Read Ebook: Mémoires de madame de Rémusat (3/3) publiées par son petit-fils Paul de Rémusat by R Musat Madame De Claire Elisabeth Jeanne Gravier De Vergennes R Musat Paul De Editor
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Ebook has 131 lines and 28940 words, and 3 pages
r ?cuyer, et rempla?a M. de Caulaincourt en son absence; il re?ut une dotation en Hanovre, que l'on portait ? trente mille francs sur le papier, et cent mille francs pour l'achat d'une maison, qui pouvait, s'il le voulait, valoir davantage, mais qui deviendrait inali?nable par le fait de ces cent mille francs qui auraient aid? ? l'acquisition.
Projets de divorce.
J'ai cru devoir faire un chapitre ? part de ce qui se passa ? Fontainebleau ? cette ?poque, relativement au divorce. Quoique l'empereur, depuis quelques ann?es, ne rappel?t ? sa femme ce projet que dans les moments o? il avait quelque querelle avec elle, et que ces occasions fussent rares, ? cause de l'adresse et de la condescendance de l'imp?ratrice, cependant il est tr?s vraisemblable qu'il roulait toujours dans sa t?te au moins quelque plan vague d'en venir un jour ? un pareil ?clat. La mort du fils a?n? de Louis l'avait frapp?; ses victoires, en accroissant sa puissance, ?tendaient ses id?es de grandeur, et sa politique, comme sa vanit?, trouvait son compte dans une alliance avec quelque souverain de l'Europe. Le bruit avait d'abord couru que Napol?on jetterait les yeux sur la fille du roi de Saxe; mais cette princesse ne lui aurait point apport? des liens de parent? qui eussent ajout? ? son autorit? continentale. Le roi de Saxe ne r?gnait plus que parce que la France l'y avait autoris?. D'ailleurs, sa fille avait alors au moins trente ans, et n'?tait nullement belle. Bonaparte, au retour de Tilsit, en parla ? sa femme de mani?re ? la rassurer compl?tement. Les conf?rences de Tilsit exalt?rent assez justement l'orgueil de Napol?on; l'engouement dont le jeune czar fut saisi pour lui, l'assentiment qu'il donna ? quelques-uns de ses projets, particuli?rement au d?membrement du royaume d'Espagne, sa complaisance ? l'?gard des volont?s de son nouvel alli?, tout put contribuer ? faire na?tre dans l'esprit de celui-ci certains projets relatifs ? une alliance plus intime. Il s'en ouvrit sans doute ? M. de Talleyrand, mais je ne crois point qu'on en gliss?t la moindre chose au czar; et tout cela demeura encore remis ? un avenir plus ou moins ?loign?, selon les circonstances.
L'empereur revint en France. En se rapprochant de sa femme, il retrouva pr?s d'elle cette sorte d'attachement qu'elle lui inspirait r?ellement, et qui le g?nait bien quelquefois, en le rendant accessible ? un certain malaise quand il l'avait fortement afflig?e.
Une fois, en causant avec elle des diff?rends du roi de Hollande avec sa femme, de la mort du jeune Napol?on et de la sant? d?licate du seul gar?on qui leur rest?t, il l'entretint de la n?cessit? o? peut-?tre, un jour, il pourrait se trouver de prendre une femme qui lui donn?t des enfants. Il montra quelque ?motion en d?veloppant un pareil sujet, et il ajouta: <
<
Madame Bonaparte, qui se rendait si bien ma?tresse d'elle-m?me devant lui, en me racontant tout ceci, se livrait ? une extr?me inqui?tude. Quelquefois, elle pleurait am?rement; dans d'autres moments elle se r?criait sur l'ingratitude d'un pareil abandon. Elle rappelait que, lorsqu'elle avait ?pous? Bonaparte, il s'?tait cru fort honor? de son alliance, et qu'il ?tait odieux de la repousser de son ?l?vation, quand elle avait consenti ? partager sa mauvaise fortune. Il lui arrivait m?me de s'exalter l'imagination au point de laisser ?chapper des inqui?tudes sur son existence personnelle. <
Je m'?tonnais, ? part moi, qu'une femme tellement d?senchant?e sur son ?poux, d?vor?e d'un sinistre soup?on, d?tach?e alors de toute affection, assez indiff?rente ? la gloire, p?t tenir si fortement aux jouissances d'une royaut? si pr?caire. Mais, voyant que rien n'arriverait ? l'en d?go?ter, je me contentais, comme par le pass?, de l'engager ? garder un profond silence et ? demeurer avec l'empereur dans son attitude calme, attrist?e, mais d?termin?e, qui, en effet, ?tait le seul moyen d'?carter ou de retarder l'orage. Il savait que sa femme ?tait g?n?ralement aim?e; tous les jours l'opinion publique se s?parait davantage de lui, et il craignait de la froisser encore. L'imp?ratrice, quand elle confiait ? sa fille ses peines, comme je l'ai d?j? dit, ne trouvait pas une personne tr?s dispos?e ? la comprendre. Depuis la perte de son enfant, les souffrances de la vanit? lui causaient encore plus de surprise, et presque toujours sa seule r?ponse ? sa m?re ?tait celle-ci: <
Cependant on partit pour Fontainebleau. Les f?tes, la pr?sence des princes ?trangers, et encore plus le drame que Bonaparte pr?parait pour l'Espagne, firent na?tre des distractions qui ne lui permirent point de revenir sur un tel sujet, et, d'abord, tout s'y passa assez paisiblement. Ma liaison avec M. de Talleyrand se fortifiait, et l'imp?ratrice s'en r?jouissait, parce qu'elle en esp?rait, dans l'occasion, quelque chose d'utile ou du moins de commode pour elle. J'ai dit qu'alors il y avait quelque peu d'intrigue entre les souverains du duch? de Berg et le ministre de la police Fouch?. Madame Murat parvenait toujours ? brouiller qui se rapprochait d'elle avec l'imp?ratrice, et n'?pargnait pour cela ni les rapports, ni m?me l'intrigue. M. de Talleyrand et M. Fouch? ?taient un peu en d?fiance et en jalousie l'un de l'autre, et dans ce moment la grande importance du premier faisait ombrage ? tous.
