Read Ebook: Histoire de France 1618-1661 (Volume 14/19) by Michelet Jules
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Ebook has 1020 lines and 87890 words, and 21 pages
HISTOIRE
FRANCE
PAR
J. MICHELET
NOUVELLE ?DITION, REVUE ET AUGMENT?E
TOME QUATORZI?ME
PARIS
Tout droits de traduction et de reproduction r?serv?s.
HISTOIRE DE FRANCE
PR?FACE
Les trente ann?es p?nibles que je traverse en ce volume sont cependant illumin?es par deux grandes lumi?res, des plus pures et des plus sublimes, Galil?e et Gustave-Adolphe. De l'Italie, du Nord, cette consolation me venait en d?brouillant l'?nigme laborieuse de la politique fran?aise et de la guerre de Trente ans, et elle m'a bien soutenu. Par un contraste singulier, dans cette ?poque p?lissante o? l'homme, de moins en moins estim? et compt?, semble s'an?antir dans la centralisation politique, ces deux figures subsistent pour t?moigner de la grandeur humaine, pour la relever par-dessus les ?ges ant?rieurs.
Chacun d'eux vient de loin, et le monde s'y est longtemps pr?par?.
Toutes les nations d'avance avaient travaill? pour Galil?e. La Pologne avait donn? le mouvement; l'Allemagne, la loi du mouvement ; la Hollande, l'instrument d'observation, et la France celui du calcul . Florence fournit l'homme, le g?nie qui prend tout, se sert de tout en ma?tre. Et Venise donna le courage et la libert?.
Du reste, au premier moment, personne n'y prit garde, except? le bon et grand Keppler, celui qui avait le plus servi et pr?par? Galil?e, et qui le remercia pour le genre humain.
Il est int?ressant de voir le double courant qui fait le h?ros, qui harmonise cette grande force individuelle avec le mouvement du monde, de sorte qu'il n'est pas excentrique, et qu'il est libre cependant, non d?pendant de la force centrale. C'est sa beaut? profonde d'avoir cette qualit?.--Celui-ci est Su?dois. Il est homme d'aventures. Son r?ve n'est pas l'Allemagne, mais la profonde Russie qu'il voulait conqu?rir, et le chemin de l'Orient. C'est bien l?, en effet, la propre guerre su?doise. Petit peuple, si grand! le seul qui ait le nerf du Nord Le vrai monument de la gloire su?doise, ce sont ces entassements de terre au pied des forteresses russes qu'ont b?ties les prisonniers su?dois. Les Russes qui connaissaient ces hommes, n'os?rent jamais en rendre un seul, rendant villes, provinces, et tout ce qu'on voulait, plut?t qu'un seul Su?dois. Les os des prisonniers y sont rest?s, et t?moignent encore de la terreur des Russes.--Mais, pour ?tre Su?dois, Gustave n'en est pas moins Allemand , protestant , enfin Fran?ais par l'?ducation militaire. Nul doute que notre Languedocien, qui forma dix ann?es Gustave dans les guerres de Pologne, de Russie, de Danemark, n'ait influ? beaucoup sur son caract?re m?me. L'?tincelle m?ridionale n'est pas m?connaissable dans ses actes et dans ses paroles. C'est la bont?, l'esprit d'Henri IV, sa parfaite douceur. Du reste, tout cela transfigur? dans le sublime aust?re du plus grand capitaine, qui donna tout ? l'action, rien au plaisir, et qui toujours fut grand. Un seul d?faut , d'avancer toujours le premier, de donner sa vie en soldat, par exemple, le jour o?, contre l'avis de tout le monde, il passa seul le Rhin.
CHAPITRE PREMIER
LA GUERRE DE TRENTE ANS.--LES MARCH?S D'HOMMES LA BONNE AVENTURE
L'histoire humaine semble finie quand on entre dans la guerre de Trente ans. Plus d'hommes et plus de nations, mais des choses et des ?l?ments. Il faut raconter barbarement un ?ge barbare, et prendre un coeur d'airain, mettre en saillie ce qui domine tout, la brutalit? de la guerre, et son rude outil, le soldat.
