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Read Ebook: L'Illustration No. 0008 22 Avril 1843 by Various

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Ebook has 284 lines and 32111 words, and 6 pages

L'Illustration, No. 0008, 22 Avril 1843

L'ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERSEL.

Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de chaque N?. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour l'?tranger .-- 10 -- 20 -- 40

SOMMAIRE

Mouvement insurrectionnel ? Ha?ti.

L'histoire d'Ha?ti est si connue que nous nous bornerons ? en r?sumer aussi bri?vement que possible les principaux ?v?nements, afin de faire bien comprendre les causes de la r?volution nouvelle qui vient d'?clater.

En 1630, des flibustiers form?rent un ?tablissement, sur la partie septentrionale d'Ha?ti, que les Espagnols avaient abandonn?e. Chass?s ? diverses reprises, ils revinrent avec des forces nouvelles; la France les prot?gea, leur fit reconna?tre sa suzerainet? et leur donna, en 1664, un gouverneur. D?s lors les cr?oles, abandonn?s par leur m?tropole, furent oblig?s de c?der une partie de l'?le. En 1689, l'Espagne r?gularisa cette cession dans le trait? de Ryswick. D'abord, la France envoya dans sa nouvelle colonie tous les individus dont elle d?sirait se d?barrasser. Mais bient?t la traite des n?gres s'?tablit d'une mani?re r?guli?re; la m?tropole encouragea, favorisa m?me cet inf?me trafic, et, au moyen de ces nombreux travailleurs, Saint-Domingue marcha dans une voie de prosp?rit? progressive. En 1789, on n'y comptait pas moins de 700.000 esclaves poss?d?s par environ 28.000 mul?tres libres, et 40.000 blancs.

Cependant le temps approchait o? les esclaves allaient recouvrer leur libert? et se venger de leurs oppresseurs. Quand la R?volution fran?aise ?clata, le coutre-coup s'en fit sentir aux Antilles. A cette ?poque, trois partis ?taient en pr?sence ? Saint-Domingue: les grands propri?taires, qui voulaient l'ind?pendance de l'?le: les petits blancs, qui cherchaient ? renverser les privil?ges des riches; les mul?tres, qui songeaient ? s'affranchir de la tyrannie des uns et des autres. Les esclaves n'osaient pas m?me d?sirer leur affranchissement. Mais les querelles de leurs ma?tres, les luttes des blancs et des mul?tres, leur leur fit concevoir enfin des esp?rances qui ne devaient pas tarder ? se r?aliser. Le 23 ao?t 1791, ils se r?volt?rent pour la premi?re fois. Douze ans apr?s, vainqueurs des Anglais, qui voulaient s'emparer de cette ?le, et des fran?ais qui faisaient les plus grands efforts pour la conserver, ils se proclam?rent les seuls ma?tres de Saint-Domingue, ? laquelle ils avaient donn? son ancien nom d'Ha?ti.

Le 8 octobre 1804, Dessalines, le g?n?ral en chef de l'arm?e victorieuse, le successeur de l'infortun? Toussaint-Louverture, fut proclam? empereur, sous les nom de Jacques 1er, et six mois apr?s une convention de g?n?raux publia la constitution de l'empire d'Ha?ti .

Dessalines exer?a son autorit? d'une mani?re arbitraire; aussi ne r?gna-t-il que deux ann?es. Le 17 octobre 1809, il p?rissait assassin?, et son rival Christophe lui succ?dait, avec le titre de chef du gouvernement d'Ha?ti. Sa puissance ne fut toutefois bien ?tablie que dans le nord de l'?le. Un mul?tre, nomm? P?tion, commandant du Port-au-Prince, se refusa ? reconna?tre le nouveau titulaire, et, pendant cinq ann?es, les deux comp?titeurs se disput?rent l'autorit? supr?me sans parvenir ? se vaincre. Enfin, de guerre lasse, ils mirent bas les armes, Christophe se couronna roi, sous le nom de Henri 1er; P?tion se fit nommer pr?sident, et ces deux souverains s'occup?rent d?s lors ? r?tablir l'ordre et la prosp?rit?, l'un, dans son royaume, l'autre, dans sa r?publique.