Quinze jours ou trois semaines avant la fin du voyage de Fontainebleau, on vit arriver un matin le ministre de la police. Il demeura longtemps dans le cabinet de l'empereur, et, apr?s, il fut invit? ? d?ner avec lui, ce qui n'arrivait pas ? beaucoup de gens. Pendant le d?ner, Bonaparte montra une grande gaiet?. Je ne sais plus quel genre de divertissement occupa la soir?e. Vers minuit, tout le monde venait de se retirer dans le ch?teau; tout ? coup, un valet de chambre de l'imp?ratrice vint frapper ? ma porte; ma femme de chambre lui disant que je venais de me mettre au lit, mais que M. de R?musat n'avait point encore quitt? mon appartement, cet homme r?pondit que je ne devais point me relever, mais que l'imp?ratrice engageait mon mari ? descendre chez elle. Il s'y rendit sur-le-champ; il la trouva ?chevel?e, ? demi d?shabill?e, et avec un visage renvers?. Elle renvoya ses femmes, et, s'?criant qu'elle ?tait perdue, elle remit dans les mains de mon mari une longue lettre sur tr?s grand papier, qui ?tait sign?e de Fouch? lui-m?me. Dans cette lettre, il commen?ait par protester de son ancien d?vouement pour elle, et l'assurait que c'?tait m?me par suite de ce sentiment qu'il osait lui faire envisager sa position et celle de l'empereur. Il le lui repr?sentait puissant, au comble de la gloire, ma?tre souverain de la France, mais redevable ? cette m?me France de son pr?sent, et de l'avenir qu'elle lui avait confi?. <
On peut facilement supposer toutes les phrases plus ou moins oratoires qui ornaient cette lettre, qui paraissait avoir ?t? ?crite avec soin et r?flexion.
La premi?re pens?e de M. de R?musat fut que Fouch? n'avait tent? un tel essai que de concert avec l'empereur. Il se garda de communiquer cette id?e ? l'imp?ratrice, qui s'effor?ait visiblement de repousser le soup?on qui la pressait. Mais ses larmes et son agitation prouvaient qu'elle n'osait pas, au moins, compter sur l'empereur dans cette occasion: <
Quand elle lui montra la lettre, il affecta une extr?me col?re. Il assura qu'il ignorait en effet cette d?marche, que Fouch? avait eu dans cette occasion un z?le mal entendu; que, si le ministre n'?tait parti pour Paris, il l'aurait fortement tanc?; qu'au reste il le punirait si elle le d?sirait, et que m?me il irait jusqu'? lui ?ter sa place de ministre de la police, pour peu qu'elle exige?t cette r?paration. Il accompagna cette d?claration de beaucoup de caresses; mais toute sa mani?re ne rassura point l'imp?ratrice, qui me raconta, dans la journ?e, qu'elle l'avait trouv? g?n? dans cette explication.
Cependant, mon mari et moi, en nous communiquant nos r?flexions, nous voyions tr?s clairement que Fouch? avait ?t? lanc? par un ordre sup?rieur dans une telle entreprise, et nous nous disions que, si l'empereur pensait s?rieusement au divorce, il n'?tait gu?re vraisemblable que nous trouvassions M. de Talleyrand oppos? ? ce coup d'?tat. Quelle fut notre surprise de voir que dans ce moment il en f?t autrement! M. de Talleyrand nous ?couta tr?s attentivement, comme un homme qui ne savait rien de tout ce qui s'?tait pass?. Il trouva la lettre de Fouch? inconvenante et ridicule; il ajouta que l'id?e du divorce ne lui paraissait bonne ? rien; il abonda dans mon sens; il opina pour que l'imp?ratrice r?pond?t au ministre de la police de tr?s haut: <
Cependant je recevais la confidence de toutes ses paroles; je les rapportais ? M. de Talleyrand, qui dictait toujours la conduite qu'il fallait tenir. Tous ses conseils tendaient ? ?loigner le divorce, et il dirigea tr?s bien madame Bonaparte.
Je ne mettais qu'une restriction ? la promesse que je faisais: <
M. de R?musat pensait comme moi sur ma propre conduite. Il ne s'en dissimulait pas moins les inconv?nients qu'elle aurait pour nous; mais ces inconv?nients ne l'arr?taient point, et il r?p?ta ? l'imp?ratrice que mon d?vouement l'accompagnerait dans ses malheurs, s'ils fondaient jamais sur elle. On verra que, plus tard, elle ne crut pas devoir compter sur une parole qui, cependant, lui fut donn?e avec la plus parfaite sinc?rit?.
