Read Ebook: Lettres persanes tome II by Lef Vre Andr Annotator Montesquieu Charles De Secondat Baron De
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on les fait descendre tout ? coup. Il a ?t? un temps que leur hauteur immense mettoit le visage d'une femme au milieu d'elle-m?me: dans un autre, c'?toit les pieds qui occupoient cette place; les talons faisoient un pi?destal, qui les tenoit en l'air. Qui pourroit le croire? les architectes ont ?t? souvent oblig?s de hausser, de baisser et d'?largir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeoient d'eux ce changement; et les r?gles de leur art ont ?t? asservies ? ces fantaisies. On voit quelquefois sur un visage une quantit? prodigieuse de mouches, et elles disparoissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avoient de la taille, et des dents; aujourd'hui il n'en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu'en dise le critique, les filles se trouvent autrement faites que leurs m?res.
Il en est des mani?res et de la fa?on de vivre comme des modes: les Fran?ois changent de moeurs selon l'?ge de leur roi. Le monarque pourroit m?me parvenir ? rendre la nation grave, s'il l'avoit entrepris. Le prince imprime le caract?re de son esprit ? la cour, la cour ? la ville, la ville aux provinces. L'?me du souverain est un moule qui donne la forme ? toutes les autres.
De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.
RICA AU M?ME.
Je te parlois l'autre jour de l'inconstance prodigieuse des Fran?ois sur leurs modes. Cependant il est inconcevable ? quel point ils en sont ent?t?s: c'est la r?gle avec laquelle ils jugent de tout ce qui se fait chez les autres nations; ils y rappellent tout; ce qui est ?tranger leur paro?t toujours ridicule. Je t'avoue que je ne saurois gu?res ajuster cette fureur pour leurs costumes avec l'inconstance avec laquelle ils en changent tous les jours.
Quand je te dis qu'ils m?prisent tout ce qui est ?tranger, je ne te parle que des bagatelles; car, sur les choses importantes, ils semblent s'?tre m?fi?s d'eux-m?mes jusqu'? se d?grader. Ils avouent de bon coeur que les autres peuples sont plus sages, pourvu qu'on convienne qu'ils sont mieux v?tus: ils veulent bien s'assujettir aux lois d'une nation rivale, pourvu que les perruquiers fran?ois d?cident en l?gislateurs sur la forme des perruques ?trang?res. Rien ne leur paro?t si beau que de voir le go?t de leurs cuisiniers r?gner du septentrion au midi; et les ordonnances de leurs coiffeuses port?es dans toutes les toilettes de l'Europe.
Avec ces nobles avantages, que leur importe que le bon sens leur vienne d'ailleurs, et qu'ils aient pris de leurs voisins tout ce qui concerne le gouvernement politique et civil?
Qui peut penser qu'un royaume, le plus ancien et le plus puissant de l'Europe, soit gouvern?, depuis plus de dix si?cles, par des lois qui ne sont pas faites pour lui? Si les Fran?ois avoient ?t? conquis, ceci ne seroit pas difficile ? comprendre: mais ils sont les conqu?rants.
Ils ont abandonn? les lois anciennes, faites par leurs premiers rois dans les assembl?es g?n?rales de la nation; et ce qu'il y a de singulier, c'est que les lois romaines, qu'ils ont prises ? la place, ?toient en partie faites et en partie r?dig?es par des empereurs contemporains de leurs l?gislateurs.
Et afin que l'acquisition f?t enti?re, et que tout le bon sens leur v?nt d'ailleurs, ils ont adopt? toutes les constitutions des papes, et en ont fait une nouvelle partie de leur droit: nouveau genre de servitude.
Il est vrai que, dans les derniers temps, on a r?dig? par ?crit quelques statuts des villes et des provinces: mais ils sont presque tous pris du droit romain.
Cette abondance de lois adopt?es, et pour ainsi dire naturalis?es, est si grande qu'elle accable ?galement la justice et les juges. Mais ces volumes de lois ne sont rien en comparaison de cette arm?e effroyable de glossateurs, de commentateurs, de compilateurs; gens aussi foibles par le peu de justesse de leur esprit qu'ils sont forts par leur nombre prodigieux.