A sa mort le pr?sident P?tion eut pour successeur le g?n?ral Jean-Pierre Boyer, mul?tre qui n'avait jou? qu'un r?le secondaire dans la r?volution; et, lorsqu'en 1820 le roi Christophe se fit sauter la cervelle, afin de ne pas tomber vivant entre les mains de ses soldats r?voltes, Boyer resta seul possesseur du tr?ne pr?sidentiel. Deux ann?es plus tard un coup de main lui livra la partie de l'?le qui appartenait encore aux Espagnols. A partir du 28 janvier 1822 l'?tendard bleu et rouge de la r?publique une et indivisible flotta sur l'?le enti?re. Il n'exista plus ? Ha?ti qu'un seul gouvernement et qu'une seule constitution. Enfin, en 1825, la France abandonna solennellement toutes ses pr?tentions ? la souverainet? de son ancienne colonie moyennant une indemnit? de 150 millions de francs, payables en cinq termes ?gaux. D?s lors, Ha?ti entra au nombre des nations civilis?es reconnues..

Si mis?rable, si souffrante, si avilie qu'elle fut, la nation ha?tienne n'ignorait rien de son mal; elle aspirait ? des temps meilleurs, et ne s'abandonnait pas dans sa d?tresse, comme l'ont dit les partisans de l'esclavage, ? l'insouciance d'un sauvage h?b?t?. L'opposition acqu?rait chaque ann?e des forces nouvelles. En 1839, elle faillit renverser la faction r?gnante. Boyer voyant qu'elle allait obtenir la majorit?, s'adressa ? l'arm?e, et chassa de la chambre les d?put?s qui osaient lui ?tre hostiles. Mais, bien qu'il e?t alors un succ?s complet ce coup d'?tat devait plus tard amener une r?volution. Les id?es lib?rales firent de notables progr?s, des journaux se fond?rent, qui d?fendirent avec ?nergie la constitution et les int?r?ts g?n?raux. Les d?put?s exclus en 1839 furent r??lus ? la presque unanimit? en 1841; le peuple commen?a ? ouvrir les yeux et aper?ut avec terreur l'ab?me o? le poussait le pr?sident. Boyer employa une seconde fois la force. A l'ouverture de la session, la chambre des repr?sentants, c?dant aux influences de la peur et de la corruption, ?limina, avant m?me d'?tre constitu?e, les d?put?s que Boyer avait frapp?s d'ostracisme. Pour comble de malheur, le 7 mai, un affreux tremblement de terre d?truisit presque enti?rement la ville du Cap avec un tiers de ses 8,000 habitants, et comme si la nature n'avait pas fait assez de mal, un hideux pillage vint remuer les d?combres qui couvraient les morts et les mourants.

Enfin, le 28 f?vrier 1843, le bruit s'?tant r?pandu que quatre patriotes allaient ?tre ex?cut?s, une insurrection ?clata aux Cayes. Un rassemblement de six ? huit mille individus se forma, et Boyer r?solut d'employer la force pour le disperser. Le lendemain, tous les habitants prirent les armes et r?clam?rent un gouvernement semblable ? celui des ?tats-Unis. En peu de jours, l'insurrection fit de grands progr?s. Toute la partie du sud et de l'est de l'?le tomba au pouvoir des insurg?s, qui avaient pris pour chefs deux officiers de la Colombie. Les troupes envoy?es contre eux se rang?rent de leur c?t?, et celles qui rest?rent fid?les ? Boyer furent battues dans deux rencontres et perdirent 500 hommes et deux g?n?raux. D'apr?s les derni?res nouvelles re?ues ? Paris, les insurg?s ?taient au nombre de 12,000, et Boyer n'avait plus que 4,000 hommes ? Port-au-Prince.

Une lettre dat?e du Port-au-Prince, le 5 mars 1843, et re?ue vendredi dernier ? Liverpool, contient ce qui suit:

<

<>

Toutes les lettres particuli?res annoncent que la majorit? des habitants du Port-au-Prince d?sire ardemment le succ?s des patriotes . Le prochain paquebot apportera peut-?tre en Europe la nouvelle de la chute ou de la mort du pr?sident Boyer.