Ce fut ? cette ?poque que, au sujet de toute cette affaire, nous e?mes avec madame de la Rochefoucauld quelques entretiens qui amen?rent les explications dont j'ai parl? plus haut, et que M. de R?musat put ?claircir ce qui s'?tait pass? au retour de la campagne de Prusse, relativement ? lui. Ces nouvelles clart?s vinrent encore ajouter aux impressions p?nibles que nous causaient les d?couvertes successives que nous faisions sur le caract?re de l'empereur.
? pr?sent, je dirai ce que j'ai su des motifs qui port?rent le ministre de la police et M. de Talleyrand ? tenir la conduite dont je viens de parler.
J'ai dit que Fouch?, un peu s?duit par madame Murat, s'?tait vu forc? par l? de rompre avec ce qu'on appelait le parti des Beauharnais. Je ne sais s'il l'e?t voulu r?ellement; mais partout o? l'on entre dans certaines intrigues o? se m?lent les femmes, il n'est pas tr?s possible de savoir ? quel point on pourra demeurer, parce qu'il s'y joint tant de petites paroles, de petits rapports, de petites d?nonciations, qu'on finit par en ?tre comme envelopp?. Madame Murat, qui d?testait sa belle-soeur, cherchait tr?s s?rieusement ? la faire descendre du tr?ne. Son orgueil trouvait son compte ? s'allier ? quelque princesse europ?enne, et elle entourait souvent l'empereur de flatteries sur cet article. Fouch? pensait qu'il serait utile ? la dynastie nouvelle de s'appuyer sur un h?ritier direct; il connaissait trop bien Bonaparte pour ne pas pr?voir que, t?t ou tard, la raison d'?tat l'emporterait chez lui sur toute autre consid?ration; il craignait de n'?tre point employ? dans cette affaire, qui paraissait devoir ?tre du ressort de M. de Talleyrand, et il voulait t?cher de lui en enlever l'honneur et les avantages. Dans cette intention, il rompit la glace avec l'empereur et l'aborda sur un point si important. Le trouvant dispos?, il abonda sur nombre de motifs faciles ? r?unir, et, enfin, il sut parvenir ? se faire ordonner, ou au moins ? proposer le r?le de m?diateur entre l'empereur et l'imp?ratrice pour une pareille n?gociation. Il alla plus loin: il fit parler l'opinion publique ? l'aide de ses moyens de police; il fit tenir des discours sur le divorce dans quelques lieux de r?union de Paris. Tout ? coup, on commen?a dans les caf?s ? discuter la n?cessit? d'un h?ritier pour l'empereur. Ces propos, inspir?s par Fouch?, revinrent par lui, et par les autres polices qui rendaient compte de tout, et l'empereur crut que le public ?tait plus occup? de cette affaire que cela n'?tait r?ellement. Au retour de Fontainebleau, Fouch? dit m?me ? l'empereur qu'on ?tait assez ?chauff? ? Paris pour qu'il arriv?t que des groupes de peuple, se r?unissant sous ses fen?tres, vinssent lui demander un autre mariage. L'empereur fut d'abord frapp? de cette id?e; M. de Talleyrand la d?tourna tr?s habilement.
M. de Talleyrand, dans le fond de son ?me, ne r?pugnait point au divorce; mais, de son c?t?, il voulait le faire ? sa mani?re, en son temps, et avec utilit? et grandeur. Il s'aper?ut vite que l'empressement de Fouch? ne tendait qu'? lui enlever cette palme; il ne souffrit pas qu'une autre intrigue v?nt se placer sur son terrain. La France avait form? une alliance intime avec la Russie; mais M. de Talleyrand, tr?s habile dans la connaissance de l'?tat de l'Europe, pensait qu'il fallait surveiller l'Autriche, et peut-?tre d?j? penchait ? regarder qu'un lien de plus avec cette puissance nous serait, au fond, plus utile. D'ailleurs, il savait que l'imp?ratrice m?re, en Russie, ne partageait point les illusions du czar, et qu'elle se refuserait ? nous donner une de ses filles pour imp?ratrice. Ainsi, il e?t ?t? possible qu'un divorce brusqu? n'e?t point ?t? suivi d'un assez prompt mariage, et e?t tenu l'empereur dans une situation d?sagr?able. D'ailleurs, l'affaire d'Espagne allait ?clater, rendre l'Europe attentive, et ce n'?tait pas le moment de s'engager ? la fois dans deux entreprises qui demandaient chacune une pr?occupation particuli?re. Voil? sans doute ce qui porta M. de Talleyrand ? contrecarrer Fouch? et ? s'unir passag?rement aux int?r?ts de madame Bonaparte. Ni elle, ni moi, nous n'?tions de force ? p?n?trer ses motifs, et je ne les ai connus que depuis. M. de R?musat avait moins de confiance que moi en ce d?vouement ? ce que nous souhaitions, d?vouement qui me charmait dans M. de Talleyrand; mais il concluait qu'il en fallait toujours profiter, et, avec des intentions diff?rentes, nous marchions tous dans une ligne pareille.
