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Read Ebook: Mémoires de madame de Rémusat (3/3) publiées par son petit-fils Paul de Rémusat by R Musat Madame De Claire Elisabeth Jeanne Gravier De Vergennes R Musat Paul De Editor

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Ebook has 131 lines and 28940 words, and 3 pages

Nous v?mes dans ce temps ? Paris le comte de Romanzow, ministre des affaires ?trang?res de Russie. C'?tait un homme d'esprit et de sens; il arriva plein d'admiration pour l'empereur et anim? encore par l'enthousiasme r?el qu'?prouvait alors le jeune souverain. Ma?tre de lui cependant, il observa l'empereur avec attention; il s'aper?ut de l'?tat de g?ne des Parisiens, qui acceptaient leur gloire sans se l'approprier; il fut frapp? de certaines disparates, et se forma un jugement mod?r? qui, depuis, a bien pu avoir quelque influence sur le czar. L'empereur lui demanda: <> r?pondit-il.

Bonaparte, ? l'aide d'un s?natus-consulte, cr?a une nouvelle grande dignit? de l'Empire, sous le titre de gouverneur g?n?ral au del? des Alpes, et il conf?ra cette dignit? au prince Borgh?se, qui fut envoy? ? Turin avec sa femme. Ce prince se vit forc? de vendre ? l'empereur toutes les plus belles statues que renfermait la villa Borgh?se, et dont on orna notre Mus?e. C'?tait alors une admirable chose que cette collection de tout ce que l'Europe avait poss?d? de chefs-d'oeuvre r?unis avec soin et ?l?gance au Louvre, et, par ce genre de conqu?te, Bonaparte parlait tr?s bien ? la vanit? et au go?t fran?ais. Il se fit faire un rapport, en s?ance du conseil d'?tat, sur les progr?s des sciences, des lettres et des arts, depuis 1789, par une commission ? la t?te de laquelle ?tait M. de Bougainville. Apr?s avoir entendu le rapport, il r?pondit en ces termes:

<>

Elle exer?ait sur lui un grand empire, au point de se faire pardonner une foule de distractions qu'elle ne craignait point de se permettre devant ses yeux, et qu'elle colorait selon qu'il lui convenait, ou dont elle obtenait le pardon. Le mar?chal Berthier, tourment? par l'empereur, demandait souvent ? son ma?tre, pour prix de sa fid?lit?, de ne point le poursuivre dans cette ch?re faiblesse de son coeur. Bonaparte s'irritait, se moquait, revenait ? la charge, et ne pouvait vaincre cette r?sistance qui dura plusieurs ann?es. Cependant, ? force de pri?res et de paroles, il l'emporta enfin, et Berthier, tout en r?pandant de vraies larmes, consentit ? ?pouser une princesse qui tenait ? la maison de Bavi?re, et qui fut conduite ? Paris. Ils re?urent la b?n?diction nuptiale en pr?sence de l'imp?ratrice et de l'empereur. Cette princesse n'?tait nullement belle, et elle ne put faire oublier ? son nouvel ?poux les sentiments qui l'attachaient. Il conserva donc cette passion jusqu'? la fin de sa vie.

Ce fut dans ce temps que l'empereur montra plus fortement encore que par le pass? quelles id?es monarchiques germaient dans sa t?te, et qu'il fonda l'institution des majorats. Cette institution fut approuv?e d'un grand nombre, bl?m?e par les autres, envi?e d'une certaine classe, et adopt?e en g?n?ral assez vivement par beaucoup de familles, qui saisirent cette occasion de donner une importance ? l'a?n? de leur race, et de perp?tuer leur nom.

Ensuite, il pronon?a quelques paroles pour rassurer les hommes de la R?volution, ajoutant que tous les citoyens ne seraient pas moins toujours ?gaux devant la loi, et que les distinctions accord?es indistinctement ? tous ceux qui les m?ritaient devaient, sans exciter la jalousie, enflammer l'ardeur de tous. Le S?nat re?ut cette nouvelle d?termination avec son approbation ordinaire, et vota une adresse de remerciement et d'admiration ? l'empereur. Dans la donn?e de cette fondation, quand la loi parut avec les d?tails, g?n?ralement on la trouva bien r?dig?e. On s'aper?ut qu'on y avait pris des pr?cautions contre l'ind?pendance, mais qu'on avait encore soumis les all?chements qu'on offrait ? la vanit?, ? une forme r?guli?re et administrative qui pouvait, au fond, concourir au bien de l'?tat. M. de Talleyrand exalta beaucoup cette nouvelle invention, et ne comprenait point une monarchie sans noblesse.

Le conseil du sceau fut cr?? pour surveiller la soumission de chacun aux lois par lesquelles on obtenait la fondation d'un majorat. M. Pasquier, alors ma?tre des requ?tes, en fut nomm? procureur g?n?ral. Des titres commenc?rent ? ?tre accord?s ? ceux qui exer?aient quelques charges, ou qui avaient quelques grandes places dans l'?tat. Cela produisit d'abord une sorte de surprise moqueuse, ? cause de cet accolement de certains noms pr?c?d?s du titre de comte ou de baron; mais on s'y accoutuma assez vite, et, au fond, l'esp?rance pour tous d'arriver ? quelque distinction fit qu'on se pr?ta assez bien ? la supporter, et m?me ? l'approuver chez les autres. J'ai ou? dire que c'est alors que l'empereur se montra v?ritablement ing?nieux pour d?montrer ? tous les partis ? quel point ils devaient approuver les cr?ations qu'il entreprenait. Il n'?pargna aucune parole: <> Puis il ajoutait, en se tournant vers ceux qui voulaient arriver ? une monarchie temp?r?e: <> Il disait encore ? ce qui restait de vrais jacobins: <> Et ? cette ancienne noblesse: <> On l'?coutait, on voulait encore le croire. D'ailleurs, il ne donnait pas grand temps ? nos r?flexions, et il nous emportait dans le tourbillon de ses s?ductions de tout genre. Il les imposait avec force m?me, quand il ?tait n?cessaire. C'?tait une adresse de plus, car il y a des gens qui aiment avoir ?t? forc?s.