Charles H?rard a?n?, charg? d'ex?cuter la volont? et les r?solutions du peuple souverain;

Consid?rant que sous le gouvernement du tyran Boyer, les ports ont ?t? ferm?s, ordonnons ce qui suit:

ART. 1er. Les ports d'Aquin, d'Anse d'Hainault et de Miragouine sont ouverts au commerce ?tranger, ? dater de la promulgation du pr?sent ordre du jour.

ART. 2. La direction des nouvelles douanes et l'administration des finances seront confi?es ? un fonctionnaire qui prendra le titre d'administrateur particulier.

ART. 3. Les droits d'importation sont maintenus; mais le mode de perception est aboli jusqu'? la promulgation d'un nouveau r?glement.

Fait au quartier-g?n?ral d'Aquin, le 5 mars 1843, premi?re ann?e de la r?g?n?ration d'Ha?ti. H?RARD a?n?.

La proclamation est adress?e au peuple et ? l'arm?e. Elle commence en ces termes:

<>

Elle se termine ainsi: <>

Ta?ti et l'Angleterre.

La Nouvelle-Z?lande aussi avait ?t? d'abord visit?e par des Fran?ais, qui s'y ?tablirent. Quelques ann?es apr?s, des Anglais vinrent s'y ?tablir ?galement, et on ne voit pas que les r?clamations de nos compatriotes, dans cette occasion, aient en rien mis obstacle ? la pleine souverainet? de l'Angleterre. Si le principe est vrai, quand il nous d?pouille l?, pourquoi serait-il faux quand il nous favorise ici?

Nous ne sommes pas de ceux qui jugent absolument de la grandeur d'un peuple par l'?tendue de son territoire, et nous croyons que ceux-l? se trompent grossi?rement qui mesurent l'abaissement pr?tendu de notre pays au nombre et ? l'immensit? des possessions gagn?es depuis un si?cle, et la plupart sur nous, par les Anglais. N?anmoins, en voyant, au del? de la Manche, fermenter sourdement encore tant de haine contre nous, au moment m?me o?, en France, l'esprit public, qui nous a ?lev?s si longtemps au-dessus de tous les peuples du monde, semble languir, sinon s'affaisser et s'?teindre, nous ne croyons pas inutile de jeter un coup d'oeil sur le pass? et de rappeler ce que nous avons perdu, depuis un si?cle, de possessions coloniales.

Il y a un si?cle, bien qu'affaiblie par le trait? d'Utrecht, la France poss?dait la supr?matie comme puissance continentale et coloniale. Elle poss?dait presque toutes les Antilles; ses colonies d'Acadie, du Canada, de la Louisiane s'?tendaient de jour en jour; ind?pendamment de Qu?bec et de Montr?al, de Mobile et de la Nouvelle-Orl?ans, de nouvelles villes se fondaient, des forts ?taient construits sur le Mississipi, sur les lacs et les rivi?res du Canada. En Afrique, elle poss?dait le S?n?gal et Gor?e; elle colonisait Madagascar; les ?les de France, Bourbon, Sainte-Marie, Rodrigue, lui appartenaient; enfin, elle dominait dans l'Inde, sous le commandement de Dumas, de La Bourdonnaye, de Dupleix; elle y acqu?rait de vastes territoires, et les rajahs ?taient ses vassaux. A cette ?poque, l'Angleterre posait ? peine le pied en Am?rique, et dans l'Inde, elle ne poss?dait que le fort Williams, aupr?s de Kali-Katta , et Bombay.

De toutes ces anciennes possessions en Asie, en Afrique, en Am?rique, on peut dire que la France a tout perdu, sauf des points insignifiants, sans importance, et depuis quelques ann?es ravag?s par tous les fl?aux.

En revanche, et depuis 1740, l'Angleterre, ou si l'on veut la race anglaise, a augment? ses possessions dans une proportion incroyable. Elle a gagn?:

En Europe, Malte et le protectorat des ?les Ioniennes, l'?le d'H?ligoland.