Il se confiait particuli?rement ? M. de Talleyrand, qui me racontait une partie de ses conversations: <
Peu avant le d?part pour Bayonne, il y eut encore sur cet article une explication qui fut la derni?re pour un peu de temps, et qui servira ? peindre les mouvements contraires auxquels l'empereur, tout fort, tout volontaire qu'il ?tait, se trouvait quelquefois entra?n?. Un matin, M. de Talleyrand, rencontrant M. de R?musat au sortir du cabinet de l'empereur, lui dit en regagnant sa voiture: <
M. de Talleyrand se retira avec un petit mouvement d'humeur. <
L'imp?ratrice re?ut mon mari le lendemain et lui raconta qu'? six heures elle avait joint Bonaparte pour d?ner, qu'il ?tait tr?s triste, silencieux, et que, pendant le repas, il n'avait pas prononc? une parole; qu'apr?s d?ner elle l'avait quitt? pour faire sa toilette, et qu'ensuite elle avait attendu l'heure du cercle; mais qu'on ?tait venu la chercher, en lui disant que l'empereur se sentait malade. Elle l'avait trouv? souffrant de crises d'estomac violentes, et dans un ?tat de nerfs assez agit?. En la voyant il n'avait pu retenir ses larmes, et, l'attirant sur son lit o? il s'?tait jet?, sans aucun ?gard pour son ?l?gante toilette, il la pressait dans ses bras, en r?p?tant toujours:
<
L'imp?ratrice flottait ainsi de l'esp?rance ? la crainte; elle ne se fiait point ? ces sc?nes path?tiques; elle pr?tendait que Bonaparte passait trop vite de ces protestations tendres ? des querelles pour des galanteries qu'il lui supposait, ou ? d'autres plaintes; qu'il voulait la fatiguer, la rendre malade, peut-?tre pis m?me; car j'ai dit comme son imagination abordait tout. Ou bien elle croyait qu'il s'effor?ait de la d?go?ter de lui en la tourmentant sans cesse. Il est certain que, soit par calcul, soit par suite de ses propres inqui?tudes, il l'agitait en tous sens, et qu'elle fut sur le point d'?tre assez gravement incommod?e. Quant ? Fouch?, il avait pris le parti de parler hautement du divorce ? l'imp?ratrice, ? moi, ? tout le monde, disant qu'on le renverrait si on voulait, mais qu'on ne l'emp?cherait point de conseiller ce qui ?tait utile. M. de Talleyrand l'?coutait dans un silence d?daigneux ou moqueur, et consentait ? passer assez publiquement pour s'opposer au divorce. Bonaparte voyait tout cela, sans bl?mer la conduite de l'un ni de l'autre, ni m?me celle de personne. Notre cour cherchait ? se taire encore plus et mieux que de coutume; car rien n'indiquait de quel c?t? de ces grands personnages il fallait se ranger. Au milieu de cette tourmente, le tragique ?v?nement de l'Espagne ?clata, et le divorce parut tout ? fait mis de c?t?.
Retour de Fontainebleau.--Voyage de l'empereur en Italie.--La jeunesse de M. de Talleyrand.--F?tes des Tuileries.--L'empereur et les artistes.--Opinion de l'empereur sur le gouvernement anglais.--Mariage de mademoiselle de Tascher.--Le comte Romanzow.--Mariage du mar?chal Berthier.--Les majorats.--L'universit?.--Affaires d'Espagne.
Vers ce temps, ? peu pr?s, M. Mol? fut nomm? pr?fet de la C?te-d'Or. L'empereur s'?tait aper?u de la distinction de son esprit dans plusieurs occasions. Il l'avait en quelque sorte adopt?, et son ?l?vation ?tait d?termin?e dans sa pens?e. Il le gagnait de plus en plus, par des conversations o? il mettait en ?vidence ce qu'il avait de plus remarquable, et Bonaparte s'entendait tr?s bien ? s?duire la jeunesse. M. Mol? montra quelque r?pugnance ? s'?loigner de Paris, o? lui et sa famille se trouvaient fort bien ?tablis. <
Le voyage de Fontainebleau fut termin? vers le milieu de novembre, au grand contentement de chacun, car on ?tait fatigu? des f?tes et de leur contrainte. Les princes ?trangers retourn?rent pour la plupart chez eux, ?blouis de notre magnificence, qui avait ?t? administr?e, si je puis me servir de cette expression, avec un ordre extr?me; car l'empereur n'entendait jamais raillerie sur l'?conomie de ses propres affaires. Il fut tr?s content quand M. de R?musat lui demanda, pour le compte des d?penses, des f?tes, des spectacles, seulement 150 000 francs; et, en effet, si on avait compar? la somme avec les r?sultats, on e?t remarqu? quel soin minutieux il avait fallu apporter ? la d?pense. L'empereur, qui se voulait instruire de tout, rappela ? cette occasion ce que co?taient autrefois ? la cour de France de pareils voyages, et il mit une certaine vanit?, assez fond?e apr?s tout, ? ce rapprochement. Le service de la maison, tr?s rigoureusement tenu par le grand mar?chal, fut arr?t? et pay? de m?me, et tout se trouva en ordre et dans une r?gle tr?s exacte. Ce Duroc tenait remarquablement la maison imp?riale, mais avec des formes dures, toutes ?man?es de la duret? du ma?tre. Quand l'empereur grondait, on s'apercevait dans le ch?teau d'une succession de brutalit?s dont le moindre valet de pied ressentait les atteintes. Le service se faisait avec une exactitude de discipline; les punitions ?taient s?v?res, l'exigence ne se rel?chait point; aussi chacun ne manquait jamais ? son poste, et tout se passait en silence et r?guli?rement. Tout abus ?tait surveill?, les b?n?fices des gens calcul?s et r?gl?s d'avance. Dans les offices et dans les cuisines, la moindre chose, un simple bouillon, un verre d'eau sucr?e ne se seraient pas distribu?s sans l'autorisation ou le bon du grand mar?chal. De m?me, il ne se passait rien dans le palais dont il ne f?t inform?. Il ?tait d'une discr?tion ? toute ?preuve, et redisait tout seulement ? l'empereur, qui s'informait des moindres choses.