Une autre institution suivit celle-ci, et parut imposante et grandiose. Je veux parler de l'universit?. L'enseignement public fut concentr? dans un syst?me fort et ?tendu, et tout le d?cret qui le concerne a ?t? con?u, dit-on, par une grande pens?e. Dans la suite, il arriva pour l'universit? ce qui advenait pour tout. Le despotisme de Bonaparte s'effarouchait promptement des pouvoirs qu'il cr?ait, et qui pouvaient devenir des obstacles ? telle ou telle de ses volont?s. Le ministre de l'int?rieur, le pr?fet, l'administration g?n?rale, c'est-?-dire le syst?me absolu, s'immisc?rent dans les op?rations que tentait le corps de l'universit?, les contrari?rent, les d?truisirent, quand elles annon?aient le plus l?ger esprit d'ind?pendance, et nous sommes encore ? ce sujet plut?t une belle fa?ade qu'un v?ritable monument. M. de Fontanes fut nomm? grand ma?tre de l'universit?. Ce choix, qui fut g?n?ralement approuv?, ?tait cependant celui qui convenait le plus au ma?tre, jaloux de conserver son pouvoir journalier sur les hommes et les choses.

M. de Fontanes, qui avait, par son beau et noble talent, et par la r?putation du go?t le plus ?clair?, une sorte de consid?ration distingu?e, alliait ? ces qualit?s un caract?re assez triste, un peu d'insouciance, de paresse, une mollesse d'action qui n'annon?aient aucune disposition ? lutter quand il l'e?t fallu. Je le rangerais assez, lui-m?me, dans la classe des belles fa?ades dont je parlais tout ? l'heure. Cependant, l'?ducation publique gagna quelque chose ? cette cr?ation. On y remit de l'ordre, on fortifia les ?tudes, on occupa la jeunesse. On a dit que, sous l'Empire, l'?ducation dans les lyc?es ?tait purement militaire, et on a eu tort. Les lettres y ?taient cultiv?es avec soin. On y perfectionna beaucoup l'?tude des langues anciennes, des math?matiques et des arts; on eut ?gard aux moeurs, on exer?a une grande surveillance. Mais l'?ducation n'y fut ni assez religieuse, ni assez nationale, et nous ?tions parvenus ? un temps o? il e?t fallu qu'elle f?t l'une et l'autre. On ne tendit nullement ? donner aux jeunes gens ces connaissances morales et politiques qui font les citoyens, et qui les pr?parent ? prendre part aux travaux de leur gouvernement. On les for?ait d'assister ? la classe, mais on ne leur parlait pas de leur religion; on leur parlait bien plus de l'empereur que de l'?tat, et on les exaltait vers la gloire. Cependant la puissance de l'?tude, l'?mulation des r?compenses, la force des temps, en ont form? un grand nombre, et aujourd'hui la jeunesse fran?aise, qui ne vaut pas tout ce qu'elle pourrait valoir, s'est pourtant d?velopp?e d'une mani?re remarquable. On peut saisir une extr?me diff?rence entre celle qui s'est tenue loin de cette ?ducation publique offerte ? tous, et celle qui a march? avec elle. L'esprit de parti, la d?fiance, une sorte d'inqui?tude, port?rent l'ancienne noblesse fran?aise et une portion de la classe ais?e ? garder leurs enfants pr?s d'eux; on les ?leva dans une foule de pr?jug?s dont aujourd'hui ils portent le poids. La jeunesse qui fut confi?e aux lyc?es s'y fortifia de la toute-puissance de l'?ducation publique; elle acquit une sup?riorit? sur l'autre, qu'on lui disputerait en vain aujourd'hui. Peut-?tre s'?gara-t-elle quelquefois, et se laissa-t-elle prendre au prestige brillant de l'aur?ole glorieuse qui environnait Bonaparte; mais l'enthousiasme des jeunes ?mes prend toujours sa source dans les beaux sentiments; il les s?duit sans les corrompre; on est de si bonne foi ? vingt ans, qu'on ne rougit d'aucun changement. On peut avoir exalt? Bonaparte, et revenir ensuite ? l'amour du pays et d'une sage libert?. Les hommes ?g?s n'ont pas cet avantage. Comme on suppose plus de r?flexion dans leurs approbations, ils sont honteux d'y renoncer; il faut du courage pour sentir et avouer qu'on a eu tort, et l'ent?tement d'une vanit? embarrass?e est souvent ce qui fonde la fid?lit? ? d'inutiles pr?jug?s.

Le d?cret qui cr?a l'universit?, apr?s avoir r?gl? les attributions de ceux qui doivent la composer, fixa leur traitement ? des sommes ?lev?es. On leur donna un costume tr?s beau, une tr?s grande repr?sentation. Apr?s le grand ma?tre, l'?v?que de Casal, M. de Villaret, qui ?tait tr?s estim?, fut chancelier. M. Delambre, secr?taire perp?tuel de la premi?re classe de l'Institut, consid?r? sous les rapports de la science et de la r?putation, fut tr?sorier. Le conseil de l'universit? se trouva compos? de gens distingu?s. On vit surgir les noms de M. de Bausset, ancien ?v?que d'Alais, aujourd'hui cardinal, de MM. Cuvier, de Bonald, de Frayssinous, Royer-Collard, etc.. Les proviseurs des lyc?es, les professeurs furent choisis avec soin. Enfin, on applaudit beaucoup ? cette cr?ation. Il est arriv? que les ?v?nements l'ont d'abord fait languir, et ensuite d?sorganis?e, comme tout le reste.

