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Read Ebook: Mémoires authentiques de Latude écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton by Latude Henri Masers De

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Ebook has 880 lines and 80883 words, and 18 pages

Si la ling?re du ch?teau avait fait attention, elle aurait remarqu? que les serviettes et les draps qui entraient dans la chambre des deux compagnons, en sortaient raccourcis dans tous les sens. Nos amis s'?taient mis en rapport avec leurs voisins de prison, qui demeuraient en-dessous et au-dessus d'eux, mendiant des ficelles et du fil, donnant du tabac en ?change. Ils ?taient parvenus ? desceller les barres de fer qui emp?chaient de grimper dans la chemin?e; la nuit, ils montaient jusque sur les plates-formes, d'o? ils conversaient par les chemin?es, avec les prisonniers des autres tours. L'un de ces malheureux se croyait proph?te de Dieu: il entendit la nuit ce bruit de voix qui tombait sur le foyer ?teint; il r?v?la le prodige aux officiers qui le regard?rent comme plus fou encore qu'auparavant. Sur la terrasse, All?gre et Danry trouv?rent les outils que des ma?ons et des herbiers employ?s au ch?teau y laissaient le soir. Ils se procur?rent ainsi un maillet, une tari?re, deux esp?ces de moufles et des morceaux de fer pris aux aff?ts des canons. Ils cachaient le tout dans le tambour existant entre le plancher de leur chambre et le plafond de la chambre inf?rieure.

All?gre et Danry se sauv?rent de la Bastille dans la nuit du 25 au 26 f?vrier 1756. Ils grimp?rent par la chemin?e jusque sur la plate-forme des tours et descendirent par la fameuse ?chelle de corde attach?e ? l'aff?t d'un canon. Une muraille s?parait le foss? de la Bastille de celui de l'Arsenal. Ils parvinrent, ? l'aide d'une barre de fer, ? en d?tacher une grosse pierre, et s'?chapp?rent par la haie ainsi pratiqu?e. L'?chelle de corde ?tait une oeuvre de longue patience et de grande habilet?. Plus tard, All?gre deviendrait fou, alors Danry tirerait ? lui tout le m?rite de cette entreprise que son ami avait con?ue et dirig?e.

Au moment de partir, All?gre avait ?crit sur un chiffon de papier, pour les officiers de la Bastille, la note suivante, qui marque bien son caract?re:

<>

Nos deux compagnons s'?taient pourvus d'un portemanteau, et ils s'empress?rent de changer de v?tements d?s qu'ils eurent franchi l'enceinte du ch?teau. Un metteur en oeuvre, Fraissinet, que Danry connaissait, s'int?ressa ? eux et les conduisit chez le tailleur Rouit, qui les logea quelque temps. Rouit pr?ta m?me ? Danry 48 livres que celui-ci s'engagea ? renvoyer d?s son arriv?e ? Bruxelles. Un mois pass?, nos deux amis ?taient au-del? des fronti?res.

Il nous est tr?s difficile de savoir ce qu'il advient de Danry depuis le moment o? il quitta Rouit, jusqu'au moment de sa r?int?gration ? la Bastille. Il nous a, il est vrai, laiss? deux relations de son s?jour en Flandre et en Hollande; mais ces relations diff?rent entre elles, et elles diff?rent, l'une et l'autre, de quelques documents originaux que nous avons conserv?s.

Dans ce cachot, o? il aurait ?t? trait? d'une mani?re si barbare, Danry se montre d'ailleurs assez difficile. Nous en jugeons par les rapports de Chevalier. <> Voil? pour les jours maigres, voici pour les jours gras. <>. C'est qu'il n'?tait pas lui, Danry, un homme du vulgaire, <>. Et il pr?tendait qu'on la trait?t d'une mani?re qui lui conv?nt.

Un jour Danry d?clara qu'il avait une maladie. Grandjean, oculiste du roi, vint le voir ? plusieurs reprises, lui fit faire des fumigations aromatiques, lui donna des baumes et des collyres; mais bient?t l'on s'aper?ut que le mal du prisonnier consistait dans le d?sir d'obtenir des lunettes d'approche et de faire passer au dehors, par l'interm?diaire du m?decin, des m?moires et des billets.

Le 1er septembre 1759, Danry fut tir? du cachot et remis dans une chambre a?r?e. Il ?crivit aussit?t ? Bertin pour le remercier et lui annoncer qu'il lui envoyait deux colombes.