L'empereur quitta Fontainebleau pour faire un court voyage en Italie. Il voulait revoir Milan, se montrer ? Venise, communiquer avec son fr?re Joseph, et, je pense, surtout, prendre une d?termination ? l'?gard du royaume d'Italie, d?termination par laquelle il croyait rassurer l'Europe, et, de plus, signifier ? la reine d'?trurie, fille du roi d'Espagne, qu'elle e?t ? quitter son royaume. Pr?parant en secret l'envahissement de l'Espagne, il savait que la r?union des deux couronnes de France et d'Italie avait souvent effarouch? l'Europe. En appelant Eug?ne ? la succession future du tr?ne d'Italie, il annon?ait que cette r?union ne serait point ?ternelle, et il supposait qu'on adopterait cette concession, qui ne le d?poss?dait point et qui mettait une borne au pouvoir de son successeur.
Murat, qui trouvait un grand avantage pour lui ? ne point interrompre les communications avec son beau-fr?re, obtint la permission de l'accompagner dans ce petit voyage, au grand d?plaisir de M. de Talleyrand, qui pr?vit qu'on profiterait de son absence pour ?carter de plus en plus ses plans. L'empereur partit donc le 16 novembre, et l'imp?ratrice revint ? Paris. Le prince primat y demeura encore quelque temps, ainsi que les princes de Mecklembourg. Ils venaient aux Tuileries tous les soirs, on jouait, on causait peu, on ?coutait de la musique; mais l'imp?ratrice parut parler un peu plus ? ce prince de Mecklembourg-Schwerin. On le remarqua, comme je l'ai dit, mais en riant, et on y mettait si peu d'importance qu'on en plaisantait l'imp?ratrice elle-m?me. Quelques personnes prirent s?rieusement ces plaisanteries, ?crivirent ? l'empereur, et, au retour, il gronda beaucoup. Habitu? ? se passer bien des fantaisies, il se montrait s?v?re pour celles des autres. Pendant ce voyage on donnait ? Paris, sur l'un des petits th??tres, un vaudeville qui avait un grand succ?s et que tout le monde voulait voir. Madame Bonaparte en eut fantaisie comme les autres. Elle chargea M. de R?musat de lui faire garder une petite loge, et, s'?tant v?tue simplement et ayant pris une voiture sans armes, elle se rendit en secret ? ce th??tre avec quelques dames et les deux princes de Mecklembourg. On ?crivit encore ? Milan cette tr?s petite affaire; l'empereur ?crivit ? son tour une lettre fulminante, et il reprocha ? sa femme, en revenant, de ne point savoir garder sa dignit?. Je me rappelle m?me que, dans son m?contentement, il lui repr?sentait que la reine de France s'?tait autrefois fait le plus grand tort, en ne craignant point de manquer ? son rang par des l?g?ret?s de cette esp?ce.
Pendant son absence, la garde imp?riale fit une entr?e triomphale ? Paris; elle fut harangu?e par le pr?fet et devint l'objet de beaucoup de f?tes.
J'ai dit aussi que les soeurs de charit? furent r?tablies; le ministre de l'int?rieur les rassembla chez Madame m?re et leur distribua des m?dailles en sa pr?sence. L'empereur voulait que sa m?re f?t ? la t?te de tous les ?tablissements de charit?; mais elle n'avait rien, dans sa mani?re d'?tre, qui la rend?t populaire, et elle s'acquittait sans go?t ni habilet? de ce dont elle ?tait charg?e.
L'empereur parut content de l'administration du royaume d'Italie et parcourut ce royaume tout entier. Il alla ? Venise, o? il fut joint par son fr?re Joseph, et par le roi et la reine de Bavi?re, qui all?rent lui rendre visite, ainsi que madame Bacciochi, qui sollicita quelque agrandissement de ses ?tats. Pendant ce temps, la Russie rompait tout ? fait avec l'Angleterre; une partie de nos arm?es, encore dans le nord de l'Allemagne, tenait en ?chec le roi de Su?de; Bernadotte, ? Hambourg, communiquait avec les Su?dois m?contents, et acqu?rait une r?putation personnelle qu'il soutenait avec soin. Il employait l'argent aussi pour se faire des cr?atures. Il n'est pourtant pas vraisemblable qu'il e?t d?s lors id?e de ce qui lui est arriv? depuis; mais son ambition, quoique vague encore, le conduisait ? se m?nager des chances quelles qu'elles fussent, et, ? cette ?poque, on pouvait au fond, dans certaines situations, tout entreprendre et tout esp?rer. Le prince du Br?sil quitta Lisbonne le 29 novembre, et le g?n?ral Junot y entra, peu de jours apr?s, avec notre arm?e, en d?clarant, toujours selon la coutume, que nous venions d?gager les Portugais du joug des Anglais. Vers la fin de ce mois, l'empereur, ayant assembl? ? Milan le Corps l?gislatif, d?clara qu'il adoptait solennellement Eug?ne, qui devenait h?ritier de la couronne d'Italie, ? d?faut d'h?ritiers m?les de l'empereur. En m?me temps, il lui permit de porter le titre de prince de Venise, et il cr?a la petite princesse qui venait de na?tre, princesse de Bologne. Apr?s cela, il revint ? Paris, o? il arriva le 1er janvier 1808.