Peu apr?s, c'est-?-dire le 23 mars 1808, la cour se rendit ? Saint-Cloud. L'empereur quittait toujours Paris le plus t?t qu'il pouvait. L'habitation des Tuileries lui d?plaisait, ? cause de l'impossibilit? de s'y promener ? l'aise; et puis, ? mesure qu'il avan?ait, il se trouvait plus g?n? en pr?sence des Parisiens. Comme il n'aimait pas la contrainte, quand il se voyait au milieu de la ville, il s'apercevait qu'on y ?tait trop bien inform? des paroles ou des emportements qui lui ?chappaient. Il excitait une curiosit? qui l'importunait; on l'accueillait froidement en public, on racontait mille anecdotes sur lui; enfin il ?tait oblig? de se contraindre. Aussi les voyages de Paris se raccourcissaient-ils de plus en plus, et commen?ait-on ? parler d'habiter Versailles. La restauration du ch?teau fut m?me d?cid?e, et Bonaparte dit plus d'une fois qu'il n'avait, au fond, besoin d'?tre ? Paris que pendant la session du Corps l?gislatif.

Lorsqu'il allait se promener au dehors, et qu'au retour il passait les barri?res, il avait coutume de dire: <> Quelquefois, il r?vait les plans d'une transplantation de la capitale, et d'un ?tablissement ? Lyon; son imagination seule abordait la pens?e d'un pareil d?placement, mais il s'y complaisait, et c'?tait une de ses r?veries favorites. Les Parisiens savaient assez bien que Bonaparte ne les aimait point, et ils s'en vengeaient par des calembours et par des anecdotes souvent invent?es. Ils se montraient soumis, mais froids et railleurs ? son ?gard. Les grands de sa cour adoptaient l'antipathie du ma?tre, et ne parlaient de Paris qu'en l'accolant ? quelque ?pith?te irrit?e. Enfin, plus d'une fois, cette r?flexion ?chappa tristement ? l'empereur: <>

Une collection fid?le des observations que Bonaparte faisait sur sa propre conduite deviendrait un livre fort utile ? nombre de souverains, ou ? ceux qui se m?lent de les conseiller. Quand, aujourd'hui, j'entends des gens, qui me paraissent bien neufs dans l'art de gouverner les hommes, affirmer que rien n'est si facile, ? l'aide de la force, que d'imposer sa volont?, et qu'en s'appuyant sur la puissance des ba?onnettes, on peut contraindre une nation ? subir tel r?gime qu'il plaira de lui infliger, je me rappelle ce que disait l'empereur sur les embarras qui avaient r?sult? pour lui de son d?but dans la carri?re politique, des inconv?nients provenant de l'emploi de la force contre les citoyens, des difficult?s qui surgissaient, d?s le lendemain du jour o? l'on s'?tait vu forc? d'user d'une telle ressource. Je me souviens que j'ai entendu dire ? ses ministres que, lorsqu'on d?terminait dans le conseil quelque mesure un peu violente, il leur adressait ordinairement cette question: <> et que le moindre mouvement populaire lui paraissait grave et f?cheux. On l'a vu prendre plaisir ? peindre ou ? ?couter les ?motions diverses qu'on ?prouve sur le champ de bataille, et p?lir en entendant conter les exc?s o? le peuple r?volt? peut se laisser entra?ner. Enfin, si, en parcourant ? cheval les rues de Paris, un ouvrier venait se jeter au-devant de lui pour implorer quelque gr?ce, son premier mouvement ?tait toujours de fr?mir et de reculer.

Les g?n?raux de la garde avaient l'ordre d'?viter avec le plus grand soin le contact entre le peuple et les soldats. <> Et si, par hasard, il s'?levait quelque rixe entre des militaires et des bourgeois, c'?tait le plus habituellement les militaires qui ?taient punis et ?loign?s, quitte ? recevoir plus tard une distribution d'argent qui les calmait.

Cependant le nord de l'Europe ?tait toujours dans un ?tat d'agitation. Le roi de Su?de demeurait trop fid?lement d?vou?, pour l'int?r?t de ses sujets, ? la politique que lui imposait le gouvernement anglais; il excitait de plus en plus l'animadversion des Su?dois, et sa conduite tenait un peu de l'?tat d'exaltation o? se trouvait sa t?te. L'empereur de Russie lui ayant d?clar? la guerre, et, en m?me temps, ayant commenc? une exp?dition contre la Finlande, M. d'Alop?us, ambassadeur russe ? Stockholm, se vit tout ? coup retenu prisonnier dans sa maison, contre tout droit des gens.

Quelques m?contentements s'?taient manifest?s, ? l'occasion de l'arrestation de l'ambassadeur de Russie ? Stockholm; le roi quitta cette ville et se retira dans le ch?teau de Gripsholm, d'o? il donna des ordres pour la guerre, soit contre les Russes, soit contre les Danois.

