Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 05 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 807 lines and 79271 words, and 17 pages
Que ces hommes irr?fl?chis comparent les circonstances dans lesquelles Barth?lemy me raillait de mes prosp?rit?s et les circonstances dans lesquelles ils m'invectivent de mes disgr?ces, et qu'ils prononcent! Je ne dirai pas le mot; mais qu'ils l'entendent dans le fond de leur conscience et qu'ils rougissent! Je ne veux pas d'autre vengeance qu'un regret!
LAMARTINE.
LETTRE ? ALPHONSE KARR,
JARDINIER.
Esprit de bonne humeur et ga?t? sans malice, Qui m?me en le grondant badine avec le vice, Et qui, levant la main sans frapper jusqu'aux pleurs, Ne fustige les sots qu'avec un fouet de fleurs! Nice t'a donc pr?t? le bord de ses corniches Pour te faire au soleil le nid d'algue o? tu niches; C'est donc l? que se m?le au bruit des flots dormants Le bruit r?veur et gai de tes gazouillements!
Oh! que ne puis-je, h?las! de plus pr?s les entendre? Oh! que la libert? lente se fait attendre! Quand pourrai-je, ? ce monde ayant pay? ran?on, Suspendre comme toi ma veste ? ton buisson, Et, d?chaussant mes pieds saignants de dards sans nombre, Te dire, en t'embrassant: < Nous avons trop h?l? notre front et nos mains Aux soleils, au roulis des oc?ans humains; ?chapp?s tous les deux d'un naufrage semblable, Faisons-nous sur la plage un oreiller de sable, Et qu'insensiblement, flot ? flot, pli sur pli, La mar?e en montant nous submerge d'oubli!>> Il faut ? tout beau soir son Jardin des Olives! N'est-il pas, sur le bord du champ que tu cultives, Parmi les citronniers, les cypr?s et les buis, Un maigre champ portant sa maison et son puits? Le figuier, tronc qui vit et qui meurt avec l'homme, N'y fait-il pas briller sa figue en pleurs de gomme? N'y pend-il pas aux murs ses rameaux tortueux, Comme pour subsister ou crouler avec eux? Vingt ou trente oliviers, ? l'ombre diaphane, N'y sont-ils pas pench?s par la corde de l'?ne? Sur l'?corce en lambeaux de leurs troncs ?caill?s N'y voit-on pas courir les l?zards ?veill?s? N'entend-on pas, au creux du sillon qui la br?le, La cigale aux cent voix chanter la canicule? Dans le ravin plus vert, sous l'ombre du coteau, N'y voit-on pas filtrer goutte ? goutte un peu d'eau, O?, pourvu que le Ciel avare un jour y pleuve, Alt?r? par ses chants, ton rossignol s'abreuve? N'y voit-on pas du seuil luire entre les rochers La plaine aux bleus sillons que fendent les nochers, O? la vague ? la vague, en jetant son ?cume, Passe dans la lumi?re et se perd dans la brume? N'en respire-t-on pas, jusque sur la hauteur, Comme d'un foin fauch? l'enivrante senteur? Le choc de ses flots lourds, quand l'autan les soul?ve, N'y fait-il pas voguer, rouler, trembler en r?ve? Le terrible infini qu'on voit ? l'horizon N'y refoule-t-il pas le coeur ? la maison? N'y b?nit-on pas Dieu de cet arpent de terre O? l'on repose en paix sous l'arbre s?dentaire, O? l'on s'?veille au moins comme on s'est endormi, Sur cette fourmili?re o? l'homme est la fourmi? Enfin, autour du seuil de la hutte cach?e, Ne voit-on pas toujours la terre frais b?ch?e Verdoyer du duvet des semis printaniers Dont les coeurs de laitue enfleront les paniers? La b?che au fil tranchant que le gazon essuie, L'arrosoir au long cou qui simule la pluie, L'?chelle qui se dresse aux espaliers des toits, La serpette qui tond, comme un troupeau, le bois, Le long r?teau qui peigne et qui grossit en gerbes, Quand la faux a pass?, les verts cheveux des herbes; Outils selon la plante et selon la saison, N'y sont-ils pas pendus aux clous sur la cloison? S'il est pr?s de ta mer une telle colline, Ami! pour mon hiver retiens la plus voisine. Est-on d?shonor? du m?tier qu'on exerce? Abdolonyme roi fit ce riant commerce. Tout homme avec fiert? peut vendre sa sueur! Je vends ma grappe en fruit comme tu vends ta fleur, Heureux quand son nectar, sous mon pied qui la foule, Dans mes tonneaux nombreux en