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Puis, pour le regagner, la Prusse amoindrie et ruin?e ne disposait-elle point d'un moyen plus puissant parfois que l'appareil de la force? La beaut?, la gr?ce de la reine Louise ne produiraient-elles pas ? P?tersbourg leur effet habituel? Jadis, Alexandre n'avait pas ?chapp? ? l'enchantement: aujourd'hui, il paraissait d'autant plus expos? ? le subir que son coeur semblait vacant. Depuis quelque temps, il y avait refroidissement dans ses rapports avec la femme qu'il aimait de longue date, avec celle que Savary et Caulaincourt avaient militairement nomm?e dans leurs d?p?ches <>. Cette dame avait pass? l'automne hors de P?tersbourg, en Courlande, et l'on avait remarqu? qu'Alexandre, en revenant d'Erfurt, ne s'?tait point d?tourn? de son chemin pour la voir. L'absence de la favorite avait m?me paru rapprocher l'Empereur de l'Imp?ratrice et rendu ? celle-ci <>; les amis de la souveraine r?gnante avaient indiscr?tement c?l?br? cette reprise d'intimit? conjugale, et le bruit en ?tait venu jusqu'? Napol?on. Affectant pour le bonheur priv? et les satisfactions de son alli? la plus extr?me sollicitude, l'Empereur n'avait point pour habitude de l'exhorter ? la vertu et ne n?gligeait pas, au besoin, de pourvoir ? ses distractions; il avait cru n?anmoins devoir f?liciter Alexandre ? mots couverts d'un ?v?nement qui pouvait assurer ? ce prince une descendance directe: dans sa lettre du 14 janvier, il avait mis cette phrase: <> Cependant, pour quiconque observait de pr?s le m?nage imp?rial, il ?tait ais? de se convaincre que la r?conciliation n'avait qu'un caract?re officiel et de convenance, que l'union des coeurs ne se referait pas, qu'un long pass? d'indiff?rence les avait ? jamais s?par?s et glac?s. L'Imp?ratrice, persistant dans sa nonchalance hautaine, d?daignait le moindre effort pour fixer son mari; m?me, disait-on, elle voyait approcher la reine de Prusse non seulement sans jalousie, mais avec quelque plaisir, et Joseph de Maistre, qui continuait d'assister en observateur p?n?trant au spectacle de P?tersbourg, expliquait par la politique cette surprenante abn?gation: <> Tout conspirait donc ? livrer Alexandre aux s?ductions de l'aimable princesse qui venait l'implorer: la reine Louise n'allait-elle point remporter aupr?s de lui le triomphe que Napol?on lui avait si d?lib?r?ment refus?, et trouver ? P?tersbourg sa revanche de Tilsit?
Le Roi et la Reine arriv?rent le 7 janvier, avec les princes Guillaume et Auguste de Prusse. L'entr?e fut solennelle; toute la garnison, quarante-cinq mille hommes environ, ?tait sous les armes et faisait la haie. Malgr? la rigueur du froid, l'empereur Alexandre voulut accompagner ? cheval, avec le Roi et les princes, la voiture de la Reine. Au palais d'Hiver, les souverains prussiens furent accueillis par les deux Imp?ratrices avec une gr?ce recherch?e; au fond des appartements somptueux qui lui avaient ?t? pr?par?s, la reine Louise trouva une surprise d?licatement m?nag?e et le moyen de remonter magnifiquement sa garde-robe: <>
Les jours suivants, on visita la ville, ?tincelante sous sa parure d'hiver, neigeuse et ensoleill?e, et les f?tes se succ?d?rent sans interruption: r?unions intimes et splendides galas, revues et manoeuvres, soupers, concerts, bal en costume national russe, repr?sentations fran?aises au th??tre de l'Ermitage, excursions en tra?neau, rien ne fut omis pour diversifier les plaisirs, pour renouveler le programme ordinaire des r?ceptions princi?res, pour mettre un peu de vari?t? dans ce qui est la monotonie m?me. Jamais, depuis nombre d'ann?es, P?tersbourg n'avait vu pareil d?ploiement de faste, n'avait pr?sent? autant d'animation et d'entrain. Tout le monde se laissa emporter ? ce tourbillon; le travail des ministres en fut interrompu, la politique n?glig?e; Caulaincourt se plaignait que <>, et Napol?on, ?crivant ? Paris au comte Roumiantsof, lui annon?ait avec une pointe d'ironie, en lui communiquant les nouvelles et les journaux de P?tersbourg, <>.
