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Read Ebook: La Robe brodée d'argent by Maryan M

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Ebook has 2191 lines and 84658 words, and 44 pages

A LA M?ME LIBRAIRIE

DU M?ME AUTEUR:

M. MARYAN

LA ROBE BROD?E D'ARGENT

PARIS

HENRI GAUTIER, SUCCESSEUR

LA ROBE BROD?E D'ARGENT

CHAPITRE I

LANDRY DESMOUTIERS A S?VERIN DE SALLES

<

>>Ah! S?verin, quels jours je vis! Quelles impressions vraiment neuves, inattendues, dans l'enivrante solitude de ce voyage, et l'entra?nante vitesse de mon incomparable auto!

>>Quand je pense que ma ch?re m?re croyait m'avoir fait conna?tre la Bretagne! Aussi bien la trouvais-je un peu banale et d?cevante dans ses villes, et m?me dans les sites c?l?bres envahis par les touristes. Mais je l'ai d?couverte, la vraie, la sauvage, l'indomptable, la m?lancolique, la charmeuse! Je l'ai d?couverte dans ses chemins bord?s de ch?nes et de gen?ts qui, effleur?s par l'auto, font pleuvoir sur moi des feuilles vertes et des fleurs d'or,--sur ses gr?ves solitaires o? la mer, bleu d'azur ou vert d'?meraude, est toujours agit?e dans sa noire ceinture de rochers,--dans les villages perdus d'o? s'?lancent des clochers en dentelle,--et surtout, peut-?tre, je l'ai reconnue et salu?e sur les pentes arides des monts d'Arrez.

>>Voici deux jours que j'erre en tous sens sur ces plateaux o? souffle librement une brise ?pre, dans le d?dale vraiment d?sol? de ces vall?es o? cro?t seul l'ajonc ?pineux, sur les croupes arrondies de ces collines, sur la terre brune desquelles pousse un thym maigre et ras, br?l? par le vent et le soleil. La vue est incomparable dans sa tristesse: au-del? des cimes rondes et nues qui moutonnent autour de moi, c'est, d'un c?t?, la mer sans bornes; de l'autre, la sombre cha?ne des Montagnes Noires. ?? et l?, la silhouette grise d'une chapelle, une chaumi?re isol?e.... Je passe des heures sans apercevoir une figure humaine; mais quelle note pittoresque offrent les rares passants! Tant?t c'est un paysan v?tu de bure brune, conduisant un attelage de ces petits chevaux alertes, infatigables, qui prennent leur nom de ces montagnes m?mes; tant?t c'est une femme ? la coiffe monastique, qui, effray?e de voir l'auto, rassemble comme des poussins les petits sauvages aux cheveux de lin qui s'?battent sur la route.

>>Point d'arbres, partant, point d'oiseaux, si ce n'est un vol de corbeaux s'enlevant, tr?s noirs, sur le ciel gris perle. Un silence impressionnant, une pauvret? grandiose, une indicible m?lancolie....

>>J'ai laiss? mon chauffeur ? Morlaix, et je jouis indiciblement. Ce n'est pas trop de ce cadre immense, de ce d?sert, pour la vie qui d?borde en moi. Jamais, mon ami, je ne conna?trai d'impressions plus enivrantes que celles qui m'envahissent dans cette libert? de mon ?tre....

>>Eh! oui, je me sens libre pour la premi?re fois. Ma pauvre m?re!... Certes, elle vit de mon bonheur, de mes d?sirs, et me g?te comme le plus aim? des fils. Et cependant, je ne le voudrais dire qu'? toi: j'ai, en la quittant, ressenti cette impression de libert? que je me reproche comme une ingratitude. J'avais soif de solitude, soif de n'?tre plus ?touff? par cette tendresse oppressive, cette influence que je reconnais sage et douce, que je subis volontairement, mais qui arr?te l'essor de ma personnalit?. Pour calmer mes remords, je me dis que je lui reviendrai plus aimant, et qu'elle jouira de constater le d?veloppement op?r? dans mon ?tre pendant ces jours o? je pense seul, o? j'agis seul, o? je ne suis plus uniquement le fils soumis d'une m?re trop tendre, mais un homme entrant vraiment dans la vie avec des espoirs, des r?ves, des plans personnels, et toutes les responsabilit?s qu'il regarde en face, et qui ne troublent point ses secr?tes ?nergies.

