Read Ebook: Les Histoires merveilleuses ou les Petits Peureux corrigés by Antoine A Antoine
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Ebook has 220 lines and 19269 words, and 5 pages
M. LE CUR?. Je con?ois que cela a droit de vous ?tonner; mais ces gens, apr?s avoir pass? pour des ?tres extraordinaires, ne voulaient pas d?cheoir de l'opinion qu'ils avaient donn?e d'eux; ils ?taient glorieux de leur titre, et le soutenaient jusqu'? la mort. Il y a mieux, plus on poursuivait les sorciers, plus ils se multipliaient.
C?CILE. Je ne comprends pas encore cela. S'il n'y avait que la mort ? esp?rer, pourquoi donc cette fureur?
M. LE CUR?. Tous les pr?tendus sorciers n'?taient pas pris; il n'y avait que les plus maladroits ou les plus ent?t?s qui s'exposaient assez pour cela. Les autres vivaient ? leur aise et en fain?ans des largesses que r?pandaient sur eux, et ? pleines mains, les insens?s qui croyaient ? leur pr?tendue science. Du moment qu'on ne les a plus pers?cut?s, le m?tier a perdu son cr?dit, et les sorciers de ces temps-l? ne comptent plus de successeurs aujourd'hui que parmi ces pauvres h?res qui tirent les cartes et disent la bonne aventure pour quelques sous dans nos places publiques. Il est permis ? tout le monde d'?tre sorcier comme cela.
Rien n'?galait le d?sint?ressement de ce Rocafiol; il n'acceptait ni cadeaux ni honoraires: cette g?n?rosit? ?tait sans doute admirable dans un gueux; mais la police, qui est sorci?re aussi, s'est occup?e de son sort; elle a fait faire des fouilles chez les revendeurs de nippes, et comme vous pouvez bien le penser, chacun a reconnu les effets qu'il avait donn?s pour ?tre br?l?s. Vous croyez peut-?tre que Rocafiol fut d?concert?, qu'il laissa tomber son masque de sorcier pour avouer franchement son charlatanisme? Point du tout; il soutint que les effets avaient ?t? r?ellement br?l?s par lui; mais que sans doute quelque sorcier, ayant un pouvoir au-dessus du sien, les avait fait rena?tre de leurs cendres pour le perdre.
VICTOR. C'est pr?cis?ment comme les g?nies de nos contes de f?es, qui sont toujours oppos?s les uns des autres, avec une puissance plus ou moins ?tendue.
M. LE CUR?. Eh bien, dans d'autres temps, au lieu de se borner ? renfermer cet homme comme un escroc, on lui aurait fait son proc?s comme sorcier, et il est probable qu'il e?t mieux aim? mourir avec sa r?putation que de se d?mentir. Je vais vous parler d'un homme respectable qui n'est nullement ? comparer avec le malheureux dont il vient d'?tre question. J'ai ?tudi? ? l'ancienne Universit? de Helmstedt, sous un savant professeur, M. Beireis, qui passait aux yeux de beaucoup de monde pour un sorcier, parce qu'il poss?dait quelques secrets de chimie. Un jour il parut ? la table du duc de Brunswick, v?tu d'un bel habit de draps gros bleu. Au milieu du d?ner, on s'aper?oit que son habit est devenu violet, et avant qu'on se f?t lev? de table, il ?tait d'une superbe couleur ?carlate. Depuis cette exp?rience, M. Beireis devint un objet de la curiosit? publique; et il se plut ? confirmer les gens cr?dules dans l'id?e qu'il ?tait magicien.
ALBERT. Comment! il est possible qu'un habit change ainsi trois fois de couleur, sans qu'on y touche?
M. DE FORBIN. La physique et la chimie donnent les moyens de faire quantit? d'exp?riences aussi curieuses.
M. DE VERSEUIL. Je me souviens d'une aventure assez plaisante arriv?e ? B?le, apr?s l'ex?cution d'un chaudronnier qui fut pendu comme sorcier. Il avait ?t? ensuite expos? ? des fourches patibulaires peu distantes de la ville. Le lendemain de l'ex?cution, un paysan qui s'?tait h?t? de nuit d'aller au march? de la ville, ?tant arriv? avant que les portes fussent ouvertes, alla se reposer sous un arbre, sans se douter qu'il ?tait pr?s du gibet. L'obscurit? de la nuit n'?tait pas encore dissip?e, lorsque d'autres hommes qui se rendaient aussi ? la ville, passant devant les fourches patibulaires et sachant que le chaudronnier y ?tait expos?, l'un d'eux, pour faire le plaisant, se mit ? crier s'il voulait venir avec eux. Le paysan qui ?tait dessous l'arbre, croyant qu'on s'adressait ? lui, et ?tant bien aise de trouver compagnie, r?pondit: volontiers, attendez-moi, nous irons ensemble. A ces mots, le questionneur et tous ceux qui ?taient avec lui s'enfuirent ?pouvant?s, et racont?rent dans la ville que le pendu leur avait parl?; ce qui ?tablit encore bien mieux sa r?putation de sorcellerie.
