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Read Ebook: L'Émigré by S Nac De Meilhan Gabriel

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Ebook has 593 lines and 70859 words, and 12 pages

Melle EMILIE DE WERGENTHEIM.

HISTOIRE

DU MARQUIS DE ST. ALBAN.

Le Pr?sident de LONGUEIL en sentit le danger et ?crivit ? la Reine pour le lui faire conna?tre; je me souviens encore des expressions de sa lettre. <> Le fatal g?nie de NECKER l'emporta, et la Reine dit depuis ? un ministre: <> Le charme de la nouveaut?, le besoin d'int?r?t, et de mouvement d?termin?rent la plus grande partie; le d?sir de s'?lever, en manifestant ses talens sur un grand th??tre animaient quelques personnes, et plusieurs, parmi le Tiers, songeaient ? sortir de leur obscurit?, ? se procurer des protecteurs et ? obtenir des gr?ces. Je ne rapporte que ce que j'ai vu, et il me serait possible d'en donner des preuves. Surpris de la vivacit? des d?marches de quelques membres du Tiers pour se faire ?lire, je leur repr?sentai que leur ?ge et leur sant? leur rendraient p?nibles les fonctions et le travail de la d?putation. Ils me r?pondirent que leurs int?r?ts et celui de leur famille d?terminaient leur empressement; enfin quelques uns me firent l'aveu qu'ils esp?raient obtenir des lettres de noblesse, et d'autres, des b?n?fices pour leurs enfans ou des places lucratives. Dans le temps o? l'on s'occupait d'?tablir des Assembl?es provinciales, ou d'accorder aux pays qui avaient eu des Etats, le r?tablissement de ces Assembl?es; j'ai vu un homme qui cherchait ? se faire valoir par son z?le pour le peuple, intriguer sourdement pour avoir la pr?sidence permanente de l'Assembl?e de sa province. Tel ?tait le patriotisme qui r?gnait dans les esprits avant l'assembl?e des Etats; et ensuite les z?l?s partisans du peuple n'ont suivi que leur ressentiment contre la cour. Un cordon bleu refus?, la pr?f?rence accord?e ? un rival pour un gouvernement, ou une place ? la cour ont ?t? les principes qui ont inspir? ? des grands, et ? des nobles, des sentimens contraires ? la monarchie. Le duc D'ORL?ANS, devenu justement l'horreur du genre humain; cet homme sans principes et sans r?solution, qui n'a jamais eu l'?toffe d'un ambitieux, et qui est parvenu successivement au comble de la sc?l?ratesse parce que le crime de chaque jour ne surpassait que d'un degr? celui de la veille; le Duc disait alors, et je crois qu'il le pensait, <> Enfonc? dans la fange de la d?bauche, il n'?levait pas alors ses vues par del? une libert? ind?finie; favorable ? ses vicieuses inclinations. Je me souviens que dans le commencement de la R?volution, frapp? de l'incons?quence du Duc, le Pr?sident me dit un mot d'un grand sens. Il est commun, dit-il, de voir des gens qui veulent la fin sans aimer les moyens; mais le duc D'ORL?ANS veut les moyens sans la fin. Il ne tint en effet qu'? lui d'?tre au 14 Juillet, lieutenant-g?n?ral de l'Etat, et il ne s'agissoit pour cela que de se montrer aux yeux d'un peuple aveugl? et corrompu par lui, dont il ?toit en ce moment l'idole. Je l'ai beaucoup connu dans un temps o? toute la jeunesse de la Cour avait avec lui des liaisons plus ou moins ?troites. Il avait de l'esprit, mais par ?tincelles, l'amour du plaisir ?teignoit dans lui toute affection morale, et un seul sentiment, celui de la vengeance, pouvoit donner quelqu'action ? son ame, et a ?t? le principe de sa conduite. Cette connoissance de son caract?re m'a fait apprendre depuis sans surprise, que lorsqu'on vint l'avertir que madame la princesse de LAMBALLE, entre les mains d'un peuple