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Read Ebook: Les Rythmes souverains: Poèmes by Verhaeren Emile

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Ebook has 211 lines and 28901 words, and 5 pages

En vain rechercha-t-il sur le bord qu'il foulait Quelque pointe se dirigeant si pr?s de l'?le Et planant d'assez haut sur ses maigres galets, Pour que d'un bond immense il p?t franchir les vagues Il ne rencontra rien en ses errances vagues. Alors, Son corps Lui parut lourd comme une charge: Ses pieds nerveux, ses jarrets durs, ses cuisses larges Son dos, nourri de force et de clart? v?tu, Et sa hanche incurv?e et sa flexible ?chine, Et les muscles band?s de sa haute poitrine, Tout semblait morne et faible, et triste, et sans vertu O ses membres pesants qui l'accablaient lui-m?me, O leur rythme usuel qu'il lui fallait changer, Dites, par quel effort ou par quel stratag?me?

Sauts violents, essors l?gers, Talons frappant le sol ? travers la poussi?re; Pieds suspendus, et fr?missants, dans la lumi?re, Elans de roc en roc, ?lans de mont en mont, Vous nourrissiez la fougue errante de Pers?e Sans lui donner pourtant, ni le vol, ni les bonds Des aquilons: Essais pauvres et vains, et travaux inutiles.

Il n'osait plus le soir se rapprocher de l'?le; Il avait honte, h?las! d'?tre celui Qui ne r?ussit point ? susciter en lui L'exploit rapide et n?cessaire; Tout son ?tre vibrait de mouvements contraires Au rythme a?rien, qu'il fallait inventer. Il s'en allait au loin, d'un pas pr?cipit?, Allait et s'en venait, pour s'en aller encore, et de l'aurore au soir, et du soir ? l'aurore, Ici, l?-bas, ailleurs, n'importe o?, quelque part, N'ayant pour compagnon furtif que le hasard.

P?gase! Il le surprit, un jour, aux lisi?res d'un bois, Foulant une herbe avare et rase. Le h?ros fit un cri; puis suspendit sa voix, Et ne vit rien, sinon, ouvertes au soleil, Les ailes. Mais d?j? le coursier, fr?missant et vermeil, Dans un tourbillon d'or, d'?cume et d'?tincelles, Avait quitt? la terre et hennissait l?-haut. L'approcher, le saisir, le dompter: ? le r?ve! Et diriger soudain les lumineux sursauts, Et les bonds dans le ciel, par-dessus mer et gr?ve, Jusque dans l'?le o? seuls abordent les oiseaux!

Ce fut un soir, dans un ?tang, parmi les vases, Dont le coursier buvait le flot cribl? de feux, Que Pers?e aux aguets, d'un poing rude et nerveux, Saisit P?gase.

Le cheval outrag? se cabra brusque et droit; Sa grande aile d'argent, en un effort tragique, L'affranchit de la boue ?paisse et l?thargique, Et ses reins r?volt?s rejet?rent leur poids. Pers?e eut beau crisper ses doigts dans la crini?re Et resserrer les flancs dans l'?tau des genoux, Aucune entente encor secr?te et famili?re N'existait entre lui et le grand cheval roux. Il chut, mais ressurgit soudain, des longues herbes Et des souples roseaux au vent du soir bougeant, Le front intact et franc, le corps ferme et superbe, Et s'en alla, droit devant lui, mais en songeant Qu'il lui faudrait d'abord ?tudier la force Que le hasard avait mise sur son chemin, En assouplir la fougue ?rig?e et retorse Pour la ployer, comme un arc dur, entre ses mains.

Aussi, le jour qu'il vit, sous la h?tr?e ?paisse, P?gase, immense et las, au fond du bois dormir, Rabaissa-t-il ses bras tendus pour le saisir, Et son geste brutal se changea en caresse. Il r?veilla, tranquillement, le beau coursier, Qui se sentit captif sous les branches baiss?es; Mais dans l'ombre brillaient les yeux clairs de Pers?e Avec de la douceur m?l?e ? leurs brasiers; Et la b?te se releva presque sans crainte, Sur le pas du h?ros r?glant d?j? son pas Et ne se sentant plus chevauch?e et contrainte; Quand la plaine s'ouvrit, elle ne s'enfuit pas.

