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Read Ebook: Lettres persanes tome II by Lef Vre Andr Annotator Montesquieu Charles De Secondat Baron De

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Ebook has 859 lines and 56221 words, and 18 pages

Tu m'as beaucoup parl?, dans une de tes lettres, des sciences et des arts cultiv?s en Occident. Tu me vas regarder comme un barbare; mais je ne sais si l'utilit? que l'on en retire d?dommage les hommes du mauvais usage que l'on en fait tous les jours.

J'ai ou? dire que la seule invention des bombes avoit ?t? la libert? ? tous les peuples d'Europe. Les princes ne pouvant plus confier la garde des places aux bourgeois, qui, ? la premi?re bombe, se seroient rendus, ont eu un pr?texte pour entretenir de gros corps de troupes r?gl?es, avec lesquelles ils ont dans la suite opprim? leurs sujets.

Tu sais que, depuis l'invention de la poudre, il n'y a plus de places imprenables; c'est-?-dire, Usbek, qu'il n'y a plus d'asile sur la terre contre l'injustice et la violence.

Je tremble toujours qu'on ne parvienne ? la fin ? d?couvrir quelque secret qui fournisse une voie plus abr?g?e pour faire p?rir les hommes, d?truire les peuples et les nations enti?res.

Tu as lu les historiens; fais-y bien attention: presque toutes les monarchies n'ont ?t? fond?es que sur l'ignorance des arts, et n'ont ?t? d?truites que parce qu'on les a trop cultiv?s. L'ancien empire de Perse peut nous en fournir un exemple domestique.

Il n'y a pas longtemps que je suis en Europe; mais j'ai ou? parler ? des gens sens?s des ravages de la chimie: il semble que ce soit un quatri?me fl?au qui ruine les hommes et les d?truit en d?tail, mais continuellement; tandis que la guerre, la peste, la famine, les d?truisent en gros, mais par intervalles.

Que nous a servi l'invention de la boussole, et la d?couverte de tant de peuples, qu'? nous communiquer leurs maladies plut?t que leurs richesses? L'or et l'argent avoient ?t? ?tablis, par une convention g?n?rale, pour ?tre le prix de toutes les marchandises et un gage de leur valeur, par la raison que ces m?taux ?toient rares, et inutiles ? tout autre usage: que nous importoit-il donc qu'ils devinssent plus communs, et que, pour marquer la valeur d'une denr?e, nous eussions deux ou trois signes au lieu d'un? Cela n'en ?toit que plus incommode.

Mais, d'un autre c?t?, cette invention a ?t? bien pernicieuse aux pays qui ont ?t? d?couverts. Les nations enti?res ont ?t? d?truites; et les hommes qui ont ?chapp? ? la mort ont ?t? r?duits ? une servitude si rude, que le r?cit en a fait fr?mir les musulmans.

Heureuse l'ignorance des enfants de Mahomet! Aimable simplicit?, si ch?rie de notre saint proph?te, vous me rappelez toujours la na?vet? des anciens temps, et la tranquillit? qui r?gnoit dans le coeur de nos premiers p?res.

De Venise, le 2 de la lune de Rhamazan, 1717.

A Venise.

Ou tu ne penses pas ce que tu dis, ou bien tu fais mieux que tu ne penses. Tu as quitt? ta patrie pour t'instruire, et tu m?prises toute instruction: tu viens pour te former dans un pays o? l'on cultive les beaux-arts, et tu les regardes comme pernicieux. Te le dirai-je, Rh?di? je suis plus d'accord avec toi que tu ne l'es avec toi-m?me.

As-tu bien r?fl?chi ? l'?tat barbare et malheureux o? nous entra?neroit la perte des arts? Il n'est pas n?cessaire de se l'imaginer, on peut le voir. Il y a encore des peuples sur la terre chez lesquels un singe passablement instruit pourroit vivre avec honneur; il s'y trouveroit ? peu pr?s ? la port?e des autres habitants: on ne lui trouveroit point l'esprit singulier, ni le caract?re bizarre; il passeroit tout comme un autre, et seroit distingu? m?me par sa gentillesse.

Tu dis que les fondateurs des empires ont presque tous ignor? les arts. Je ne te nie pas que des peuples barbares n'aient pu, comme des torrents imp?tueux, se r?pandre sur la terre, et couvrir de leurs arm?es f?roces les royaumes les mieux polic?s. Mais, prends-y garde, ils ont appris les arts ou les ont fait exercer aux peuples vaincus; sans cela leur puissance auroit pass? comme le bruit du tonnerre et des temp?tes.