Ce n'est pas tout: ces lois ?trang?res ont introduit des formalit?s qui sont la honte de la raison humaine. Il seroit assez difficile de d?cider si la forme s'est rendue plus pernicieuse, lorsqu'elle est entr?e dans la jurisprudence, ou lorsqu'elle s'est log?e dans la m?decine; si elle a fait plus de ravages sous la robe d'un jurisconsulte que sous le large chapeau d'un m?decin; et si dans l'une elle a plus ruin? de gens qu'elle n'en a tu? dans l'autre.
De Paris, le 17 de la lune de Saphar, 1717.
On parle toujours ici de la constitution. J'entrai l'autre jour dans une maison o? je vis d'abord un gros homme avec un teint vermeil, qui disoit d'une voix forte: J'ai donn? mon mandement; je n'irai point r?pondre ? tout ce que vous dites; mais lisez-le, ce mandement; et vous verrez que j'y ai r?solu tous vos doutes. Il m'a fallu bien suer pour le faire, dit-il en portant la main sur le front; j'ai eu besoin de toute ma doctrine; et il m'a fallu lire bien des auteurs latins. Je le crois, dit un homme qui se trouva l?, car c'est un bel ouvrage; et je d?fie ce j?suite qui vient si souvent vous voir d'en faire un meilleur. Eh bien, lisez-le donc, reprit-il, et vous serez plus instruit sur ces mati?res dans un quart d'heure, que si je vous en avois parl? deux heures. Voil? comme il ?vitoit d'entrer en conversation, et de commettre sa suffisance. Mais, comme il se vit press?, il fut oblig? de sortir de ses retranchements; et il commen?a ? dire th?ologiquement force sottises, soutenu d'un dervis qui les lui rendoit tr?s-respectueusement. Quand deux hommes qui ?toient l? lui nioient quelque principe, il disoit d'abord: Cela est certain, nous l'avons jug? ainsi; et nous sommes des juges infaillibles. Et comment, lui dis-je pour lors, ?tes-vous des juges infaillibles? Ne voyez-vous pas, reprit-il, que le Saint-Esprit nous ?claire? Cela est heureux, lui r?pondis-je; car, de la mani?re dont vous avez parl? tout aujourd'hui, je reconnois que vous avez grand besoin d'?tre ?clair?.
De Paris, le 18 de la lune de Rebiab 1, 1717.
USBEK A IBBEN.
A Smyrne.
Les plus puissants ?tats de l'Europe sont ceux de l'empereur, des rois de France, d'Espagne et d'Angleterre. L'Italie et une grande partie de l'Allemagne sont partag?es en un nombre infini de petits ?tats, dont les princes sont, ? proprement parler, les martyrs de la souverainet?. Nos glorieux sultans ont plus de femmes que la plupart de ces princes n'ont de sujets. Ceux d'Italie, qui ne sont pas si unis, sont plus ? plaindre: leurs ?tats sont ouverts comme des caravans?rails, o? ils sont oblig?s de loger les premiers qui viennent: il faut donc qu'ils s'attachent aux grands princes, et leur fassent part de leur frayeur, plut?t que de leur amiti?.
La plupart des gouvernements d'Europe sont monarchiques, ou plut?t sont ainsi appel?s: car je ne sais pas s'il y en a jamais eu v?ritablement de tels; au moins est-il impossible qu'ils aient subsist? longtemps dans leur puret?. C'est un ?tat violent, qui d?g?n?re toujours en despotisme, ou en r?publique: la puissance ne peut jamais ?tre ?galement partag?e entre le peuple et le prince; l'?quilibre est trop difficile ? garder: il faut que le pouvoir diminue d'un c?t? pendant qu'il augmente de l'autre; mais l'avantage est ordinairement du c?t? du prince, qui est ? la t?te des arm?es.
Aussi le pouvoir des rois d'Europe est-il bien grand, et on peut dire qu'ils l'ont tel qu'ils le veulent: mais ils ne l'exercent point avec tant d'?tendue que nos sultans; premi?rement, parce qu'ils ne veulent point choquer les moeurs et la religion des peuples; secondement, parce qu'il n'est pas de leur int?r?t de le porter si loin.
Rien ne rapproche plus les princes de la condition de leurs sujets, que cet immense pouvoir qu'ils exercent sur eux; rien ne les soumet plus aux revers, et aux caprices de la fortune.
