aux Indes, en Australie et dans l'Argentine, il n'a rencontr? d'aussi malencontreux v?hicules.
Le smotrissiel, tr?s obligeamment, nous offre les deux pi?ces qu'on destine habituellement aux voyageurs. Les meubles n'existent pas, mais nous coucherons par terre. Ce sera toujours mieux que sur le tarentass. En attendant, une foule de gamins et de badauds ont envahi la cour, attir?s par l'?tranget? de notre accoutrement. Peu apr?s arrive un gendarme colossal, qui requiert nos papiers. Apprenant qui nous sommes, il s'en va incontinent en r?f?rer au gouverneur qui vient, accompagn? d'un interpr?te, nous pr?senter ses compliments protocolaires.
Nous d?sirerions que ces messieurs nous donnassent, au moins, quelques utiles indications sur le massif du Khan Tengri et les vall?es qui y aboutissent, mais ils ne peuvent rien nous apprendre que nous ne sachions d?j?. Cependant, le Gouverneur nous promet un garde pour nous accompagner, et M. Kross, l'interpr?te-pharmacien de la ville, fera de son mieux pour nous aider dans nos recherches.
? Prjevalsk nous devions nous procurer des chevaux, acheter les grosses provisions de bouche, et recruter des indig?nes pour la conduite des b?tes de somme.
Les chevaux valent une trentaine de roubles environ; les juments ? lait jusqu'? quarante et cinquante. Mais les maquignons auxquels nous nous adress?mes, nous en demand?rent tout de suite le double, nous traitant en ?trangers. Nous les d?rout?mes bient?t par un petit stratag?me. Nous f?mes r?pandre le bruit que nous allions nous rendre ailleurs, et, pour donner plus de cr?ance ? ce bruit, nous appr?t?mes les voitures. Cela fit son effet. Depuis lors, pendant toute la journ?e, et plusieurs jours de suite, tous les chevaux de la ville et des environs d?fil?rent devant nos yeux, dans la cour de la maison. Nous n'avions qu'? choisir. Nous en pr?mes douze: six pour la selle, et six pour le b?t.
On ne peut imaginer les ennuis de toutes sortes que demande l'organisation d'une petite caravane dans un pays o? l'on ne peut se faire comprendre que par l'interm?diaire de tierces personnes. Heureusement pour nous, Abbas se multipliait avec une abn?gation et une honn?tet? extraordinaires, et M. Kross nous pilotait dans les magasins de la ville.
Le bazar de Prjevalsk est tr?s fr?quent? par les Kirghizes et par les caravaniers qui font la navette entre Viernyi et Kachgar, en passant par les cols de Djououka et de Bedel. En dehors de ce peu de commerce, la ville est sans importance.
Les environs sont tr?s fertiles, riches en p?turages, en c?r?ales et en arbres ? fruits; seulement, on ne cultive que pour la consommation locale. On n'exporte gu?re que de l'opium, de la laine et quelques fourrures. Avec le chemin de fer Transasiatique, le bassin de l'Issik-Koul acquerra un d?veloppement consid?rable, car le terrain, form? d'alluvions, est des plus productifs. L'eau est plus que suffisante, les vall?es foisonnent de gibier, et les montagnes rec?lent de vastes gisements miniers. En dehors de ces ressources, le pays est tr?s sain, d'une captivante beaut?, tout en ayant un climat temp?r?.
Avant de quitter la ville, nous all?mes d?poser une gerbe de fleurs sur la tombe du grand explorateur Prjevalsky, qu'un modeste monument rappelle ? la post?rit? ? l'endroit m?me o? il succomba. Il se trouve tout pr?s du lac, sur le haut d'une falaise, isol? au bord du steppe. L'emplacement ne pouvait ?tre mieux choisi pour recevoir le corps de celui qui passa la moiti? de sa vie ? errer dans les solitudes de l'Asie centrale. Une pyramide en rocaille supporte un aigle aux ailes ?ploy?es, tenant dans ses serres une croix orthodoxe et une cha?ne bris?e, pour indiquer que la civilisation russe a supprim? l'aveugle fatalisme qui retenait les populations dans la barbarie. Vers la moiti? du socle ?merge le m?daillon du c?l?bre savant, avec des inscriptions rappelant ses exploits. ? c?t? du monument, la pierre tombale est entour?e d'un parterre de fleurs, qu'un jardinier entretient constamment.