Tu crains, dis-tu, que l'on n'invente quelque mani?re de destruction plus cruelle que celle qui est en usage. Non: si une fatale invention venoit ? se d?couvrir, elle seroit bient?t prohib?e par le droit des gens; et le consentement unanime des nations enseveliroit cette d?couverte. Il n'est point de l'int?r?t des princes de faire des conqu?tes par de pareilles voies: ils doivent chercher des sujets, et non pas des terres.

Tu te plains de l'invention de la poudre et des bombes; tu trouves ?trange qu'il n'y ait plus de place imprenable: c'est-?-dire que tu trouves ?trange que les guerres soient aujourd'hui termin?es plus t?t qu'elles ne l'?toient autrefois.

Tu dois avoir remarqu?, en lisant les histoires, que, depuis l'invention de la poudre, les batailles sont beaucoup moins sanglantes qu'elles ne l'?toient, parce qu'il n'y a presque plus de m?l?e.

Et quand il se seroit trouv? quelque cas particulier o? un art auroit ?t? pr?judiciable, doit-on pour cela le rejeter? Penses-tu, Rh?di, que la religion que notre saint proph?te a apport?e du ciel soit pernicieuse, parce qu'elle servira quelque jour ? confondre les perfides chr?tiens?

Tu crois que les arts amollissent les peuples, et par l? sont cause de la chute des empires. Tu parles de la ruine de celui des anciens Perses, qui fut l'effet de leur mollesse; mais il s'en faut bien que cet exemple d?cide, puisque les Grecs, qui les subjugu?rent, cultivoient les arts avec infiniment plus de soin qu'eux.

Quand on dit que les arts rendent les hommes eff?min?s, on ne parle pas du moins des gens qui s'y appliquent, puisqu'ils ne sont jamais dans l'oisivet?, qui, de tous les vices, est celui qui amollit le plus le courage.

Il n'est donc question que de ceux qui en jouissent. Mais comme dans un pays polic? ceux qui jouissent des commodit?s d'un art sont oblig?s d'en cultiver un autre, ? moins que de se voir r?duits ? une pauvret? honteuse, il s'ensuit que l'oisivet? et la mollesse sont incompatibles avec les arts.

Paris est peut-?tre la ville du monde la plus sensuelle, et o? l'on raffine le plus sur les plaisirs; mais c'est peut-?tre celle o? l'on m?ne une vie plus dure. Pour qu'un homme vive d?licieusement, il faut que cent autres travaillent sans rel?che. Une femme s'est mis dans la t?te qu'elle devoit paro?tre ? une assembl?e avec une certaine parure; il faut que d?s ce moment cinquante artisans ne dorment plus, et n'aient plus le loisir de boire et de manger: elle commande, et elle est ob?ie plus promptement que ne seroit notre monarque; parce que l'int?r?t est le plus grand monarque de la terre.

Cette ardeur pour le travail, cette passion de s'enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusqu'aux grands. Personne n'aime ? ?tre plus pauvre que celui qu'il vient de voir imm?diatement au-dessous de lui. Vous voyez ? Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu'au jour du jugement, qui travaille sans cesse, et court risque d'accourcir ses jours pour amasser, dit-il, de quoi vivre.

Le m?me esprit gagne la nation; on n'y voit que travail et qu'industrie: o? est donc ce peuple eff?min? dont tu parles tant?

Je suppose, Rh?di, qu'on ne souffr?t dans un royaume que les arts absolument n?cessaires ? la culture des terres, qui sont pourtant en grand nombre, et qu'on en bann?t tous ceux qui ne servent qu'? la volupt? ou ? la fantaisie, je le soutiens, cet ?tat seroit le plus mis?rable qu'il y e?t au monde.

Quand les habitants auroient assez de courage pour se passer de tant de choses qu'ils doivent ? leurs besoins, le peuple d?p?riroit tous les jours; et l'?tat deviendroit si foible, qu'il n'y auroit si petite puissance qui ne f?t en ?tat de le conqu?rir.