Ce fut par un matin couronn? de ros?e, Que P?gase ?pousa le d?sir de Pers?e. D'abord pendant des jours et puis des jours encor L'?change s'?tait fait des fluides de leurs corps Pour grouper en faisceaux leurs mouvements contraires Et tenter un d?part qui serait un accord; Le h?ros surveillait ses gestes volontaires, P?gase ob?issait doucement, lentement, Certes rebelle au mors, certes rebelle aux r?nes, Mais ne se cabrant plus avec effarement D?s qu'une main touchait sa croupe souveraine. Puis lentement encor, et doucement toujours, Avec le rythme aim? de quelques lentes phrases Qu'il murmurait, disait ou chantait tour ? tour, On e?t dit que Pers?e envahissait P?gase. Les muscles et les nerfs du grand cheval ail? Tressaillirent ? ce chant clair et envol? Comme lui-m?me, au loin, vers la haute lumi?re. Et, cette fois, dans l'aube o? s'entendait un los, Avec le grand Pers?e ?rig? sur son dos, Les quatre pieds volants du coursier d'or quitt?rent La terre.

SAINT JEAN

Lorsque Joseph d'Arimathie Eut descendu le Christ raide, livide et froid, Du sommet de la croix, Et que la garde et que la foule ?taient parties Et que les monts et que les cieux, Et que les eaux et que la terre, Un instant remu?s par les vents et les feux, Etaient redevenus silencieux Et solitaires, O le baiser de Jean sur le coeur de son Dieu!

Il ?tait mort, coeur, Avec sa lente et patiente douceur Et son pardon profond et sa claire tendresse, Et Jean dans un baiser les voulait recueillir Pour que leur triple ardeur n'e?t le temps de languir Ni de mourir de s?cheresse, Pendant les trois longs jours Que passerait au fond du tombeau lourd, Avant que d'en rena?tre, Le ma?tre.

Oh! ces l?vres de Jean et leur baiser supr?me Dans le silence A l'endroit m?me O? s'enfon?a le coup de lance!

Lorsqu'il eut reconduit Marie en sa maison, Une premi?re ?toile ouvrit sa floraison, L?-haut, dans le ciel de Jud?e, Et Jean la regardait, dans l'azur vaste et clair, Briller si pure et si chaste qu'elle avait l'air D'?tre son ?me ?lucid?e.

La mauvaise fureur n'habitait plus en lui; Il avait ? jamais repouss? vers leur nuit Le vieil orgueil et ses alarmes. Il appelait sur soi les affronts d?cha?n?s Pour imiter son Dieu mourant--et pardonner Tr?s doucement, avec des larmes.

Il se faisait tr?s faible et se sentait tr?s fort. Il rec?lait en lui le secret r?confort De ceux qui dominent la vie Non par la force droite et belle infiniment, Mais par l'humble vouloir et par l'effacement Et la douceur inassouvie.

J?rusalem dormait l?-bas Et Jean, de sente en sente, y dirigea son pas, Songeant ? Pierre Qui sans doute pleurait quelque part sous les cieux Cette faute pl?ni?re D'avoir eu honte de son Dieu. Pr?s des palais romains dont brillaient les porphyres, Pierre ?tait g?missant et redoutait la nuit; Et Jean lui prit les mains et s'assit pr?s de lui Et sanglota sans lui rien dire. Mais son regard parlait et son coeur ?tait doux, Et soudain devant Pierre il se mit ? genoux Et supplia d'une voix haute Comme s'il confessait au ciel sa propre faute. Et Pierre ?treignit Jean et tout ? coup sentit Le calme et la ferveur rentrer dans son esprit.

Et Jean partit bient?t du c?t? des tavernes Songeant ? Barrabas.

Des enfants demi-nus jouaient pr?s des citernes; Des chameliers bronz?s cherchaient, ivres et las, Comme ? t?tons, de rue en rue, au fond des bouges, Des femmes dont l'amour et la bouche ?taient rouges. Aupr?s d'elles, buvait et chantait le bandit. Jean s'approcha sans peur et doucement lui dit: <> Barrabas r?pondit: <>

Jean voulut s'approcher et lui parler encore; Mais Barrabas terrible et fou saisit l'amphore, Et mena?a l'ap?tre, avec son bras lev?: <> Jean sentit la douleur vriller si fort son ?me Qu'il supplia, les mains jointes, l'une des femmes D'emp?cher Barrabas de blasph?mer encor.

