Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 05 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 807 lines and 79271 words, and 17 pages
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR M. A. DE LAMARTINE
TOME CINQUI?ME.
PARIS ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LA VILLE L'?V?QUE, 43. 1858
L'auteur se r?serve le droit de traduction et de reproduction ? l'?tranger.
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
REVUE MENSUELLE.
Paris.--Typographie de Firmin Didot fr?res, fils et Cie, rue Jacob, 56.
PR?AMBULE DE L'ANN?E 1858.
? MES LECTEURS.
Une partie de la presse retentit, depuis quelques semaines, d'un concert de malveillance, et d'un redoublement d'invectives contre cette modeste publication, et surtout contre son auteur. Trois sortes de journaux, qui ne paraissaient pas destin?s par leur nature ? se faire ?cho l'un ? l'autre, se signalent par plus d'acharnement contre ce qui porte mon nom:
Un journal d'exag?ration religieuse, qui donnerait la tentation d'?tre impie si l'on ne respectait pas la pi?t? jusque dans les aberrations du z?le;
Les revues et les journaux des partis de 1830, qui ne pardonnent pas leurs revers ? ceux qui ont pr?serv? la France et eux-m?mes des contre-coups de leur catastrophe;
Enfin un journal de sarcasme spirituel, ? qui tout est bon de ce qui fait rire, m?me ce qui ferait pleurer les anges dans le ciel: la d?rision pour ce qui est ? terre.
Ces journaux, nous ?viterons de les nommer.
Nous ne nous plaignons pas de cette recrudescence de col?res; nous avons bu depuis dix ans le calice jusqu'? la lie et nous n'y trouvons plus rien d'amer; mais nous nous demandons quelquefois ? nous-m?me d'o? vient un tel redoublement d'outrages personnels.
Est-ce que, pendant le peu de jours o? la n?cessit?, et non l'ambition, nous donna un r?le politique, nous avons abus? des circonstances, de la popularit? et de la force, par quelques-uns de ces s?vices, contre les partis ou contre les personnes, qui laissent dans les coeurs de justes et implacables ressentiments?
Est-ce que nous avons laiss? violer ou saccager le temple, vocif?rer contre le pr?tre, attenter ? la libre et inviolable opinion des ?mes, la foi? Est-ce que, sous le feu m?me de l'?v?nement du 24 f?vrier, ? c?t? du chef du sacerdoce de Paris, Mgr Affre, de vaillante m?moire, nous n'avons pas rouvert les ?glises sous l'?gide des citoyens arm?s, et mis le Dieu et l'autel libres hors la loi des r?volutions et des sacril?ges?
Est-ce que nous n'avons pas fait respecter, au p?ril de notre popularit? et de notre vie, ? la porte des journaux menac?s, le droit de nous injurier nous-m?me?
Est-ce que nous avons montr? une arme charg?e dans nos mains ailleurs que sur le champ de bataille de Paris, pour d?fendre la soci?t? civile attaqu?e non pas par la libert?, mais par le meurtre?
Est-ce que nous avons allum? une de ces guerres r?volutionnaires qui flattent un moment les passions militaires d'un peuple, mais qui font crier le sang des nations contre leurs auteurs longtemps apr?s que ce sang est tari?
Est-ce que, la r?volution finie, ? l'av?nement de l'Assembl?e constituante ? Paris, il a manqu? un cheveu ? une t?te, une borne ? un h?ritage, un grain de sable au champ du plus riche ou du plus pauvre des citoyens, une patrie ? un innocent?
Est-ce que nos paroles n'auraient pas ?t? aussi respectueuses pour les personnes que nos actes pour la souverainet? du pays? Est-ce qu'il nous serait ?chapp?, des l?vres, non du coeur, la plus l?g?re offense aux vaincus? Est-ce que nous n'avons pas d?cr?t? d'enthousiasme qu'il n'y avait pas de vaincus, pas de vainqueurs? qu'il n'y avait que la France appartenant du m?me droit ? tous ses enfants?
D'o? viennent donc ces repr?sailles sans griefs, sans justice et sans g?n?rosit??
H?las! faut-il le dire ? la honte de notre esp?ce? Ce n'est pas parce que nous sommes coupable, c'est parce que nous sommes malheureux!... ? renversement ?trange du sens moral dans ces coeurs contre nature! Soyez malheureux, on vous ach?ve. Le vrai crime aux yeux de ces gens-l?, c'est d'?tre sans crime: ils vous ha?ssent par d?pit de n'avoir rien ? vous pardonner.