Le 11 juillet, ? deux heures de l'apr?s-midi, nous partons de Prjevalsk. Notre caravane se compose de sept hommes et de treize chevaux. Le chef kirghize nous avait bien promis un de ses administr?s pour nous guider dans les montagnes de sa juridiction, mais nous l'attend?mes en vain. Nous appr?mes plus tard que ce bonhomme n'avait jamais ?t? chef de tribu, mais qu'il ?tait r?put? par les nomades comme un puits de science, une esp?ce de Salomon, tranchant les questions les plus ardues. Aussi les Kirghizes viennent-ils le consulter souvent; et, pour cet effet, ils n'h?sitent pas ? faire des centaines de verstes.
Piotra et le <
En sortant de Prjevalsk nous prenons la route qui, passant par le col de Santach, contourne les deux cha?nes de l'Ala-taou transilien et du Kounghe? Ala-taou et aboutit ? Viernyi. Elle se d?roule au milieu d'une campagne fertile, mais peu cultiv?e, ? l'escarpe des derniers contreforts du kirghize Ala-taou.
Apr?s une dizaine de verstes, nous touchons Aksou?skijie, une mis?rable colonie de Kozaques. Toute la population se range sur le chemin; les hommes aux lourdes bottes et ? la chemise ?carlate tombant sur le pantalon, nous saluent respectueusement. Les femmes, aux formes rebondies, et couvertes de haillons aux couleurs ?clatantes, se tiennent dans l'embrasure des portes, les poings sur les hanches.
Vers sept heures, nous nous arr?tons pr?s d'un ruisseau, pour camper. Un peu plus bas, une vingtaine de masures se cachent derri?re une haie de saules: c'est Djarghess, autre colonie de Kozaques.
Notre arriv?e et notre installation n'ont pas manqu? d'attirer des curieux; ce sont presque tous des Kozaques du village voisin, qui viennent famili?rement s'accroupir autour du feu. Une bonne femme pousse m?me la gracieuset? jusqu'? nous offrir un vase de lait. Nous lui distribuons de gros morceaux de sucre, dont elle est tr?s friande.
En attendant le d?ner, nous fl?nons autour des tentes tout en admirant un inoubliable coucher de soleil. En aval, la petite rivi?re de Djargalan serpente au milieu d'une plaine bleu?tre, agr?ment?e de quelques arbres solitaires, dont les sombres silhouettes se d?tachent sur les lointains lumineux. Suivant les sinuosit?s du ruisseau, les yourtes ou tentes des nomades s'?gr?nent pr?s de la berge dans une b?ate qui?tude, avec des panaches de fum?e s'envolant au-dessus de leur d?me en feutre. ? notre gauche, ? plus de deux cents verstes, les monts Alexandre, d'un lilas cendr?, l?vent leurs t?tes neigeuses. ? droite l'Ala-taou s'avance insensiblement de notre c?t?, accentuant ses d?tails, et fon?ant sa teinte ? mesure qu'il s'approche de nous, gouach? ?a et l? par les derniers ?panouissements du soleil. Le lac reste masqu? par l'?paisse couche de vapeurs que la subite fra?cheur de la nuit a condens?es.
Mais Piotra, le Russe, nous a pr?par? le d?ner sur un tapis de feutre, devant la tente du prince. Nous nous asseyons gaiement par terre, appuy?s sur un coude, autour d'une serviette o? est plac? le modeste et frugal repas. Dans le menu figure encore un poulet r?ti. Seulement, il est d'une r?sistance in?branlable.
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