En Afrique: Bathurta, les ?les de Loss, Sierra-Leone, de nombreux ?tablissements sur la c?te de Guin?e, Fernando P?, les ?les de l'Ascension et Sainte-H?l?ne, la colonie du Cap, le Port-Natal, l'Ile-de-France , Rodrigue, les Seychelles, Socolora, etc.

En Am?rique: le Canada et tout le continent septentrional, jusqu'au mont Saint-Elie; ? l'ouest, les Lucayes, presque toutes les Antilles, la Trinit?, une partie de la Guyane, les Malouines, Balla, Ruattan, les Bermudes, etc.

Dans l'Oc?anie: la plus grande partie de l'Australie, la Tasmanie , la Nouvelle-Z?lande, Norfolk, Hawa? , etc., etc.

Et dans toutes les parties du monde, des pr?tentions excessives qu'il serait infiniment trop long d'?num?rer.

Et maintenant, parce que la reine de Ta?ti a mis spontan?ment sous la protection de notre pavillon les fleurs de son petit jardin, o? les navires anglais seront encore libres de venir chercher des l?gumes et les boeufs qu'ils y ont import?s, c'est nous qui mena?ons l'ind?pendance du monde; c'est nous qui sommes ? la veille de lui imposer par la force nos moeurs, nos lois, notre religion. Et c'est l'Angleterre qui se plaint!

En pr?sence de pareils faits, comment y a-t-il en France un seul homme qui h?site sur la question de la colonisation de l'Alg?rie, et pourquoi faut-il que la France soit ? peine repr?sent?e ? cette heure en Asie, au milieu des grands ?v?nements qui se pr?parent l? et particuli?rement dans le c?leste empire de la Chine?

Courrier de Paris.

LE CIGARE.--FRATERNIT?.--LE ROCHER DE CANCALE.--UN TURBOT DANS L'EMBARRAS.--LE CHANGEMENT DE DYNASTIE.--PAUL 1er.--LE SAVANT PR?CEPTEUR.--LE BAL REPR?SENTATIF.--ARMISTICE DANSANT.--LES MORTS MILLIONNAIRES.--PETITS ENFANTS.

On n'y prend pas garde; mais il avance, mais il se propage, mais de jour en jour il ?tend sa conqu?te. Comment y mettre obstacle? Par o? le fuir? Les plus rebelles sont oblig?s de subir sa tyrannie; les plus agiles ne peuvent l'?viter. Il est partout, il entre partout, il vous saisit ? l'improviste, il vous attaque au moment o? vous y pensez le moins. Le matin et le soir, le jour et la nuit, le d?mon continue sa poursuite. Fl?nez-vous ? la gr?ce de Dieu, sur l'asphalte des boulevards, le voil? qui vous arr?te au passage et vous saute ? la gorge; entrez-vous dans les rues, il vous attend ? chaque porte et s'embusque ? l'angle des maisons. Vous abritez-vous dans votre demeure, comme dans une citadelle, il court ? travers l'escalier et p?n?tre chez vous par la fen?tre entr'ouverte ou par le trou des serrures.--De quoi s'agit-t-il? d'o? vient cet ennemi si audacieux, si entreprenant, si in?vitable, si subtil? Comment le reconna?tre? Quel est son visage et quel est son nom?--Sa patrie se trouve par del? les mers; il est parti du Nouveau-Monde pour conqu?rir l'Ancien. Quant ? son air et ? sa tournure, on ne soup?onnerait jamais qu'un personnage si l?ger, si fragile, f?t capable de telles entreprises et d'une telle domination. Figurez-vous que ce terrible conqu?rant se laisse tr?s-paisiblement mettre dans la poche et enfermer dans un ?tui; puis vous le prenez, sans plus de fa?on, entre vos deux doigts, et vous le portez ? votre bouche, et vous le pressez sur vos l?vres et entre vos dents; lui cependant de se laisser faire. On n'a jamais vu de tyran, en apparence plus humain et plus docile. Mais c'est pr?cis?ment quand il para?t si humble et si soumis, qu'il se montre tout ? coup et s?me dans l'air les preuves de son audacieux caract?re. Voyez comme il se trahit lui-m?me. Ce n'est plus l'innocent de tout ? l'heure. Il s'?chauffe, il prend flamme, et une fois qu'il est en feu, tout est dit, il ne respecte plus rien.--Une jolie femme rose, et blanche, fine et effarouch?e, vient-elle ? passer pr?s de lui d'un pied furtif, l'insolent se jette sous son nez--Un honn?te bourgeois ouvre-t-il la bouche pour respirer l'air frais du matin, le bourreau lui court sus, et va tout droit se loger dans son gosier, au risque de lui faire perdre haleine. Que vous dirai-je? il apostrophe les plus d?licates et les plus timides, en v?ritable dragon. Encore, s'il avait des formes visibles et palpables, on le verrait venir de loin, et peut-?tre pourrait-on l'?viter. Mais, comme certains dieux de la mythologie, il s'enveloppe d'un nuage imperceptible ou se fait vapeur l?g?re, pour mieux surprendre son monde. Voulez-vous fuir, il n'est plus temps; le nuage vous environne, la vapeur tra?tresse vous inonde.

