Read Ebook: Mon frère et moi; souvenirs d'enfance et de jeunesse by Daudet Ernest
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Ebook has 263 lines and 28736 words, and 6 pages
Quelques mois apr?s notre arriv?e ? Lyon, sur le conseil de mon fr?re a?n?, qui allait commencer ses ?tudes eccl?siastiques au s?minaire d'Allix, on nous fit entrer ? la man?canterie de Saint-Pierre. ? la condition de remplir l'office d'enfants de choeur, nous pouvions suivre l? nos classes de grec et de latin. Mon pauvre p?re n'avait pas trouv? de moyen plus pratique pour nous faire continuer nos ?tudes sans bourse d?lier. Ce fut du temps perdu. Les c?r?monies religieuses prenaient toutes nos heures; les ?tudes ?taient rel?gu?es au second plan.
Alphonse eut aussi ses malheurs: <
Le pis est que, dans le d?sarroi de cette ?trange existence, mon fr?re devenait un petit bonhomme terriblement indisciplin?. Ne s'avisa-t-il pas un jour de creuser une mine dans l'armoire aux soutanes, et d'y fourrer de la poudre! L'explosion fut formidable. Ce fut miracle qu'il n'y eut pas d'accident...
Peu de temps apr?s, nos parents, ayant constat? que nous n'apprenions rien qui vaille, se d?cid?rent ? nous mettre au lyc?e. Nous f?mes pr?sent?s au proviseur, et apr?s un court examen, mon fr?re fut admis en sixi?me, tandis que moi-m?me j'allai en cinqui?me.
Peut-?tre trouves-tu, lecteur, que je m'attarde ? ces souvenirs de notre enfance. Il faut cependant que tu te r?signes ? en parcourir encore avec moi le m?lancolique domaine. C'est le seul moyen pour toi de conna?tre dans quelles circonstances sont ?closes la vocation litt?raire de mon fr?re et la mienne.
Ces circonstances nous ?taient toutes d?favorables. Nous n'entendions jamais faire allusion aux choses d'art ou de litt?rature; la politique, des r?cits du pass?, les mille incidents de notre existence, les affaires, les projets auxquels elles donnaient lieu, les soucis qu'elles engendraient, formaient le sujet ordinaire de nos entretiens de famille. Ma m?re gardait pour elle les impressions de ses lectures, comme si elle n'e?t os? nous faire l'aveu du plaisir qu'elle leur devait, l'unique plaisir qu'au milieu de ses maux il lui f?t donn? de go?ter.
Ce n'est donc pas le milieu o? nous avons v?cu enfants, qui a d?termin? notre vocation; il ne pouvait m?me qu'en comprimer les manifestations pr?coces et accidentelles. Mais il est probable que l'influence de ce milieu a ?t? combattue et domin?e par l'influence d'une myst?rieuse h?r?dit?; il est probable que nous tenions de quelqu'un de nos grands parents, Reynaud ou Daudet, cette soif de sensations intellectuelles, ce besoin de les exprimer par la plume qui nous ?tait commun; que mon fr?re avait re?u de l? ce don d'observation qui caract?rise son talent, la d?licatesse, la sensibilit?, cet art d'?crire, de donner ? sa plume la puissance du pinceau.
Ce tr?sor f?cond, dont il a eu la pleine possession le jour m?me o?, pour la premi?re fois, il a fait acte d'?crivain, quelqu'un de ceux de qui nous descendons l'a-t-il poss?d? de m?me dans le pass?? S'est-il form?, au contraire, par les apports partiels et successifs de plusieurs d'entre eux? Je l'ignore; ce qui est ind?niable, c'est que les qualit?s que nul ne songe ? contester ? Alphonse Daudet, il les a eues tout ? coup, en une fois, comme si, par une chance heureuse, il les avait trouv?es dans les dentelles de son berceau.
D?velopp?es plus tard par un labeur incessant, acharn?, elles sont d?j? dans les oeuvres de sa jeunesse, avec moins de grandeur sans doute que dans celles de sa virilit?; mais elles y sont; elles existent m?me dans l'unique roman de lui qui n'ait jamais ?t? publi?,--il avait quinze ans quand il l'?crivit,--et sur lequel je reviendrai tout ? l'heure.