Cette r?ception faite aux victimes de l'Empereur ne laissait pas que de rendre la situation de son repr?sentant passablement d?licate. Caulaincourt la soutint en homme d'esprit et de t?te. Loin de s'enfermer dans une r?serve mals?ante, il se montra partout, mais ne perdit aucune occasion pour rappeler, pour affirmer l'absent, et pour mettre entre le Tsar et la Reine le souvenir de Napol?on.
Son premier soin fut d'affecter une rigueur intraitable sur le chapitre de ses pr?rogatives: dans toutes les circonstances o? il eut ? para?tre avec des dignitaires russes ou ?trangers, il n'admit d'autre rang que le premier. Il ne voulut pas ?tre pr?sent? ? la Reine en t?te du corps diplomatique, mais avant lui et seul; aux bals de cour, s'autorisant d'un pr?c?dent ?tabli ? Erfurt, il r?clama, comme duc fran?ais, le droit de figurer aux danses d'apparat avant les princes allemands: sa pr?tention n'ayant pas ?t? admise d'embl?e, il s'excusa de danser et brilla par cette abstention. Ayant ainsi plac? la France hors de pair, il put tout ? son aise se montrer courtois, galant, magnifique, et contribua ? faire aux h?tes d'Alexandre les honneurs de P?tersbourg.
Il fut le seul des ministres ?trangers ? les recevoir, ? leur donner un grand bal, dans son h?tel par? avec un luxe de fleurs qui donnait en plein hiver russe l'illusion du printemps, et ce lui fut une occasion d'attirer ? l'ambassade le monde officiel au complet, de faire d?filer <> devant le portrait de Napol?on. Dans cette circonstance, il se montra environn? d'une v?ritable cour, form?e par les repr?sentants des ?tats feudataires de la France: chacun d'eux avait accept? de l'assister dans ses devoirs de ma?tre de maison, et pr?sida une table au souper de quatre cents couverts, dont les merveilles d?pass?rent tout ce qu'on avait vu de plus beau et de plus r?ussi en ce genre. La Reine fut trait?e avec la plus respectueuse d?f?rence: elle ?prouvait toutefois, en pr?sence de Caulaincourt, une g?ne insurmontable; devant lui, c'est ? peine si elle osait parler aux personnes convaincues d'hostilit? envers la France: elle s'observait beaucoup et gardait soigneusement le secret de ses tremblantes r?voltes.
La surveillance et les pr?cautions de notre ambassadeur ?taient superflues, car le voyage, malgr? les premi?res apparences, ne tournait pas ? la satisfaction de nos adversaires. D'abord, dans le public mondain qui s'empressait par ordre autour des souverains prussiens, aucun mouvement d'opinion ne se produisait en leur faveur. Les <>, hostiles ? tout ce qui n'est pas russe, trouvaient que la cour se mettait inutilement en frais pour une royaut? ?trang?re; chez les autres, si la France ?tait peu go?t?e, la Prusse restait impopulaire, depuis la d?sastreuse coop?ration de 1807; enfin, le Roi ?tait l? <>. Le physique ingrat de Fr?d?ric-Guillaume, ses mani?res emprunt?es, son ?locution p?nible, ses efforts malheureux pour se donner un air militaire et cavalier qu'il avait moins que personne, l'uniforme surann? dont il s'affublait et qui semblait sur sa personne un travestissement, tout chez lui, en un mot, provoquait des propos peu flatteurs, des observations railleuses, des sourires que l'on n'avait pas le bon go?t d'?touffer. <>
Autour de la Reine, les ?gards et les sympathies renaissaient, sans aller jusqu'? l'enthousiasme; elle s'essayait de son mieux ? r?parer les gaucheries de son mari, ayant pass? sa vie < ?tre la contenance du Roi>>, le prestige et le sourire de la monarchie; mais elle-m?me, toujours gracieuse et touchante, ne disposait plus ? pr?sent de ces attraits vainqueurs qui entra?nent et subjuguent. Les ?preuves de sa vie avaient ruin? sa sant? et fl?tri sa beaut?. En vain elle s'essayait ? lutter, recourait ? tous les artifices de la toilette, se contraignait pour assister ? toutes les r?unions, s'y montrait <>, couverte de diamants, par?e avec un luxe qui pr?tait dans sa position ? des remarques d?sobligeantes; en vain, surmontant ses souffrances physiques, ses angoisses morales, elle restait fid?le ? cette constante pr?occupation de plaire qui avait ?t? en d'autres temps son charme irr?sistible: on la discutait aujourd'hui, on faisait entre elle et l'imp?ratrice russe des comparaisons qui ne tournaient pas toujours ? son avantage, et Caulaincourt, for?ant peut-?tre la note, r?sumait ainsi l'opinion g?n?rale: <>