Read Ebook: Le chanteur parisien Recueil des chansons de L.A. Pitou by Pitou Louis Ange
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Ebook has 417 lines and 24931 words, and 9 pages
Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.
CHANTEUR PARISIEN.
RECUEIL
DES CHANSONS DE L. A. PITOU,
AVEC
Un Almanach-Tablette des grands ?v?nements depuis 1787 jusqu'? 1808, chaque fait plac? ? son rang de date et de jour, ou Calendrier ?ph?m?ride pour l'ann?e 1808;
Jadis j'ai vendu des chansons et d'excellentes aventures.
PARIS,
Chez L. A. PITOU, libraire, rue Croix-des-Petits-Champs, n?. 21, pr?s celle du Bouloy.
DE L'IMPRIMERIE DES FR?RES MAME, rue du Pot-de-Fer, n?. 14.
ON TROUVE A LA M?ME ADRESSE:
Voyage ? Cayenne, dans les deux Am?riques et chez les Antropophages; ouvrage orn? de gravures, contenant le tableau g?n?ral des d?port?s, la vie et les causes de l'exil de l'auteur, des notions sur Collot-d'Herbois et Billaud-de-Varennes, sur les ?les S?chelles, etc., 2 volumes in-8. de 400 pages chacun, seconde ?dition. Prix, 7 fr. 50 cent. pour Paris.
PR?FACE.
COMMENT JE M'?TAIS FAIT CHANTEUR.
Je me souviens toujours avec plaisir d'avoir chant? ? Paris, depuis 1795 jusqu'en 1797, pour chasser la mis?re et gagner ma vie, et je remercie le public d'avoir d?pos? en ma faveur le pr?jug? qu'il a contre tous ceux qui exercent la m?me profession que moi. Jadis les troubadours inspir?rent aux Fran?ais cette gaiet? qui fera toujours notre caract?re distinctif: mais, depuis notre civilisation, tout le monde a voulu chanter, et la paresse, la mis?re, l'ignorance et la mauvaise conduite ont bient?t fait pulluler les chanteurs. C'?tait autrefois un ?tat consid?r?, et m?me lucratif; car les premiers troubadours ?taient instruits, gais et probes. Ils ne chantaient que par d?lassement leurs ma?tresses, leurs infortunes, et les exploits des sires, des damoisels et des ch?telains. Ils voyageaient pour s'instruire; ils trouvaient un asile chez les grands dont ils composaient l'histoire en vers gothiques.
Un grain de vanit? est le partage de tous les hommes: le nain prend des ?chasses, pour s'?galer au g?ant; ainsi je me crus historien en me faisant chanteur.
Dans le premier volume de mon Voyage ? Cayenne j'ai parl? des motifs qui me forc?rent ? chanter en public; beaucoup de personnes me croient mort, d'autres viennent me demander si r?ellement c'est bien moi? Oui, oui, leur dis-je, j'ai travers? gaiement une fournaise ardente; j'ai ?crit mon voyage, j'ai chant? au milieu des tourments: ? ma voix, le T?nare a souri.... Aujourd'hui, je joins au r?cit de mes traverses, et les chansons qui m'ont fait exiler, et les airs qui m'ont pr?serv? des influences malignes du climat d?vastateur que j'ai foul? pendant trente mois.
Voyage ? Cayenne, 2 volumes in-8., avec figures; chez L. A. Pitou, libraire, rue Croix-des-Petits-Champs, n?. 21. Prix, 7 fr. 50 cent.
Si mon retour fait croire aux revenants, c'est que je suis revenu d'un autre monde avec la m?me gaiet? que j'avais avant mon d?part.
Toutes les fois que je passe dans la rue Saint-Denis, je m'arr?te ? consid?rer la maison de l'Homme Arm?, o? je d?butai en 1795, le premier juillet, ? cinq heures du matin. Une marchande de la halle, qui s'aper?ut que je m'enrouais ? force de chanter contre l'agiotage, me dit en style ?nergique, qu'un chanteur sans violon sonnait comme un pot cass?. J'avais fait ma journ?e, et j'allai compter ma recette dans un petit cabaret borgne, o? je trouvai des gens attabl?s, qui me donn?rent un gros morceau de pain!.... Dans ce moment de disette, ce fut pour moi un gros morceau d'or: je donnai en retour quelques cahiers de chansons.