Mais tous les regards furent bient?t d?tourn?s de ce qui se passait au nord, pour se fixer sur le grand drame qui s'ouvrait en Espagne. Le grand-duc de Berg y avait ?t? envoy?, et y avait pris le commandement de notre arm?e, qui s'?tait avanc?e sur les rives de l'?bre. Le roi d'Espagne, faible, craintif, gouvern? par son ministre, n'apportait aucune r?sistance contre la marche des troupes fran?aises qu'on pr?sentait toujours comme dirig?es vers le Portugal.

En commen?ant la quatri?me ?poque de ces M?moires, je donnerai de plus grands d?tails sur ces ?v?nements. Ils ?taient alors tr?s obscurs pour nous. On se demandait ce que l'empereur allait faire; cette marche nouvelle d'une invasion, ces intrigues secr?tes, dont on ne tenait point le fil, la d?fiance g?n?rale qui s'accroissait de plus en plus, tout rendait attentif.

M. de Talleyrand, que je voyais beaucoup, ?tait m?content. Il bl?mait hautement tout ce qu'on faisait et ce qu'on allait faire. Il d?non?ait Murat ? l'opinion publique. Il criait ? la perfidie, se lavait d'y avoir tremp?, r?p?tait que, s'il e?t ?t? ministre des affaires ?trang?res, il n'e?t point voulu pr?ter son nom ? de pareilles ruses. L'empereur s'irritait de ce bl?me exprim? avec assez de libert?; il voyait qu'une approbation d'un genre nouveau se tournait du c?t? de M. de Talleyrand; il ?coutait certaines d?nonciations qu'on venait apporter contre lui, et leur liaison pass?e se trouvait interrompue. Il a beaucoup dit que M. de Talleyrand avait conseill? cette affaire d'Espagne, et qu'il s'en ?tait d?charg? apr?s, en voyant son peu de succ?s. Je suis t?moin que M. de Talleyrand la bl?mait violemment d?s cette ?poque, et qu'il s'exprimait avec une telle vivacit? contre cette violation de tout droit des gens, que je me suis vue oblig?e de lui conseiller, plus d'une fois, de mod?rer l'amertume de ses paroles. Ce qu'il e?t voulu, ce qu'il e?t conseill?, je ne puis pr?cis?ment le dire, car il ne l'a jamais fait conna?tre enti?rement, et j'en ai ?crit tout ce que j'en ai pu savoir. Ce qui est certain, c'est que l'opinion publique lui donna raison dans ce moment, et se d?clara pour lui, parce qu'il ne dissimula point sa mauvaise humeur.

<> En effet, la suite a prouv? que M. de Talleyrand ne s'?tait point tromp?, et de ce funeste ?v?nement on peut dater la d?cadence morale de celui qui faisait alors trembler l'Europe enti?re.

? peu pr?s vers ce temps, la douce et modeste reine de Naples ?tait partie pour rejoindre son ?poux en Espagne, et occuper un tr?ne sur lequel elle ne devait pas demeurer longtemps.

Ce fut le 2 avril 1808 que l'empereur partit, sous pr?texte de visiter les provinces du Midi, et en effet pour surveiller ce qui se passait en Espagne. J'en donnerai une id?e, le plus succinctement possible.

Rien n'avait paru troubler la bonne intelligence qui r?gnait entre la France et l'Espagne, lorsque au moment o? s'ouvrit la campagne de Prusse, le prince de la Paix, croyant que la guerre qui commen?ait allait faire p?lir la fortune de l'empereur, songea ? armer l'Espagne pour la pr?parer ? profiter des ?v?nements qui pouvaient l'aider ? secouer le joug, et fit une proclamation qui invitait les Espagnols ? s'enr?ler de tous c?t?s. Cette proclamation arriva ? l'empereur sur le champ de bataille d'I?na, et bien des gens ont dit que, d?s cette ?poque, il avait jur? la perte de la maison de Bourbon en Espagne. Apr?s ses succ?s, il diss?mina les troupes espagnoles sur tous les points de l'Europe, et le prince de la Paix n'obtint sa protection qu'en se soumettant ? sa politique. Bonaparte a tant r?p?t?, en 1808, qu'? Tilsit, le czar avait approuv? ses projets sur l'Espagne, et, en effet, imm?diatement apr?s le renversement de Charles IV, l'entrevue des deux empereurs s'est pass?e si amicalement ? Erfurt, qu'il est assez vraisemblable qu'ils s'?taient mutuellement autoris?s ? poursuivre leurs projets, l'un vers le nord, l'autre vers le midi. Mais ce que je ne sais pas bien, c'est jusqu'? quel point Bonaparte trompa l'empereur de Russie lui-m?me; et s'il ne commen?a pas, d'abord, par lui confier seulement le partage qu'il feignait de pr?parer dans les ?tats du roi Charles IV, et le d?dommagement qu'il avait l'air de vouloir lui donner en Italie. Peut-?tre n'avait-il pas arr?t? le plan de le d?poss?der enti?rement. Ce qu'il y a de certain, c'est que M. de Talleyrand n'est point entr? dans cette id?e.

Quoiqu'il en soit, Murat, dans sa correspondance avec le prince de la Paix, le leurrait du don d'une portion du Portugal, qui, disait-il, serait devenu le royaume des Algarves. Une autre partie du Portugal devait appartenir ? la reine d'?trurie, et cette ?trurie devait d?sormais devenir l'empire du roi Charles IV, qui conserverait les colonies am?ricaines, et, ? la paix g?n?rale, prendrait le titre d'empereur des deux Am?riques. Durant le voyage de 1807, un trait? dress? sur ces bases fut conclu ? Fontainebleau, ? l'insu de M. de Talleyrand, et malgr? lui, et le passage de nos troupes fut accord? par le prince de la Paix pour la conqu?te du Portugal. L'empereur, ? Milan, ordonna ? la reine d'?trurie de retourner aupr?s de son p?re.