J'?tais alors bien douloureusement occup?e. J'avais retrouv? ma m?re malade, ? mon retour de Fontainebleau. Son ?tat de langueur se prolongea d'abord, sans me donner de l'inqui?tude. Toute souffrante qu'elle ?tait, elle se montra fort contente des am?liorations qui s'?taient faites dans notre situation, et je commen?ai, pendant les premiers temps de sa maladie, ? ?tablir ma maison sur le pied qu'avait ordonn? l'empereur. Vers la fin de d?cembre, le mal de ma m?re devint si alarmant, que nous ne pens?mes plus qu'? lui donner nos soins, et que notre maison fut ferm?e. Trois semaines apr?s, nous e?mes le malheur de la perdre, et l'un des plus tendres liens de mon coeur, comme l'une de mes plus douces jouissances, fut ? jamais perdu. Ma m?re ?tait une personne distingu?e de toute mani?re. Elle avait beaucoup d'esprit, une raison aimable et solide, dans le monde une consid?ration m?rit?e. Elle nous ?tait utile et agr?able ? chaque instant du jour. Elle fut universellement regrett?e; sa perte nous jeta dans le d?sespoir; mon mari la pleura comme un vrai fils; on nous plaignit, m?me ? la cour, car on savait ce qu'elle valait. L'empereur lui-m?me s'exprima bien sur ce malheur, et en parla tr?s convenablement ? M. de R?musat quand il le revit; mais j'ai dit ailleurs que la vie de retraite que la convenance et ma douleur me forc?rent de mener, ayant contrari? ses vues, trois ou quatre mois apr?s, il nous retira cette portion de notre revenu qu'il nous avait accord?e pour la d?penser d'une mani?re brillante, en disant qu'elle nous ?tait inutile, et nous laissant par l? fort embarrass?s de dettes qu'il nous avait oblig?s de contracter.
Je passai cet hiver bien tristement; je pleurais am?rement ma m?re; j'?tais s?par?e de mon fils a?n? que nous avions mis au coll?ge pour qu'il y cultiv?t les heureuses dispositions qui annon?aient d?j? l'esprit distingu? qui s'est, depuis, d?velopp? chez lui; ma sant? ?tait mauvaise, mon ?me toute d?courag?e. Assur?ment, ma soci?t? ne pouvait offrir de grandes distractions ? M. de Talleyrand, et pourtant, il ne me d?daigna point dans mon malheur. Il fut un des plus assidus ? me soigner. Il avait connu ma m?re autrefois, il m'en parlait bien, et m'?coutait dans mes souvenirs. La gravit? de ma peine dissipait toutes mes petites pr?tentions ? faire de l'esprit devant lui; je ne retenais point mes larmes en sa pr?sence. Souvent, en tiers avec mon mari et moi, il ne se montrait point importun?, ni de ma douleur, ni des tendres consolations que m'offrait si affectueusement M. de R?musat. Il me semble, quand j'y pense, qu'en nous voyant, il nous examinait avec une sorte de curiosit?. Sa vie tout enti?re l'avait tenu loin des affections naturelles; nous lui donnions un spectacle nouveau qui le remuait un peu. Il semblait apprendre, pour la premi?re fois, ce qu'une tendresse mutuelle, fond?e sur les sentiments les plus moraux, procure de douceur et de courage contre les traverses de la vie. Ce qui se passait dans ma chambre le reposait de ce qui se passait ailleurs, peut-?tre m?me de ses souvenirs; car, plus d'une fois, ? cette ?poque, il m'a parl? de lui-m?me avec regret, je dirais presque avec d?go?t.
Enfin, comme nous ?tions touch?s de ses soins, nous y r?pondions par une reconnaissance qui partait du plus profond du coeur; il revenait de plus en plus fr?quemment entre nous deux, et il y demeurait longtemps; plus de plaisanteries, de railleries sur les autres, entre nous. Rendue ? moi-m?me, je lui laissais voir le fond d'une ?me vive, et que l'habitude d'un bonheur int?rieur avait rendue douce. Au travers de mes regrets, de ma profonde m?lancolie, de l'oubli o? je vivais de tout ce qui se passait au dehors, je le transportais dans des r?gions inconnues pour lui, ? la d?couverte desquelles il semblait prendre plaisir. J'acquis peu ? peu la libert? de lui tout dire; il me laissa prendre le droit de le bl?mer, de le juger souvent assez s?v?rement. Ma sinc?rit? ne parut jamais lui d?plaire, et je formai avec lui une liaison intime, et qui nous fut agr?able ? l'un et ? l'autre. Quand je parvenais ? l'?mouvoir, j'?tais satisfaite comme d'une victoire, et lui me savait gr? d'avoir remu? son ?me, si souvent endormie par habitude, par syst?me et par indiff?rence.