Ce fut bien l? notre premi?re sensation, notre premier supplice, en entrant dans la vaste cour du lyc?e, tels que nous ?tions arriv?s de notre Midi, v?tus comme ?taient alors v?tus ? N?mes, ville un peu arri?r?e, les enfants de notre ?ge et de notre condition. Nous f?mes class?s tout de suite parmi les pauvres diables dont les parents se saignent aux quatre veines pour payer les frais de leurs ?tudes. Les plus ?l?gants de nos camarades d?daign?rent de frayer avec les nouveaux venus, affect?rent envers nous des airs hautains ou protecteurs. Un peu plus tard, on nous donna des costumes moins humiliants; mais l'effet avait ?t? produit, et l'impression resta. Mon fr?re la combattit victorieusement, en gagnant pour ses d?buts les premi?res places; et, d?s ce moment, il fut un des plus brillants ?l?ves du lyc?e.
Un singulier ?l?ve, par exemple! Au bout de quelques mois, l'?cole buissonni?re ?tait devenue pour lui une habitude. Nous avions dix classes par semaine; il ?tait bien rare qu'il n'en manqu?t pas cinq ou six; et cela dura plusieurs ann?es. Il en vint ? ne para?tre au lyc?e qu'aux jours de composition; ce qui ne l'emp?chait pas d'?tre toujours class? parmi les premiers, surtout au fur et ? mesure qu'il avan?a vers les hautes ?tudes.
Son intelligence ?merveillait ses professeurs. D?s la troisi?me, il traitait en vers les sujets de discours fran?ais. Un jour m?me, il fut mis hors concours avec ?loges. Son professeur ayant demand? une apologie d'Hom?re, il lui remit, au bout de deux heures, une ode qui fut un ?v?nement. En voici la conclusion,--j'ai oubli? le reste:
Et dans quatre mille ans, Au milieu des tombeaux et des peuples croulants, Comme un sphinx endormi, colosse fait de pierre, Tu pourras soulever lentement ta paupi?re, Regarder le chaos et dire avec orgueil: Au vieil Hom?re il faut un monde pour cercueil!
L'ann?e suivante, il s'essayait dans un autre genre:
Rito, beau capitaine au service du doge, ?tait un gai luron, l'oeil bleu, le poil blondin, Qui lorgnait gentiment une belle en sa loge, Et qui portait toujours des gants en peau de daim. Mainte fois, il avait tir? l'?p?e, et m?me Il avait fait, dit-on, gras pendant le car?me. Dieu sait si les maris le redoutaient. Rito Leur rendait fort souvent visite incognito.
Je crois bien que ce po?me, dont le d?but fut ?crit, pendant la classe, en st?nographie, pour le d?rober au professeur, n'a jamais ?t? achev?.
Je ne peux encore m'expliquer comment, ?tant donn? l'existence d?sordonn?e que mon fr?re menait alors, il a pu franchir avec tant d'?clat les ?tapes de ses ?tudes.
? de fr?quents intervalles, un avis imprim?, sign? du censeur, ?tait d?pos? chez notre portier, ? l'effet d'avertir M. Vincent Daudet que l'?l?ve Alphonse Daudet, son fils, n'avait pas paru ? la classe de tel jour. Gr?ce ? mes pr?cautions, ces avis m'?taient fid?lement remis. J'en att?nuais les effets par des excuses bien senties, que je signais audacieusement du nom de notre p?re.
En ai-je r?dig?, de ces excuses, en ce temps-l?, afin d'?viter ? mon fr?re des reproches m?rit?s!
Ces reproches, j'essayais d'y suppl?er par quelques timides conseils, auxquels il r?pondait en me promettant de ne plus recommencer.
Le malheur, c'est qu'il recommen?ait toujours. Il ?tait pris dans l'engrenage d'une vie tout au dehors, quasi sans surveillance et sans entraves.
C'?taient des parties de canot sur la Sa?ne, des fugues dans les vertes campagnes qui environnent Lyon, des haltes au cabaret, que sais-je encore? mille aventures propres ? r?v?ler son extraordinaire pr?cocit?. Inconsciemment, il r?coltait l? les ineffa?ables impressions ? l'aide desquelles il devait ?crire plus tard des r?cits d'un v?cu si p?n?trant.
