Read Ebook: Mon oncle Benjamin by Tillier Claude
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Ebook has 1487 lines and 71494 words, and 30 pages
Ma grand'm?re, voyant que la conversation avait chang? d'objet, prenait le parti de s'endormir.
POURQUOI MON ONCLE SE D?CIDA ? SE MARIER
Cependant, une catastrophe terrible, que je vais avoir l'honneur de vous raconter tout de suite, ?branla les r?solutions de Benjamin.
Un jour, mon cousin Page, avocat au bailliage de Clamecy, vint l'inviter avec Machecourt ? faire la Saint-Yves. Le d?ner devait avoir lieu ? une guinguette renomm?e, situ?e ? deux port?es de fusil du faubourg; les convives ?taient d'ailleurs gens choisis. Benjamin n'aurait pas donn? cette soir?e pour toute une semaine de sa vie ordinaire. Aussi, apr?s v?pres, mon grand-p?re, par? de son habit de noce, et mon oncle, l'?p?e au c?t?, ?taient-ils au rendez-vous.
Les convives ?taient presque tous r?unis. Saint-Yves ?tait magnifiquement repr?sent? dans cette assembl?e. Il y avait d'abord l'avocat Page, qui ne plaidait jamais qu'entre deux vins; le greffier du tribunal, qui s'?tait habitu? ? ?crire en dormant; le procureur Rapin, qui, ayant re?u en pr?sent d'un plaideur une feuillette de vin piqu?, le fit assigner pour qu'il e?t ? lui en faire tenir une meilleure; le notaire Arthus, qui avait mang? un saumon ? son dessert; Millot-Rataut, po?te et tailleur, auteur du Grand-No?l; un vieil architecte qui, depuis vingt ans, ne s'?tait pas d?gris?; M. Minxit, m?decin des environs, qui consultait les urines; deux ou trois commer?ants notables... par leur ga?t? et leur app?tit, et quelques chasseurs qui avaient abondamment pourvu la table de gibier.
? la vue de Benjamin, tous les convives pouss?rent une acclamation et d?clar?rent qu'il fallait se mettre ? table.
Pendant les deux premiers services, tout alla bien. Mon oncle ?tait charmant d'esprit et de saillies; mais, au dessert, les t?tes s'exalt?rent: tous se mirent ? crier ? la fois. Bient?t la conversation ne fut plus qu'un cliquetis d'?pigrammes, de gros mots, de saillies ?clatant ensemble et cherchant ? s'?touffer l'une l'autre, tout cela faisait un bruit semblable ? une douzaine de verres qui s'entrechoquent ? la fois.
--Messieurs, s'?cria l'avocat Page, il faut que je vous r?gale de mon dernier plaidoyer. Voici l'affaire:
< < --Que Saint-Yves te b?nisse! dit mon oncle; il faut que le po?te Millot-Rataut nous chante son Grand-No?l: ? genoux, chr?tiens, ? genoux! Voil? qui est ?minemment lyrique. Ce ne peut ?tre que le Saint-Esprit qui lui ait inspir? ce beau vers. --Fais-en donc autant, toi, s'?cria le tailleur, qui avait le bourgogne tr?s-irascible. --Pas si b?te, r?pondit mon oncle. --Silence! interrompit l'avocat Page, frappant de toutes ses forces sur la table; je d?clare ? la cour que je veux achever mon plaidoyer. --Tout ? l'heure, d?t mon oncle; tu n'es pas encore assez ivre pour plaider. --Et moi je te dis que je plaiderai de suite: Qui es-tu, toi, cinq pieds dix pouces, pour emp?cher un avocat de parler? --Prends garde, Page, fit le notaire Arthus, tu n'es qu'un homme de plume, et tu as affaire ? un homme d'?p?e! --Il t'appartient bien, ? toi, homme de fourchette, mangeur de saumon, de parler des hommes d'?p?e; pour que tu fisses peur ? quelqu'un, toi, il faudrait qu'il f?t cuit. --Benjamin est, en effet, terrible, dit l'architecte. Il est comme le lion: d'un coup de sa queue il pourrait terrasser un homme. --Messieurs, dit mon grand-p?re en se levant, je me porte garant pour mon beau-fr?re, il n'a jamais r?pandu de sang qu'avec sa lancette. --Oserais-tu bien soutenir cela, Machecourt? --Et toi, Benjamin, oserais-tu bien soutenir le contraire? --Alors, tu vas me donner satisfaction ? l'instant m?me de cette insulte; et comme nous n'avons ici qu'une ?p?e, qui est la mienne, je vais garder le fourreau et tu vas prendre la lame. Mon grand-p?re, qui aimait beaucoup son beau-fr?re, pour ne point le contrarier accepta la proposition. Comme les deux adversaires se levaient: --Un instant, messieurs, dit l'avocat Page, il faut r?gler les conditions du combat. --Je propose que chacun des deux adversaires, de peur de choir avant le temps, tienne son t?moin par le