On ne s'imagine pas ? quel point le tabac et le cigare ont ?tendu leur empire, seulement depuis un an. C'est un trait caract?ristique des r?volutions du go?t parisien, qu'il est impossible de ne pas signaler. De toutes parts, on ouvre au dieu cigare des temples enfum?s; il envahit les quartiers les plus prudes, qui le repoussaient autrefois comme un serpent et un pestif?r?. Il installe ses entrep?ts dans la rue de la Paix et au coeur de la Chauss?e-d'Antin. J'avais autour de moi une marchande de fleurs et, un peu plus loin, une magnifique librairie; les fleurs et les livres viennent de c?der la place ? deux bureaux de tabac. Le bureau de tabac fait des progr?s inou?s. Bient?t Paris ne sera plus qu'un estaminet. Le cigare r?gne aux deux points oppos?s: ici, il est peuple et s'appelle pipe et non cigare; l?, il a sa cal?che et ses gens. A l'examiner du salon et du boudoir, comme marque de galanterie et de moeurs parfum?es, le cigare aurait grand'peine ? se d?fendre; mais il peut se faire valoir comme moyen de fusion et comme agent de fraternit?. Le cigare rapproche les rangs, efface les distances; il y a un moment o? personne n'est plus ni pauvre, ni riche, ni ouvrier, ni ma?tre, c'est le moment o? le cigare a besoin de feu pour s'allumer. A cette heure supr?me, le cigare ?te tr?s-poliment son chapeau et abordant la pipe lui dit: <> La pipe, portant la main ? sa casquette, r?plique: <> La pipe salue le cigare, le cigare salue la pipe, et tous deux se quittent avec un sentiment d'estime et de satisfaction r?ciproque--D'ailleurs, je cigare abr?ge les heures; il occupe, il distrait, il console, il chasse la triste r?alit? et ?veille les r?ves. La mati?re s'id?alise ? travers sa blanche vapeur; la pens?e court et voltige avec les nuages l?gers qu'elle pousse devant vous. Passons donc le cigare au riche et la pipe au pauvre. Tous deux n'ont-ils pas ? oublier et ? r?ver?... Cependant, ? Ath?nes, que dirait Platon s'il savait que tu as introduit le tabac dans la r?publique?

