Read Ebook: La vie de Rossini tome I by Stendhal
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Ebook has 721 lines and 79381 words, and 15 pages
Je remarquerai en passant que la musique est un art vivant en Italie, uniquement parce que tous les grands th??tres ont l'obligation de donner des op?ras nouveaux ? certaines ?poques de l'ann?e; sans quoi, sous pr?texte d'admirer les anciens compositeurs, les p?dants du pays n'auraient pas manqu? d'?touffer et de proscrire tous les g?nies naissants; ils n'eussent laiss? prosp?rer que de plats copistes.
Apr?s Cimarosa et avant Rossini, deux noms se pr?sentent, Mayer et Pa?r.
Mayer, Allemand perfectionn? en Italie, et qui depuis quarante ans s'est fix? ? Bergame, a donn? une cinquantaine d'op?ras, de 1795 ? 1820. Il eut du succ?s, parce qu'il pr?sentait au public une petite nouveaut? qui surprenait, et attachait l'oreille. Son talent consistait ? mettre dans l'orchestre, et dans les ritournelles et les accompagnements des airs, les richesses d'harmonie qu'? la m?me ?poque Haydn et Mozart cr?aient en Allemagne. Il ne savait gu?re faire chanter la voix humaine, mais il faisait parler les instruments.
Le sentiment des Allemands, trop d?gag? des liens terrestres, et trop nourri d'imagination, tombe facilement dans ce que nous appelons en France le genre niais. Les t?tes qui ?prouvent des passions en Allemagne, manquant de logique, supposent bient?t l'existence de ce dont elles ont besoin.
Ah chi pu? mirarla in volto E non ardere d'amor!
Mayer a eu la bonne fortune de trouver une m?lodie italienne pour exprimer cette id?e charmante. Toutes les ?mes tendres et douces plut?t qu'?nergiques pr?f?reront ce duetto, je n'en fais aucun doute, aux traits les plus vifs de Rossini et de Cimarosa.
Dans le genre bouffe, Mayer a eu la grosse gaiet? d'un bonhomme sans esprit.
Sei morelli e quatro baj,
Mentr'io ero un mascalzone,
Amicone del mio core,
Cimarosa n'e?t-il pas faits sur un tel sujet?
Le M?lomane v?ritable, ridicule assez rare en France, o? d'ordinaire il n'est qu'une pr?tention de la vanit?, se trouve ? chaque pas en Italie.
Lorsque j'?tais en garnison ? Brescia, l'on me fit faire la connaissance de l'homme du pays qui ?tait peut-?tre le plus sensible ? la musique. Il ?tait fort doux et fort poli; mais quand il se trouvait ? un concert, et que la musique lui plaisait ? un certain point, il ?tait ses souliers sans s'en apercevoir. Arrivait-on ? un passage sublime, il ne manquait jamais de lancer ses souliers derri?re lui sur les spectateurs.
J'ai vu ? Bologne le plus avare des hommes jeter ses ?cus ? terre, et faire une mine de poss?d?, quand la musique lui plaisait au plus haut degr?.
Je crois qu'apr?s Mayer, M. Pa?r, musicien n? ? Parme, malgr? son nom allemand, est celui de tous les compositeurs de l'interr?gne qui a eu le succ?s le plus europ?en. Cela tient peut-?tre ? ce que M. Pa?r, outre un talent incontestable et tr?s remarquable, est un homme tr?s-fin, de beaucoup d'esprit, et fort agr?able dans le monde. On dit qu'une des preuves les plus frappantes de cet esprit a ?t? de tenir huit ans de suite Rossini cach? aux Parisiens. Notez que s'il y eut jamais un homme fait pour plaire ? des Fran?ais, c'est Rossini, Rossini le Voltaire de la musique.
Madame Pa?r, femme du compositeur, et fort bonne cantatrice, s'est toujours acquitt?e, en Italie, du r?le de Camille; elle y a eu les plus grands succ?s, et ces succ?s ont dur? dix ans; je ne vois gu?re aujourd'hui que madame Pasta qui p?t jouer Camille avec talent. Ce talent am?nerait-il la vogue? Rossini nous a accoutum?s ? la surabondance des id?es, Mozart ? leur profondeur; il est peut-?tre bien tard pour la musique de Gluck.
Apr?s MM. Mayer et Pa?r, les deux hommes c?l?bres de l'interr?gne qui s'?coula entre Cimarosa et Rossini, il me reste ? nommer quelques talents inf?rieurs. Je renvoie ces noms-l? ? l'appendice.
MOZART EN ITALIE
J'oubliais qu'il faut encore parler de Mozart, avant de nous occuper pour toujours, et exclusivement, de Rossini.
La sc?ne musicale en Italie ?tait occup?e depuis dix ans par MM. Mayer, Pa?r, Pavesi, Zingarelli, Generali, Fioravanti, Weigl, et par une trentaine de noms plus ou moins oubli?s aujourd'hui, et qui y r?gnaient tranquillement. Ces messieurs se croyaient les successeurs des Cimarosa et des Pergol?se, le public le croyait aussi; Mozart parut tout ? coup comme un colosse au milieu de tous ces petits compositeurs italiens, qui n'?taient grands que par l'absence des grands hommes.