factieux, ?tait en grand danger, et qu'il pouvait la sauver, <> Quelque temps apr?s ses valets de chambre vinrent lui dire tout effray?s qu'on promenait la t?te de cette Princesse, <> Ces d?tails m'ont un peu ?cart? des objets qui me concernent; mais mon histoire peu fertile en ?v?nemens ne peut ?tre int?ressante que par l'expos? sinc?re des sentimens qui m'ont affect?, ? l'aspect des sc?nes tragiques et m?morables dont j'ai ?t? t?moin; que par la peinture de quelques d?tails qui servent ? donner une juste id?e des temps, des hommes et de leurs motifs. Je reviens ? ce qui me regarde. Les sages conseils du Pr?sident me pr?serv?rent de la contagieuse ?pid?mie qui s'?tait r?pandue dans toutes les classes; j'assistai aux assembl?es d'?lection qui se firent ? Paris; mais n'ayant pas l'?ge requis et n'ayant form? aucune brigue, j'?tais bien certain de n'?tre point ?lu. Enfin arriva ce jour tant d?sir? de l'ouverture des Etats. Jamais la majest? royale ne parut dans un plus grand ?clat. Les divers ordres du royaume rev?tus des habits de leur ?tat, la pompe de la religion, la Reine r?unissant la dignit?, la beaut? dans sa personne, et dans sa parure le go?t et la magnificence; le Roi rev?tu des ornemens de la royaut?, tout concourait ? pr?senter le plus imposant des spectacles. Je revins ? Paris, et je ne m'?tendrai pas sur ce qui se passa dans les premi?res assembl?es des Etats. Une sourde fermentation agitait ? Paris les esprits. Les capitalistes occup?s de faire assurer la dette par la Nation, favorisaient toutes les entreprises de l'Assembl?e, et le peuple s'habituait ? la regarder comme la protectrice de ses droits et des propri?t?s, et les agens de l'autorit? royale comme ses ennemis. Je fus t?moin au Palais royal des premiers sympt?mes de la cruaut? atroce ? laquelle s'est livr? ce peuple regard? comme si l?ger, si aimable. Le peuple dans tous les pays jouit avec avidit? de la vue des ex?cutions, et peut-?tre, de l'empressement ? ?tre spectateur des supplices, il y a peu de distance pour en devenir l'instrument. Un homme fut trait? dans la rue, d'espion de la police, ? tort ou ? raison, par un autre qui avait ? se plaindre de lui, ou lui en voulait. Le peuple s'attroupa et se mit ? le poursuivre de rue en rue, de place en place; la plaisanterie se m?lait ? la fureur, ce qui est un caract?re distinctif du peuple Fran?ais, et le malheureux poursuivi ? coups de pierres vint se r?fugier au Palais royal. Il n'y fut pas en suret?, et saisi par les plus acharn?s, il fut plong? ? plusieurs reprises dans le grand bassin. On d?lib?ra ensuite sur ce qu'il fallait lui faire, et il fut propos? de lui couper les oreilles; alors je vis une femme au-dessus du peuple, et mise avec assez d'?l?gance tirer froidement de sa poche une paire de ciseaux et les offrir. Je m'?loignai avec horreur de cette affreuse sc?ne; et j'appris que le malheureux si barbarement poursuivi avait expir? dans sa course, avant de pouvoir trouver un asile. Voil? le premier acte de cruaut?, suivi peu de temps apr?s des meurtres de FOULON et de BERTHIER. A la honte ?ternelle de ce peuple, la post?rit? apprendra en frissonnant d'horreur les barbaries exerc?es sur leurs cadavres. Il se disputa long-temps leurs membres d?chir?s et sanglans, et le coeur du malheureux BERTHIER, ?tant devenu le partage d'une troupe effr?n?e, elle s'assembla autour du m?me bassin et se mit ? danser en chantant ? la lueur des torches qu'elle portait. Cette d?testable troupe, ivre d'une aveugle rage, et se passant de main en main ce coeur, hurlait dans sa joie atroce ce refrain d'un Vaudeville:

Ah! il n'est point de F?tes Quand le coeur n'en est pas.

DUMOURIER se vante de n'avoir pas voulu servir sous ROBESPIERRE. Ainsi cherchant ? faire oublier leurs attentats contre le gouvernement, et le Monarque, chacun des diff?rens partis s'attache ? une ?poque ? laquelle il a ?t? prim? par un autre parti, dont il n'a pas adopt? les maximes, et se range ainsi dans la classe des opprim?s. Il s'ensuivrait qu'en derni?re analyse il n'y aurait de coupables que ceux qui ont vot? pr?cis?ment la mort du Monarque.

Je viens de vous rendre un compte fidelle de mes premi?res ann?es, et de vous faire part de l'impression que m'ont fait ?prouver les commencemens de la R?volution. Je vais en continuant un r?cit auquel l'amiti? seule peut trouver quelque int?r?t, vous parler d'un ?v?nement qui affecte mon coeur d'un douloureux souvenir, et qui vous fera conna?tre ? quelles barbaries se porta en peu de temps un peuple, dont on vantait la douceur et l'humanit?.

Une jeune veuve, apr?s la mort de son mari, s'?tait retir?e quelque temps dans un couvent; elle vint habiter une terre voisine de la mienne. Je fis connoissance avec elle. Madame de GRANVILLE, c'?tait son nom, n'?tait point une de ces personnes c?l?bres par la beaut?, ou des pr?tentions ? l'esprit, elle avait v?cu loin du monde, avec un vieux mari, et avait exerc? son esprit pour s'occuper, sans avoir ni l'occasion ni le d?sir d'en faire parade. Peu connue dans la soci?t?, elle n'y paroissait que depuis la fin de son deuil. On en parlait comme d'une femme qui n'?tait ni sans agr?mens ni sans esprit, mais la mode, cet arbitre supr?me des Fran?ais, n'avait point consacr? son m?rite, et il y avait peu de presse pour aller chez elle. Mes parens, qui d?siraient vivement de me voir mari?, crurent que je ne pouvais trouver un parti plus avantageux et m'engag?rent ? lui rendre des soins. Ses bonnes qualit?s, sa franchise, sa simplicit? jointes ? une figure agr?able m'inspiraient de l'int?r?t et l'envie de lui plaire; je pris ces dispositions pour de l'amour, et je lui en parlai le langage; mais j'ai senti depuis, en y r?fl?chissant, combien ce l?ger sentiment ?tait diff?rent de l'amour, de cette impression qui saisit le coeur, l'esprit, les sens comme une soudaine ivresse, et ne laisse, d?s les premiers momens, rien ? faire ? la raison. Telle est l'id?e que je me fais de l'amour, et la vie aurait peu de charmes pour moi sans l'espoir de la r?aliser. Je me faisais illusion aupr?s de madame de GRANVILLE, et le pr?sident de LONGUEIL ne s'y trompait pas. Vous prenez, me disait-il, l'exaltation de votre t?te pour la chaleur de votre coeur. Madame de GRANVILLE ?tait sans art comme sans pr?tention, elle parut sensible ? mes empressemens, et me l'avoua avec ing?nuit?. Riche et ma?tresse d'elle-m?me, il lui paraissait simple de recevoir mes hommages; le besoin d'aimer me faisait saisir l'image de l'amour. J'?tais dans cette situation lorsque la R?volution commen?a. Madame de GRANVILLE qui avait embrass? avec vivacit? le parti Aristocratique, avait ?t? passer quelque temps pour affaires dans sa terre, elle y ?tait tomb?e malade, et comme je me trouvai dans son voisinage, j'allai la voir; je la trouvai remplie d'effroi, d'apr?s les r?cits qu'elle entendait faire chaque jour des exc?s auxquels le peuple se livrait contre les nobles. On en avait massacr? plusieurs et on avait br?l? un grand nombre de ch?teaux. Madame de GRANVILLE, sensible et g?n?reuse, s'?toit fait jusque-l? ch?rir de ses vassaux, et je ne pouvais croire qu'on cess?t de respecter une femme qu'on avait vue tant de fois avec attendrissement, se rendre ? pied dans les plus mis?rables chaumi?res, y porter des secours, et ce qui est encore plus touchant, des soins et des consolations. Les bienfaits marquent la sup?riorit? et la compassion; mais les soins ont quelque chose d'amical et qui tient en quelque sorte de l'?galit?. Je n'ai pas une grande exp?rience, mais il me semble que la reconnaissance n'existe v?ritablement que lorsque l'amour propre fait cause commune avec elle.

LE PR?SIDENT DE LONGUEIL

Mis St. ALBAN.

Melle EMILIE

LA Cesse DE LOEWENSTEIN.