Des poings brutaux et noirs le pouss?rent dehors. Et Jean partit en sanglotant par la nuit bl?me, Sans plainte et sans col?re et ferme et doux, quand m?me, Et, se tournant de loin vers le bouge abhorr?, Il se voila les yeux, mais dit: <>

L'aube toucha bient?t de ses mains cristallines Le front ent?n?br? des bois sur les collines Et le fa?te du temple o? s'exaltait l'airain. Soudain, Tandis que Jean marchait encor par les campagnes, Des pas multipli?s Emplirent de leur bruit le mont des Oliviers, Et des femmes criaient de loin ? leurs compagnes, Qu'un homme aux cheveux roux s'?tait pendu, l?-haut. Le coeur de Jean resta muet, sans un sanglot. Le crime de Judas ?tait inimitable. Oh! ce soir qu'il prit place, avec tous, ? la table, Et qu'il osa parler et que m?me sa main Ne trembla point quand Dieu lui pr?senta le pain!

Pourtant l'ap?tre errant suivit la multitude: Le mort gisait au pied de l'arbre et regardait, Fixement, e?t-on dit, sa propre turpitude. L'oeil ?tait sombre et morne et dur; il obs?dait; Les lourds abois d'un chien montaient dans le tumulte; Des gens passaient, jetant au cadavre l'insulte Et se montraient cruels pour se cacher leur peur. Jean sentit la piti? dominer son horreur. Il songeait ? l'?cart: Pourtant il fut des n?tres; Pendant trois ans son coeur fut le coeur d'un ap?tre; Il pardonna souvent lorsqu'il e?t d? punir, Et J?sus-Christ l'aima, qui savait l'avenir. Alors, sans h?siter, Jean traversa les houles Et les fureurs toujours plus denses de la foule Et, soulevant le corps entre ses bras pieux, Avec des doigts tr?s purs il lui ferma les yeux. Puis, il le prit pour le porter lui-m?me en terre. Quelqu'un l'accompagna vers les lieux solitaires, Et, sans parler, tous deux enfouirent Judas

Ainsi jusqu'au matin o? Christ ressuscita, L'?me de Jean fut ? tel point profonde et tendre Qu'aucun homme d'alors ne la pouvait comprendre Et que m?me Marie, ? le voir vers son seuil S'avancer lentement et sourire ? son deuil, Croyait l'ap?tre aim? pris de vague folie. C'est qu'il ne stagnait plus aucun soup?on de lie Dans le vase chr?tien qu'?tait d?j? son coeur. C'est qu'il avait vaincu toute l'ombre et la peur Et que, dans l'eau des pleurs, il savourait la joie. Entre mille chemins, seul, il suivait la voie Que Christ allait tracer autour de l'univers. Il faisait son tr?sor de tous les maux soufferts; Quand son pas rencontrait quelques touffes d'?pines Il s'arr?tait et b?nissait le noir buisson D'avoir, pour le salut de tous, perc? le front Et les cheveux sacr?s et les tempes divines. Il b?nissait le fer, il b?nissait le bois Qui fournirent la lance et les clous et la croix; Il b?nissait jusqu'aux bourreaux sanglants et bl?mes Et m?me, il b?nissait, le soir, le Golgotha Qui, rouge et t?n?breux, se bossuait l?-bas, Avec ses rocs dress?s comme autant de blasph?mes.

Aussi longtemps que Jean chez les hommes v?cut, Son front demeura lumineux d'avoir con?u Lui le premier, quand J?sus-Christ dormait sous terre, L'h?ro?sme tranquille, intime et solitaire Qui changea l'?me humaine et qui l'exalte encor. Il fut sublime et doux, sans peine et sans effort; Il inclina son coeur, lampe ardente et fragile, Sur chacun des versets de son pur ?vangile, Il se sentait aim? o? les autres ?taient craints. Quand il pr?chait, le soir, dans les cit?s d'Asie, Les brises qui passaient en semblaient adoucies Et les femmes pleuraient en lui tendant les mains. Il mourut plein de jours et de calme sagesse, Aid? par tous les siens, ? l'aube, dans Eph?se, Et sa voix se fit claire ? son dernier moment: <>

LES BARBARES

L?-bas, Parmi les Don, et les Dnieper, et les Volga, O? la bise ?ternelle, ? rude et sombre haleine, Durcit la plaine; Et puis, l?-bas encor, O? les gla?ons monumentaux des Nords Bloquent, de leurs parois hi?ratiques, Les bords Du fiord Scandinave et du golfe baltique, Et puis, plus loin encor, plus loin toujours, Sur les plateaux d'Asie O? les rocs convuls?s dressent leur fr?n?sie Jusqu'? barrer le jour, Les barbares voyaient un merveilleux mirage, Tenace et obs?dant, Se d?placer vers l'Occident, De route en route, et d'?ge en ?ge.