A six heures et demie, je m'en retournai chez moi, persuad? qu'en me retirant tous les jours ? la m?me heure je ne serais reconnu de personne, le jour ne venant ordinairement qu'? dix heures du matin chez les gens du bon ton; mais la faim, qui chasse le loup du bois, r?veilloit alors tout le monde avant l'aurore, et je me trouvai cach? au milieu des halles, comme la perdrix qui met sa t?te sous l'aile pour se d?rober au chasseur.
Nous allons compter notre recette, et d?je?ner ? un petit cabaret; c'?tait la galerie de mon musicien et le rendez-vous des autres chanteurs. Je payai mon entr?e. Bient?t les accords discordants des chanteurs et chanteuses font une cacophonie risible. Les savants composent en un clin d'oeil de la prose, et des vers outre mesure. Les censeurs et les admirateurs sont des comm?res du march? aux poir?es, qui viennent avec leurs amoureux affubl?s d'un large chapeau blanc et la pipe en gueule, juger l'impromptu fait ? coup de verres. Comme je figure dans cette tabagie, au milieu d'un nuage de fum?e, les coudes appuy?s sur une table couverte d'une serpilli?re humide, grise, rouge, brune et violette!
L'homme qui se trouve l? dans sa sph?re, gagnant de l'argent sans beaucoup de peine, le d?pense de m?me, et ne compte jamais pour l'avenir.
Ici, commence la d?marcation entre l'?tre oisif et tar?, et l'honn?te indigent qui s'accroche ? une branche, se secoue sur le rivage au milieu des nageurs, et sait faire de n?cessit? vertu.
Une jolie femme disait un jour ? une d?vote qui r?pondait de sa vertu, que l'amour ?tait par-tout le m?me et qu'il n'y a que mani?re de le faire. Que d'actions sont susceptibles du m?me proverbe! Quand je commen?ai ? para?tre en public, j'avais contre moi-m?me le pr?jug? que je reconnaissais aux autres; et ce pr?jug? ?tait une mauvaise honte qui me faisait rougir de ma profession. En m'interrogeant par ma d?tresse, je me r?pondais que cet acte de courage ?tait louable, puis tout ? coup je me rendais aux clameurs du pr?jug?: cette dispute de moi-m?me contre moi-m?me ne dura pas long-temps: l'accueil et la bienveillance du public m'auraient presque fait tomber dans un autre exc?s. Je prie le lecteur de faire attention ? cet instant. Il est d?cisif, et tous les hommes se trouvent plus ou moins souvent dans la m?me passe. De la coupe de cette jointure des circonstances d?pend toujours la pr?tendue fatalit? de malheur ou de bonheur attach?e ? nos pas ou plut?t ? nos d?terminations: ce moment est aussi prompt qu'un ?clair.
En chantant sur les places, je me trouvai associ? ? la plupart des gens sans ?tat et sans consid?ration; le public, qui devina les motifs qui m'avaient r?duit l?, vint me voir avec autant de curiosit? que d'int?r?t et de plaisir. L'argent ne me manqua plus: je faisais jusqu'? cinquante francs de recette par jour. En 1796, moment o? le num?raire ne commen?ait qu'? repara?tre, je nageais dans l'abondance au milieu de la disette. Cette abondance me donna le go?t du plaisir et de la dissipation. On ne se doute pas des rencontres que trouve un acteur et un chanteur; sa physionomie, que tout le monde regarde sans contrainte, s'imprime plus ou moins dans la m?moire et dans le coeur de ceux qui l'entourent. De l? ces pr?venances, ces visites, ces avances qu'on lui fait sans cons?quence et sans crainte. S'il assaisonne ses vaudevilles de quelques lazzis ou quolibets, la petite fille qui ne d?sire qu'un amant entreprenant les prend pour elle, et le chanteur remplace l'amant timide qui se g?ne en sa pr?sence.