<
Des dieux que nous servons connais la diff?rence
Et de quoi nous accusent ces ?crivains? De ce qu'il y a de plus ignominieux dans le m?tier des lettres: de chercher, selon leurs viles expressions, <
Du bruit? H?las! qu'ils savent mal lire au fond des ?mes! Ce que nous trouvons de plus amer dans les disgr?ces de la fortune, c'est pr?cis?ment d'?tre contraint ? laisser retentir le nom quand l'homme a disparu.
Le bonheur de la mort, c'est d'?tre enseveli.
L'argent? Oh! c'est diff?rent; pl?t ? Dieu que nous en eussions recueilli juste assez pour pouvoir retirer, sans remords, cette partie de nous-m?me qu'on appelle notre nom de cette dure, quoique honorable servitude, qui nous expose tous les jours ? ces fastidieux retentissements et ? ces odieuses interpr?tations de la publicit?! Si ces ennemis parviennent ? briser dans ma main cette plume de l'homme de lettres, mille fois plus respectable quand elle cherche le salaire par honneur que quand elle cherche la gloire par vanit?, ces ennemis apprendront trop tard que ce qu'ils appellent la mendicit? du travail n'?tait que le devoir de la stricte probit?. Mais la post?rit? seule appelle les choses par leur vrai nom; les contemporains les appellent par le nom qui les d?shonore. Tant mieux! Ce n'est pas assez pour le travail d'?tre le travail, il faut encore qu'il soit un opprobre; cela le rend plus m?ritoire aux yeux de cette Providence qui en a fait, pour ceux qui l'acceptent, non-seulement une loi, mais une vertu.
Et que ne diraient-elles pas, ces langues ? deux tranchants, si je me reposais dans un insoucieux loisir, tandis que ceux ? qui je dois compte de mes journ?es et de mes veilles p?riraient par mon indiff?rence et par mon oisivet?? Vous m'accuseriez, avec raison alors, du plus l?che et du plus coupable ?go?sme; car enfin daignez raisonner un moment avec vous-m?mes.
Qu'est-ce qu'un homme qui sait un m?tier quelconque, un m?tier de la main ou un m?tier de l'esprit?
Cet homme est un capital.
Qu'est-ce qui fait valoir ce capital?
C'est le travail.
Supposez que cet homme, au lieu de faire fructifier ce capital honorablement et fid?lement pour ceux auxquels il en doit le produit, st?rilise, enfouisse, an?antisse ce capital en se croisant les bras par fausse dignit? ou par insouciance d'autrui: que fait cet homme?
Il fait banqueroute de lui-m?me ? ceux auxquels il doit le produit de son activit? et le pain de leur vie.
Que pensez-vous de cet homme?
Qu'il est m?prisable aux yeux de Dieu et aux yeux des autres hommes.
Eh bien! que pensez-vous alors de vos insultes, vous qui me reprochez de travailler, c'est-?-dire vous qui m'outragez parce que je fais... quoi? ce qu'il serait d?shonorant ? moi de ne pas faire!!!
Vos m?pris seront donc un jour des ?loges; laissez-moi les prendre d?s aujourd'hui de votre bouche pour ce qu'ils sont. Je vous rends gr?ces; en cherchant ? me d?shonorer, vous avez, ? votre insu, glorifi? le travail.
Quelle cruelle incons?quence de dire ? un homme: <
Voil? cependant votre logique; ce n'est ni celle de Dieu, ni celle des hommes, ni celle de l'honneur, ni celle de l'?conomie politique! Mais c'est la logique de la malignit? humaine, qui veut enfermer un ennemi dans un cercle vicieux et l'?touffer entre deux sophismes.
Vous pouvez m'?touffer, oui, mais vous ne me d?shonorerez pas; je travaillerai jusqu'? mon dernier soupir, et si je succombe ce ne sera pas ma faute: ce sera celle de mes ennemis.
Aujourd'hui, je ne succombe pas, mais je chancelle sous le poids de beaucoup de choses plus lourdes que les ann?es: je suis pauvre des besoins d'autrui; sous ma fausse apparence de bien-?tre je ne suis pas heureux; je n'?blouis personne de tous mes prestiges ?teints ou ?clips?s; je dispute des proches, des amis, des clients, un berceau, un s?pulcre, ? l'encan des revendeurs de tombes; je suis d?sarm?, je veux l'?tre; il n'y a ni m?rite, ni force, ni gloire ? m'outrager; il y en aurait ? m'aider dans mon travail si l'on avait un autre coeur!
Que ces hommes irr?fl?chis comparent les circonstances dans lesquelles Barth?lemy me raillait de mes prosp?rit?s et les circonstances dans lesquelles ils m'invectivent de mes disgr?ces, et qu'ils prononcent! Je ne dirai pas le mot; mais qu'ils l'entendent dans le fond de leur conscience et qu'ils rougissent! Je ne veux pas d'autre vengeance qu'un regret!
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