Vers 1803, les triomphes de Mozart ? Munich et ? Vienne vinrent importuner les dilettanti d'Italie, qui d'abord refus?rent bravement d'y croire. Un barbare venir moissonner dans le champ des arts! On connaissait depuis longtemps ses symphonies et ses quatuors, mais Mozart faire de la musique pour la voix! On dit de lui ce que le parti des vieilles id?es dit en France de Shakspeare: <
Voil? ce qu'on disait chez la comtesse Bianca et dans d'autres loges de personnes de la premi?re distinction de la ville, que je ne nomme pas pour ne point les compromettre. Je passe sous silence les injures grossi?res des journaux ?crits par les agents de la police. La cause de Mozart semblait perdue, et scandaleusement perdue.
Aujourd'hui Mozart est ? peu pr?s compris en Italie, mais il est loin d'y ?tre senti. Son principal effet dans l'opinion publique a ?t? de jeter au second rang Mayer, Weigl, Winter, et toute la faction allemande.
DU STYLE DE MOZART
Aujourd'hui, en 1823, les Italiens, apr?s une belle r?sistance de dix ans, ayant cess? d'?tre hypocrites en parlant de Mozart leur voix m?rite d'?tre compt?e, et leur jugement pris en consid?ration.
La science de l'Harmonie peut faire tous les progr?s qu'on voudra supposer, on verra toujours avec ?tonnement que Mozart est all? au bout de toutes les routes. Ainsi, quant ? la partie m?canique de son art, il ne sera jamais vaincu. C'est comme un peintre qui entreprendrait de faire mieux que le Titien, pour la v?rit? et la force des couleurs; ou mieux que Racine, pour la beaut? des vers, la d?licatesse et la convenance des sentiments.
Quant ? la partie morale, Mozart est toujours s?r d'emporter avec lui, dans le tourbillon de son g?nie, les ?mes tendres et r?veuses, et de les forcer ? s'occuper d'images touchantes et tristes. Quelquefois la force de sa musique est telle, que l'image pr?sent?e restant fort indistincte, l'?me se sent tout ? coup envahie et comme inond?e de m?lancolie. Rossini amuse toujours, Mozart n'amuse jamais; c'est comme une ma?tresse s?rieuse et souvent triste, mais qu'on aime davantage, pr?cis?ment ? cause de sa tristesse; ces femmes-l?, ou manquent tout ? fait de faire effet, et passent sous le nom de prudes, ou, si elles touchent une fois, font une impression profonde et s'emparent de l'?me tout enti?re et pour toujours. Mozart est ? la mode dans la haute soci?t?, qui, quoique n?cessairement sans passions, pr?tend toujours faire croire qu'elle a des passions, et qu'elle est ?prise des grandes passions. Tant que cette mode durera, l'on ne pourra pas juger avec s?ret? du v?ritable effet de sa musique sur le coeur humain.
En Italie, il y a certains amateurs qui, quoique en petit nombre, parviennent, ? la longue, ? faire l'opinion dans les beaux-arts. Leur succ?s vient: 1? de ce qu'ils sont de bonne foi; 2? de ce que peu ? peu leur voix se fait entendre de tous les esprits faits pour avoir une opinion, et qui n'ont besoin que de l'entendre ?noncer; 3? enfin, de ce que, pendant que tout change autour d'eux, suivant les caprices de la mode, eux n'?l?vent jamais la voix, mais, quand ils sont interrog?s, r?p?tent toujours et avec modestie le m?me sentiment.
Il en est de m?me du duetto:
L? ci darem la mano L? mi dirai di si.
Va, Tu ne plairas jamais ? qui j'aurai su plaire.
Ces gens de go?t d'Italie, dont je parlais nagu?re, disent que si Rossini ne brille pas par la verve comique et la richesse d'id?es au m?me degr? que Cimarosa, il l'emporte sur le Napolitain par la vivacit? et la rapidit? de son style. On le voit sans cesse syncoper les phrases que Cimarosa prend toujours le soin de d?velopper jusque dans leurs derni?res cons?quences. Si Rossini n'a jamais fait un air aussi comique que
Amicone del mio core,
Cimarosa n'a jamais fait de duetto aussi rapide que celui d'Almaviva avec Figaro,
Oggi arriva un reggimento ? mio amico il colonello,
ou un duetto aussi l?ger que celui de Rosine avec Figaro . Mozart n'a rien de tout cela, ni l?g?ret?, ni comique; il est le contraire, non-seulement de Rossini, mais presque de Cimarosa. Jamais il ne lui serait venu de ne pas mettre de m?lancolie dans l'air
Quelle pupille tenere,
Il ne comprenait pas qu'on p?t ne pas trembler en aimant.
Jamais Rossini n'a fait quelque chose d'aussi touchant que le duetto:
Crudel, perch? finora farmi languir cos??
Jamais il n'a fait quelque chose d'aussi comique que:
Mentr'io ero un mascalzone,
Mais jamais Mozart et Cimarosa n'ont fait quelque chose d'aussi vif et d'aussi l?ger que le duetto:
D'un bel uso di Turchia
C'est, ce me semble, dans ce sens qu'il faut marcher pour bien se p?n?trer du style de ces trois grands ma?tres, qui, suivis chacun de la tourbe de ses imitateurs, se partagent maintenant en Europe la sc?ne musicale. Pour qui sait entendre, on les imite m?me dans les petites musiques de Feydeau. Mais occupons-nous enfin de Rossini.
FIN DE L'INTRODUCTION
VIE DE ROSSINI
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