M. LE CUR?. Remarquez bien, mes petits amis, que presque toutes les aventures de revenans arrivent la nuit, parce que dans l'obscurit?, la crainte nous fait voir et entendre bien des choses qui ne sont pas, ou nous emp?che de remarquer d'o? provient ce que nous voyons et entendons. Dans ces circonstances, quand notre imagination n'est pas fortement pr?munie contre la peur, elle grossit nos visions, et devient elle-m?me la source de nos alarmes.
M. DE VERSEUIL. Toutes les fois, mes enfans, que quelque chose se pr?sentera ? vous d'une mani?re surnaturelle, songez bien que c'est ou une illusion de vos sens, ou qu'il y a des causes dont vous ne voyez que les effets. Je veux vous donner tant de preuves ? cet ?gard, que vous ne soyez jamais tent?s de vous laisser aller ? des id?es aussi contraires ? la raison, que nuisibles ? la sant?. A votre ?ge, ces frayeurs sinistres non-seulement ?touffent le courage de l'?me, mais en outre paralysent le d?veloppement des forces du corps. L'homme peureux, craintif, ne jouira jamais pleinement de son existence.
VICTOR. Cela est bien vrai; car je ne vois jamais approcher la nuit sans en ressentir de la peine. Si je suis seul, j'?prouve du malaise, je n'ose remuer. Quand je suis couch?, le moindre bruit me fait frissonner; mes yeux semblent toujours apercevoir des fant?mes; je crois sentir que l'on me touche; mon coeur bat avec force, la respiration me manque, il me serait impossible alors de parler, et je souffre comme si j'?tais bien malade. Mon fr?re et ma soeur sont tout comme moi.
M. DE FORBIN. Corbleu! Comment voulez-vous devenir des hommes, si cela continue!
ALBERT. Oh, quant ? moi, mon oncle, l'aventure de ce soir m'a d?j? bien raffermi, et j'esp?re me d?barrasser tout-?-fait de cette vilaine peur.
M. LE CUR?. Je serai charm? de contribuer ? votre gu?rison; et j'esp?re, avant trois jours, vous voir assez raisonnables pour ne pas craindre de vous mettre en rapport avec certain spectre qui est chez moi, et dont la familiarit? vous d?livrera de la peur de tous les autres.
LES ENFANS. Un spectre!
M. LE CUR?. Oui, vraiment; un spectre avec lequel j'ai fait connaissance il y a long-temps, et qui m'a l'obligation de se trouver encore ici-bas.
C?CILE. Quoi! il est visible chez vous? Nous ne l'avons pas vu lorsque nous y avons ?t??
M. LE CUR?. C'est un revenant de Paris o? il est n?, o? il est mort. Je lui permets quelquefois de faire des absences de chez moi; il n'est revenu dans ma maison que ce soir.
VICTOR. Mais vous disiez qu'il n'en existait pas?
M. LE CUR?. Non, il n'existe ni spectres ni fant?mes qui reviennent pour effrayer et tourmenter ceux qui ne les recherchent pas; mais j'ai recherch? celui dont je parle, il me doit sa conservation, et il n'appara?t devant les ?trangers que lorsque je le veux.
Gertrude ouvrait de grands yeux pour regarder M. le Cur?; et il lui passait bien des id?es par la t?te.
Dix heures sonn?rent en ce moment ? l'horloge du ch?teau; le pasteur se leva pour se retirer.--Nous serons bien contens d'aller chez vous demain, dirent les enfans, si l'on veut nous le permettre. Cette intention de leur part fit grand plaisir ? M. de Verseuil; elle lui annon?ait l'heureuse disposition de ses enfans ? ma?triser leurs vaines craintes; la veille, ils n'auraient pas eu le courage de songer seulement ? entrer chez M. le Cur?, si on leur e?t dit qu'il y avait un revenant.
D'apr?s cette simple annonce, Gertrude se promit bien ? elle-m?me de n'y jamais mettre les pieds.
Les enfans reconduisirent le pasteur jusqu'? la grille du ch?teau, et travers?rent ensuite les cours et les corridors sans songer qu'ils n'?taient accompagn?s de personne.--Bien! tr?s-bien! dit M. de Forbin, nous en ferons des hommes; il y a tout lieu d'esp?rer ? pr?sent.