Deux hommes aimables se pr?sentent dans un cercle; l'un est libre, l'autre a fait un choix; le premier sera assidu et galant aupr?s de toutes les femmes, le second sera poli; le premier aura dix ma?tresses sans y songer, sans excepter m?me celle de son ami. La vanit? de plaire est souvent plus puissante que l'amour, elle se prend pour lui: plus un homme est expos? aux regards, s'il est go?t? du public ou de la soci?t?, plus on s'oublie pour lui faire des avances. On ne rougit m?me pas d'acheter ses faveurs.
Les marchands de la place Saint-Germain-l'Auxerrois, o? j'avais ?tabli mon th??tre ambulant, m'ont vu plus d'une fois refuser diff?rents cadeaux; les commissionnaires insister, au point qu'un jour je remis sur la borne trois paires de bas de soie qu'on venait de me pr?senter en plein jour. Et je ne me rappelle jamais sans rire la ruse d'une jeune femme qui, se trouvant un jour ? mon cercle avec son vieux mari, vint le lendemain chez moi me gronder de l'avoir regard?e en public, et pour appuyer sa plainte, me montrer une contusion qu'il lui avait faite au cou, en la mena?ant du divorce si jamais elle revenait m'entendre: je la voyais pour la premi?re fois. Un jour, au sortir de plaider ma cause pour mes chansons, je fus accost? par une autre qui me pria de lui montrer la musique.--Madame, je ne la sais pas.--N'importe, dit-elle, mon mari est vieux et aveugle, nous lui ferons compagnie, et vous serez musicien.--Mais, madame, on le pr?viendra.--Je me charge de tout.--Je vous tromperais, madame, j'ai une amie.--Et moi un mari. Ainsi l'amour ou le caprice sautent ? pieds joints sur toutes les biens?ances; et les femmes sont plus ent?t?es que nous dans leurs r?solutions, et plus habiles ? en venir ? leurs fins. Ce vertige pass? il ne reste pas une ?tincelle d'amour, et l'homme est souvent dupe de l'illusion.
Je ne connais pas de moyens plus dangereux que ces chances de bonne fortune pour plonger l'homme dans l'oubli de son ?tre, de son ?tat, de son coeur et de ses facult?s morales et physiques. Les anciens nous ont d?peint cette v?rit? dans la fable de Circ?: tous les chanteurs, comme les compagnons d'Ulysse, sont entour?s de femmes plus ou moins dignes de respect, qui les plongent dans l'ivrognerie, l'oisivet? et la stupeur: les lib?ralit?s de ces femmes font perdre ? leurs amants cette d?licatesse qui distingue l'honn?te homme en amour du traitant d?hont?: souvent elles volent ce qu'elles donnent au favori receleur, et le tout se termine quelquefois par une association qui finit d'une mani?re aussi honteuse que d?plorable.
Sous ce point de vue, mon pr?jug? contre moi-m?me ?tait raisonnable de ma part comme de celle du public; mais ma conduite me permet d'avouer que j'ai ?t? chanteur sans que personne ait ? rougir de me donner cette qualification. Si j'ai vaincu le pr?jug? et la mauvaise honte, je ne l'ai pas d?racin? dans tous les esprits; car l'?pith?te de chanteur m'a fait juger incapable d'occuper certaines places, et j'ai admir? plus d'une fois l'incons?quence de certaines gens qui, me trouvant propre ? tout autre emploi, m'?liminaient directement parce que je professais celui-l?: c'?tait me dire de n'en prendre aucun ou d'en choisir un moins honn?te, et de le faire adroitement. Le monde est plein de ces donneurs de conseils qui vous trouvent du m?rite pour tous les emplois dont ils ne disposent pas, et l'eau b?nite de cour se r?pand par-tout.