>>Le jour tombe, et mon encre est si p?le que je vois ? peine ce que j'?cris. Ma chambre est rustique ? souhait: blanchie ? la chaux, avec un lit entour? de calicot, une table boiteuse et deux chaises de paille. De la cuisine, qui sert de salle commune, montent les effluves de mon souper: lard aux pommes de terre et cr?pes de bl? noir. Pour loger mon auto, on a d?barrass? une grange, et un groupe d'enfants d?guenill?s, assembl?s sur la route, contemplent l'?tonnante machine, qui est pour eux un peu sorci?re. Je me sens perdu dans ce monde nouveau, fruste, sauvage, dont je n'entends pas m?me le rude dialecte. Tout semble faire de nous des races diff?rentes, et cependant un lien sympathique me rattache ? ce peuple aust?re, dont je pressens la grandeur, filon d'or dans le granit.

>>Mon vieux S?verin!... J'ai parfois du remords de chanter devant toi mes chansons de jeunesse, de te dire cr?ment tout ce que j'esp?re, tout ce que j'attends de cette vie qui t'a ?t?, ? toi, si incl?mente....

>>Je serais pr?t, cependant, ? sympathiser avec ta douleur si tu voulais la dire. Je n'ose pas toucher ? la blessure que tu d?robes; mais il faut que tu saches que je te plains, que je t'aime, que je suis tout pr?t ? partager ton fardeau, si tu y trouvais du soulagement.... Peut-?tre me regardes-tu encore, toi aussi, comme un enfant. C'est vrai que tu es plus ?g? que moi, et plus intelligent; c'est vrai aussi que tu as ?t? m?ri par ton deuil et ta souffrance. Et cependant, notre amiti? demeure, ? l'?tonnement des gens superficiels. C'est ? toi, mon ami plus vieux, plus sage, plus triste, que je vais instinctivement chaque fois que je veux m'?pancher, et tu vois que je t'?cris ce soir mes enthousiasmes, ? toi qui as cependant vu l'Europe enti?re, et ?puis? toutes les impressions de voyage.

L'auto, de sa souple et rapide allure, parcourait sans but les st?riles vall?es dans lesquelles le soc de la charrue heurte des fragments de roc, gravissait les pentes tapiss?es de thym et de maigre bruy?re, sillonnait les routes trac?es parmi les touffes d'ajonc.

Jaloux de sa libert? et de sa solitude, il continuait ? consigner son chauffeur ? Morlaix. Il conduisait bien, manquant seulement un peu de prudence. Gris? de mouvement, il demandait ? la machine souple et docile de v?ritables tours de force et une vitesse vertigineuse.

Mais ce fut tr?s beau de mener pendant quinze jours, sans accidents, ce train exag?r?.

Un charbonnier, v?tu de ce pittoresque costume de bure que Landry avait photographi? ? plusieurs reprises, passait au pied du mont Saint-Michel, conduisant sa voiture charg?e de sacs et de fagots d'ajonc, lorsqu'il vit sur la bruy?re nue et d?serte une machine en d?tresse. Il laissa son attelage sur la route, et gravit la pente. La voiture n'?tait pas seule endommag?e: son propri?taire gisait ? quelque distance, sans mouvement.

Le paysan, de stupeur, laissa tomber sa courte pipe de terre, et marmotta, en breton, quelques paroles peu tendres sur les autos qui commen?aient ? envahir le pays, ? effrayer les chevaux et les vaches, ? causer des dommages et des accidents; mais il s'approcha du jeune chauffeur, et le souleva avec des pr?cautions dont on n'e?t pas cru capables ses grandes mains rudes. Il n'y avait ? port?e de secours d'aucune esp?ce, pas m?me un filet d'eau. S'?tant assur? que Landry respirait encore, le charbonnier courut ? la voiture, et, ayant fouill? les coffres et les poches int?rieures, trouva une petite gourde ? demi pleine de cognac. Quelques frictions sur les tempes, quelques gouttes du breuvage gliss?es entre les l?vres firent aussit?t ouvrir les yeux au jeune homme. D'abord ?tourdi, un peu ?gar?, il reprit conscience de ce qui ?tait arriv?, et constata qu'il n'avait aucune fracture, l'?lasticit? du sol tapiss? de lichens et de thym ayant amorti sa chute. Il se h?ta d'examiner l'auto. Un pneu avait ?clat?, et l'explosion qui s'?tait produite l'avait projet? ? quelques pas, sans connaissance.

Le paysan ne parlait pas fran?ais. Il cherchait ? expliquer ses intentions bienveillantes, montrait la machine, puis ?tendait le bras vers la vall?e. Mais tout cela ?tait lettre morte pour Landry, dont la mimique d?sesp?r?e n'?tait, d'ailleurs, pas mieux comprise. Il savait qu'il n'y avait pas de m?canicien aux environs; il fallait t?l?graphier ? son chauffeur, et faire descendre la voiture jusqu'? la gare la plus proche. Mais ses contusions le faisaient souffrir et, quand il voulut marcher, il lui sembla que les montagnes l'enserraient dans une ronde fantastique, tandis que ses jambes tremblantes se d?robaient sous lui.