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Pourquoi Danry n'a-t-il pas toujours us? d'une mani?re aussi charmante de la permission qu'on lui donnait d'?crire au ministre, au lieutenant de police, ? la marquise de Pompadour, au docteur Quesnay et ? sa m?re? Il ?crivait sans cesse et nous avons de ses lettres par centaines. Elles sont bien diff?rentes les unes des autres. Celles-ci sont suppliantes et plaintives: <> Il ?crit ? la marquise de Pompadour: <> On conna?t la c?l?bre lettre qui commence par ces mots: <> Il ?crit ? Quesnay: <> Les images dont il se sert ne sont pas toujours aussi heureuses: <>

Dans d'autres lettres, le prisonnier change de ton. Aux plaintes succ?dent les cris de rage et de col?re, <>. Il ne supplie plus, il menace. On ne saurait louer le style de ces ?p?tres, il est incorrect et vulgaire, mais, par moments, vigoureux et color? d'images vives. Il dit au lieutenant de police: <>; et il lui adresse ces vers de Voltaire:

P?rissent les coeurs durs et n?s pour les forfaits Que les malheurs d'autrui n'attendrissent jamais.

Loin que les ann?es de captivit? le rendent plus humble, abaissent son orgueil, le prisonnier se redresse de plus en plus; de jour en jour son audace grandit, il ne craint pas de parler aux lieutenants de police eux-m?mes, qui connaissent son histoire, de sa fortune qu'on a ruin?e, de sa carri?re brillante qu'on a entrav?e, de toute sa famille qu'on a plong?e dans le d?sespoir. Les premi?res fois, le Magistrat hausse les ?paules, insensiblement il se laisse gagner par ces affirmations d'une fermet? in?branlable, par cet accent de conviction; il finit par croire, lui aussi, ? cette noblesse, ? cette fortune, ? ce g?nie, auxquels Danry en est peut-?tre venu ? croire lui-m?me. Et Danry s'?l?ve encore: il r?clame non seulement sa libert?, mais des indemnit?s, des sommes consid?rables et des honneurs. N'allez cependant pas penser que ce soit par un sentiment de cupidit? indigne de lui: <>

Il veut bien, en retour, donner au lieutenant de police des conseils, lui indiquer les moyens d'avancer dans sa carri?re, lui enseigner comment il doit s'y prendre pour se faire nommer secr?taire d'?tat et lui composer le discours qu'il devra tenir au roi ? la premi?re audience. Il ajoute: <>

Il veut bien, ?galement, envoyer au roi les projets qu'il a con?us dans sa prison pour le bien du royaume. Il s'agit de faire porter des fusils aux sergents et aux officiers, les jours de bataille, en place de spontons et de hallebardes, ce qui renforcerait les arm?es fran?aises de vingt-cinq mille bons fusiliers. Il s'agit encore d'augmenter le port des lettres, ce qui accro?trait les ressources du Tr?sor de plusieurs millions chaque ann?e. Il conseille de cr?er dans les principales villes des greniers d'abondance et dessine des plans de bataille qui donnent ? une colonne de trois hommes de profondeur une force inconnue. Nous en passons et des meilleurs. Ces id?es sont d?lay?es dans un d?luge de mots, une abondance de phrases inimaginables, accompagn?es de comparaisons tir?es de l'histoire de tous les temps et de tous les pays. Les manuscrits sont illustr?s de dessins ? la plume. Danry les copie et recopie sans cesse, les envoie ? tout le monde, sous toutes les formes, persuade aux sentinelles que ces hautes conceptions int?ressent le salut de l'?tat et lui procureront une fortune immense. Il d?termine ainsi ces braves gens, qui compromettent leur position, ? les porter secr?tement aux ministres, aux membres du parlement, aux mar?chaux de France, il les jette par les fen?tres de sa chambre et du haut des tours envelopp?s dans des boules de neige. Ces m?moires sont l'oeuvre d'un homme dont l'esprit ouvert et actif, d'une activit? incroyable, projette, construit, invente, sans cesse ni repos.

Dans ces liasses de papiers, nous avons trouv? une lettre bien touchante, elle est de la m?re du prisonnier, Jeanneton Aubrespy, qui ?crivait ? son fils, de Montagnac, le 14 juin 1759:

<

Cette lettre n'est-elle pas belle dans sa douleur si simple? La r?ponse faite par le fils, est ?mouvante ?galement; mais, en la relisant, on sent qu'elle devait passer sous les yeux du lieutenant de police; en l'examinant de pr?s, on voit entre les lignes grimacer les sentiments.

Nul n'a su, mieux que Danry, jouer de l'?me des autres, ?veiller en eux, ? son gr?, la piti?, la tendresse, l'?tonnement, l'admiration. Nul ne l'a surpass? dans l'art, difficile assur?ment, d'appara?tre en h?ros, en homme de g?nie et en martyr; r?le que nous le verrons soutenir pendant vingt ans sans d?faillance.