Dites je vous prie au Marquis, ma ch?re Victorine, que je suis tr?s-sensible ? l'attention qu'il a eue de me faire partager le plaisir que vous a fait le r?cit de ses aventures. Que de malheurs il a ?prouv?s! de combien de sc?nes d'horreur il a ?t? spectateur! On dit que cette terrible R?volution doit parcourir l'Europe. Puissai-je mourir avant de voir dans mon pays exercer autant de barbaries! J'ai ?t? frapp?e du ton de v?rit? qui r?gne dans le r?cit qu'il fait des ?v?nemens, et la peinture de quelques personnages. J'ai admir? la bonne foi avec laquelle il parle de son attachement ? une dame qui a p?ri si tragiquement. Il est bien clair, comme il en convient, qu'il n'?tait point amoureux, mais il t?choit de le persuader ? la femme qu'il avait l'air d'aimer. Je suis toujours pr?te ? me mettre en col?re contre les hommes, contre les Fran?ais sur-tout, lorsqu'il est question d'amour, ou de ce qui en a l'apparence. Il semble qu'ils regardent les femmes comme des hochets dont ils s'amusent. Un jeune homme devait-il donc en France, sous peine d'?tre ridicule, feindre d'aimer, employer la s?duction pour triompher d'une femme, qui souvent aurait sans lui v?cu paisiblement dans sa famille. Le Marquis para?t honn?te, sensible, vrai, et vous voyez cependant que sans ?prouver le sentiment de l'amour, il s'est efforc? de parler son langage, et il a sans doute fait des sermens qu'il ?tait bien r?solu de ne pas tenir. Si cette femme l?, comme je le crois, a aim? de bonne foi, quelle amertume aurait empoisonn? sa vie lorsqu'elle aurait vu qu'elle avait ?t? tromp?e! Je souhaite pour le punir qu'il soit quelque jour bien v?ritablement amoureux; qu'il le soit d'une femme honn?te et vertueuse, afin qu'il ?prouve tous les tourmens d'un amour sans espoir. Mais ne serais-je pas comme IDOMEN?E qui jure aux dieux d'immoler le premier ?tranger qui s'offrira ? sa vue, et c'est son fils qu'il sacrifie sans le savoir. Mes souhaits pourraient troubler le repos de la personne qui m'est la plus ch?re, vous m'entendez ma ch?re Comtesse.... Je serai toute ma vie bien plus occup?e de vous que de moi. Adieu, je vous renvoie votre ?crit.

LA Cesse DE LOEWENSTEIN

Melle EMILIE DE WERGENTHEIM.

Melle EMILIE

LA Cesse DE LOEWENSTEIN.

Remerciez le ciel, ma ch?re Victorine, de ce qu'il y a un cheval bai ? vendre chez un fermier, ? une lieue de LOEWENSTEIN; gr?ce ? ce cheval bai, vous verrez votre amie. Voici le fait: mon oncle, le Doyen du chapitre a besoin d'un cheval de cette couleur; c'est un grand connaisseur, il va le voir demain et ira vous demander ? d?ner. Sa ni?ce l'accompagne et sa joie d'embrasser sa ch?re Victorine la transporte. Je verrai donc enfin la fleur de la chevalerie Fran?aise, et je vous en dirai bien franchement mon avis. Adieu, ma ch?re amie, ? demain; mon coeur bat d?j? de plaisir; que sera-ce quand je vous serrerai dans mes bras?

LA CESSE DE LOEWENSTEIN

Melle EMILIE DE WERGENTHEIM.

Convenez que vous d?sirez savoir ce que pense de vous le Marquis. N'allez pas me dire: que me fait un ?tranger qui me voit en passant et par cons?quent ne peut me juger. Vous avez fait des frais pour lui, et ne m'accusez pas de pr?somption; l'amour propre y entrait sans doute pour une grande partie; mais l'amiti? faisait l'autre. Vous vous disiez: il faut que je lui fasse voir que ma Victorine a du discernement, et qu'elle sait bien placer ses sentimens. Pour moi j'?tais int?rieurement glorieuse de vos succ?s, comme une tendre m?re qui voit sa fille fixer tous les regards ? un bal. Il vous trouve tr?s aimable, et dit qu'il n'a jamais vu que vous, mettre de la gr?ce dans une dissertation; qu'il n'est que mon Emilie, dans qui la r?flexion ne dess?che pas le sentiment; que vous approfondissez en vous jouant, en ayant l'air d'effleurer. Mais comment, direz-vous, a-t-il pu voir tout cela en si peu de temps? C'est qu'il faut savoir que je lui ai montr? plusieurs de vos lettres, et votre pr?sence a fait le reste; enfin, il dit que notre soci?t? forme un tout parfait, et que chacun de nous fait valoir l'autre par de l?g?res oppositions, qui font ressortir nos diverses qualit?s. Etes-vous contente de ce jugement? Pour moi, j'ai eu un plaisir infini ? vous entendre appr?cier par un homme dont le go?t naturel a ?t? infiniment exerc? dans les soci?t?s les plus distingu?es; qui a connu ce qu'il y a de plus aimable dans un pays o? le plus grand m?rite ?tait d'?tre aimable. Nous n'avons parl? que de vous depuis trois jours, et je dois ?pargner ? votre modestie le r?cit de tout ce qui a ?t? dit. Que vous dirai-je enfin, il a pr?tendu qu'il vous connoissait si bien, qu'il serait en ?tat de faire votre portrait, nous l'avons pris au mot, et n'ayant pu se d?dire, voici l'ouvrage qu'il nous a apport? ce matin, et qui ne manque pas de v?rit?.