Le paysan le prit par le bras et lui montra sa charrette. Les chevaux essayaient patiemment, sans y r?ussir, de tondre l'herbe courte qui liserait la route. Renon?ant ? d'autres explications, le charbonnier prit Landry dans ses bras comme s'il e?t ?t? un enfant, et le jucha sur un sac, tandis que lui-m?me se pla?ait ? la t?te de ses chevaux et reprenait le chemin de son village.

Si las et si ?tourdi que f?t Landry, il ?tait encore capable de sentir le c?t? comique de sa situation, mais non pas de s'en amuser. Profond?ment mortifi? de devoir abandonner sur la bruy?re son auto ? demi bris? et de s'en aller, jet? sur un sac de charbon, vers un inconnu ? tout prendre peu r?jouissant, il se promit de ne faire conna?tre ni ? sa m?re, ni ? son cousin S?verin, l'incident d?sagr?able qui donnerait une triste id?e de sa prudence ou de son habilet?. Et ce fut dans une disposition d'esprit singuli?rement assombrie qu'il descendit la montagne gravie, quelques heures auparavant, avec tant d'entrain et d'enivrement.

C'?tait cependant l'heure qu'il aimait: la fin du jour. L'odeur du thym devenait plus p?n?trante sous la brise qui s'?levait. Le ciel ?tait color? des nuances les plus riches. Les nuages ourl?s d'or offraient des aspects ?tranges, changeant ? toute minute. C'?taient des villes fantastiques, avec des bastions, des murs cr?nel?s; c'?taient, l'instant d'apr?s, des montagnes, des frondaisons, de profondes vall?es, puis des lacs aux p?les reflets verts, avec les ?les gris perle, des rivages accident?s, et, au loin, des lueurs d'incendie. Tout cela se refl?tait sur la montagne. La petite chapelle de Saint-Michel se d?tachait en sombre sur un fond d'or, et la bruy?re s'irradiait de lueurs pourpres, tandis que, sur les pentes et au loin, sur la mer, les grandes ombres des nuages gris semblaient ?tendre des bras gigantesques, ou des ailes immenses et mouvantes. Et au-dessous, un brouillard froid montait de la vall?e, d?j? envahie par le cr?puscule, ouatant les contours, rendant impr?cises et tremblantes les silhouettes des clochers, et laissant ? peine distinguer les reflets d'acier d'une rivi?re lointaine o? s'?tait, tant?t, mir? le soleil.

Les couleurs du ciel p?lirent; le pourpre s'effa?a en un rose et en un lilas tr?s doux, l'ombre gagna m?me les sommets o? s'?tait attard?e la lumi?re, et au z?nith, qui devenait d'un bleu sombre, une ?toile s'alluma.

Le rustique ?quipage continuait ? descendre d'une lente allure, le pas ?gal du charretier ne se lassant point. Semblant indiff?rent au site d?sol? comme aux splendeurs du soleil couchant, il ne se retournait m?me pas vers l'?tranger qu'il avait recueilli. Il semblait ? Landry qu'il allait s'enfon?ant dans la nuit. Une heure avait pass?, lui paraissant terriblement longue. Les sommets dont il s'?loignait se dressaient maintenant tr?s sombres, tr?s s?v?res, et au-dessous de lui, ? travers les lacets de la route, il entrevoyait vaguement, comme au fond d'un ab?me, un amas de toits d'ardoise et de chaume, du milieu desquels s'?lan?ait un clocher aigu.

Alors, quelques arbres rabougris se montr?rent sur les talus, avec des haies d'ajoncs limitant de maigres champs d'orge ou de bl? noir. Puis des chaumi?res parurent sur la route; Landry pouvait encore distinguer leurs portes au cintre de pierre. L'une d'elles avait des murs ?gay?s de roses tr?mi?res d'un rouge profond, et de tournesols flamboyants.

Landry se souleva sur son dur coussin, et pria le conducteur de le laisser descendre. Mais un flot de paroles bretonnes l'arr?ta, tandis, que d'un geste assur?, le paysan ?tendait son fouet vers une masse sombre, ? peu de distance. C'?tait un bouquet d'arbres reli? ? une avenue, et ? c?t? duquel s'?levaient des toits d'ardoise et une mince tourelle en poivri?re.