Il nous revenait moulu, p?le, les traits tir?s, ivre de fatigue, de grand air, les yeux pleins de visions d'eaux tourbillonnantes dans le brouillard du matin. Comme il rentrait toujours en retard, je veillais anxieusement du c?t? de la porte, guettant son retour pour la lui ouvrir sans bruit, pour l'aider ? fournir une explication ? nos parents. D?s qu'il apparaissait, je l'avertissais ? demi-voix de l'effet produit sur eux par son absence; il savait ainsi s'ils en ?taient irrit?s ou si elle avait pass? inaper?ue, et nous improvisions ? la h?te, selon la gravit? des cas, un pr?texte acceptable.
Un jour, il arriva fi?vreux, chancelant, le regard troubl?; on lui avait fait boire de l'absinthe. Terrifi?, je l'adossai au mur de l'antichambre; les yeux dans les yeux, je lui dis:
--Prends garde, papa est l?!
Il parvint ? se dominer et fit bonne contenance devant nos parents. Il all?gua, pour justifier sa rentr?e tardive, qu'il avait ?t? retenu au lyc?e par la visite d'un inspecteur g?n?ral de l'Universit?.
--Mais tu dois mourir de faim, mon pauvre enfant, lui dit ma m?re.
Mon p?re, attendri, observa qu'on faisait trop travailler ces jeunes gens. Pendant ce temps, vite nous dressions un couvert sur un coin de table, et, quoique ?coeur?, malade, n'en pouvant plus, le pauvre gar?on dut feindre un app?tit vorace, manger et boire tout ce qu'on lui servit, tandis que nos parents, assis ? son c?t?, le regardaient d'un air de piti?, ?piaient ses mouvements avec sollicitude.
Jet?, ayant treize ans ? peine, dans une telle vie, avec des enfants de son ?ge dont l'influence et l'exemple l'entra?naient, comment n'y a-t-il pas laiss? ses belles qualit?s intellectuelles et morales, la vivacit? de son intelligence, la fra?cheur de son ?me, la d?licatesse de son esprit, sa droiture native, la fleur de son honn?tet?? Presque tous les autres s'y seraient perdus. Pour lui, l'?preuve que, d'ailleurs, je ne conseillerais ? aucun p?re de tenter pour son fils, a donn? des r?sultats contraires ? ceux qu'il ?tait logique de redouter.
Le m?me ph?nom?ne s'est encore reproduit, quelques ann?es plus tard, lorsqu'? dix-sept ans, libre et sans frein sur le pav? de Paris, il est descendu dans tous les antres de la boh?me, parmi les paresseux et les impuissants, vagabonds de l'art, dont tout l'effort consiste ? grossir leur nombre pour trouver chez autrui la justification de leur propre honte; bons, tout au plus, ? calomnier le talent consciencieux et f?cond, ? se venger sur lui, en plates injures, des humiliations que leur vaut un incurable besoin de se vautrer dans une abjecte oisivet?.
Par deux fois, cette exp?rience, pour mon fr?re, a donn? les m?mes fruits. De ce qu'il y avait de bon en lui, il n'est rien rest? aux ronces des dangereuses routes qu'il parcourait. Il n'est m?me pas t?m?raire d'affirmer que, dans une large mesure, son talent a profit? de ses d?couvertes et de ses sensations. Elles en ont h?t? l'?closion; loin de l'?mousser, elles l'ont affin?, sensibilis?, jusqu'? lui donner la nervosit? d'une corde de violon.
C'est en se reportant ? ces ann?es de mis?res d?sesp?r?es, d'escapades p?rilleuses, de distractions maladives, revues, ainsi que dans un miroir, ? travers le temps disparu, qu'il placera plus tard comme ?pigraphe, en t?te de l'un de ses livres, cette phrase de madame de S?vign?: <
De ce qu'il a victorieusement affront? tant d'exp?riences redoutables, on aurait tort de conclure que les incidents de sa vie ? la diable me laissaient sans appr?hension. ? c?t? de l'angoisse de l'attente, qui s'emparait de moi quand il ne revenait pas ? l'heure de la sortie du lyc?e, il y avait la crainte des accidents. Il ?tait si t?m?raire, si d?daigneux du danger; puis sa myopie aggravait les risques.