Je pourrois entrer ici dans un long d?tail, et te faire voir que les revenus des particuliers cesseroient presque absolument, et par cons?quent ceux du prince. Il n'y auroit presque plus de relation de facult?s entre les citoyens; cette circulation de richesses et cette progression de revenus, qui vient de la d?pendance o? sont les arts les uns des autres, cesseroient absolument; chacun ne tireroit de revenu que de sa terre, et n'en tireroit pr?cis?ment que ce qu'il lui faut pour ne pas mourir de faim. Mais, comme ce n'est pas la centi?me partie du revenu d'un royaume, il faudroit que le nombre des habitants diminu?t ? proportion, et qu'il n'en rest?t que la centi?me partie.

Fais bien attention jusqu'o? vont les revenus de l'industrie. Un fonds ne produit annuellement ? son ma?tre que la vingti?me partie de sa valeur; mais, avec une pistole de couleur, un peintre fera un tableau qui lui en vaudra cinquante. On en peut dire de m?me des orf?vres, des ouvriers en laine, en soie, et de toutes sortes d'artisans.

De tout ceci il faut conclure, Rh?di, que pour qu'un prince soit puissant, il faut que ses sujets vivent dans les d?lices; il faut qu'il travaille ? leur procurer toutes sortes de superfluit?s avec autant d'attention que les n?cessit?s de la vie.

De Paris, le 14 de la lune de Chalval, 1717.

RICA A IBBEN.

A Smyrne.

J'ai vu le jeune monarque: sa vie est bien pr?cieuse ? ses sujets; elle ne l'est pas moins ? toute l'Europe, par les grands troubles que sa mort pourroit produire. Mais les rois sont comme les dieux; et, pendant qu'ils vivent, on doit les croire immortels. Sa physionomie est majestueuse, mais charmante: une belle ?ducation semble concourir avec un heureux naturel, et promet d?j? un grand prince.

On dit que l'on ne peut jamais conno?tre le caract?re des rois d'Occident jusqu'? ce qu'ils aient pass? par les deux grandes ?preuves, de leur ma?tresse, et de leur confesseur. On verra bient?t l'un et l'autre travailler ? se saisir de l'esprit de celui-ci; et il se livrera pour cela de grands combats. Car, sous un jeune prince, ces deux puissances sont toujours rivales; mais elles se concilient et se r?unissent sous un vieux. Sous un jeune prince, le dervis a un r?le bien difficile ? soutenir: la force du roi fait sa foiblesse; mais l'autre triomphe ?galement de sa foiblesse et de sa force.

Lorsque j'arrivai en France, je trouvai le feu roi absolument gouvern? par les femmes; et cependant, dans l'?ge o? il ?toit, je crois que c'?toit le monarque de la terre qui en avoit le moins de besoin. J'entendis un jour une femme qui disoit: Il faut que l'on fasse quelque chose pour ce jeune colonel, sa valeur m'est connue; j'en parlerai au ministre. Une autre disoit: Il est surprenant que ce jeune abb? ait ?t? oubli?; il faut qu'il soit ?v?que: il est homme de naissance, et je pourrois r?pondre de ses moeurs. Il ne faut pas pourtant que tu t'imagines que celles qui tenoient ces discours fussent des favorites du prince; elles ne lui avoient peut-?tre pas parl? deux fois en leur vie: chose pourtant tr?s-facile ? faire chez les princes europ?ens. Mais c'est qu'il n'y a personne qui ait quelque emploi ? la cour, dans Paris ou dans les provinces, qui n'ait une femme par les mains de laquelle passent toutes les gr?ces et quelquefois les injustices qu'il peut faire. Ces femmes ont toutes des relations les unes avec les autres, et forment une esp?ce de r?publique, dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement: c'est comme un nouvel ?tat dans l'?tat; et celui qui est ? la cour, ? Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des pr?lats, s'il ne conno?t les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n'en conno?t point les ressorts.

Crois-tu, Ibben, qu'une femme s'avise d'?tre la ma?tresse d'un ministre pour coucher avec lui? Quelle id?e! c'est pour lui pr?senter cinq ou six placets tous les matins; et la bont? de leur naturel paro?t dans l'empressement qu'elles ont de faire du bien ? une infinit? de gens malheureux, qui leur procurent cent mille livres de rente.

On se plaint en Perse de ce que le royaume est gouvern? par deux ou trois femmes: c'est bien pis en France, o? les femmes en g?n?ral gouvernent, et prennent non-seulement en gros, mais m?me se partagent en d?tail, toute l'autorit?.

De Paris, le dernier de la lune de Chalval, 1717.