Landry reprit espoir et patience. Quelques minutes apr?s, la charrette s'engageait dans la rustique avenue creus?e d'orni?res et bord?e d'ajoncs, puis s'arr?tait devant une grille de bois derri?re laquelle la nuit ne laissait distinguer que confus?ment des b?timents irr?guliers, un toit monumental, et le sommet pointu de la tourelle.

Il voulut descendre; mais maintenant, il ressentait de vives douleurs. Le paysan, cependant, s'?tait dirig? ? travers la cour jusqu'? la maison. Il en revint presque imm?diatement, accompagn? d'un homme de haute taille, portant une veste de paysan et un chapeau rond entour? d'un ruban de velours.

--Un accident d'automobile? dit-il en fran?ais, s'adressant ? Landry.

--Oh! quel soulagement de pouvoir enfin se faire comprendre! s'?cria celui-ci. Ce brave homme m'a ?t? tr?s secourable, mais nous ne nous entendions pas.... Voulez-vous, mon ami, lui demander de me conduire ? l'auberge, o? j'ai h?te de trouver un lit, quel qu'il soit?

--Yvon Magadec a fait preuve d'intelligence en vous amenant chez moi, dit le nouveau venu avec une courtoisie m?l?e de dignit?. Je suis le maire de Lanrouara, et comme un de mes fils poss?de un auto, il a pens? que je pourrais vous venir en aide mieux qu'un autre.

Tout ceci avait ?t? dit en bon fran?ais, bien que d'une voix rude et avec un fort accent breton. Un peu confus de la libert? avec laquelle il avait appel? <> le premier fonctionnaire de l'endroit, Landry balbutia des excuses, puis renouvela sa demande d'?tre conduit ? l'auberge.

--Le meilleur lit de Se?zan Lecoz ne vous reposerait gu?re, apr?s une pareille secousse. Puisque Yvon vous a conduit chez moi, faites-moi le plaisir d'y rester, au moins jusqu'? demain.... Yvon, aide mon h?te ? descendre, ajouta-t-il en breton.

Avant que Landry e?t pu protester, il le re?ut comme un b?b? des bras robustes du charbonnier, et le porta, tout ?tourdi, dans une chambre sombre, tout en demandant, d'une voix de stentor, qu'en apport?t <>.

Ce fut, en effet, une longue et mince chandelle de suif qui fit son apparition dans un chandelier de cuivre, tenu ? bout de bras par une vieille paysanne en coiffe d'indienne lilas. Cette faible lumi?re ne suffisait pas ? dissiper les t?n?bres de la chambre inconnue o? se trouvait Landry; il put seulement soup?onner qu'elle ?tait diff?rente de ce qu'il s'?tait attendu ? trouver d'apr?s le costume et les allures de son h?te.

--Je voudrais d?dommager le brave homme qui m'a conduit ici de la peine qu'il a prise, dit-il, et du d?tour qu'il a fait pour m'amener dans votre maison hospitali?re, Monsieur....

--C'est juste, dit le maire laconiquement.

Et il appela de sa forte voix:

--Yvon Magadec!

Le charretier parut ? la porte, s'essuyant les l?vres sur sa manche de bure; il venait ?videmment de prendre sa part de l'hospitalit? du maire.

--Voulez-vous, Monsieur, lui dire que je le remercie mille fois, et que je lui serai oblig? d'accepter ceci?...

Il avait ouvert son porte-monnaie, et tendait deux pi?ces au paysan. Celui-ci les prit simplement, en portant la main ? son chapeau, et quitta la chambre avec le maire.

Si ce n'eussent ?t? les meurtrissures qui lui donnaient l'impression d'avoir le corps bris?, et l'esp?ce de vide qu'il sentait au cerveau, Landry e?t trouv? l'aventure pittoresque. Ses yeux s'accoutumaient ? l'obscurit?; il distinguait les poutres du plafond, les lambris qui rev?taient les murs, et, parmi les meubles tr?s simples, des objets qu'il ne se serait pas attendu ? trouver l?, tels qu'un piano et un harmonium.

Le maire reparut, et, ? la lueur d'une autre chandelle qu'il tenait ? la main, Landry put distinguer ses traits accentu?s, burin?s par les rides, mais singuli?rement beaux et distingu?s. Il portait une veste ? basques longues, orn?e de petits boutons noirs, et ouverte sur une chemise blanche. Point de gilet, mais une ceinture de coton ? carreaux blancs et lilas faisant plusieurs fois le tour de ses reins. Il n'avait point quitt? son chapeau, de dessous lequel tombaient sur son col des m?ches de cheveux gris ayant une tendance ? boucler.

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