Il y a vingt ans, la nouvelle aurait jet? la d?solation dans le temple de Comus; Erigone se serait trouv?e mal et Bacchus en aurait fait une maladie; mais, ? l'heure qu'il est, arroserait de larmes sa muse grivoise; D?saugiers mettrait un cr?pe de deuil aux cordes de son luth bachique; le Champagne, pour un jour, suspendrait le jet de sa liqueur fumante; la poularde truff?e n'ach?verait pas son tour de broche, et Vatel oublierait de s'armer en cuisine et d'allumer ses fourneaux.--On annonce la chute du Rocher-de-Cancale!--Ce bruit s'est r?pandu l'autre jour; personne ne voulait y croire; mais le d?sastre est r?el et s'est confirm?. C'est une v?ritable catastrophe pour Epicure; le Rocher-de-Cancale ?tait son laboratoire le plus renomm?. Nul ne pouvait lui disputer la palme de la cloy?re d'hu?tres, du potage en tortue, du filet aux truffes, du plum-pudding ? la chipolata et du buisson d'?crevisses. On venait de loin, ? travers cette rue Montorgueil sombre et boueuse, on venait de toutes parts pour go?ter ? ses coulis et ? ses supr?mes. La province arrivant ? Paris d?sirait surtout deux choses: voir l'Op?ra et d?ner au Rocher-de-Cancale. Depuis que les grands restaurateurs sont tomb?s avec tant d'autres grandeurs, le Rocher-de-Cancale restait seul debout; il dominait encore, dernier ob?lisque, cet empire culinaire, jadis peupl? par des g?ants , et aujourd'hui livr? aux mirmidons.

Non, il n'est pas possible que le Rocher-de-Cancale p?risse! Le turbot ? la sauce aux hu?tres ne peut rester sans asile! Que deviendra-t-il, si le Rocher-de-Cancale lui manque? Faudra-t-il qu'il s'en aille tristement frapper ? la porte des empoisonneurs et des gargotes? Le v?ritable turbot ? la sauce aux hu?tres sait trop ce qu'il se doit ? lui-m?me pour s'abaisser jusque-l?; et, plut?t que de d?choir ? ce point, il irait se rejeter dans le sein de sa vieille m?re, Amphitrite, qu'il n'avait certes pas quitt?e pour de si m?diocres devins. Esp?rons-le! ce n'est qu'une bourrasque qui a souffl? sur le fameux Hocher; la bourrasque pass?e, Cancale rena?tra de sa ruine: un pilote fait naufrage, un autre s'?lance ? bord et navigue fi?rement. Il est des institutions qui ne sauraient mourir; les hu?tres du Rocher-de-Cancale sont de celles-l?. Que l'ombre de D?saugiers si; tranquillise!

Le Gymnase vient aussi de subir une r?volution, mais d'un genre moins tragique; il ne s'?croule pas, il ne fait que changer d'autocrate. Apr?s vingt ans de r?gne m?l? de prose et de couplets, M. Delestre-Poirson abdique; il r?signe le pouvoir, emportant avec lui toutes les consolations n?cessaires pour ne pas le regretter, et entre autres baumes salutaires et efficaces, une magnifique fortune, dit-on. M. Delestre-Poirson n'a pas gouvern? sans bonheur et sans ?clat; le soleil levant de M. Scribe a illumin? les premi?res ann?es de son autorit?. Pendant longtemps le Gymnase cueillit la plus riante et la plus jeune moisson de ce charmant esprit, se tressant des couronnes de vaudevilles parfum?s et de fines com?dies. Quel ?ge d'or pour le Gymnase! Que de caprices d?licieux! que de d?licates fantaisies! que de petits chefs-d'oeuvre! Il y a plus de quinze ans de cela, eh bien! en passant sur le boulevard Bonne-Nouvelle, il semble qu'on respire encore le parfum du frais bouquet de M. Scribe! Depuis ce temps, le f?cond auteur est devenu acad?micien, et M. Poirson se retire dans la solitude de ses cent mille livres de rente. Ainsi chacun finit par s'asseoir dans son fauteuil. Mais qui sait! Peut-?tre, du haut de l'Acad?mie, M. Scribe jette-t-il de temps en temps un sourire de regret ? cette riante prairie du Gymnase, aujourd'hui un peu aride et dess?ch?e, autrefois ?maill?e des fleurs gracieuses de son imagination. Quant ? M. Delestre-Poirson, s'il re?oit dans sa retraite la visite de tous les aimables colonels, de toutes les veuves ravissantes qui se sont attaqu?s, sous son administration, et mari?s au couplet final, il ne manquera pas de compagnie.