Il se mit ? sourire. < >>Une fois, je fus tir? de cette indiff?rence par une passion tr?s forte pour la princesse Charlotte de Montmorency. Elle m'aimait beaucoup aussi. Je m'irritai plus que jamais contre l'obstacle qui s'opposait ? ce que je l'?pousasse. Je fis beaucoup de d?marches pour me faire relever de ces voeux qui m'?taient odieux; je crois que j'y serais parvenu sans la R?volution qui ?clata, et ne permit point au pape de m'accorder ce que je souhaitais. Vous comprenez que, dans la disposition o? j'?tais, je dus accueillir cette r?volution avec empressement. Elle attaquait des principes et des usages dont j'avais ?t? victime; elle me paraissait faite pour rompre mes cha?nes, elle plaisait ? mon esprit; j'embrassai vivement sa cause, et, depuis, les ?v?nements ont dispos? de moi.>> Quand M. de Talleyrand me parlait ainsi, je le plaignais du fond de l'?me, parce que je comprenais cette triste influence d'une jeunesse toute d?color?e sur le reste d'une vie; mais je ne sentais pas moins int?rieurement qu'un caract?re, tant soit peu ?nergique, se f?t gard? de conclure comme lui, et je d?plorais devant lui qu'il e?t encore fl?tri sa vie de cette mani?re. Il est tr?s certain qu'une funeste insouciance du bien et du mal fut le fondement de la nature de M. de Talleyrand; mais on lui doit cette justice qu'il se garda bien d'?riger en principe aucune immoralit?. Il sent le prix de la vertu chez les autres; il la loue bien; il la consid?re, et ne cherche jamais ? la corrompre par aucun syst?me vicieux. Il semble m?me qu'il trouve une sorte de plaisir ? la contempler. Il n'a pas, comme Bonaparte, cette funeste id?e que la vertu n'existe nulle part, et n'est qu'une ruse ou qu'une affectation de plus. Je l'ai souvent, entendu vanter des actions qui devenaient une am?re critique des siennes; sa conversation n'est jamais ni immorale ni irr?ligieuse; il estime les bons pr?tres, il aime ? approuver; il a de la bont? et de la justice dans le coeur, mais il n'applique point ? lui ce qu'il appr?cie dans les autres; il s'est plac? ? part, il a conclu autrement pour lui. Il est faible, froid, et aujourd'hui, et depuis si longtemps blas? sur tout, qu'il cherche des distractions, comme un palais ?mouss? a besoin d'une nourriture piquante. Il ?tait alors de plus en plus bless? de ce qui se tramait contre l'Espagne. Les ruses vraiment diaboliques que pr?parait l'empereur offensaient sinon la morale, du moins un go?t des convenances qu'il portait dans la politique comme dans les affaires sociales. Il en pr?voyait les cons?quences, il me les a pr?dites d?s cette ?poque, et il me dit une fois: < L'hiver se passa brillamment; on avait termin? cette jolie salle que renferment les Tuileries. Les jours de cercle, on donna des spectacles, le plus souvent italiens, quelquefois fran?ais. La cour s'y montrait en grand gala; on distribuait des billets ? des personnes de la ville pour les galeries sup?rieures. Nous leur faisions aussi spectacle. Tout le monde voulut assister ? ces repr?sentations. On y d?ploya le plus grand luxe. On donna des bals par?s et m?me masqu?s. Ce fut un plaisir nouveau pour l'empereur, auquel il se livra volontiers. Quelques-uns de ses ministres, sa soeur Murat, le prince de Neuchatel, eurent ordre d'inviter une assez grande quantit? de monde, soit de la cour, soit de la ville. Les hommes portaient un domino, les femmes un ?l?gant costume, et le plaisir de ce d?guisement ?tait ? peu pr?s le seul qu'elles apportassent dans ces assembl?es, o? l'on savait que l'empereur ?tait pr?sent, et o? la crainte de le rencontrer imposait un peu silence. Pour lui, masqu? jusqu'aux dents, assez facilement reconnu, cependant, par sa tournure particuli?re dont il ne se pouvait d?faire, il parcourait les appartements, ordinairement appuy? sur le bras de Duroc. Il attaquait lestement les femmes, avec assez peu de d?cence dans les propos, et, s'il ?tait attaqu? lui-m?me, et ne reconnaissait pas tout de suite qui lui parlait, il finissait par arracher le masque, d?couvrant ce qu'il ?tait par cet acte impoli de sa puissance. Il avait aussi grand plaisir ? se servir de son d?guisement pour aller tourmenter certains maris par des anecdotes, vraies ou fausses, sur leurs femmes. S'il apprenait que ces r?v?lations avaient quelques suites, il s'en irritait apr?s; car il ne voulait pas m?me que les actes de m?contentement qu'il avait excit?s fussent ind?pendants de lui. Il faut le dire, parce que cela est vrai, il y a dans Bonaparte une certaine mauvaise nature inn?e qui a particuli?rement le go?t du mal, dans les grandes choses comme dans les petites. Cependant, au milieu de tous ces plaisirs, il travaillait fortement, et sa guerre personnelle avec le gouvernement anglais l'occupait beaucoup. Il imaginait toute sorte de moyens pour soutenir son syst?me continental. Il se flattait de r?pondre par des articles de journaux au m?contentement qu'excitaient partout le rench?rissement du sucre et du caf?, et la privation des marchandises anglaises. Il encourageait toutes les d?couvertes. Il esp?rait que le sucre de betterave et d'autres inventions, soit pour certaines productions, soit pour la confection