Apres, hardis, aventureux, Ils se le d?signaient en s'exaltant entre eux. Les plus ardents partaient ? travers monts et plaines; Ils d?robaient des chars et des peaux et des laines Et s'engouffraient dans l'inconnu et ses dangers. Des foules se joignaient ? l'appel passager Qu'ils lan?aient aux ?chos du haut de leurs montures; Les chefs ?taient de haute et compacte stature: Leurs longs cheveux natt?s battaient leurs torses roux; Ils se disaient issus des aurochs ou des loups. O ces brusques d?parts de hordes violentes Se ruant ? l'assaut de la terre tremblante, Ces blocs errants et lourds de peuples rassembl?s, Et ces trots de chevaux sur les pays br?l?s, Et ces rapts dans la nuit, sous la lune et les astres, Et ces rires dans le carnage et les d?sastres, Et, tout ? coup, Tous ces fourmillements et ces tumultes fous Laissant crouler leurs montagnes de cris et d'hommes Vers Rome!

Ils la virent, un soir, dormir sur ses deux bords: Ses collines la soutenaient, lasse et vieillie, Mais le soleil jusqu'o? sa gloire ?tait jaillie Semblait changer ses toits en longs bouclier d'or Comme pour la d?fendre ? cette heure derni?re. Le Capitole ?tincelait dans la clart? Et, malgr? tout, dardait encor sa volont? De rester ferme et droit et pur sous la lumi?re. Les barbares se d?signaient, dans le lointain, Le palais des C?sars o? vivait Augustule Et, parmi les frontons ardents du Janicule, Les hauts gestes des Dieux barrant le ciel latin. Ils h?sitaient devant la supr?me bataille: Leur esprit trouble et lourdement myst?rieux Sentait comme un effroi brusque et contagieux Sortir des blocs fendus de l'antique muraille. Des prodiges apparaissaient sur les maisons: Des nuages soudains et pareils ? des aigles Se levaient en tumulte et s'envolaient sans r?gle Et, tour ? tour, quittaient ou gagnaient l'horizon. Et quand la sombre nuit voila la vo?te ?teinte, De toutes parts, sur les terrasses et les tours, Des feux multipli?s y maintinrent le jour Et jet?rent au coeur des H?rules, la crainte. Ils ne retrouvaient plus dans leurs muscles l'?lan Qui les portait, depuis les temps tumultuaires Qu'ils avaient d? quitter l'autre bout de la terre. Leur corps s'alanguissait, torpide et indolent, Ils erraient par les monts et les for?ts tranquilles, Ne cherchant qu'un abri sous les arbres ?pais, Et qu'? flairer de loin, dans le vent qui passait, L'?norme et chaude odeur qui montait de la ville.

La faim Les fit sortir des bois et les rendit enfin Ma?tres des destin?es.

L? victoire sans grand effort fut moissonn?e.

D?j? Ils parcouraient la ville en y semant la flamme Qu'ils ressentaient encor dans le fond de leur ?me, La frayeur d'?tre l?; Mais les vins absorb?s, et les viandes rouges, Mais l'odeur que Subure ?pandait de ses bouges, Mais les ors flamboyant de palais en palais Leur donn?rent soudain l'audace qu'il fallait, Pour abattre l'orgueil mill?naire de Rome.

O cette heure qui cl?t une ?re et la consomme! Et qui surveille, et qui ?coute, et qui entend Chaque empire tomber plus lourd au fond du temps! O ces si?cles arm?s, qui tout ? coup s'?croulent! Ces flux et ces reflux de rages et de foules, Et ces fracas de fer et d'or sous le soleil! O ces coups de marteaux sur des marbres vermeils, Ces corniches de gloire et de beaut? v?tues Broyant, en s'abattant, les bras de leurs statues, Et ces tr?sors vid?s, et ces coffres fendus, Et ces poings dans le meurtre et le viol tordus, Et ces plaintes, et ces r?les contre des portes, Et ces amas encor ti?des de vierges mortes, Et leurs regards d'effroi, et leurs bouches, gardant Des poils roux arrach?s, dans l'?tau blanc des dents, Et la flamme r?deuse, et tout ? coup grandie, Et lan?ant jusqu'au ciel ses meutes d'incendie!