Plus d'une fois, il lui arriva de jeter son canot sous les roues d'un bateau ? vapeur, et comme au retour j'?tais le confident de ses ?motions, au moindre retard je le voyais toujours pr?cipit? dans cette Sa?ne maudite, dont le lit, ? travers Lyon, a tout le mouvement d'une rue populeuse.
C'?tait aussi la peur des voitures, des coups re?us dans quelque querelle... Ah! les tristes heures! En l'apercevant, j'oubliais tout; pourvu que nos parents ignorassent la v?rit?, je ne songeais qu'au bonheur de le retrouver sain et sauf. Je n'avais m?me pas le courage de le gronder. Si p?niblement monotone ?tait notre existence, que je comprenais qu'il cherch?t au dehors des distractions.
Il est vrai qu'elles tournaient quelquefois en v?ritables gamineries. Il y avait parmi nos camarades un gar?on bien ?lev?, d'un caract?re un peu faible, qui se laissait entra?ner comme lui dans les ?quip?es que je viens de raconter. C'?tait le fils d'un honorable avou? de Lyon. Il nous ?tait sympathique ? tous, et depuis il a fait bravement son chemin dans le monde, sans que le souvenir des mis?res dont, enfant, il avait ?t? victime, ait laiss? aucune amertume dans son coeur; mais ? cette ?poque, une taille qui n'en finissait pas, un long nez, de gros yeux ronds, un d?faut de prononciation, et en m?me temps sa na?vet?, en faisaient un objet d'impitoyable raillerie pour ceux dont il ?tait devenu le compagnon.
Participant ? toutes leurs fredaines, il ?tait rare qu'il n'en port?t pas seul la responsabilit?. Apr?s une escapade trop bruyante pour que les parents n'en eussent pas un ?cho, fallait-il trouver un coupable, c'est lui qu'on accusait, ou, pour mieux dire, qui s'accusait inconsciemment, sans le vouloir. Quand les circonstances innocentaient tous les autres, elles tournaient contre lui; quand tous s'?chappaient, lui seul se faisait prendre.
Puis, ce fut bien pis. Ses camarades organis?rent une v?ritable conspiration contre son p?re, et trouv?rent plaisant de l'y associer. D?cid?ment, cet ?ge est sans piti?. Un matin, l'honorable avou? vit arriver dans sa cuisine, situ?e sur le m?me palier que son ?tude, une longue procession de petits marmitons, apportant chacun un vol-au-vent. Les uns venaient du voisinage, les autres des quartiers excentriques. Ils se heurtaient dans l'escalier, se bousculaient, s'injuriaient, surpris de s'y trouver si nombreux. La cuisini?re avait accept? le premier vol-au-vent, bien qu'elle ne l'e?t pas command?, puis deux, puis trois; mais devant ce d?bordement de vestes blanches, elle alla qu?rir son ma?tre. On voit la sc?ne.
? cette ?poque, nous avions quitt? l'appartement de la rue Lafont, ? cause de l'excessive chert? du loyer. Nous habitions au deuxi?me ?tage d'une vieille maison de la rue Pas-?troit, une rue mal pav?e, d?bouchant sur les quais du Rh?ne, au long de laquelle le lyc?e ?levait ses murailles noir?tres, en nous enlevant la lumi?re.
L'escalier ?tait obscur et humide. Toutes les fois que le fleuve d?bordait, il arrivait dans notre rue, envahissait nos marches ? une hauteur de plus d'un m?tre; pendant trois jours, nous ne pouvions plus sortir de chez nous qu'en bateau. La fa?ade de la maison gardait, dans sa partie basse, la trace de ces inondations fr?quentes;--nous en e?mes deux en trois ans. La porte d'entr?e ?tait couverte de moisissures; l'all?e avait des tons verd?tres; les pl?tres s'effritaient partout.
C'?tait bien une maison faite pour de pauvres gens, malheureux comme nous l'?tions alors. L'appartement ?tait d?cent, spacieux et commode, mais le propri?taire le louait ? bas pris, ? cause de la physionomie lamentable de l'immeuble.