LES HISTOIRES MERVEILLEUSES.
SECONDE PARTIE.
Les enfans ?taient venus de grand matin souhaiter le bonjour ? leur m?re, et lui demander si elle leur permettrait d'aller chez monsieur le Cur?; elle le leur avait accord?, pourvu qu'ils obtinssent aussi la permission de leur p?re; ils all?rent aussit?t la lui demander.
Madame de Verseuil exprimait ? Gertrude toute sa joie de l'heureux changement qui s'?tait op?r? dans le caract?re craintif de ses enfans.--Tenez, madame, lui dit celle-ci, je ne veux pas parler; tant mieux s'ils sont gu?ris. Quant ? moi, je ne dormirai tranquille que quand je serai de retour ? Paris.
Mad. DE VERSEUIL. Comment! l'aventure d'hier ne t'a pas enti?rement rassur?e?
GERTRUDE. Il s'en faut; et depuis hier, il s'est pass? bien d'autres choses.
Mad. DE VERSEUIL. Que s'est-il donc pass??
GERTRUDE. J'ai eu une belle peur cette nuit! Qu'on vienne me dire que les morts ne reviennent pas, surtout dans des maisons comme celle-ci! Oh le maudit ch?teau! je voudrais bien en ?tre dehors.
Mad. DE VERSEUIL. Quoi! M. le Cur? ne t'a pas convaincue que tes frayeurs ?taient chim?riques?
GERTRUDE. M. le Cur? lui-m?me m'a bien donn? ? penser.
Mad. DE VERSEUIL. Et qu'as-tu donc pens?, ma pauvre Gertrude?
GERTRUDE. J'ai pens? qu'en sa qualit? de pr?tre, il a beaucoup de pouvoir sur les esprits, qu'il aura conjur? celui d'hier, et nous l'aura fait appara?tre sous la forme d'une chauve-souris.
Mad. DE VERSEUIL. Oh! Gertrude, que vous ?tes peu raisonnable!
GERTRUDE. Cela vous pla?t ? dire, madame. Au contraire, je r?fl?chis. Pourquoi le spectre, qu'il a maintenant chez lui, n'y est-il que depuis hier soir? parce que ce n'est que de ce moment que la pr?tendue chauve-souris a quitt? ces lieux.
Mad. DE VERSEUIL. Mais ne vois-tu pas que cette annonce d'un revenant chez lui n'est qu'une plaisanterie pour exciter la curiosit? de mes enfans, ou quelque moyen ing?nieux qu'il veut employer pour les rendre plus hardis? Ne l'avons-nous pas tenue entre nos mains, cette chauve-souris? Or, les esprits, rapporte-t-on, ne sont pas palpables.
GERTRUDE. Au surplus, cette nuit, c'?tait bien pire que la chauve-souris.
Mad. DE VERSEUIL. Qu'est-il donc arriv? cette nuit?
GERTRUDE. Oh bien, madame, puisque vous voulez que je vous le dise, le voici: je dormais bien profond?ment, lorsque j'ai ?t? r?veill?e par le bruit de quelqu'un qui se promenait dans les corridors; j'ai entendu ouvrir et fermer des portes, on a ?t? sans doute dans le parc, puis on est revenu. Le vent faisait entendre un sifflement aigu, toutes les fen?tres tremblaient je crois autant que moi. Personne de la maison ne serait tent? je pense d'aller dans cette saison se promener ainsi la nuit.
GERTRUDE. Non, madame, ce n'est pas cela; demandez ? G?rard, votre concierge, ? qui l'esprit a parl?.
Mad. DE VERSEUIL. Il lui a parl?!
Mad. DE VERSEUIL. G?rard aura r?v? ce qu'il t'a rapport?.
GERTRUDE. Non, madame, il a bien entendu la voix du d?funt, et Brigitte sa femme, l'a entendue de m?me.
M. de Verseuil entra chez sa femme avec les enfans, et un instant apr?s, M. de Forbin arriva.--Ma soeur, dit-il, c'est aujourd'hui la f?te de ma petite C?cile; comme je suis bien content d'elle, je vais lui donner de jolis livres que j'ai fait venir de Paris. Gertrude, allez voir si G?rard a ?t? les chercher chez le libraire, ? la ville voisine. Gertrude revint un instant apr?s dire que G?rard avait oubli? sa commission; mais qu'il venait de partir sur-le-champ.
M. DE FORBIN. Le maraud l'a donc fait expr?s?
GERTRUDE. Pardonnez-lui, monsieur; car c'est bien excusable d'apr?s ce qui lui est arriv?.
M. DE FORBIN. Qu'est-ce donc?
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