Le gouvernement du Gymnase ne se transmet pas du p?re au fils, par droit de prog?niture. L'empire des Poirson finit dans son chef, et le successeur de M. Delestre n'arrive pas m?me au pouvoir par un sentier collat?ral. C'est donc un changement total de dynastie. L'h?ritier s'appelle Paul. Apr?s Poirson 1er, nous aurons Paul Ier. Qu'on ne s'avise pas de demander: Qu'est-ce que M. Paul? On commettrait une grande b?vue et une ?norme ingratitude. Quoi donc! ne vous souvient-il plus de Paul? Paul n'aurait-il chant? tant de couplets galants, n'aurait-il charm? tant de pupilles, n'aurait-il tromp? tant de tuteurs, n'aurait-il emport? d'assaut tant de coeurs de veuves, que pour faire dire: Qu'est-ce que Paul? Eh! mon Dieu oui, Paul est l'amoureux du Gymnase; l'amoureux si cher ? la Restauration et si applaudi de madame la duchesse de Berri; l'amoureux de Mademoiselle D?jazet, de madame Allan, de madame Volnys; le mauvais sujet qui a jou? de si malins tours et fait de si belles peurs ? sa grand'maman, mademoiselle Julienne. Que voulez-vous! d'amoureux, de s?ducteur, de jeune-premier qu'il ?tait, Paul est devenu p?re-noble, et ne pouvant plaire davantage aux veuves et aux pupilles du Gymnase, il s'en est fait le directeur.

Le gouvernement repr?sentatif se pr?pare ? se mettre en danse. M. le pr?sident de la Chambre des D?put?s a promis un bal pour la semaine prochaine: M. Sanzet fera les choses magnifiquement: la liste des invitations s'?l?ve jusqu'ici ? plus de trois mille personnes; on esp?re que le chiffre s'?largira encore. Toutes les opinions et tous les syst?mes se meurent d'envie de figurer chez M. Sauzet. Devant la danse, il n'y a plus de haine politique, et les partis les plus acharn?s sont tous pr?ts ? valser ensemble. Les fiers Brutus se laissent entra?ner au galop; la vertu d'Aristide lui-m?me descend du haut de sa montagne, pour faire un avant-deux. Le bal de M. Sauzet offrira donc les plus curieuses contredanses: l'extr?me gauche balancera avec le centre; la droite ex?cutera un chass?-crois? avec le tiers-parti; le 1er avril, le 12 mai, le 1er mars et le 29 octobre se proposent de r?gler entre eux une partie carr?e; puis la question d'Orient avec la loi sur les sucres, les chemins de fer avec le droit de visite, le recrutement avec le budget. Pour cette derni?re contredanse on n'est pas sans inqui?tude; l'architecte ne r?pond pas de la solidit? de la salle.--M. Sauzet ne sait d'ailleurs s'il doit inviter la seconde liste du jury, et v adjoindre les capacit?s.

La Mort ne respecte rien: elle frappe ? la porte du pauvre et entre dans les palais sans demander le cordon. Il y a longtemps qu'Horace l'a dit, un peu plus po?tiquement que moi, et d'autres l'avaient dit avant Horace; car ce sont l? des tours que la Mort n'a pas invent?s d'hier, et dont le premier po?te et le premier philosophe se sont aper?us d?s avant le d?luge.--La Mort donc, sortant peut-?tre de quelque triste masure, s'est abattue, il y a quelques heures, dans un magnifique h?tel, o? elle a trouv?--qui?--un des hommes les plus riches de ce temps-ci et des plus fameux par l'?clat de leur luxe. La Mort n'a ?t? arr?t?e ni par les valets galonn?s qui veillaient ? la porte, ni par les palissades de soie, de velours, d'or et de diamants; et, passant ? travers cette richesse, d'un pied rapide, elle a enlev? M. Schichler. M. Schichler avait de huit ? neuf cent mille livres de rente. Il est mort comme M. Aguado, sur un lit de millions.

Cependant les Tuileries verdoient et sont en fleurs, et les petits enfants s'?battent au soleil avec insouciance, se roulant sur le sable, ?gayant l'air de leurs cris joyeux, ou venant se jeter avec un gai sourire dans les bras de la m?re attentive qui les provoque de loin, ou les guette et les surprend au passage.

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