L'imp?ratrice, qui aimait ? voyager et ? ne point quitter son ?poux, obtint la permission de partir apr?s lui; elle le rejoignit ? Bordeaux.

Les Espagnols avaient accept? l'abdication de leur roi, et se voyaient avec joie d?barrass?s du joug du prince de la Paix. ? Madrid surtout, ils s'irritaient de la pr?sence des Fran?ais, de la s?cheresse de leurs relations avec le jeune souverain, et Murat ne put parvenir ? contenir la fermentation naissante qu'? l'aide d'une s?v?rit?, n?cessaire dans sa situation, mais qui acheva de nous rendre odieux.

L'empereur, ?tant arriv? ? Bayonne, s'?tablit au ch?teau de Marrac, situ? ? un quart de lieue de cette ville, incertain encore de ce qui r?sulterait de son entreprise, m?ditant le voyage de Madrid pour derni?re ressource, mais d?termin? ? ne point laisser ?chapper le fruit des tentatives commenc?es. Personne autour de lui n'?tait dans son secret; il faisait agir tout son monde, sans s'ouvrir ? qui que ce f?t. On peut lire, dans la relation que l'abb? de Pradt a donn?e de la r?volution d'Espagne, des notes assez curieuses et des remarques justes sur la force avec laquelle l'empereur savait porter ? lui seul le myst?re de ses conceptions. L'abb? de Pradt ?tait alors ?v?que de Poitiers. En passant devant cette ville, Bonaparte l'emmena ? sa suite, lui sachant assez de go?t et de talent pour l'intrigue, et croyant pouvoir s'en servir.

J'ai ou? dire aux personnes qui firent ce voyage que le s?jour de Marrac fut triste, et que la pr?occupation de tout le monde ?tait de souhaiter le d?nouement de ce qui se passait, afin de retourner ? Paris.

Savary fut promptement envoy? ? Madrid, et re?ut vraisemblablement l'ordre de ramener le prince des Asturies, ? quelque prix que ce f?t. Il remplit sa mission avec cette exactitude qui lui ?tait particuli?re, et qui ne lui permettait jamais de r?fl?chir sur les ordres dont on le chargeait, ni sur les moyens qu'il lui fallait employer. Ce fut le 7 avril que Savary vit le prince des Asturies ? Madrid. Il lui annon?a comme certain le voyage de l'empereur en Espagne, prit tout le caract?re d'un ambassadeur qui vient complimenter un nouveau roi, s'engageant, au nom de son ma?tre, s'il trouvait ses dispositions amicales, ? ne point s'immiscer dans aucune des affaires de l'Espagne. Ensuite il commen?a ? insinuer que ce serait avancer beaucoup les n?gociations que de venir au devant de l'empereur, qui, assurait-il, allait sous peu se rendre ? Madrid; et, ce qui a ?tonn? tout le monde, et ce qui ?tonnera de m?me la post?rit?, c'est qu'il parvint ? persuader le prince des Asturies et sa cour sur ce voyage. ? la v?rit?, on ne peut gu?re douter que la menace ne f?t jointe au conseil dans cette occasion, et que ce malheureux prince n'ait ?t? entra?n? dans le pi?ge que par une multiplicit? de lacs qui lui furent tendus ? la fois. On lui fit sans doute sentir que sa couronne ?tait ? ce prix, que l'empereur, souhaitant cette d?marche, ne lui pr?terait secours que si on le satisfaisait sur ce point; on le leurra encore de l'espoir de le rencontrer sur le chemin. Il ne fut d'abord point question de passer la fronti?re.

Le prince des Asturies se trouvait entra?n? par les ?v?nements ? une entreprise un peu au-dessus de ses forces; il ?tait plut?t agent que chef du parti qui l'avait port? sur le tr?ne, et il ne pouvait enti?rement s'accoutumer ? la situation d'un fils r?volt? contre son p?re. Enfin la pr?sence de nos arm?es l'intimidait; il n'osait r?pondre aux Espagnols du salut de la patrie, s'il r?sistait. Ses conseillers eux-m?mes ?taient intimid?s. Savary conseillait aussi, mais en mena?ant, et ce malheureux prince, par suite d'une foule de sentiments divers, se d?termina ? l'action qui devait le plus imm?diatement le perdre. J'ai entendu dire ? Savary qu'une fois qu'il l'eut mis sur la route de Bayonne, il avait des ordres si positifs, qu'il ?tait parfaitement d?termin? ? ne plus le laisser retourner; et, comme de fid?les serviteurs avaient averti son prisonnier, il le surveillait de si pr?s, qu'il ?tait bien certain qu'aucune force humaine n'e?t pu le lui enlever. Pour observer cette intrigue aussi coupable que bien ourdie, l'empereur ?crivit cette lettre, imprim?e depuis, qui fut remise au prince des Asturies quand il ?tait ? Vitoria, et que je transcrirai ici, parce qu'elle aide ? comprendre la suite des ?v?nements.