<>

Etes-vous satisfaite de ce portrait, qui a tellement frapp? ma m?re, que ravie du talent de l'auteur, elle lui a demand? instamment de faire le mien. Les traits flatteurs qu'il renferme ne sont pas exacts, mais je crois que si les couleurs sont trop brillantes, elles ne sont pas sans quelque v?rit?. Il m'a prodigieusement embellie, voil? tout le tort du peintre.

<>

Ce dernier trait est celui qui me flatte le plus, et vous en devez reconno?tre la v?rit?, car c'est avec mon Emilie que je montre le peu d'esprit que j'ai, et d'apr?s cela, il est bien clair que c'est de la chaleur de mon ame qu'il tire toute sa force; sans elle il serait comme le feu renferm? dans un caillou; qui se douterait qu'il existe?

Adieu, ma ch?re Emilie.

Melle EMILIE

LA Cesse DE LOEWENSTEIN.

Je suis bien plus touch?e, ma ch?re Victorine, de tout ce que vous me dites de sensible sur mon portrait que de l'ouvrage m?me. Votre amiti? se peint dans l'occupation o? vous ?tes de moi, et elle vous inspire un aveuglement qui me flatte davantage par son principe, que par l'aspect s?duisant sous lequel il m'invite ? me voir. J'ai quelquefois fait des portraits, et il m'a paru que lorsque le peintre est agr?ablement pr?venu, et qu'il cherche n?anmoins ? peindre avec v?rit?, il ne fait que renforcer certains traits, et en diminuer d'autres; et avec du jugement et de l'impartialit? on pourrait, ? l'aide de son ouvrage flatteur, en faire un plus ressemblant et bien moins favorable. Pour mieux d?velopper ma pens?e je vais faire mon portrait, au vrai, d'apr?s celui du Marquis. <>

Que dites-vous de ce portrait, ma ch?re Victorine, un excellent peintre les combinerait tous les deux et peut-?tre sortirait-il de l? un portrait ressemblant. Adieu, ma ch?re amie, je m'en rapporte ? celui que l'amiti? a grav? dans votre coeur; tant mieux s'il est flatt?, car ce sera l'illusion de l'amiti?, tant mieux pour moi s'il ne l'est pas, car je vaudrai mieux que je ne crois. Dans tous les cas, j'ai quelque prix, soit par moi soit par l'amiti?.

LA Cesse DE LOEWENSTEIN

Melle EMILIE DE WERGENTHEIM.

LE PR?SIDENT DE LONGUEIL

MARQUIS DE ST. ALBAN.