Il y avait trois ou quatre march?s de soldats, des comptoirs militaires o? un homme d?sesp?r?, et qui ne voulait plus que tuer, pouvait se vendre.
Danger ?pouvantable. Si cela s'?tait fait, il n'y avait nulle part ? esp?rer de r?sistance s?rieuse. C'est ce qu'avait tr?s-bien calcul? le sp?culateur Waldstein, qui ouvrit ce march?. Les anciens condottieri avaient fait cela en petit; plus r?cemment le G?nois Spinola, sous drapeau espagnol, fit la guerre ? son compte. Waldstein reprit la chose en grand, avec ce raisonnement bien simple: Si j'ai quelques soldats, je puis ?tre battu; mais, si je les ai tous, je ferai la guerre ? coup s?r, n'ayant affaire qu'aux non-soldats, aux paysans mal aguerris, aux moutons... Et j'aurai les loups!
Maintenant quel fut donc le secret de ce grand marchand d'hommes, de ce puissant accapareur, l'app?t qui leur faisait quitter les meilleurs services et les mieux pay?s, le gras service de la Hollande? Comment se faisait-il que toutes les routes ?taient couvertes de gens de guerre qui allaient se vendre ? Waldstein? Quels furent ses attraits et ses charmes pour leur plaire et les gagner tous, les attacher ? sa fortune?
C'?tait un grand homme maigre, de mine sinistre, de douteuse race. Il signait Waldstein pour faire le grand seigneur allemand. D'autres l'appellent Wallenstein, Walstein. Sa t?te ronde disait: <
Sombre, muet, inabordable, il ne parlait gu?re que pour des ordres de mort, et tous venaient ? lui. Miracle?... Non, la chose ?tait naturelle... Il ?tablit le r?gne du soldat, et lui livra le peuple, biens et vie, ?me et corps, hommes, femmes et enfants. Quiconque eut au c?t? un pied de fer fut roi et fit ce qu'il voulut.
Donc, plus de crimes, et tout permis. L'horreur du sac des villes, et les affreuses joies qui suivent l'assaut, renouvel?s tous les jours sur des villages tout ouverts et des familles sans d?fense. Partout l'homme battu, bless?, tu?. La femme passant de main en main. Partout des cris, des pleurs. Je ne dis pas des accusations.
Comment arriver ? Waldstein, inaccessible dans son camp? Le spectre ?tait aveugle et sourd.
Les ?mes furent bris?es, aplaties, ?teintes, an?anties. Quand le roi de Su?de vint venger l'Allemagne et voulut ?couter les plaintes, il trouva tout fini. Ces gens, pill?s, battus, outrag?s, viol?s, dirent que tout allait bien. Et personne ne se plaignait plus!
Un fort bon tableau hollandais, qui est au Louvre, montre aux genoux d'un capitaine en velours rouge une mis?rable paysanne qui a l'air de demander gr?ce. Elle a le teint si plomb? et si sale, elle a visiblement d?j? tant endur?, qu'on ne sait pas ce qu'elle peut craindre. On lui a tu? son mari, ses enfants. Eh! que peut-on lui faire? Je vois l?-bas au fond des soldats qui jouent aux d?s, jouent quoi? La femme, peut-?tre, l'amusement de la faire souffrir. Elle a encore une chair, la malheureuse, et elle frissonne. Elle sent que cette chair, qui n'est plus bonne ? rien, ne peut donner que la douleur, les cris et les grimaces, la com?die de l'agonie.
Le pis, dans ce tableau fun?bre, c'est que ce capitaine, enrichi par la guerre et en manteau de prince, n'a l'air ni ?mu ni col?re. Il est indiff?rent. Il me rappelle un mot terrible par lequel Richelieu, dans son portrait de Waldstein, termine l'?loge qu'il fait de cet homme diabolique: <
Waldstein fut un joueur. Il sp?cula sur la furie du temps, celle du jeu. Et il laissa le soldat jouer tout, la vie, l'honneur, le sang. C'est ce que vous voyez dans les noirs et fumeux tableaux de Valentin, de Salvator.