<

>>Mon fr?re, j'ai re?u la lettre de Votre Altesse royale. Elle doit avoir acquis la preuve, dans les papiers qu'elle a eus du roi son p?re, de l'int?r?t que je lui ai toujours port?. Elle me permettra, dans la circonstance actuelle, de lui parler avec franchise et loyaut?. En arrivant ? Madrid, j'esp?rais porter mon illustre ami ? quelques r?formes n?cessaires dans ses ?tats, et ? donner quelque satisfaction ? l'opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait n?cessaire pour son bonheur et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont retard? mon voyage. Les ?v?nements d'Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s'est pass?, et de la conduite du prince la Paix, mais ce que je sais bien, c'est qu'il est dangereux pour les rois d'accoutumer les peuples ? r?pandre du sang, et ? se faire justice eux-m?mes. Je prie Dieu que Votre Altesse royale n'en fasse pas un jour elle-m?me l'exp?rience. Il n'est pas de l'int?r?t de l'Espagne de faire du mal ? un prince qui a ?pous? une princesse du sang royal, et qui a si longtemps r?gi le royaume. Il n'a plus d'amis. Votre Altesse royale n'en aura plus, si jamais elle est malheureuse. Les hommes se vengent volontiers des hommages qu'ils nous rendent. Comment, d'ailleurs, pourrait-on faire le proc?s au prince de la Paix, sans le faire ? la reine et au roi votre p?re? Ce proc?s alimentera les haines et les passions factieuses; le r?sultat en sera funeste pour votre couronne. Votre Altesse royale n'y a de droits que ceux que lui a transmis sa m?re; si le proc?s la d?shonore, Votre Altesse royale d?chire par l? ses droits.

>>Votre Altesse royale conna?t ma pens?e tout enti?re; elle voit que je flotte entre diverses id?es qui ont besoin d'?tre fix?es. Elle peut ?tre certaine que, dans tous les cas, je me comporterai avec elle comme avec le roi son p?re. Qu'elle croie ? mon d?sir de tout concilier, et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime.>>

Le prince des Asturies avait quitt? Madrid le 10 avril; il recevait sur la route les t?moignages d'affection de son peuple, et partout on lui montrait de l'inqui?tude, en le voyant approcher de la fronti?re. Savary l'assurait toujours qu'en avan?ant davantage, il finirait par rencontrer l'empereur, et il le gardait de plus en plus pr?s. ? Burgos, le conseil du prince commen?a ? s'alarmer; on poussa jusqu'? Vitoria. L?, le peuple d?tela les chevaux du prince; il fallut que la garde lui ouvr?t un passage, et ce fut en quelque sorte malgr? la volont? du prince lui-m?me dont les esp?rances se dissipaient ? mesure.

<>

Ce qui rassurait les conseillers du prince, c'est qu'ils s'?taient persuad? qu'un mariage arrangerait tout, et, ne pouvant entrer dans l'immensit? des plans imp?riaux, ils regardaient qu'une telle alliance, et le sacrifice de quelques hommes et de la libert? du commerce, serait la conclusion du trait? d?finitif. On c?da donc aux sollicitations tr?s militaires de Savary, et enfin, on passa la fronti?re. Le cort?ge entra dans Bayonne le 21 avril. Les personnes qui se trouvaient aupr?s de l'empereur alors connurent par le changement de son humeur ? quel point l'arriv?e des infants ?tait importante pour ses projets. Il avait paru jusque-l? tr?s soucieux; il ne s'ouvrait ? aucun, mais il envoyait courriers sur courriers. Il n'osait compter sur le succ?s de son entreprise; il avait fait engager le vieux roi ? le venir joindre; et lui, ainsi que la reine et le favori, n'avaient alors rien de mieux ? faire. Mais il ?tait si vraisemblable que le nouveau roi profiterait de la r?volte pr?te ? ?clater en Espagne, et qu'il exciterait l'enthousiasme naissant de toutes les classes pour la d?livrance de la patrie, que, jusqu'au moment o? il sut que le prince avait franchi les Pyr?n?es, l'empereur dut regarder cet ?v?nement comme ? peu pr?s impossible. Il a dit, depuis, qu'? dater de cette faute, il n'avait plus dout? de l'incapacit? du roi Ferdinand.

Le 20 avril, la reine de Hollande accoucha d'un gar?on qui fut nomm? Louis. ? cette ?poque est mort le peintre Robert, fameux par la facilit? de son talent, le go?t qu'il avait, surtout en architecture; d'ailleurs, excellent homme et fort spirituel.

N?anmoins, ce ne fut pas sans pr?voir une partie de ces inconv?nients qu'il continua ? avancer dans la route tortueuse o? il ?tait entr?. Le refus que fit le prince des Asturies de signer son abdication lui causa une violente inqui?tude. Craignant que ce prince ne lui ?chapp?t, il le fit garder ? vue; il essaya sur lui tous les moyens de s?duction et de violence, et tous ceux qui l'entouraient s'aper?urent facilement de l'agitation dans laquelle il ?tait retomb?. Duroc, Savary, l'abb? de Pradt, furent charg?s de gagner, persuader ou effrayer les conseillers du prince. Mais quel moyen de parvenir ? persuader aux gens de consentir ? se voir d?poss?der? En acceptant l'opinion de l'empereur, que chacun des membres de la famille r?gnante ?tait ?galement m?diocre et inhabile, il faut conclure encore qu'il e?t ?t? plus adroit de leur laisser le pouvoir et le tr?ne; car l'obligation d'agir, dans un temps qui devenait si difficile, les e?t conduits ? beaucoup de fautes dont leur ennemi e?t alors profit?. Mais, en les outrageant par la violation de tous les droits humains, en paralysant leur action, en les condamnant au r?le si simple et si touchant de victimes, on d?terminait ou facilitait tellement ce qu'ils avaient ? faire, qu'on attirait l'int?r?t sur eux, sans m?me qu'ils eussent ? prendre la moindre peine pour l'exciter. ? l'?gard des princes d'Espagne et du pape, l'empereur a fait une faute pareille, et il en a re?u la m?me punition.