Je vous ai promis, mon cher et jeune ami, le d?tail des aventures de mon ?migration, et en voici le tableau trac? avec la plus exacte v?rit?. Vous vous rappelez que j'?tais en Provence pour le soutien de quelques droits ? une succession consid?rable. Je n'avais pas tard? ? voir le danger que je courais dans un pays o? la vivacit? des esprits se joignait ? la fermentation g?n?rale, et je choisis Nice pour y attendre en suret? le d?nouement de la sc?ne tragique qui fixait l'attention de l'Europe. Plusieurs personnes distingu?es de la Provence s'y ?taient ainsi que moi r?fugi?es; j'?tais dans cette ville ? port?e de recevoir promptement des nouvelles de France, et la douceur charmante du climat ainsi que la soci?t? de quelques personnes du pays et de mes compatriotes adoucissaient les regrets de mon exil, enfin l'esp?rance soutenait mon courage; mais la journ?e du 10 Ao?t et la captivit? du Roi remplirent mon esprit des plus noirs pressentimens. Bient?t apr?s une arm?e Fran?aise s'avan?a pr?s du Var, jeta l'?pouvante dans la ville de Nice et dans tout le Pi?mont. Une terreur panique s'empara des esprits, d?s qu'on eut p?n?tr? les dispositions des Fran?ais; chacun se h?ta de pr?venir leur arriv?e, et de sortir de la ville. L'allarme fut si vive, la pr?cipitation si grande, que l'on ne se donna pas le temps de rassembler le peu d'effets pr?cieux qu'on aurait pu emporter; je fus du nombre de ceux qui prirent ce parti et je pensai que le plus s?r ?tait de se rendre ? Turin, o? l'on avait lieu de croire que les Emigr?s seraient accueillis favorablement. Dans peu d'heures le chemin du Col de Tende fut couvert de monde, de vieillards, d'enfans, de femmes grosses, d'autres qui portaient sur leurs bras leur enfant qu'elles nourrissaient; des magistrats, des ?v?ques, des moines dispers?s sur cette route fuyaient constern?s. Un ?v?que de quatre-vingts-trois ans, entre autres, offrait le spectacle le plus touchant; hors d'?tat de marcher, il ?tait port? par des pr?tres qui se relayaient tour ? tour; une femme d'un nom distingu? se trouva au milieu du voyage press?e des douleurs de l'enfantement, et accoucha sur le chemin, d?nu?e de tout secours; pour comble de malheur, des soldats Pi?montais entendant la nuit un grand bruit sur la route, et ne distingant rien, se figur?rent qu'un d?tachement de Patriotes arrivait sur eux, ils tir?rent et bless?rent plusieurs des personnes qui marchaient en avant de notre mis?rable troupe. La pluie survint et dura huit jours. Les chemins furent inond?s, les rivi?res d?bord?es, et tous les fl?aux semblaient se rassembler contre des infortun?s fugitifs; on craignait de se noyer ? chaque pas; celui qui tombait et s'embourbait, invoquait envain du secours. Le malheur extr?me rend l'homme barbare en concentrant tout son int?r?t sur lui-m?me. Quelques uns avaient des charettes, d'autres des chevaux et des mulets; mais ? peine arriv?s ? la Scarena, les troupes Pi?montaises s'en empar?rent. On se flattait de trouver ? Tende une auberge pour y prendre quelque repos; elle ?tait occup?e par ces troupes, et apr?s une aussi longue marche, et tant de fatigues, il fallut passer la nuit en plein air, inond?s de la pluie, les pieds dans l'eau; les cris, les pleurs des femmes et des enfans ajoutaient ? l'horreur de cette situation, et l'espoir abandonnait tous les coeurs. Nous passames le Col de Tende, et des voitures venues de Turin offrirent un instant l'espoir d'achever plus heureusement notre route; mais la cupidit? aveugle et barbare ne permit pas ? un grand nombre de profiter de ce secours; on demanda un prix exorbitant de ces voitures, et il y en eut une qui fut pay?e cinquante louis pour deux journ?es de marche. La troupe infortun?e arriva enfin ? Turin; lieu si d?sir? et qui nous semblait devoir ?tre le terme de nos malheurs; mais en arrivant, nous vimes affich? au coin des rues, un r?glement qui d?fendait aux Fran?ais de s?journer plus de huit jours ? Turin et dans les ?tats du roi de Sardaigne. Les hommes qui ?taient en ?tat de servir prirent le parti de se rendre ? l'arm?e de COND?, au moyen de quelques secours qu'ils se procur?rent; les femmes, les enfans, les vieillards obtinrent ensuite la permission de rester; mais le s?jour dans la ville ?tait trop cher pour des personnes r?duites ? la plus affreuse mis?re. Il fallut se retirer dans les villages voisins, et je m'associai ? une famille int?ressante pour former un petit ?tablissement dans une cabane de paysans o? nous passames quatre mois ensevelis en quelque sorte sous les neiges. Plusieurs de mes compatriotes ne pouvaient subsister que de la bienfaisance des habitans, et ignorant la langue du pays leur situation seule invoquait la compassion. Les habitans, hommes grossiers, mais humains, ?taient frapp?s de notre courage, de celui des femmes sur-tout, ainsi que de leur pi?t?. Ils admiraient leur r?signation ? un sort si malheureux, et je partageais ce sentiment en voyant des femmes, qui peu de mois auparavant ?taient au milieu de domestiques empress?s de les servir, aller acheter des l?gumes, de la viande et faire ensuite la fonction de cuisini?re. Dans les premiers momens, on se livre ? la douleur; mais la n?cessit? imp?rieuse subjugue bient?t les esprits; lorsqu'on sent qu'il est impossible de lutter contre elle, on rentre en soi-m?me alors pour y chercher des ressources, et le courage vient roidir l'ame qui se familiarise peu ? peu avec un nouvel ordre de choses. Dix-huit mois s'?taient ?coul?s pendant que nous ?tions dans cette triste habitation, il n'?tait pas ? croire que cette derni?re ressource nous serait enlev?e; mais les Fran?ais s'?tant empar?s du mont