Read Ebook: Le Désespéré by Bloy L On
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Ebook has 1065 lines and 105935 words, and 22 pages
L?ON BLOY
Le D?sesp?r?
LACRYMABILITER!
PARIS
TRESSE & STOCK, ?DITEURS.
Nous respectons trop l'originalit? litt?raire de M. L?on Bloy pour avoir exig? de lui la plus l?g?re modification ? des appr?ciations ou ? des jugements que beaucoup trouveront excessifs, injustes et peut-?tre m?me offensants. D'ailleurs, M. L?on Bloy e?t ?t? vraisemblablement rebelle ? nos avis.
T. & S.
Quand vous recevrez cette lettre, mon cher ami, j'aurai achev? de tuer mon p?re. Le pauvre homme agonise et mourra, dit-on, avant le jour.
< < < < < < < < < < < < < < < < Les relations de celui-ci avec Marchenoir dataient de plusieurs ann?es. Relations troubl?es, il est vrai, par l'effet de prodigieuses diff?rences d'id?es et de go?ts, mais rest?es ? peu pr?s cordiales. Aimable et de verve abondante,--tel qu'il est encore aujourd'hui,--sans l'?r?sip?le de vanit? qui le d?figure depuis ses triomphes, son petit appartement du Jardin des Plantes ?tait alors le lieu d'un groupe fervent et c?naculaire de jeunes ?crivains, dispers?s maintenant dans les entrecolonnements br?neux de la presse ? quinze centimes. Le plus remarquable de tous ?tait cet encombrant tsigane Hamilcar L?cuyer, que ses goujates vaticinations anti-religieuses ont rendu si fameux. Alexis Dulaurier, ami, par choix, de tout le monde et, par cons?quent, sans principes comme sans passions, combl? des dons de la m?diocrit?,--cette force ? d?raciner des Himalayas!--pouvait raisonnablement pr?tendre ? tous les succ?s. Quand l'heure fut venue, il n'eut qu'? toucher du doigt les murailles de b?tise de la grande Publicit? pour qu'elles tombassent aussit?t devant lui et pour qu'il entr?t, comme un Antiochus, dans cette forteresse imprenable aux gens de g?nie, avec les cent vingt ?l?phants futiles charg?s de son bagage litt?raire. Sa pr?pond?rante situation d'?crivain est d?sormais incontestable. Il ne repr?sente rien moins que la Litt?rature fran?aise. Il faut penser ? l'incroyable an?mie des ?mes modernes dans les classes dites ?lev?es,--les seules ?mes qui int?ressent Dulaurier et dont il ambitionne le suffrage,--pour bien comprendre l'eucharistique succ?s de cet ?vang?liste du Rien. Apr?s cela, que pouvait-on refuser ? ce nourrisseur? Tout, ? l'instant, lui fut prodigu?: l'autorit? d'un augure, les ?ditions sans cesse renouvel?es, la survente des vieux bouillons, les prix acad?miques, l'argent infini, et jusqu'? cette croix d'honneur si pollu?e, mais toujours d?sirable, qu'un artiste fier, ? supposer qu'il l'obt?nt, n'aurait m?me plus le droit d'accepter! Le fauteuil d'immortalit? lui manque encore. Mais il l'aura prochainement, d?t-on faire crever une trentaine d'acad?miciens pour lui assurer des chances! Cette r?serve faite, la pes?e intellectuelle est ? peu pr?s la m?me des deux c?t?s, l'un et l'autre ayant admirablement compris la n?cessit? d'?crire comme des cochers pour ?tre crus les autom?dons de la pens?e. Un brave homme qui venait de voir mourir dans la mis?re et l'obscurit? un ?tre sup?rieur dont quelques journaux avaient ? peine mentionn? la disparition, s'indignait, un jour, de ce boniment d'un m?diocre ? qui tout a r?ussi.--Apr?s tout, dit-il, en se calmant, il y a peut-?tre quelque sinc?rit? dans cette vile blague. Ce gar?on a l'?me petite, mais il n'est ni un sot, ni un hypocrite et, par moments, il doit lui peser quelque chose de la monstrueuse iniquit? de son bonheur! L'imploration postale de ce Marchenoir au pr?nom si ?trange ?tait donc doublement inhabile. Elle ?talait une compl?te mis?re, la chose du monde la plus in?l?gante aux yeux d'un pareil dandy de plume, et laissait percer, dans les derni?res lignes, un vague, mais irr?missible m?pris, dont l'infortun? p?titionnaire, inexpert au maniement des