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Vers la fin du mois d'avril, on vit arriver ? Bayonne le prince de la Paix, que Murat avait d?livr? de la captivit? o? il ?tait retenu ? Madrid. La junte, pr?sid?e par don Antonio, fr?re de Charles IV, le c?da avec peine; mais le temps de la r?sistance ?tait pass?. Le favori avait perdu l'esp?rance de sa future souverainet?; mais sa vie ?tait compromise en Espagne, la protection de l'empereur ?tait son unique ressource; il n'?tait donc point douteux qu'il se pr?terait ? tout ce qu'on exigerait de lui. Il lui fut enjoint de diriger le roi Charles dans la route qu'on voulait qu'il suiv?t, et il s'y pr?ta sans nulle observation.

Je ne puis m'emp?cher de transcrire une r?flexion de l'abb? de Pradt, qui me para?t fond?e et qui trouve ici tout naturellement sa place:

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APPENDICE

Ici se terminent les M?moires de ma grand'm?re, et l'on regrettera sans doute que la mort ne lui ait pas permis de les prolonger, au moins jusqu'au divorce de l'empereur, que l'on voit planer d?s le premier jour comme une menace sur la t?te de cette Jos?phine, toute s?duisante, tout aimable, et peu int?ressante au demeurant. Nul ne peut suppl?er ? ce qui manque ici, et les lettres m?mes de l'auteur donnent peu de renseignements politiques sur les temps qui suivent. Elle parlait m?me rarement, dans les derniers jours, de sa vie de ce qu'elle avait alors vu ou souffert. Mon p?re a pourtant eu parfois le projet de continuer son r?cit, en recueillant ce que ses parents lui avaient racont?, en anecdotes ou en impressions, sur la fin de l'Empire, et ce qu'il savait de leur vie. Il n'a pas accompli son projet en entier, et n'a rien laiss? d'achev? sur ce point. Ses notes pourtant nous paraissent pr?cieuses et donnent le d?nouement n?cessaire du grand drame qui se d?roule dans les chapitres pr?c?dents. On trouvera peut-?tre int?ressant de les lire ? la suite des M?moires qu'elles compl?tent, quoiqu'il ait exprim?, dans un ouvrage plus ?tendu, son jugement sur les derniers jours de l'Empire et sur le temps o? il naissait ? la vie politique. Il y a l? des observations g?n?rales et particuli?res, et une opinion ?clair?e sur la conduite des fonctionnaires et des citoyens dans les temps difficiles, qui m?rite d'?tre connue. On me pardonnera donc d'imprimer cet appendice aux M?moires, en laissant ? ces notes un caract?re ?vident de n?gligence et d'improvisation, me bornant aux modifications n?cessaires ? la correction et ? la clart? du r?cit.

PAUL DE R?MUSAT.

>>M. de Talleyrand, quoiqu'il commen??t ? sentir que sa situation aupr?s de l'empereur ?tait moins simple et moins forte, le trouva, en allant le rejoindre, bienveillant et confiant en apparence. Aucun nuage ne se laissa apercevoir entre eux. L'empereur avait besoin de lui pour la conf?rence d'Erfurt, ? laquelle il se rendit avec lui, ? la fin de septembre. Mon p?re y accompagna l'empereur. Les lettres qu'il dut ?crire de l? ? ma m?re ne se sont pas retrouv?es. Mais cette correspondance devait ?tre si surveill?e et si r?serv?e, que je crois cette perte sans importance. Mon p?re nous rapporta surtout des r?cits de l'union des deux empereurs, de la coquetterie mutuelle de leurs rapports, de la bonne gr?ce de l'empereur Alexandre. M. de Talleyrand a ?crit une relation de cette conf?rence d'Erfurt dont il a fait plusieurs lectures. Il se vantait, ? son retour, que, le jour ou les deux empereurs mont?rent en voiture pour s'?loigner chacun de son c?t?, il avait dit ? l'empereur Alexandre, en le reconduisant: <> Il avait trouv? quelques qualit?s ? ce prince, et il s'?tait attach? ? se faire dans son esprit une position dont il recueillit les fruits en 1814; mais, d?s ce temps-l?, il ne prenait l'alliance russe que comme une n?cessit? accidentelle, quand on ?tait en guerre avec l'Angleterre, et il ne cessait pas de regarder une liaison avec l'Autriche, base ?ventuelle d'un rapprochement futur avec l'Angleterre, comme le vrai syst?me de la France en Europe. Il a ?t? assez fid?le ? ce syst?me dans sa conduite politique, soit lors du mariage de Napol?on, soit en 1814 et en 1815, soit sous le r?gne de Louis-Philippe. Il en parlait souvent ? ma m?re.

>>Ma m?re aurait eu ? raconter, en achevant cette ann?e 1808: 1? la conf?rence d'Erfurt, suivant les r?cits de M. de Talleyrand et de mon p?re; 2? le contre-coup de l'affaire d'Espagne sur la cour des Tuileries et sur la soci?t? de Paris. La partie royaliste de cette cour et de cette soci?t? fut un peu ?mue de la pr?sence de ces vieux Bourbons ? Fontainebleau. C'est, je crois, alors qu'il faut placer la disgr?ce et l'exil de madame de Chevreuse.