LA CROISADE

Un cri s'?l?ve, et vole, et frappe, et puis s'?tend D'Ardenne en Vermandois, et de Flandre en Luzarche; Et les glaives au clair et les pennons en marche, D?s que passe ce cri, h?rissent l'Occident.

O ces milliers de pas, sur ces milliers de routes, O ce bruit r?gulier, fourmillant et profond, Dont tressaillent les eaux, dont s'?meuvent les monts, Et que les morts sous terre ?coutent; Bruits ?touff?s sous bois, bruits ?clat?s dans l'air, Bruits qui montent soudain et tout ? coup s'affaissent, Comme si par instants des quartiers de falaise Croulaient et s'ab?maient en mer.

Les chemins d?bord?s envahissaient les plaines: On broyait les ?pis; on pi?tinait les graines; On d?vastait ? mesure que l'on errait, Soit au bord des ?tangs, soit au long des for?ts, Tragiquement, avec la faim dans les entrailles. Parfois s'improvisaient de rapides batailles, Autour de hauts tr?sors ou de butins capt?s, Un chef intervenait, tenace et redout?, Et reployait sous lui les volont?s serviles. Les soirs, ceux qui campaient aux limites des villes Se ruaient vers la femme avec de fortes mains, Et le viol criait et s'?touffait dans l'ombre. Mais tous, le jour lev?, reprenaient le chemin, Et la terre, ? nouveau, grondait de pas sans nombre.

L?-bas Sous le ciel bleu de Palestine, Un p?le croissant d'or courbe sa pointe fine, A l'endroit m?me o? l'?toile guidait les pas Des bergers et des mages. Et, sur le bloc du sarcophage,

O? J?sus-Christ dormit sa mort, Un drapeau vert aux franges d'or, Depuis quels temps, ?pres et sombres, Laisse flotter et s'exalter, Son ombre.

Au pays de Clermont, un moine avait pr?ch?: <>

Alors qu'ils chevauchaient entre Bude et Belgrade, Le front libre du casque et l'?trier ballant, Tancr?de et Boh?mond causaient en camarades, Du discours de l'Hermite et de son cri br?lant. Ils n'avaient point compris la harangue trop belle; Pour eux, tout ?tranger demeurait l'ennemi, Et rien ne distinguait du Musulman rebelle L'Anglais envahisseur ou l'Allemand conquis. Pourtant, comme ils passaient ? Varna, le dimanche, Leur pri?re m?l?e aux pri?res de tous Sous les v?lums soyeux des basiliques blanches, Leur inculqua soudain un esprit moins jaloux. Ils mang?rent le pain d'une commune id?e Que leur tendit un pr?tre extatique et chenu, Et leur bouche baisant la m?me croix dard?e, Ils se crurent chez eux sous ce ciel inconnu.

Tandis que Godefroid, ayant gagn? l'Asie Pour s'attaquer, lui le premier, ? l'h?r?sie Des hauts sultans de soie et de b?ryls couverts Et des peuples tann?s par les vents du d?sert, Ne rencontra jamais en ces hommes ?tranges Qu'une foi monstrueuse et de sang et de fange, Et ne comprit jamais la torride clart? Que leur versait au coeur une autre v?rit?.