C'est l? que nous logions quand ?clata le coup d'?tat. Nous ?tions trop jeunes pour pr?voir toutes les cons?quences de l'?v?nement. Nous ne le juge?mes qu'au point vue des distractions qu'il nous apportait. La foule s'attroupait autour des affiches blanches contenant les proclamations et les d?crets du prince pr?sident. En g?n?ral, elle se montrait sobre de r?flexions. L'heure n'?tait pas bonne pour les critiques. Le mar?chal de Castellane, qui commandait ? Lyon, avait mis la ville en ?tat de si?ge. De nombreuses arrestations avaient ?t? op?r?es. Les troupes campaient dans les rues, devant de grands feux, le long des quais du Rh?ne. ? la t?te des ponts, les canons ?taient dress?s en batterie. On attendait de ce c?t? une arm?e de <
La saison ?tait d?j? rigoureuse; les soldats grelottaient, la nuit venue, autour de leur bivouac; et comme, apr?s tout, la population voyait en eux des d?fenseurs contre les dangers qu'on nous annon?ait, elle les traitait en amis, s'ing?niait pour ajouter quelque douceur ? leur ordinaire. Chez nous, on pr?para tout expr?s, pour le d?tachement de chasseurs de Vincennes qui campait devant la passerelle du coll?ge, un gigot aux haricots que nous all?mes fi?rement lui porter, Alphonse et moi, avec quelques bouteilles de vin, et qui fut re?u avec une joyeuse reconnaissance.
Le coup d'?tat fut pour notre p?re une rude d?convenue. Jusqu'? ce moment, il caressait l'esp?rance du prochain retour du roi.
Peu de temps avant, appel? ? Paris par ses affaires, il avait ?t? pr?sent? aux chefs du parti royaliste. L'un d'eux, investi des pouvoirs de <
Un matin, dans le courrier, nous trouv?mes une protestation autographi?e du comte de Chambord, qui commen?ait ainsi: <
? cet appartement de la rue Pas-?troit est associ? le souvenir de quelques-unes de nos plus cruelles infortunes. Apr?s la d?ception que je viens de raconter, ce fut une longue maladie de mon p?re, puis le d?part d'Annette, une brave fille ? notre service depuis plusieurs ann?es, et qui nous adorait. Elle ?tait dans le secret de nos d?tresses et travaillait avec un h?ro?que courage pour nous les rendre moins am?res, en ?conomisant nos ressources. Elle nous avait suivis ? Lyon pour ne pas se s?parer de nous, et quoique le climat f?t meurtrier pour sa sant?, elle nous demeurait fid?le. Pendant sa maladie, mon p?re la prit en grippe. Il fallut la faire partir. Apr?s sa gu?rison, il d?plora son injustice et voulut rappeler Annette. Mais elle avait revu le ciel de son pays et ne revint pas.
Deux ans auparavant, ne faisant rien qui vaille sur les bancs de l'?cole, tourment? de je ne sais quel d?sir d'ind?pendance et d'?mancipation, pouss? par une forte volont? vers un travail lucratif, j'avais demand? ? quitter le lyc?e pour apprendre le commerce, et obtenu de mes parents qu'ils exau?assent ma demande. Mon p?re, ayant besoin d'un aide, me garda pr?s de lui; je fis mon apprentissage sous sa direction.
Continuant la fabrication des foulards, il avait ?tabli son magasin de vente dans la pi?ce la plus vaste de notre appartement. Je la vois encore, cette pi?ce sombre o? j'ai v?cu si tristement pendant de longs mois.
? droite et ? gauche, de larges planches sur des tr?teaux; comme bureau, une tablette en ch?ne scell?e sous la crois?e; accroch?es au plafond, de gigantesques balances pour peser la soie; le long des murs, quatre chaises, des ?tag?res en bois blanc, o? s'empilaient les pi?ces de foulards; dans un coin, un vieux coffre-fort en fer, tout bard? de grosses t?tes de clous, reste des splendeurs pass?es; ? cela se r?duisait cette installation un peu primitive.
Que d'heures j'ai pass?es l? ? plier la marchandise, ? ?crire des lettres, ? dresser des factures, ? faire des emballages! Nous peinions, mon p?re et moi, comme deux manoeuvres. ? moins de descendre les colis sur notre dos, je ne vois pas ce que nous laissions ? faire au commissionnaire qui nous servait d'aide. Nous ne songions ni l'un ni l'autre ? nous plaindre cependant; nous ?tions pay?s quand apparaissait un client.
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