St. Bernard menac?rent Turin; alors les Emigr?s furent oblig?s par ordre du gouvernement de quitter le Pi?mont. Incertains du lieu o? il nous serait permis de respirer, nous primes enfin la r?solution de nous rendre ? Venise. Nous louames une barque o? s'entass?rent quatre-vingts personnes et nous suivimes le cours du P?. Les combinaisons de la pauvret? industrieuse diminu?rent les frais que semblerait devoir co?ter un aussi long voyage. Quinze francs par t?te nous acquitt?rent de tout. Je ne puis, pour l'honneur de l'humanit?, passer sous silence la r?ception des habitans de tous les lieux o? la barque s'arr?tait le soir. D?s la premi?re soir?e nous vimes ? Casal, le cur?, les magistrats et un grand nombre d'habitans qui s'?taient rendus sur la rive pour nous offrir leurs maisons et nous prodiguer les marques les plus touchantes d'int?r?t; ils nous partag?rent entre eux pour nous donner des lits et un bon souper, et dans un quart-d'heure quatre-vingts personnes se trouv?rent r?parties chez les plus consid?rables habitans qui regardaient comme un bonheur de nous recevoir, et celui qui en avait un petit nombre enviait ? un autre l'avantage qu'il avait de poss?der une maison plus grande; jamais l'hospitalit? ne fut exerc?e d'une mani?re plus cordiale, plus noble et plus touchante. C'est ainsi que nous fumes re?us ? Cazal, V?rone, Plaisance, Cazal-maggiore, Borgo-forte etc. etc. Souvent m?me plusieurs de ceux qui nous avaient ainsi re?us prenaient le lendemain les devants, au moment de notre d?part, et se rendant au lieu de la prochaine couch?e, y pr?venaient les habitans de notre arriv?e, commandaient ? souper dans les auberges et nous retrouvions en d?barquant les personnes qui nous avaient re?us la veille, et qui avaient fait plusieurs lieues pour nous procurer de nouveaux secours; souvent aussi on remplissait la barque de provisions de tout genre. Si jamais les humains ont ?t? ce qu'ils devraient ?tre, un peuple de fr?res, c'est pendant notre route. Combien le r?cit de nos malheurs les attendrissait! Combien de fois nous avons vu leurs yeux se remplir de larmes en nous ?coutant! On voyait pendant le repas, r?gner sur la famille qui nous recevait, une joie pareille ? celle d'un jour de noces ou d'une f?te occasionn?e par le plus heureux ?v?nement. Chacun s'empressait de nous offrir ce qu'il y avait de meilleur en fruit, en vin, en gibier, et l'attention ?tait port?e jusqu'? offrir aux femmes des bouquets des plus belles fleurs. Au milieu de ces marques de sentiment et de g?n?rosit?, mes id?es quelquefois se portaient sur Paris, o? le sang coulait ? grands flots, o? le peuple furieux tra?nait dans les rues des corps d?chir?s, promenait sur des piques des t?tes d?go?tantes de sang. Je me demandais si c'?taient les m?mes ?tres que ceux qui nous recevaient avec tant de bienveillance, qui nous montraient une si vive et si touchante sensibilit?. J'ajouterai ? ce tableau de l'humanit?, sous son plus bel aspect, un trait qui le terminera dignement. Nous trouvames, en sortant de la barque ? Cr?mone, un homme que nous avons appris ?tre un n?gociant, et qui nous suivit ? l'auberge. L'int?r?t qu'il prenait aux malheureux Emigr?s, ?tait peint dans ses yeux et se manifestait par ses gestes. Apr?s nous avoir offert en g?n?ral ses services, il resta quelque temps en silence avec l'air d'un homme embarrass?, qui balance ? s'expliquer; une dame de notre compagnie descendit pour parler ? l'aubergiste, et il la suivit. Elle rentra quelque temps apr?s, et nous conta que ce monsieur, qui avait paru s'int?resser si vivement ? nous, l'avait pri?e d'entrer un instant dans une petite salle en bas, et que l?, il avait tir? deux rouleaux de cinquante louis en la suppliant de les accepter et de les partager avec ceux de ses compagnons de voyage qui en avaient le plus de besoin. Cette dame nous ajouta qu'elle les avait refus?s, que le monsieur avait insist? ? plusieurs reprises, avait t?ch? m?me de lui mettre dans sa main les deux rouleaux, et qu'enfin, il ?tait sorti aussi afflig? de ses refus qu'elle ?tait touch?e de son offre g?n?reuse. Nous admirames ce noble proc?d?; mais la dame fut bl?m?e de n'en avoir pas profit? pour aider plusieurs pr?tres qui ?taient sans ressources. Nous attendions un souper frugal que nous avions command?, et l'on s'impatientait de la lenteur de l'h?te lorsqu'il entra avec l'air d'un empressement respectueux, une serviette sur l'?paule comme un ma?tre d'h?tel, et nous dit que le souper ?tait servi dans la pi?ce voisine. Nous y passames, et nous trouvames la pi?ce ?clair?e de bougies et la table couverte d'une grande quantit? de plats et plusieurs bouteilles de vin sur un buffet; ? c?t? ?taient de tr?s-beaux fruits, des confitures, des biscuits et deux o? trois sortes de vins de liqueur; l'h?te voyant notre surprise, nous dit que tout avait ?t? ordonn? et pay? par un monsieur de la ville qui ?tait entr? avec nous ? l'auberge. Il ne voulut pas nous apprendre son nom et se borna ? nous dire que c'?tait un n?gociant fort riche, et un des plus honn?te homme qu'il y e?t dans toute la Lombardie. Le lendemain aucun des gar?ons de l'auberge ne voulut recevoir la plus petite gratification, et nous arrivames ? la barque suivis de plusieurs personnes qui s'attendrissaient ? la vue des enfans, des pr?tres, des vieillards, et levaient les mains au ciel en nous souhaitant toute sorte de prosp?rit?s. Nous cherchames en vain parmi ces personnes, le g?n?reux inconnu. Il avait cru sans doute devoir se d?rober ? notre reconnaissance; mais de nouveaux bienfaits de sa part nous attendaient dans la barque, elle ?tait remplie de provisions de tout genre.