Sion, vous reposiez l?-bas au bout des plaines Avec vos minarets dor?s par le couchant, D'o? le haut mu?zin d'une ample et longue haleine, De terrasse en terrasse, illimitait son chant! Et Godefroid songeait que la sainte lumi?re, La maison de Marie et la tombe de Dieu, Ecoutaient, tous les jours, l'insultante pri?re Dont cet homme souillait la puret? des cieux. D'un bond g?ant, il e?t voulu gagner la ville, Mais ses guerriers lass?s se couchaient en chemin, Leur courage s'usait, et leur fi?vre indocile Laissait fr?mir, parfois, la r?volte en leurs mains. Malgr? toute sa fougue, il lui fallut attendre Que l'Occident lui d?p?ch?t d'autres soldats, Et ce furent ceux-l? du Vexin et de Flandre, Dont il ou?t d'abord se rapprocher les pas. Et puis ce fut, superbement, l'arm?e enti?re, Avec ses ?tendards repli?s ou flottants, Il crut ? quelqu'orage enferm? sous la terre, Qui tout ? coup se d?livrait en s'exaltant; Les Aquitains chantaient un hymne ardent et grave, Que l'ordre de leur marche, avec calme, scandait, Tandis que les Normands, les Saxons, et les Slaves, La-b?s, au loin, sur les routes leur r?pondaient. Un seul pas fourmillant semblait mouvoir leurs foules Que le soleil frappait de haut, terriblement, Et c'?taient des clart?s croulant comme des houles, De l'un ? l'autre bout de leur pi?tinement. O les nuits de repos et les matins d'alerte! Et tout ? coup, au soir tombant du jour dernier, Debout, l?, devant tous, dans sa ceinture verte, J?rusalem que dominaient de hauts palmiers. Alors l'?lan fut tel dans l'ombre et la poussi?re Qu'on e?t dit que le sol lui-m?me s'emportait Au soul?vement fou des pas myriadaires. L'air ?tait bondissant et le vent haletait, La force et la valeur se muaient en miracles. En vain, herses et ponts et douves et cr?neaux, Et rocs et murs et tours ?tageaient leurs obstacles, L'?norme tourbillon devint soudain l'assaut Ru? comme un torrent contre la cit? sainte, Et les portes tombaient en ?crasant les cris, Et les flammes sautaient au-dessus de l'enceinte, Et le mont Golgotha s'?claira dans la nuit.

O jeune et violente et rapide victoire! O p?ril d?ment surmont?! O geste gauche encor, dans la lointaine histoire, D'une Europe vers l'unit?!

MARTIN LUTHER

Les Monast?res, On les voyait jadis, ainsi que de grands fronts, Du fond des bois, du bout des monts Illuminer la terre, Leurs tours les ?clairaient comme autant de flambeaux; Au-dessus d'eux, les ?toiles posaient leurs sceaux, Et sur les champs, les clos, les lacs et les vall?es, Ils dardaient de tr?s haut Le dogme inexpugnable et la foi cr?nel?e.

Rome pensait pour tous; Mais eux songeaient pour Rome. Ils dominaient la vie et les brusques remous bue creusait en son lit le flot r?tif des hommes. Partout, de bourg en bourg, de cit? en cit?, Pesaient sur les cerveaux leurs blocs d'autorit?. Peuples des pays clairs, peuples des landes sombres N'?taient que leur vouloir sacr? devenu nombre. Ils d?ployaient sur Dieu leurs syllogismes froids. Ils inspiraient la crainte au coeur sans peur des rois, Et personne n'osait au brasier de son ?me R?veiller un feu d'or o? ne brill?t leur flamme.

Pendant mille ans, Ils maintinrent ainsi comme un glaive en sa ga?ne, A la merci de leur bras ferme et vigilant L'ardeur humaine; L'esprit ne sentait plus agir comme un ferment La raison rude; La recherche ?tait morte, et l'on croyait d?ment, Par habitude; Le doute all?gre ?tait traqu? de seuil en seuil Comme une b?te, Et celui-l? mourait qui pavoisait d'orgueil Humain, sa t?te.

O ce grand ciel chr?tien, despotique et mental, Envo?tant sous ses lois l'espace occidental, Qui donc l'affronterait, l? haut, sur la montagne? Ce fut un moine ardent, sensuel et but?, Qui serrait sous le froc deux poings de volont?, Et qu'offrit ? la terre un pays d'Allemagne.

Les textes nus et froids lui semblaient sans vertu; C'?taient des poteaux secs qui se croyaient des arbres, L'esprit vivant gisait sous la lettre abattu Et le pape, l?-bas, dans sa ville de marbre, Mettait la gr?ce en vente et trafiquait du ciel. Partout le d?cor creux masquait les lignes fermes Et les hautains piliers d'un temple essentiel, Les p?pites de l'or semblaient autant de germes Dont les pr?tres ensemen?aient le sol chr?tien. Tout un peuple de saints imposait sa tutelle A la supplique humaine et la chargeait de liens. Le cri direct de l'homme ? Dieu n'avait plus d'ailes.

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