bras. --Adopt?! s'?cri?rent tous les convives. Bient?t Benjamin et Machecourt sont en pr?sence. --Y es-tu, Benjamin? --Et toi, Machecourt? De son premier coup d'?p?e, mon grand-p?re coupa par le milieu le fourreau de Benjamin comme si ?'e?t ?t? un salsifis, et lui fit sur le poignet une entaille qui devait le forcer, au moins pendant huit jours, ? boire de la main gauche. --Le maladroit! s'?cria Benjamin, il m'a entam?. --Eh! pourquoi, r?pondit mon grand-p?re avec une bonhomie charmante, as-tu une ?p?e qui coupe? --C'est ?gal, je veux ma revanche, et j'ai encore assez, pour te faire demander gr?ce, de la moiti? de ce fourreau. --Non, Benjamin, reprit mon grand-p?re, c'est ? ton tour ? prendre l'?p?e. Si tu me lardes, nous serons manche ? manche, et nous ne jouerons plus. Les convives, d?gris?s par cet accident, voulaient revenir en ville. --Non, messieurs! s'?cria Benjamin de sa voix de stentor, que chacun retourne ? sa place; j'ai une proposition ? vous faire. Machecourt, pour son coup d'essai s'est conduit de la mani?re la plus brillante; il est en ?tat de se mesurer avec le plus meurtrier des barbiers, pourvu que celui-ci lui c?de l'?p?e et garde le fourreau. Je propose de le nommer pr?v?t d'armes; ce n'est qu'? cette condition que je pourrai le laisser vivre; et m?me, si vous vous rendez ? mon avis, je me d?ciderai ? lui tendre la main gauche, attendu qu'il m'a estropi? de la droite. --Benjamin a raison! s'?cri?rent une foule de voix; bravo, Benjamin! il faut recevoir Machecourt pr?v?t d'armes. Et chacun de courir ? sa place, et Benjamin de demander un second dessert. Cependant, la nouvelle de cet accident s'?tait r?pandue ? Clamecy. En passant de bouche en bouche, elle s'?tait merveilleusement grossie, et quand elle arriva ? ma grand'm?re, elle avait pris les proportions gigantesques d'un meurtre commis par son mari sur la personne de son fr?re. Ma grand'm?re, dans un corps d'une aune de long, portait un caract?re plein de fermet? et d'?nergie. Elle n'alla point chez ses voisins pousser de grands cris et se faire jeter du vinaigre ? la figure. Avec cette pr?sence d'esprit que donne la douleur aux ?mes fortes, elle vit de suite ce qu'elle avait ? faire. Elle fit coucher ses enfants, prit tout l'argent qu'il y avait ? la maison et le peu de bijoux qu'elle poss?dait, afin de fournir ? son mari les moyens de sortir du pays s'il y avait lieu, fit un paquet de linge propre ? faire des bandes et de la charpie pour panser le bless? en cas qu'il f?t encore vivant; tira un matelas de son lit et pria un voisin de la suivre avec; puis, s'enveloppant dans sa cape, elle se dirigea sans chanceler vers la fatale guinguette. ? l'entr?e du faubourg, elle rencontra son mari qu'on ramenait en triomphe couronn? de bouchons. Il ?tait appuy? sur le bras gauche de Benjamin, qui criait ? gorge d?ploy?e: < tous pr?sents faisons conna?tre que le sieur Machecourt, huissier ? la verge de Sa Majest?, vient d'?tre nomm? pr?v?t d'armes, en r?compense...>> --Chien d'ivrogne! s'?cria ma grand'm?re en apercevant Benjamin; et, ne pouvant r?sister ? l'?motion qui depuis une heure l'?touffait, elle tomba sur le pav?. Il fallut la reporter chez elle sur le matelas qu'elle avait destin? ? son fr?re. Pour celui-ci, il ne se souvint de sa blessure que le lendemain matin en mettant son habit; mais sa soeur avait une grosse fi?vre. Elle fut huit jours dangereusement malade, et durant ce temps, Benjamin ne quitta pas son chevet. Quand elle fut capable de l'entendre, il lui promit qu'il allait mener dor?navant une vie plus r?gl?e, et qu'il songeait d?cid?ment ? payer ses dettes et ? se marier. Ma grand'm?re fut bient?t r?tablie. Elle chargea son mari de se mettre en qu?te d'une femme pour Benjamin. ? quelque temps de l?, par un soir du mois de novembre, mon grand-p?re arrivait crott? jusqu'? l'?chine, mais rayonnant. --J'ai trouv? au del? de ce que nous esp?rions, s'?criait l'excellent homme, en pressant les mains de son beau-fr?re; Benjamin, te voil? riche maintenant, tu pourras manger des matelottes tant que tu voudras. --Mais, qu'as-tu donc trouv?? faisaient, chacun de leur c?t?, ma grand'm?re et Benjamin.
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