des couleurs, nous affranchiraient du besoin de l'?tranger. Il se fit adresser publiquement un rapport par le ministre de l'int?rieur, qui avait obtenu, par le moyen des pr?fets, des lettres de chambres de commerce qui approuvaient le syst?me continental, ce syst?me devant imposer, disait-on, des privations momentan?es pour assurer un jour la libert? des mers. On poursuivait les Anglais partout; on les tenait prisonniers ? Verdun, on confisquait leurs biens en Portugal, on for?ait la Prusse ? se liguer contre eux; on mena?ait la Su?de, dont le roi s'ent?tait ? demeurer leur alli?. La corde se tendait de part et d'autre. Il ?tait impossible de ne pas pr?voir que la mort seule de l'un des contendants terminerait la querelle, et les esprits sages s'inqui?taient d?j? s?rieusement. Mais, comme on nous trompait sur tout, la d?fiance se glissait toujours ? chacune des lectures que nous faisions dans les journaux. On lisait sans croire. L'empereur s'?puisait ? ?crire sans persuader. Il s'irritait de cette d?fiance, et prenait tous les jours plus d'aversion contre les Parisiens. Il mettait sa vanit? ? vouloir convaincre; l'exercice de son pouvoir lui paraissait incomplet, quand il manquait son effet sur la pens?e; le vrai moyen de lui plaire ?tait de se montrer cr?dule: < Ceci me rappelle qu'il reprocha une fois, ? M. de Lu?ay, l'un de ses pr?fets du palais, et alors charg? de la surintendance de l'Op?ra, de recevoir avec quelque hauteur les acteurs, lorsqu'ils avaient affaire ? lui. < Le 21 janvier 1808, le S?nat assembl? accorda la lev?e de 80 000 combattants sur la conscription de 1809. Le conseiller d'?tat R?gnault, orateur ordinaire dans ces sortes d'occasions, d?montra que, de m?me que les lev?es pr?c?dentes avaient servi ? conqu?rir la paix continentale, de m?me celle-ci servirait ? obtenir enfin la libert? des mers; et personne ne contredit ce raisonnement. On a su que le s?nateur Lanjuinais et quelques autres avaient parfois, pendant la dur?e de ce r?gne, essay? au S?nat quelques repr?sentations sur ces lev?es si dures et si multipli?es; mais ces observations s'?vaporaient dans l'enceinte du palais s?natorial, et ne changeaient rien aux d?cisions prescrites d'avance. Le S?nat, soumis et craintif, n'inspirait aucune confiance nationale, et m?me on s'accoutuma ? le regarder peu ? peu avec une sorte de m?pris. Les hommes sont s?v?res les uns envers les autres; ils ne se pardonnent point leurs faiblesses, et ils voudraient pouvoir applaudir dans un autre la vertu dont ils ne sont souvent point susceptibles; enfin, quelle que soit la tyrannie, l'opinion, pour qui veut l'?couter, se venge toujours plus ou moins. Il n'est pas de despote qui ignore les pens?es qu'il inspire, le bl?me qu'il excite. Bonaparte savait tr?s positivement ce qu'il ?tait, en bien et en mal, dans l'esprit des Fran?ais, mais il se flattait de pouvoir tout dominer. Peu apr?s, les villes de Kehl, de Cassel, de Wesel et de Flessingue furent r?unies ? l'Empire, comme des clefs qu'il devenait n?cessaire d'avoir en notre possession. On faisait ? Anvers d'immenses et beaux travaux. En tout, l'activit? ?tait grande sur tous les points des pays qui d?pendaient de la France. L'?galit?, au contraire, ennemie du nivellement, en permettant ? chacun d'?tre ce qu'il est, d'arriver o? il peut, ram?ne dans la soci?t? toute la vari?t? des ?l?vations naturelles et des influences l?gitimes. Elle forme aussi une aristocratie, non de classes, mais d'individus; non pas une aristocratie constitu?e de mani?re ? niveler tout ce qu'elle domine, mais une aristocratie destin?e ? attirer dans la sph?re ?lev?e de son ?galit? tout ce qui m?rite d'y atteindre. L'empereur avait, sans doute, le sentiment de ces diff?rences; aussi, malgr? sa noblesse, ses d?corations, ses s?natoreries, toutes ses belles paroles, il ne tendait ? autre chose qu'? enter son pouvoir absolu sur une vaste d?mocratie; car il y a aussi une d?mocratie niveleuse l? o? les droits politiques, accord?s, en apparence, ? tous, ne sont mis ? la port?e de personne. Vers le commencement de f?vrier, on c?l?bra le mariage de mademoiselle de Tascher, cr?ole et cousine de madame Bonaparte. Elle fut ?lev?e au rang de princesse, et mari?e par la reine de Hollande. La famille de son mari ?tait alors au comble de la joie, et montrait une obs?quiosit? remarquable. Elle se flattait d'arriver ? de grandes ?l?vations. Le divorce la d?senchanta tout ? fait, et elle se brouilla avec cette jeune princesse, qui ne lui apportait point tout ce qu'elle avait esp?r?. Nous v?mes dans ce temps ? Paris le comte de Romanzow, ministre des affaires ?trang?res de Russie. C'?tait un homme d'esprit et de sens; il arriva plein d'admiration pour l'empereur et anim? encore par l'enthousiasme r?el qu'?prouvait alors le jeune souverain. Ma?tre de lui cependant, il observa l'empereur avec attention; il s'aper?ut de l'?tat de g?ne des Parisiens, qui acceptaient leur gloire sans se l'approprier; il fut frapp? de certaines disparates, et se forma un jugement mod?r? qui, depuis, a bien pu avoir quelque influence sur le czar. L'empereur lui demanda: <
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