ruisseaux d'ambre coule, Produisant ? son ma?tre, ivre de sa chert?, Beaucoup d'or pour payer beaucoup de libert?! Le sort nous a r?duits ? compter nos salaires, Toi des jours, moi des nuits, tous les deux mercenaires; Mais le pain bien gagn? craque mieux sous la dent: Gloire ? qui mange libre un sel ind?pendant! La Fortune, semblable ? la servante agile Qui tire l'eau du puits pour sa cruche d'argile, ?levant le seau double au chanvre suspendu, Le laisse retomber quand il est r?pandu; Ainsi, pour donner l'?me ? des foules avides, Elle nous monta pleins et nous descendit vides. Ne nous en plaignons pas; elle est esclave, et fait Le m?nage divin de son ma?tre parfait; B?nissons-la plut?t, retomb?s dans la vase, De n'avoir pas bris? tout entier l'humble vase, D'avoir bu dans l'?cuelle et de nous avoir pris Tant?t pour le pouvoir, tant?t pour le m?pris. L'un et l'autre sont bons, pourvu qu'on y respecte Le r?le de l'?toile ou celui de l'insecte: L'homme n'a de valeur qu'? son jour, ? son lieu, Brin de fil ench?ss? dans la toile de Dieu!... J'ai toujours envi? la mort de ce grand homme, Esprit ath?nien dans un consul de Rome, Dou? de tous les dons parfaits, quoique divers, Fulminant dans sa prose et r?veur dans ses vers, Cic?ron en un mot, ?me encyclop?dique, Digne de gouverner la saine r?publique, Si Rome, riche en ma?tre et pauvre en citoyen, Avait pu supporter l'oeil d'un homme de bien! Peut-?tre sous C?sar trop souple au diad?me, Mais par piti? pour Rome et non pas pour lui-m?me! Quand sous le fer tromp? C?sar fut abattu, Antoine eut peur en lui d'un reste de vertu; Fulvie aux triumvirs mendia cette t?te; Octave marchanda; L?pide, un jour de f?te, Ne pouvait refuser ce bouquet au festin; La courtisane obtint ce plaisir clandestin; La meute des soldats, qu'un d?lateur assiste, Sortit de Rome en arme et courut sur la piste. Cic?ron, cependant, par ce divin effroi Qui glace la vertu lorsque le vice est roi, De Rome, avant l'arr?t, l'?me d?j? bannie, Parcourait en proscrit sa ch?re Campanie, Tant?t quittant la plage et se fiant aux flots, Tant?t montrant du geste une ?le aux matelots; Enfin, las de trembler de retraite en retraite, Il se fit d?barquer dans ses bains de Ga?te, D?licieux jardins bord?s de mers d'azur O? le soleil reluit sur le cap blanc d'Anxur, O? les flots, s'engouffrant dans ces grottes factices, Lavaient la mosa?que, et, par les interstices, Laissant entrer le jour flottant dans le bassin, Des rayons sur les murs faisaient trembler l'essaim. Mais des soldats r?deurs les pas sourds retentirent; Par leurs gazouillements ses oiseaux l'avertirent: Quelques reflets de hache avaient d? les frapper; Remontant en liti?re, il tenta d'?chapper. Il descendait d?j? le sentier du rivage O? sa gal?re ? sec s'amarrait ? la plage, Quand on lui demanda sa t?te!--La voil?! Il tendit son cou maigre au glaive; elle roula. Le jardin qu'il aimait but le sang de son ma?tre... Ainsi mourut, au site o? se plaisait sa vie, La gloire des Romains, l'ennemi de Fulvie! Son beau cap, ses jardins, sa mer, ses bois, ses cieux, Lui pr?t?rent la place et l'heure des adieux; Ses oiseaux familiers, voletant dans la nue, Lui chant?rent au ciel sa libre bienvenue! Le sort garde-t-il mieux ? ses grands favoris? Qui ne voudrait trembler et mourir ? ce prix, L?guant comme ce sage, au sortir de la vie, Son ?me ? l'univers et sa t?te ? Fulvie? Il n'est plus de Fulvie et plus de Cic?ron; Notre Fulvie, ? nous, c'est quelque amer Fr?ron Dont la haine terrestre au feu du ciel s'allume Et qui nous percera la langue avec sa plume! LAMARTINE. COURS FAMILIER LITT?RATURE Premier de la troisi?me Ann?e. LITT?RATURE GRECQUE. L'ILIADE ET L'ODYSS?E D'HOM?RE. Mais, si nous en jugeons par les monuments ?crasants de masse et imposants de solidit?, par les montagnes des Troglodytes trou?es comme des alv?oles de ruches humaines, par les temples de granit d'un seul bloc, par les pyramides, ces Alpes du d?sert ?lanc?es au ciel