vanit?s, et, d'ailleurs, an?anti, ne s'?tait pas aper?u. Il avait m?me cru, dans son extr?me fatigue, pousser assez loin la flatterie et il s'?tait dit, avec le geste de lancer un tr?sor ? la mer, que son effrayante d?tresse exigeait un tel sacrifice. Dulaurier et lui ne se voyaient presque plus depuis des ann?es. Une sorte de curiosit? d'esprit les avait pouss?s nagu?re l'un vers l'autre. Pendant des saisons on les avait vus toujours ensemble,--la misanthropie enflamm?e du boh?me qui passait pour avoir du g?nie, faisant repoussoir ? la sceptique indulgence de l'arbitre futur des hautes finesses litt?raires. D?s la premi?re minute de succ?s, Dulaurier sentit merveilleusement le danger de remorquer plus longtemps ce requin, aux entrailles rugissantes qui allait devenir son juge et, suavement, il le l?cha. Marchenoir trouva la chose tr?s simple, ayant d?j? p?n?tr? cette ?me. Ce ne fut ni une rupture d?clar?e, ni m?me une brouille. Ce fut, de part et d'autre, comme une verte pouss?e d'indiff?rence entre les intentions inefficaces dont cette amiti? avait ?t? pav?e. On avait eu peu d'illusions et on ne s'arrachait aucun r?ve. De loin en loin, une poign?e de main et quelques paroles distraites quand on se rencontrait. C'?tait tout. D'ailleurs, le rayonnant Alexis montait de plus en plus dans la gloire, il devenait empyr?en. Qu'avait-il ? faire de ce guenilleux brutal qui refusait de l'admirer? Heureusement, ce ne fut qu'un ?clair. Le journal immense, bient?t ?pouvant? des t?m?rit?s scarlatines du nouveau venu et de son scandaleux catholicisme, s'empressa de le cong?dier. L'ex?cut? Marchenoir vit se fermer aussit?t devant lui toutes les portes des journaux, sympathiquement agit?s du m?me effroi et, plein de famine, ?vinc? du festin royal de la Publicit?, pour n'avoir pas voulu rev?tir la robe nuptiale des ripaillants maquereaux de la camaraderie, il replongea dans les ext?rieures t?n?bres d'o? ne purent le tirer deux livres sup?rieurs, ?touff?s sans examen sous le silence concert? de la presse enti?re. Le fatidique Dulaurier, qui n'avait jamais eu la pens?e de secourir ce r?fractaire d'une parcelle de son cr?dit de feuilletoniste influent, n'?tait, certes pas, homme ? se compromettre en jouant pour lui les Bons Samaritains. Dans les rencontres peu souhait?es que leur voisinage rendait difficilement ?vitable, il sut se borner ? quelques protestations admiratives, accompagn?es de g?missements m?lodieux et d'affables reproches sur l'intransigeance, au fond, pleine d'injustice, qui lui avait attir? cette disgr?ce. --Pourquoi se faire des ennemis? Pourquoi ne pas aimer tout le monde qui est si bon? L'?vangile, d'ailleurs, auquel vous croyez, mon cher Ca?n, n'est-il pas l? pour vous l'apprendre? Il osait parler de l'?vangile!... et c'?tait pourtant vers cet homme que le naufrag? Marchenoir se voyait r?duit ? tendre les bras! En cons?quence, il se r?confortait d'un peu de sommeil, apr?s cette lyrique dilapidation de son fluide. --Est-ce vous, Fran?ois? dit-il d'une voix languissante, en s'?veillant au faible bruit de la porte de sa chambre ? coucher que le domestique entr'ouvrait avec pr?caution. --Oui, Monsieur, c'est une lettre tr?s press?e pour Monsieur. --C'est bien, posez-la ici. Ouvrez les rideaux et apportez du feu. Je vais me lever dans un instant ... Il me semble que j'ai beaucoup dormi, quelle heure est-il donc? Dulaurier referma les yeux et, dans la ti?deur du lit, au grondement d'un excellent feu, s'immergea dans l'exquise ignavie matutinale de ces colons de l'heureuse rive du monde, pour qui la journ?e, qui monte est toujours sans menaces, sans abjection de comptoir ni servitude de bureau, sans le dissolvant effroi du cr?ancier et la diaphragmatique tr?pidation des coliques de l'?ch?ance, sans tout le cauchemar des plafonnantes terreurs de l'exp?dient ?ternel!
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