Il y a une esp?ce de livres que nous ne connoissons point en Perse, et qui me paroissent ici fort ? la mode: ce sont les journaux. La paresse se sent flatt?e en les lisant: on est ravi de pouvoir parcourir trente volumes en un quart d'heure.

Dans la plupart des livres, l'auteur n'a pas fait les compliments ordinaires, que les lecteurs sont aux abois: il les fait entrer ? demi morts dans une mati?re noy?e au milieu d'une mer de paroles. Celui-ci veut s'immortaliser par un in-douze; celui-l?, par un in-quarto; un autre, qui a de plus belles inclinations, vise ? l'in-folio; il faut donc qu'il ?tende son sujet ? proportion; ce qu'il fait sans piti?, comptant pour rien la peine du pauvre lecteur, qui se tue ? r?duire ce que l'auteur a pris tant de peine ? amplifier.

Le grand tort qu'ont les journalistes, c'est qu'ils ne parlent que des livres nouveaux: comme si la v?rit? ?toit jamais nouvelle. Il me semble que, jusqu'? ce qu'un homme ait lu tous les livres anciens, il n'a aucune raison de leur pr?f?rer les nouveaux.

Mais lorsqu'ils s'imposent la loi de ne parler que des ouvrages encore tout chauds de la forge, ils s'en imposent un autre, qui est d'?tre tr?s-ennuyeux. Ils n'ont garde de critiquer les livres dont ils font les extraits, quelque raison qu'ils en aient; et, en effet, quel est l'homme assez hardi pour vouloir se faire dix ou douze ennemis tous les mois?

La plupart des auteurs ressemblent aux po?tes, qui souffriront une vol?e de coups de b?ton sans se plaindre; mais qui, peu jaloux de leurs ?paules, le sont si fort de leurs ouvrages, qu'ils ne sauroient soutenir la moindre critique. Il faut donc bien se donner de garde de les attaquer par un endroit si sensible; et les journalistes le savent bien. Ils font donc tout le contraire; ils commencent par louer la mati?re qui est trait?e: premi?re fadeur; de l? ils passent aux louanges de l'auteur; louanges forc?es: car ils ont affaire ? des gens qui sont encore en haleine, tout pr?ts ? se faire faire raison, et ? foudroyer ? coups de plume un t?m?raire journaliste.

De Paris, le 5 de la lune de Zilcad?, 1718.

L'universit? de Paris est la fille a?n?e des rois de France, et tr?s-a?n?e; car elle a plus de neuf cents ans: aussi r?ve-t-elle quelquefois.

On m'a cont? qu'elle eut, il y a quelque temps, un grand d?m?l? avec quelques docteurs ? l'occasion de la lettre Q, qu'elle vouloit que l'on pronon??t comme un K. La dispute s'?chauffa si fort, que quelques-uns furent d?pouill?s de leurs biens: il fallut que le parlement termin?t le diff?rend; et il accorda permission, par un arr?t solennel, ? tous les sujets du roi de France de prononcer cette lettre ? leur fantaisie. Il faisoit beau voir les deux corps de l'Europe les plus respectables occup?s ? d?cider du sort d'une lettre de l'alphabet.

De Paris, le 25 de la lune de Zilhag?, 1718.

Le r?le d'une jolie femme est beaucoup plus grave que l'on ne pense. Il n'y a rien de plus s?rieux que ce qui se passe le matin ? sa toilette, au milieu de ses domestiques; un g?n?ral d'arm?e n'emploie pas plus d'attention ? placer sa droite ou son corps de r?serve, qu'elle en met ? poster une mouche qui peut manquer, mais dont elle esp?re ou pr?voit le succ?s.

Quelle g?ne d'esprit, quelle attention, pour concilier sans cesse les int?r?ts de deux rivaux, pour paro?tre neutre ? tous les deux, pendant qu'elle est livr?e ? l'un et ? l'autre, et se rendre m?diatrice sur tous les sujets de plainte qu'elle leur donne!

Quelle occupation pour faire venir parties de plaisir sur parties, les faire succ?der et rena?tre sans cesse, et pr?venir tous les accidents qui pourroient les rompre!

Avec tout cela, la plus grande peine n'est pas de se divertir; c'est de le paro?tre: ennuyez-les tant que vous voudrez, elles vous le pardonneront, pourvu que l'on puisse croire qu'elles se sont bien r?jouies.

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