d'un seul jet, par les canaux creus?s ? main d'homme comme des lits au plus d?bordant des fleuves, par ces bassins int?rieurs que tout le sable de l'?thiopie ne suffirait pas ? boire et que le percement de l'isthme de Suez s'efforce aujourd'hui de surpasser pour d?verser trois mers en une et pour placer trois continents sous la main de l'Europe; si nous en jugeons, dis-je, par ces gigantesques alphabets de pierre qui couvrent le sol de l'?gypte, sa litt?rature dut ?tre aussi puissante que son architecture, car tous les arts prennent en g?n?ral leur niveau dans une civilisation. Quand vous voyez les traces d'un immense travail d'un peuple sur la mati?re, vous pouvez conclure avec certitude que, chez un tel peuple, le travail de la pens?e a ?t? ?gal au travail de la main; l? o? vous contemplez un temple de Memphis, vous pouvez ?tre s?r qu'il y a eu une religion; l? o? vous contemplez une pyramide, vous pouvez ?tre s?r qu'il y a eu une administration civile; l? o? vous contemplez le Parth?non, vous pouvez ?tre s?r qu'il y a eu un Hom?re. Mais, je le r?p?te, nous ne connaissons de l'?gypte que son cadavre, couch? tout habill? dans la vall?e du Nil. L'?gypte est ?clips?e; l'?gypte ressemble ? ces ?toiles dont les astronomes du temps de Ptol?m?e nous parlent, mais qui se sont ou ?teintes ou enfonc?es dans les distances incommensurables de l'?ther: leur lueur, incontest?e alors, n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir du firmament. L'?gypte avait ?t? le pont d'une seule arche qui avait uni intellectuellement la Chine et les Indes litt?raires et religieuses ? la Gr?ce; mais ce pont s'est ?croul? dans le Nil, et nous ne connaissons de cette intelligence disparue que ce qui en avait pass? en Gr?ce ou ? Rome. Tout date pour nous de la Gr?ce dans les chefs-d'oeuvre de la troisi?me ?poque de l'esprit humain. Un mot sur leur auteur. Les savants disent: Ces deux po?mes furent longtemps des po?sies populaires conserv?es seulement dans la m?moire des conteurs ou chanteurs ambulants de la Gr?ce. Denys de Thrace raconte ainsi comment elles furent recueillies: Voici, au reste, comment nous avons reconstruit nous-m?me, ? une autre ?poque et dans un autre ouvrage, la vie et les oeuvres d'Hom?re, d'apr?s les monuments les plus anciens et les plus authentiques de la critique et de l'?rudition grecque. L'imagination est le second, parce qu'elle colore ces choses dans le souvenir et qu'elle les vivifie. Le sentiment est le troisi?me, parce que, ? la vue ou au souvenir de ces choses survenues et repeintes dans notre ?me, cette sensibilit? fait ressentir ? l'homme des impressions, physiques ou morales, presque aussi intenses et aussi p?n?trantes que le seraient les impressions de ces choses m?mes, si elles ?taient r?elles et pr?sentes devant nos yeux. Le jugement est le quatri?me, parce qu'il nous enseigne seul dans quel ordre, dans quelle proportion, dans quels rapports, dans quelle juste harmonie nous devons combiner et coordonner entre eux ces souvenirs, ces fant?mes, ces drames, ces sentiments imaginaires ou historiques, pour les rendre le plus conformes possible ? la r?alit?, ? la nature, ? la vraisemblance, afin qu'ils produisent sur nous-m?mes et sur les autres une impression aussi enti?re que si l'art ?tait v?rit?. Enfin, le sixi?me ?l?ment n?cessaire ? cette cr?ation int?rieure et ext?rieure qu'on appelle po?sie, c'est le sentiment musical dans l'oreille des grands po?tes, parce que la po?sie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux ? nos sens et ? notre ?me. Et si vous me demandez: Pourquoi le chant est-il une condition de la langue po?tique? je vous r?pondrai: Parce que la parole chant?e est plus belle que la parole simplement parl?e. Mais si vous allez plus loin, et si vous me demandez: Pourquoi la parole chant?e est-elle plus belle que la parole parl?e? je vous r?pondrai que je n'en sais rien, et qu'il faut le demander ? celui qui a fait les sens et l'oreille de