Du reste, mes malheurs et l'estime publique sont ma meilleure r?ponse contre le pr?jug? attach? ? la profession de chanteur. C'est dans cet ?tat, comme dans les prisons, que j'ai appris ce qu'il en co?te pour ?tre honn?te homme. Si l'app?t de l'or e?t pu me s?duire, je serais riche et consid?r?; mais j'aurais perdu le seul titre qui me console dans ma m?diocrit?. J'ai lutt? dix ans contre l'adversit?; la fortune qui m'a trouv? in?branlable ? mon d?part comme ? mon retour, m'a conduit au port lorsque je me pr?parais encore ? une tourmente. On m'a demand? les vaudevilles qui me firent voir les bords de la Guyane. Comme on rit du mal pass? et que le voyageur, dans un temps calme, revoit avec plaisir les lieux afflig?s par l'orage, ce petit m?morial, que personne ne sera tent? de r?diger ? aussi cher gage que moi, nous para?t aujourd'hui dans le calme du r?veil un songe affreux dont le souvenir nous pla?t et nous corrigerait pour l'avenir.
Je composerai ce recueil,
LE CHANTEUR
PARISIEN.
LE PR?JUG? VAINCU.
L'amour inventa l'art de plaire, Celui de peindre et de chanter. Daphnis, aupr?s de sa berg?re, Chanta le premier l'art d'aimer. Hom?re, apr?s lui dans la Gr?ce Chantant ses vers harmonieux, Sut apprivoiser la rudesse De ce peuple de demi-dieux.
Des tyrans les projets superbes Ont tout mis en combustion; Soudain je vois relever Th?bes, Par les doux accords d'Amphion. En Thrace le sensible Orph?e Chante l'amour et ses malheurs; Sa lyre lui fraye une entr?e Dans le sombre manoir des pleurs.
Le sort, qui d'un cardeur de laine Avait fait un l?gislateur, Me donna la force et l'haleine, Et le talent d'?tre chanteur. Modeste au lit tout comme ? table, Je ne cherche point le haut bout, Croyant qu'il faut pour ?tre aimable Rester plus couch? que debout.
LES MANDATS DE CYTH?RE.
Au mois de mai 1796, on donna au th??tre de la Cit? les Mandats de Cyth?re. Je fis les couplets suivants qui me firent condamner ? une amende de 1000 liv. en mandats, somme que j'acquittai pour 2 liv, 10 s. en argent, au mois de septembre de la m?me ann?e.
En France, en Europe, ? Cyth?re, On veut fabriquer des mandats. L'amour, en prenant ses ?bats, Disait l'autre jour ? sa m?re. Prendront-ils, ne prendront-ils pas? C'est ce que nous ne savons pas.
A l'entreprise je pr?side, Dit V?nus montrant ses ?tats; J'hypoth?querai nos mandats Sur le double monde de Guide. Prendront-ils, ne prendront-ils pas? Oh, ma foi, nous n'en doutons pas.
Deux beaux yeux, une belle bouche, Deux globes taill?s pour l'amour; L'?lys?e ou le dieu du jour N'entre que quand Priape y couche, Sont les secrets de nos ?tats Pour hypoth?quer nos mandats.
Si les l?gislateurs de France Avaient d'aussi jolis ?tats, Ils seraient moins dans l'embarras Pour d?brouiller notre finance: Car chez nous toujours les mandats Sont au pair avec les ducats.
Dans notre aimable r?publique On b?nit le contrefacteur, Et sur le front du d?lateur Croissent les cornes du tropique. En tous temps nos jolis mandats Sont au pair avec les ducats.
L'amour voyant venir Glyc?re, Pour ?changer ses assignats, Lui donne un rouleau de mandats Qu'il avait re?us de sa m?re. La friponne disait tout bas.... Que ce rouleau vaut de ducats!
Une vieille en perruque blonde, Dont le temps ride les appas, Veut captiver le beau Lucas Et rena?tre dans le grand monde. Pour certain rouleau de mandats, Elle offrira mille ducats.
Un vieux Mondor de l'assembl?e De Lise veut voir les ?tats; Il offre un rouleau de mandats, Timbr? par une planche us?e; Mais Lise lui dit: vos mandats Perdent, cent contre mes ducats.
Les mandats ?taient un papier-monnaie, d?cr?t? en avril 1796, en remplacement des assignats. En ao?t il perdait autant que l'assignat, c'est-?-dire, neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit trois quarts pour cent.... Ce qui les fit appeler, dans le temps, enfants mort-n?s.
LES PATENTES.
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