Danry avait demand? plusieurs fois qu'on l'envoy?t aux colonies. En 1763, le gouvernement s'occupait beaucoup de la colonisation de la D?sirade. Nous trouvons une lettre du 23 juin 1763 par laquelle Sartine propose d'envoyer Danry ? la D?sirade <>. Ces tentatives demeur?rent infructueuses.

Danry chercha toute sa vie ? r?ussir par les femmes. Il savait fort bien tout ce qu'il y a de tendresse et de d?vouement dans ces t?tes l?g?res et qu'en elles le sentiment est toujours plus fort que la raison: <>

Tandis qu'il se promenait sur les tours de la Bastille, ? l'air frais du matin, il tentait de se mettre en relation, par signes et signaux, avec les gens du voisinage. <> C'?taient deux gentilles blanchisseuses, nomm?es Lebrun, filles d'un perruquier. Et notre comp?re, pour mieux stimuler les petites folles ? le servir avec enthousiasme, frappait ? la porte de leur jeune coeur qui ne demandait qu'? s'ouvrir. Il leur parlait de jeunesse, de malheur et d'amour et aussi de sa fortune, tr?s grande, disait-il, et dont il leur offrait la moiti?. Remplies d'ardeur, les jeunes filles n'?pargn?rent pour lui ni leur temps, ni leurs peines, ni le peu d'argent qu'elles pouvaient avoir.

Nous arrivons ainsi ? une des actions les plus surprenantes de cette vie ?trange.

En d?cembre 1763, la marquise de Pompadour tomba gravement malade.

<> Je r?pondis au major que les pri?res et les larmes ne faisaient qu'endurcir le coeur de cette cruelle femme et que je ne voulais point lui ?crire. Cependant, il revint le lendemain et il me tint le m?me langage, et moi je lui r?pondis les m?mes paroles que le jour auparavant. A peine fut-il sorti que Daragon, mon porte-cl?s, entra dans ma chambre en me disant: <> Le surlendemain, cet officier revint encore pour la troisi?me fois. <> Je remerciai cet officier, c'est-?-dire M. Chevalier, major de la Bastille, pour la troisi?me fois, en lui disant que j'aimerais mieux mourir que d'?crire encore ? cette implacable m?g?re.

<<... Six ou huit jours apr?s, mes deux demoiselles vinrent me saluer et, en m?me temps, elles d?ploy?rent un rouleau de papier o? il y avait en gros caract?res ces mots: <>--La marquise de Pompadour mourut le 19 d'avril 1764, et deux mois apr?s, c'est-?-dire le 19 juin, M. de Sartine vint ? la Bastille, m'accorda audience, et la premi?re parole qu'il me dit fut: de ne plus parler du pass? et qu'au premier jour il irait ? Versailles et demanderait au ministre la justice qui m'?tait due.>> Et nous trouvons, en effet, ? la date du 18 juin 1764, dans les papiers du lieutenant de police, la note suivante: <>

Rentr? dans sa chambre, Danry r?fl?chit sur ce qui se passait: si le lieutenant de police mettait tant d'empressement ? le d?livrer, c'est, ?videmment, qu'il avait peur de lui, que ses m?moires ?taient arriv?s ? destination et avaient produit leur effet. Mais lui, Danry, serait bien sot de se contenter d'une simple mise en libert?: <<100.000 livres>> devaient ? peine suffire ? lui faire oublier les injustices dont il avait ?t? accabl?.

Il roula ces pens?es dans sa t?te durant plusieurs jours. Accepter la libert? de la main de ses pers?cuteurs serait pardonner le pass?, faute qu'il ne commettrait jamais. La porte s'ouvrit, le major entra, il avait ? la main un billet ?crit par Sartine. <> L'officier sortit. Danry se mit imm?diatement ? sa table et ?crivit au lieutenant de police une lettre pleine d'expressions grossi?res, de menaces et d'injures. L'original s'est perdu, nous avons une analyse faite par Danry lui-m?me. Il terminait en laissant ? Sartine <>.

D?s que Sartine eut re?u ma lettre, il m'en ?crivit une que le major vint me lire, o? il y avait les propres paroles que voici:

<> Il ne m'?ta pas la promenade de dessus les tours; neuf jours apr?s, il me mit au cachot, au pain et ? l'eau.>> Mais Danry ne se laissait pas d?monter facilement. On ne voulait sans doute qu'?prouver son assurance. C'est en chantant qu'il descendit au cachot, o? il continua pendant quelques jours ? donner les marques de la ga?t? la mieux assur?e.

De ce moment le prisonnier se rendit insupportable ? ses gardiens. Ce n'?taient que cris et violences. Il remplissait la Bastille des ?clats de <>. Le major Chevalier ?crit ? Sartine: <>; une autre fois <>; ou bien encore: <>.