Sort, fortune, aventure, hasard, chance, ce je ne sais quoi, cette force brutale qui va sans coeur, sans yeux, voil? l'idole d'alors. Le dieu du monde est la Loterie.
<
Waldstein r?ussit justement parce qu'il fut la loterie vivante. Il se constitua l'image du sort. Pour rien il faisait pendre un homme; mais pour rien il le faisait riche. Selon qu'il vous regardait, vous ?tiez au haut, au bas de la roue; vous ?tiez grand, vous ?tiez mort. Et voil? aussi pourquoi tout le monde y allait. Chacun voulait savoir sa chance.
Fran?ois Ier, qui rapporta plusieurs maladies d'Italie, n'oublia pas celle-l?. Il trouva la loterie d'un bon rapport et l'?tablit en France. Mais, ? part l'int?r?t du fisc, elle r?pondait ? un besoin de cette soci?t?. La grande loterie du bon plaisir se tirant en haut pour les places, le caprice des dames faisant les g?n?raux, les juges et les ?v?ques, il ?tait bien juste que les petits aussi eussent les amusements du hasard, l'?motion des surprises, la facilit? de se ruiner.
Le g?n?ral bigot Tilly, le tueur de la Guerre de Trente ans, entre ses messes et ses J?suites, n'est pas tellement d?vot ? la Vierge Marie, qu'il ne songe encore plus ? cette fille publique, la Fortune. Au moment solennel o? il lui faut marcher contre Gustave-Adolphe, quel mot lui vient ? la bouche? o? prend-il son espoir? <
L'homme le plus s?rieux du temps, le calculateur politique qui s'effor?a de ne remettre que peu ? la Fortune, Richelieu cependant semble envisager la vie en g?n?ral, comme un jeu de hasard. <
Lui-m?me, entra?n? par la force des circonstances hors des voies de r?forme qu'il avait annonc?es en 1626, jet? dans les d?penses ?normes du fatal si?ge, et d'une arm?e, d'une marine indispensables, o? allait-il? qu'esp?rait-il? Il jouait un gros jeu. L'affaire de La Rochelle aurait manqu?, faute d'argent; elle tint ? un fil. Richelieu, au dernier moment, emprunta un million en son nom et sur sa fortune. Son passage des Alpes, dont nous allons parler, aurait manqu? aussi, et il serait rest? au pied des monts, s'il n'e?t encore trouv? au moment des ressources impr?vues. Bref, il ?tait lanc? dans l'aventure, dans les hasards d'une roulette o? il mettait surtout sa vie.
CHAPITRE II
LA SITUATION DE RICHELIEU
Que mena?ait le Dieu, et qui devait trembler? l'Espagne apparemment, l'Autriche. L'Empereur voulait nous exclure de la succession de Mantoue, nous fermer l'Italie. Et l'Italie, Venise, Rome, dans l'attente terrible des bandes imp?riales, criait ? nous, nous appelait, envoyait courrier sur courrier.
Le foudre ?tait de bois. Il y manquait les ailes dont l'antiquit? a soin de d?corer celui de Jupiter. Ces ailes aujourd'hui, c'est l'argent. Le d?ficit ?norme, accus? en 1626, l'aggravation d'emprunts faits pour le si?ge, semblaient rendre impossible le secours d'Italie. Chaque effort de ce genre demandait un miracle, un coup de g?nie. Et encore, les miracles n'eurent pas d'effet quant au but principal. Gustave-Adolphe le dit et le pr?dit ? notre ambassadeur, qui faisait fort valoir la puissance de son ma?tre: <
L'histoire de Richelieu est obscure quant au point essentiel, les ressources, les voies et moyens. De quoi vivait-il, et comment? on ne le voit ni dans les m?moires ni dans les pi?ces. Un ouvrage estimable, qu'on vient de publier sur son administration, et qui s'?tend fort sur le reste, ne dit presque rien des finances. Comment le pourrait-il? Tout ce qu'on a des comptes de Richelieu ne comprend que quatre ann?es , et donne fort confus?ment les recettes ordinaires, pouss?es ? 80 millions. Pas un mot de l'extraordinaire.