l'homme plus voluptueusement impressionn?s par la cadence, par la sym?trie, par la mesure et par la m?lodie des sons et des mots, que par les sons et les mots inharmoniques jet?s au hasard; je vous r?pondrai que le rhythme et l'harmonie sont deux lois myst?rieuses de la nature qui constituent la souveraine beaut? ou l'ordre dans la parole. Les sph?res elles-m?mes se meuvent aux mesures d'un rhythme divin, les astres chantent; et Dieu n'est pas seulement le grand architecte, le grand math?maticien, le grand po?te des mondes, il en est aussi le grand musicien. La cr?ation est un chant dont il a mesur? la cadence et dont il ?coute la m?lodie. Mais le grand po?te, d'apr?s ce que je viens de dire, ne doit pas ?tre dou? seulement d'une m?moire vaste, d'une imagination riche, d'une sensibilit? vive, d'un jugement s?r, d'une expression forte, d'un sens musical aussi harmonieux que cadenc?; il faut qu'il soit un supr?me philosophe, car la sagesse est l'?me et la base de ses chants; il faut qu'il soit l?gislateur, car il doit comprendre les lois qui r?gissent les rapports des hommes entre eux, lois qui sont aux soci?t?s humaines et aux nations ce que le ciment est aux ?difices; il doit ?tre guerrier, car il chante souvent les batailles rang?es, les prises de villes, les invasions ou les d?fenses de territoires par les arm?es; il doit avoir le coeur d'un h?ros, car il c?l?bre les grands exploits et les grands d?vouements de l'h?ro?sme; il doit ?tre historien, car ses chants sont des r?cits; il doit ?tre ?loquent, car il fait discuter et haranguer ses personnages; il doit ?tre voyageur, car il d?crit la terre, la mer, les montagnes, les productions, les monuments, les moeurs des diff?rents peuples; il doit conna?tre la nature anim?e et inanim?e, la g?ographie, l'astronomie, la navigation, l'agriculture, les arts, les m?tiers m?me les plus vulgaires de son temps, car il parcourt dans ses chants le ciel, la terre, l'oc?an, et il prend ses comparaisons, ses tableaux, ses images, dans la marche des astres, dans la manoeuvre des vaisseaux, dans les formes et dans les habitudes des animaux les plus doux ou les plus f?roces; matelot avec les matelots, pasteur avec les pasteurs, laboureur avec les laboureurs, forgeron avec les forgerons, tisserand avec ceux qui filent les toisons des troupeaux ou qui tissent les toiles, mendiant m?me avec les mendiants aux portes des chaumi?res ou des palais. Il doit avoir l'?me na?ve comme celle des enfants, tendre, compatissante et pleine de piti? comme celle des femmes, ferme et impassible comme celle des juges et des vieillards, car il r?cite les jeux, les innocences, les candeurs de l'enfance, les amours des jeunes hommes et des belles vierges, les attachements et les d?chirements du coeur, les attendrissements de la compassion sur les mis?res du sort: il ?crit avec des larmes; son chef-d'oeuvre est d'en faire couler. Il doit inspirer aux hommes la piti?, cette plus belle des sympathies humaines, parce qu'elle est la plus d?sint?ress?e. Enfin il doit ?tre un homme pieux et rempli de la pr?sence des dieux et du culte de la Providence, car il parle du ciel autant que de la terre. Sa mission est de faire aspirer les hommes au monde invisible et sup?rieur, de faire prof?rer le nom supr?me ? toute chose, m?me muette, et de remplir toutes les ?motions qu'il suscite dans l'esprit ou dans le coeur de je ne sais quel pressentiment immortel et infini, qui est l'atmosph?re et comme l'?l?ment invisible de la Divinit?. Voici ces principales circonstances, qui se retrouvent partout, en Ionie, en Gr?ce, sur tous les ?cueils de l'Archipel. Il y avait d?j? d'autres grands po?tes avant lui et de son temps; son apostrophe aux jeunes filles de D?los l'attesterait seul. < --Jeunes filles, quel est le plus inspir? des chantres qui visitent votre ?le, et lequel aimez-vous le mieux? ?coutez, r?pondez toutes alors en vous souvenant de moi:--C'est l'homme aveugle qui habite dans la montagneuse Chio; ses chants l'emporteront ?ternellement dans l'avenir sur tous les autres chants!