Comme bien on pense, le vicomte de la Tude ne pouvait plus accepter sa libert? aux m?mes conditions que Danry. Celui-ci s'?tait content? de <<60.000 livres>>; le vicomte de la Tude exige <<150.000 livres>>, plus la croix de saint Louis. Il l'?crit au lieutenant de police. Quant ? Sartine, il ?tait trop homme d'esprit pour tenir longtemps rigueur au prisonnier de ses extravagances. <> Danry ajoute: <>. Il lui accordait pour deux heures chaque jour <>.--<>. Le 23 novembre 1765, Danry se promenait ainsi, en compagnie d'une sentinelle, en dehors du donjon de Vincennes. Le brouillard ?tait intense. Il se retourna tout ? coup vers son gardien: <>. Il n'avait pas fait cinq pas qu'il ?tait hors de vue. <>. Mais, dans le discours qu'il prononcerait plus tard ? l'Assembl?e nationale, la sc?ne changerait de caract?re. <>

Lorsque Latude fut en libert?, il se trouva sans ressource, comme lors sa premi?re ?vasion. <> Ses jeunes amies, les demoiselles Lebrun, lui donn?rent asile.

Il retrouva chez elles une partie de ses papiers, plans et projets, m?moires et dissertations, dont il envoya <> au mar?chal de Noailles; il le priait de lui continuer l'honneur de sa protection et lui faisait part de <>. Il ?crivit ?galement au duc de Choiseul, ministre de la guerre, afin d'obtenir la r?compense de son projet militaire; il ?crivit ? Sartine pour lui faire des propositions de paix: en retour de 10.000 ?cus, avanc?s sur les 150.000 livres qui lui ?taient dues, il oublierait le pass?: <>. En r?ponse, il re?ut une lettre qui lui d?signait une maison o? il trouverait 1.200 livres obtenues pour lui par le docteur Quesnay. Il se rendit ? l'adresse indiqu?e, o? il fut saisi.

Il fut aussit?t ramen? ? Vincennes. Danry avoue qu'il allait ?tre mis en libert? au moment o? il s'?vada: c'?tait une nouvelle d?tention ? recommencer. Nous ne raconterons pas ici le d?tail de l'existence qu'il va mener. On en trouvera le r?cit dans les m?moires imprim?s ci-apr?s. Mat?riellement, il continue d'?tre bien trait?, mais son esprit tourne ? la folie, ses col?res deviennent de plus en plus violentes, en arrivent au paroxysme de la fureur. Voici quelques extraits des lettres et m?moires envoy?s ? Sartine: <> Il ?crit une autre fois; <> Danry rappelle au lieutenant de police les supplices d'Enguerrand de Marigni, et il ajoute: <>.--<>--<>

Latude ?crivait dans sa prison des m?moires qu'il remplissait de calomnies sur les ministres et la Cour. Ces m?moires ?taient compos?s sur le ton le plus dramatique, avec un accent de sinc?rit? inimitable. On savait que le prisonnier trouvait mille moyens de les faire passer ? l'ext?rieur, et on craignait qu'ils ne se r?pandissent dans la foule o? les esprits--nous sommes en 1775--commen?aient ? ?tre excit?s. Latude venait d'?tre descendu au cachot ? la suite d'une nouvelle algarade ? ses ge?liers. <

<<--Que je vous remette mes papiers! Sachez, monsieur, que j'aimerais mieux crever dans ce cachot que de faire une pareille l?chet?!

<<--Votre malle est l?-haut, dans votre chambre, il ne d?pend que de moi d'en faire sauter les cachets que vous y avez mis et de prendre vos papiers.

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<<--H? bien! me dit-il, puisque vous ne voulez point me les confier, vous n'avez qu'? rester ici.>>

Aussi ? Vincennes, comme ? Paris en vint-on ? consid?rer Danry comme un fou. Parmi les livres qu'on lui donnait pour le distraire, il s'en trouva quelques-uns traitant de sorcellerie. Il les lut et relut, et vit plus d?s lors, dans sa vie, que la perp?tuelle intervention des d?mons ?voqu?s par la magicienne Pompadour et son fr?re le magicien, marquis de Marigny.

Sartine revint voir le prisonnier le 8 novembre 1772. Danry le pria de lui envoyer un exempt, pour prendre copie d'un m?moire qu'il avait compos? pour sa justification; de lui envoyer ?galement un avocat pour l'aider de ses conseils, et un m?decin, pour examiner l'?tat de sa sant?.

L'exempt arriva le 24. Le 29, il ?crivit au lieutenant de police: <>

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