L'usage o? ils sont de faire mourir tous ceux qui leur d?plaisent, au moindre signe qu'ils font, renverse la proportion qui doit ?tre entre les fautes et les peines, qui est comme l'?me des ?tats et l'harmonie des empires; et cette proportion, scrupuleusement gard?e par les princes chr?tiens, leur donne un avantage infini sur nos sultans.
Un Persan qui, par imprudence ou par malheur, s'est attir? la disgr?ce du prince, est s?r de mourir: la moindre faute ou le moindre caprice le met dans cette n?cessit?. Mais s'il avoit attent? ? la vie de son souverain, s'il avoit voulu livrer ses places aux ennemis, il en seroit aussi quitte pour perdre la vie: il ne court donc pas plus de risque dans ce dernier cas que dans le premier.
Aussi, dans la moindre disgr?ce, voyant la mort certaine, et ne voyant rien de pis, il se porte naturellement ? troubler l'?tat, et ? conspirer contre le souverain; seule ressource qui lui reste.
Il n'en est pas de m?me des grands d'Europe, ? qui la disgr?ce n'?te rien que la bienveillance et la faveur. Ils se retirent de la cour, et ne songent qu'? jouir d'une vie tranquille et des avantages de leur naissance. Comme on ne les fait gu?res p?rir que pour le crime de l?se-majest?, ils craignent d'y tomber, par la consid?ration de ce qu'ils ont ? perdre, et du peu qu'ils ont ? gagner: ce qui fait qu'on voit peu de r?voltes, et peu de princes morts d'une mort violente.
Si, dans cette autorit? illimit?e qu'ont nos princes, ils n'apportoient pas tant de pr?cautions pour mettre leur vie en s?ret?, ils ne vivroient pas un jour; et s'ils n'avoient ? leur solde un nombre innombrable de troupes, pour tyranniser le reste de leurs sujets, leur empire ne subsisteroit pas un mois.
Il n'y a que quatre ou cinq si?cles qu'un roi de France prit des gardes, contre l'usage de ces temps-l?, pour se garantir des assassins qu'un petit prince d'Asie avoit envoy?s pour le faire p?rir: jusque-l? les rois avoient v?cu tranquilles au milieu de leurs sujets, comme des p?res au milieu de leurs enfants.
Bien loin que les rois de France puissent de leur propre mouvement ?ter la vie ? un de leurs sujets, comme nos sultans, ils portent au contraire toujours avec eux la gr?ce de tous les criminels; il suffit qu'un homme ait ?t? assez heureux pour voir l'auguste visage de son prince, pour qu'il cesse d'?tre indigne de vivre. Ces monarques sont comme le soleil, qui porte partout la chaleur et la vie.
De Paris, le 8 de la lune de Rebiab 2, 1717.
USBEK AU M?ME.
Pour suivre l'id?e de ma derni?re lettre, voici ? peu pr?s ce que me disoit l'autre jour un Europ?en assez sens?:
Le plus mauvais parti que les princes d'Asie aient pu prendre, c'est de se cacher comme ils font. Ils veulent se rendre plus respectables: mais ils font respecter la royaut?, et non pas le roi; et attachent l'esprit des sujets ? un certain tr?ne, et non pas ? une certaine personne.
Cette puissance invisible qui gouverne est toujours la m?me pour le peuple. Quoique dix rois, qu'il ne conno?t que de nom, se soient ?gorg?s l'un apr?s l'autre, il ne sent aucune diff?rence: c'est comme s'il avoit ?t? gouvern? successivement par des esprits.
On s'?tonne de ce qu'il n'y a presque jamais de changement dans le gouvernement des princes d'Orient; et d'o? vient cela, si ce n'est de ce qu'il est tyrannique et affreux?
Les changements ne peuvent ?tre faits que par le prince, ou par le peuple; mais l?, les princes n'ont garde d'en faire, parce que, dans un si haut degr? de puissance, ils ont tout ce qu'ils peuvent avoir; s'ils changeoient quelque chose, ce ne pourroit ?tre qu'? leur pr?judice.