De l? une action variable, intermittente, quelques pointes brillantes, et des rechutes pour cause d'?puisement. On ne pouvait avoir une arm?e vraiment permanente.
Cela est frappant en 1629, quand Richelieu finit l'affaire des huguenots; mais, celle d'Italie restant en pleine crise, il licencie trente r?giments pour en lever d'autres six mois apr?s. De m?me en 1636, il licencie sept r?giments en janvier <
La souffrance du grand homme d'affaires qui menait cette machine poussive ? mouvements saccad?s devait ?tre cruelle. Et l'on comprend tr?s-bien qu'il f?t toujours malade. L'insuffisance des ressources, l'effort continuel pour inventer un argent impossible, d'autre part, l'intrigue de cour et je ne sais combien de pointes d'invisibles insectes dont il ?tait piqu?, c'?tait de quoi le tenir dans une agitation terrible. Mais ce n'?tait pas assez encore; vingt autres diables hantaient cette ?me inqui?te, comme un grand logis ravag?, la guerre des femmes, la galanterie tardive, plus la th?ologie et la rage d'?crire, de faire des vers, des trag?dies!
Quelle trag?die plus sombre que sa personne m?me! Aupr?s, Macbeth est gai. Et il avait des acc?s de violence o? ses furies int?rieures l'eussent ?trangl?, s'il n'e?t, comme Hamlet, massacr? ses tapisseries ? coups de poignard. Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, couvrait tout de respect, de d?cence eccl?siastique.
L'impuissance, la passion rentr?e, s'en prenaient ? son corps; le fer rouge lui br?lait au ventre, lui exasp?rait la vessie, et il ?tait pr?s de la mort.
Cette double chance de mort o? ses ennemis avaient leur espoir fut justement ce qui le rendit fort et terrible. Il avait des moments o? il parlait et agissait comme en pr?sence de la mort; et alors le sublime, qu'il cherche si laborieusement ailleurs, arrivait de lui-m?me.
Il y touche, en r?alit?, dans tels passages de l'allocution qu'il tint au roi au retour de La Rochelle, par-devant ses ennemis, la reine m?re et le confesseur du roi, le doucereux J?suite Suffren.
Il y dit tout, sa situation vraie, ce qu'il a fait et ce qu'il a re?u, ce qu'il poss?de, ce qu'il a refus?. Il a de patrimoine vingt-cinq mille livres de rente, et le roi lui a donn? six abbayes. Il est oblig? ? de grandes d?penses, surtout pour payer des gardes, ?tant entour? de poignards. Il a refus? vingt mille ?cus de pension, refus? les appointements de l'amiraut? , refus? un droit d'amiral , refus? un million que les financiers lui offraient pour ne pas ?tre poursuivis.
Il demande sa retraite, non d?finitive, mais momentan?e; on le rappellera plus tard, s'il est encore vivant et si on a besoin de lui. Il explique tr?s-bien qu'il est en grand danger, et qu'il a besoin de se mettre quelque temps ? couvert. Veut-il se rendre n?cessaire, se constater indispensable, et s'assurer d'autant mieux le pouvoir? Si son but est tel, on doit dire qu'?trange est la m?thode, bien t?m?raire. Il parle avec la franchise d'un homme qui n'a rien ? m?nager. Il ose donner ? son ma?tre, peut-?tre comme dernier service, l'?num?ration des d?fauts dont le roi doit se corriger. Et ce n'est pas l? une de ces satires flatteuses o? l'on montre un petit d?faut, une ombre, un repoussoir habile pour faire valoir les beaut?s du portrait. Non, c'est un jugement ferme et dur, fort ?tudi?, comme d'un La Bruy?re, d'un Saint-Simon qui fouillerait ? fond ce caract?re cent ans apr?s, un jugement des morts, et par un mort. Promptitude et l?g?ret?, soup?ons et jalousie, nulle assiduit?, peu d'application aux grandes choses, aversions irr?fl?chies, oubli des services et ingratitude. Il n'y manque pas un trait.
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