>>Revenu d'Erfurt au mois d'octobre, l'empereur ne fit que passer ? Paris, et partit aussit?t pour l'Espagne, d'o? il revint au commencement de 1809, apr?s une campagne peu d?cisive. L'opinion ?tait loin de s'?tre am?lior?e ? l'?gard de sa politique. On avait pens?, pour la premi?re fois, ? la possibilit? de sa perte, surtout ? sa mort soudaine dans une guerre o? un patriotisme insurrectionnel pouvait armer le bras d'un assassin. Des rapports, en partie fid?les, en partie envenim?s, lui avaient fait conna?tre les progr?s d'une d?sapprobation et d'une d?fiance dont Talleyrand et Fouch? n'avaient pas craint de se rendre les organes. Le premier surtout a toujours ?t? hardi, et m?me imprudent, comme tous les hommes qui sont vains de leur conversation, et qui la croient une puissance. Fouch?, dont les propos ?taient plus r?serv?s, ou moins r?p?t?s dans les salons, avait ?t? peut-?tre plus loin dans la voie de l'action. En esprit positif qu'il ?tait, il s'?tait pos? pratiquement l'hypoth?se de l'ouverture de la succession imp?riale, et, dans cette hypoth?se, il s'?tait rapproch? de M. de Talleyrand. L'empereur revint irrit?, et il t?moigna son irritation ? la cour, et surtout au conseil des ministres, par la sc?ne c?l?bre qu'il fit ? M. de Talleyrand, ? qui il ?ta la place de grand chambellan, pour la donner ? M. de Montesquiou.

>>On a trouv? parfois mauvais que des fonctionnaires importants de l'Empire, tels que MM. de Talleyrand et Fouch?, ainsi que d'autres moins connus, se soient pr?occup?s de ce qui frappait tout le monde, et attach?s ? ne pas tromper l'opinion quand celle-ci, en se manifestant, aurait pu arr?ter les d?veloppements d'une mauvaise politique. Je suis pr?t ? admettre que la vanit? et le bavardage ont pu entra?ner les propos de Talleyrand et de Fouch? hors de la juste mesure. Mais je maintiens que, sous tout gouvernement, et en particulier sous le gouvernement absolu, il est n?cessaire que des fonctionnaires importants, en cas de p?ril public, ou ? la vue d'une mauvaise direction des affaires, ne craignent point, par une opposition connue, d'encourager cette r?sistance morale qui peut seule ralentir et m?me changer la marche funeste de l'autorit?. ? plus forte raison, s'ils pr?voient la possibilit? d'un d?sastre prochain pour lequel il n'y a rien de pr?t, peuvent-ils se pr?occuper de ce qu'il y aurait ? faire. Que l'orgueil du pouvoir absolu s'en irrite, qu'il cherche ? briser, ? supprimer cette r?sistance, quand elle est trop isol?e pour l'entraver, je le con?ois. Mais ce n'en serait pas moins un bonheur pour l'?tat et pour lui, qu'elle fut assez forte, au contraire, pour contraindre le souverain ? modifier ses plans. Et, pour ne pas sortir du cas qui nous occupe, supposez qu'un concert plus g?n?ral e?t fait entendre ? l'empereur les m?mes sons, qu'au lieu d'imputer ? l'intrigue ou ? la trahison le m?contentement de Talleyrand ou de Fouch?, les rapports de Dubois ou de tout autre, le lui eussent pr?sent? comme une preuve d'une d?sapprobation universelle; que son pr?fet de police, partageant lui-m?me cette d?sapprobation, la lui e?t montr?e partag?e et exprim?e par Cambac?r?s, par Maret, par Caulaincourt, par Murat, par ce duc de Ga?te que M. Thiers cite dans cette occasion, enfin par tous les hommes importants de la cour et du gouvernement, le service rendu ? Napol?on e?t-il ?t? si mauvais? et cette r?sistance unanime n'e?t-elle pas ?t? la seule chose propre ? l'?clairer, ? l'arr?ter, ? le d?tourner de la voie de perdition, ? une ?poque o? il en ?tait bien temps encore?

>>Quant au reproche adress? ? Talleyrand ou ? tel autre, d'avoir bl?m? le gouvernement apr?s l'avoir approuv? et servi, c'est un reproche naturel dans la bouche de Napol?on, qui ne craignait pas, d'ailleurs, de l'exag?rer par le mensonge. Mais il est pu?ril en lui-m?me; ou bien il est d?fendu, parce qu'on a suivi un gouvernement, parce qu'on a support?, couvert, m?me justifi? dans le pass? ses fautes par erreur ou faiblesse, de s'?clairer quand le danger s'accro?t, quand les circonstances se d?veloppent; et comme s'il ne fallait pas, ? moins de rester dans une opposition constante ou une soumission sans limites, qu'il y e?t un moment o? l'on cess?t d'approuver ce qu'on a approuv? jusqu'? la veille, o? l'on parl?t apr?s s'?tre tu, et o?, plus frapp? des inconv?nients que des avantages, on reconn?t des d?fauts qu'on avait essay? ou feint d'ignorer, et des fautes qu'on pouvait avoir palli?es longtemps. C'est, apr?s tout, ce qui est arriv? ? la France ? l'?gard de Napol?on, et ce changement devait s'op?rer naturellement dans l'?me des fonctionnaires comme dans celle des citoyens, ? moins que cette ?me ne f?t aveugl?e par la servilit?, ou corrompue par une ignoble ambition.

>>Dans notre sph?re modeste, nous n'e?mes jamais, sous l'Empire, ? d?cider que de la direction de nos voeux et de nos sentiments. N'ayant jamais eu ni pris la moindre part d'action politique, nous avons eu cependant ? r?soudre pour nous-m?mes cette question qui se pr?sente sans cesse ? moi quand je relis les m?moires et les lettres o? ma m?re a consign? l'histoire de ses impressions et de ses id?es.

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