Quant aux sujets, si quelqu'un d'eux forme quelque r?solution, il ne sauroit l'ex?cuter sur l'?tat; il faudroit qu'il contre-balan??t tout ? coup une puissance redoutable et toujours unique; le temps lui manque comme les moyens: mais il n'a qu'? aller ? la source de ce pouvoir; et il ne lui faut qu'un bras et qu'un instant.
Le meurtrier monte sur le tr?ne pendant que le monarque en descend, tombe, et va expirer ? ses pieds.
Un m?content en Europe songe ? entretenir quelque intelligence secr?te, ? se jeter chez les ennemis, ? se saisir de quelque place, ? exciter quelques vains murmures parmi les sujets. Un m?content en Asie va droit au prince, ?tonne, frappe, renverse: il en efface jusqu'? l'id?e; dans un instant l'esclave et le ma?tre; dans un instant usurpateur et l?gitime.
Malheureux le roi qui n'a qu'une t?te! il semble ne r?unir sur elle toute sa puissance, que pour indiquer au premier ambitieux l'endroit o? il la trouvera tout enti?re.
De Paris, le 17 de la lune de Rebiab 2, 1717.
USBEK AU M?ME.
Tous les peuples d'Europe ne sont pas ?galement soumis ? leurs princes: par exemple, l'humeur impatiente des Anglois ne laisse gu?re ? leur roi le temps d'appesantir son autorit?; la soumission et l'ob?issance sont les vertus dont ils se piquent le moins. Ils disent l?-dessus des choses bien extraordinaires. Selon eux, il n'y a qu'un lien qui puisse attacher les hommes, qui est celui de la gratitude: un mari, une femme, un p?re et un fils, ne sont li?s entre eux que par l'amour qu'ils se portent, ou par les bienfaits qu'ils se procurent; et ces motifs divers de reconnoissance sont l'origine de tous les royaumes, et de toutes les soci?t?s.
Mais si un prince, bien loin de faire vivre ses sujets heureux, veut les accabler et les d?truire, le fondement de l'ob?issance cesse; rien ne les lie, rien ne les attache ? lui; et ils rentrent dans leur libert? naturelle. Ils soutiennent que tout pouvoir sans bornes ne sauroit ?tre l?gitime, parce qu'il n'a jamais pu avoir d'origine l?gitime. Car nous ne pouvons pas, disent-ils, donner ? un autre plus de pouvoir sur nous que nous n'en avons nous-m?mes: or nous n'avons pas sur nous-m?mes un pouvoir sans bornes; par exemple, nous ne pouvons pas nous ?ter la vie: personne n'a donc, concluent-ils, sur la terre un tel pouvoir.
Le crime de l?se-majest? n'est autre chose, selon eux, que le crime que le plus foible commet contre le plus fort, en lui d?sob?issant, de quelque mani?re qu'il lui d?sob?isse. Aussi le peuple d'Angleterre, qui se trouva le plus fort contre un de leurs rois, d?clara-t-il que c'?tait un crime de l?se-majest? ? un prince de faire la guerre ? ses sujets. Ils ont donc grande raison, quand ils disent que le pr?cepte de leur Alcoran, qui ordonne de se soumettre aux puissances, n'est pas bien difficile ? suivre, puisqu'il leur est impossible de ne le pas observer: d'autant que ce n'est pas au plus vertueux qu'on les oblige de se soumettre, mais ? celui qui est le plus fort.
Les Anglois disent qu'un de leurs rois, qui avoit vaincu et pris prisonnier un prince qui s'?toit r?volt? et lui disputoit la couronne, ayant voulu lui reprocher son infid?lit? et sa perfidie: Il n'y a qu'un moment, dit le prince infortun?, qu'il vient d'?tre d?cid? lequel de nous deux est le tra?tre.
Un usurpateur d?clare rebelles tous ceux qui n'ont point opprim? la patrie comme lui: et, croyant qu'il n'y a pas de loi l? o? il ne voit point de juges, il fait r?v?rer, comme des arr?ts du ciel, les caprices du hasard et de la fortune.
De Paris, le 20 de la lune de Rebiab 2, 1717.
RH?DI A USBEK.
A Paris.
Tu m'as beaucoup parl?, dans une de tes lettres, des sciences et des arts cultiv?s en Occident. Tu me vas regarder comme un barbare; mais je ne sais si l'utilit? que l'on en retire d?dommage les hommes du mauvais usage que l'on en fait tous les jours.
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