>> Maintenant relisons sa vie ? travers le demi-jour des traditions et des r?cits populaires de l'Archipel. Il y avait dans la ville de Magn?sie, colonie grecque de l'Asie Mineure, s?par?e de Smyrne par une cha?ne de montagnes, un homme originaire de Thessalie, nomm? M?lanopus. Il ?tait pauvre, comme le sont en g?n?ral ces hommes errants qui s'exilent de leur pays, o? ne les retiennent ni maison ni champ paternels. Il se transporta donc de Magn?sie dans une autre ville neuve et peu ?loign?e de Magn?sie, o? cette vall?e, d?j? trop peupl?e, jetait ses essaims. Cette ville s'appelait Cym?. M?lanopus s'y maria avec une jeune Grecque aussi pauvre que lui, fille d'un de ses compatriotes, nomm? Omyreth?s. Il en eut une fille unique, ? laquelle il donna le nom de Crith?is; il perdit bient?t sa femme, et, se sentant lui-m?me mourir, il l?gua sa fille, encore enfant, ? un de ses amis qui ?tait d'Argos, et qui portait le nom de Cl?anax. La beaut? de Crith?is porta malheur ? l'orpheline et porta bonheur ? la Gr?ce et au monde. Il semble qu'Hom?re, le plus merveilleux des hommes, f?t pr?destin? ? ne pas conna?tre son p?re, comme si la Providence avait voulu jeter un myst?re sur sa naissance afin d'accro?tre le prestige autour de son berceau. Crith?is inspira de l'amour ? un inconnu, se laissa surprendre ou s?duire. Sa faute ayant ?clat? aux yeux de la famille de Cl?anax, cette famille craignit d'?tre d?shonor?e par la pr?sence d'un enfant ill?gitime ? son foyer. On cacha la faiblesse de Crith?is, et on l'envoya dans une autre colonie grecque qui se peuplait en ce temps-l? au fond du golfe d'Hermus, et qui s'appelait Smyrne. Crith?is, portant dans son sein celui qui couvrait alors son front de honte, et qui devait un jour couvrir son nom de c?l?brit?, re?ut asile ? Smyrne chez un parent de Cl?anax, n? en B?otie et transplant? dans la nouvelle colonie grecque; il se nommait Ism?nias. On ignore si cet homme connaissait ou ignorait l'?tat de Crith?is, qui passait sans doute pour veuve ou pour mari?e ? Cym?. Les compagnes de Crith?is ramen?rent la jeune fille et rapport?rent l'enfant nu, dans leurs bras, ? Smyrne, dans la maison d'Ism?nias. C'est de ce jour que le ruisseau obscur qui serpente entre les cypr?s et les joncs autour du faubourg de Smyrne a pris un nom qui l'?gale aux fleuves. La gloire d'un enfant remonte pour l'?clairer jusqu'au brin d'herbe o? il fut couch? en tombant du sein de sa m?re. Les traditions racontent et les anciens ont ?crit qu'Orph?e, le premier des po?tes grecs qui chanta en vers des hymnes aux immortels, fut d?chir? en lambeaux par les femmes du mont Rhodope, irrit?es de ce qu'il enseignait des dieux plus grands que les leurs; que sa t?te, s?par?e de son corps, fut jet?e par elles dans l'H?bre, fleuve dont l'embouchure est ? plus de cent lieues de Smyrne; que le fleuve roula cette t?te encore harmonieuse jusqu'? la mer; que les vagues, ? leur tour, la port?rent jusqu'? l'embouchure du M?l?s; que cette t?te ?choua sur l'herbe, pr?s de la prairie o? Crith?is mit au monde son enfant, comme pour venir d'elle-m?me transmettre son ?me et son inspiration ? Hom?re. Les rossignols, pr?s de sa tombe, ajoutent-ils, chantent plus m?lodieusement qu'ailleurs. Soit qu'Ism?nias f?t trop pauvre pour nourrir la m?re et l'enfant, soit que la naissance de ce fils sans p?re e?t jet? quelque ombre sur la r?putation de Crith?is, il la cong?dia de son foyer. Elle chercha pour elle et pour son enfant un asile et un protecteur de porte en porte. Il y avait en ce temps-l?, ? Smyrne, un homme peu riche aussi, mais bon et inspir? par le coeur, tels que le sont souvent les hommes d?tach?s des choses p?rissables par l'?tude des choses ?ternelles; il se nommait Ph?mius; il tenait une ?cole de chant. On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint ? l'imagination, au