Fatigu? de lire les horreurs de la R?volution, mon jeune ami aura sans doute du plaisir en lisant les d?tails de faits qui honorent l'humanit?, et de douces larmes succ?deront aux pleurs amers qui ont inond? souvent ses yeux.

J'ai demeur? un mois ? Venise o? s'?tait retir? un de mes amis. J'y trouvai mon valet de chambre qui m'y attendait depuis huit mois, et qui avait sauv? de Nice ma vaisselle et une somme assez consid?rable. Il lui avait fallu autant de courage et d'adresse que de fid?lit?, pour me rendre le service qui me met ? port?e de vivre dans l'aisance. Le peuple V?nitien est bon et obligeant, et il n'est point de secours qu'il n'ait offert et donn? aux Fran?ais qui en avaient besoin. Je me contenterai de vous citer un trait de l'hospitali?re bont? de cette nation. Un des pr?tres qui ?taient venus avec nous, disait depuis quinze jours la messe dans une paroisse, et c'?tait son unique moyen de subsister; un jour il fut suivi au sortir de l'?glise, par un homme envelopp? d'un manteau, et lorsqu'il fut pr?s de la porte l'homme s'approcha de lui et lui demanda de vouloir bien lui dire une messe le lendemain ? une chapelle qu'il d?signa. Le pr?tre lui promit de faire ce qu'il d?sirait, et l'homme au manteau s'approchant alors de plus pr?s, voil? monsieur, dit-il, la r?tribution que je vous prie d'accepter pour votre messe et au m?me instant il lui mit dans la main un papier qui enveloppait deux m?dailles d'or de quinze ducats. Le pr?tre voulut se d?fendre de les recevoir; mais l'homme au manteau le quitta aussit?t, et passant par une petite ruelle, disparut ? ses yeux.

LA Cesse DE LOEWESTEIN

Melle EMILIE DE WERGENTHEIM.

Le Marquis va toujours de mieux en mieux; heureusement que l'os n'?tait point entam?, et dans peu de jours il se servira de son bras. Nous voyons avec peine approcher le moment o? il nous quittera. Il a l'air de se plaire parmi nous, et la reconnaissance qu'il nous t?moigne surpasse de beaucoup nos soins. Je ne sais quelquefois si je dois m'applaudir d'avoir fait connaissance avec le Marquis, et si je n'?prouverai pas pour la soci?t?, ce qui arriva ? votre p?re pour la bonne ch?re. Il fit ? Vienne, chez l'ambassadeur de France, un tr?s-bon d?ner accommod? ? la Fran?aise, et il fut quelque temps ? trouver la cuisine Allemande d?testable. Je n'avais pas id?e de la conversation avant d'avoir connu le Marquis. J'ai entendu disserter; mais converser agr?ablement sans s'appesantir sur les objets, m?ler l'enjouement ? la gravit?, se proportionner aux personnes qui ?coutent, pr?ter de l'int?r?t aux sujets arides, approfondir les objets en ayant l'air de les effleurer, savoir passer d'un ton ? un autre, voil?, ma ch?re Emilie, ce que je trouve dans la conversation du Marquis, et j'ai pass? des heures d?licieuses avec lui, sur-tout lorsque vous ?tiez en tiers: mon coeur et mon esprit alors n'avaient plus rien ? d?sirer. Adieu, mon Emilie; je vous embrasse bien tendrement.

Melle EMILIE

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