coeur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l'?criture, les lettres, l'?loquence, les vers, la musique; car ce que les anciens entendaient par musique s'appliquait ? l'?me autant qu'aux oreilles. Les vers se chantaient et ne se r?citaient pas. Cette musique n'?tait que l'art de conformer le vers ? l'accent et l'accent aux vers. Voil? pourquoi on appelait l'?cole de Ph?mius une ?cole de musique: musique de l'?me et de l'oreille, qui s'emparait de l'homme tout entier. Ph?mius avait, pour tout salaire des soins qu'il prenait de cette jeunesse, la r?tribution, non en argent, mais en nature, que les parents lui donnaient pour prix de l'?ducation re?ue par leurs fils. Les montagnes qui encadrent le golfe d'Hermus, au fond duquel s'?l?ve Smyrne, ?taient alors, comme elles sont encore aujourd'hui, une contr?e pastorale riche en troupeaux; les femmes filaient les laines pour faire ces tapis, industrie h?r?ditaire de l'Ionie. Chacun des enfants, en venant ? l'?cole de Ph?mius, lui apportait une toison enti?re ou une poign?e de toison des brebis de son p?re. Ph?mius les faisait filer par ses servantes, les teignait et les ?changeait ensuite, pr?tes pour le m?tier, contre les choses n?cessaires ? la vie de l'homme. Crith?is, qui avait entendu parler de la bont? de ce ma?tre d'?cole pour les enfants, parce qu'elle songeait d'avance sans doute ? lui confier le sien quand il serait en ?ge, conduisit son fils par la main au seuil de Ph?mius. Il fut touch? de la beaut? et des larmes de la jeune fille, de l'?ge et de l'abandon de l'enfant; il re?ut Crith?is dans sa maison comme servante; il lui permit de garder et de nourrir avec elle son fils; il employa la jeune Magn?sienne ? filer les laines qu'il recevait pour prix de ses le?ons. Il trouva Crith?is aussi modeste, aussi laborieuse et aussi habile qu'elle ?tait belle; il s'attacha ? l'enfant, dont l'intelligence pr?coce faisait pr?sager je ne sais quelle gloire ? la maison o? les dieux l'avaient conduit; il proposa ? Crith?is de l'?pouser, et de donner ainsi un p?re ? son fils. L'hospitalit? et l'amour de Ph?mius, l'int?r?t de l'enfant touch?rent ? la fois le coeur de la jeune femme; elle devint l'?pouse du ma?tre d'?cole et la ma?tresse de la maison dont elle avait abord? le seuil en suppliante, quelques ann?es avant. Au retour du printemps, des vagues aplanies et des vents ti?des, il reprit sa navigation vers le golfe d'Ath?nes. Les matelots du navire qui le portait ayant ?t? retenus par la temp?te dans la rade de la petite ?le d'Ios, Hom?re sentit que la vie se retirait de lui. Il se fit transporter au bord de l'?le pour mourir plus en paix, couch? au soleil, sur le sable du rivage. Ses compagnons lui avaient dress? une couche sous la voile, aupr?s de la mer. Les habitants riches de la ville ?loign?e du rivage, inform?s de la pr?sence et de la maladie du po?te, descendirent de la colline pour lui offrir leur demeure et pour lui apporter des soulagements, des dons et des hommages. Les bergers, les p?cheurs et les matelots de la c?te accoururent pour lui demander des oracles, comme ? une voix des dieux sur la terre. Il continua ? parler en langage divin avec les hommes lettr?s, et ? s'entretenir, jusqu'? son dernier soupir, avec les hommes simples dont il avait d?crit tant de fois les moeurs, les travaux et les mis?res dans ses po?mes. Son ?me avait pass? tout enti?re dans leur m?moire avec ses chants; en la rendant aux dieux il ne l'enlevait pas ? la terre: elle ?tait devenue l'?me de toute la Gr?ce; elle allait devenir bient?t celle de toute l'antiquit?. Apr?s qu'il eut expir? sur cette plage, au bord des flots, comme un naufrag? de la vie, l'enfant qui servait de lumi?re ? ses pas, ses compagnons, les habitants de la ville et les p?cheurs de la c?te lui creus?rent une tombe dans le sable, ? la place m?me o? il avait voulu mourir. Ils y roul?rent une roche, sur laquelle ils grav?rent au ciseau ces mots: <
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