Read Ebook: Clotilde by Karr Alphonse
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Ebook has 1197 lines and 79778 words, and 24 pages
Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.
OEUVRES COMPL?TES
D'ALPHONSE KARR
CLOTILDE
CALMANN L?VY, ?DITEUR
DU M?ME AUTEUR
Format grand in-18
A BAS LES MASQUES! 1 Vol. A L'ENCRE VERTE 1 -- AGATHE ET C?CILE 1 -- L'ART D'?TRE MALHEUREUX 1 -- AU SOLEIL 1 -- BOURDONNEMENTS 1 -- LES CAILLOUX BLANCS DU PETIT POUCET 1 -- LE CHEMIN LE PLUS COURT 1 -- CLOTILDE 1 -- CLOVIS GOSSELIN 1 -- CONTES ET NOUVELLES 1 -- LE CREDO DU JARDINIER 1 -- DANS LA LUNE 1 -- LES DENTS DU DRAGON 1 -- DE LOIN ET DE PR?S 1 -- DIEU ET DIABLE 1 -- ENCORE LES FEMMES 1 -- EN FUMANT 1 -- L'ESPRIT D'ALPHONSE KARR 1 -- FA DI?ZE 1 -- LA FAMILLE ALAIN 1 -- LES FEMMES 1 -- FEU BRESSIER 1 -- LES FLEURS 1 -- LES GAIET?S ROMAINES 1 -- GENEVI?VE 1 -- GRAINS DE BON SENS 1 -- LES GU?PES 6 -- H?L?NE 1 -- HISTOIRE DE ROSE ET DE JEAN DUCHEMIN 1 -- HORTENSE 1 -- LETTRES ?CRITES DE MON JARDIN 1 -- LE LIVRE DE BORD 4 -- LA MAISON CLOSE 1 -- LA MAISON DE L'OGRE 1 -- MENUS PROPOS 1 -- MIDI A QUATORZE HEURES 1 -- NOTES DE VOYAGE D'UN CASANIER 1 -- ON DEMANDE UN TYRAN 1 -- LA P?CHE EN EAU DOUCE ET EN EAU SAL?E 1 -- PENDANT LA PLUIE 1 -- LA P?N?LOPE NORMANDE 1 -- PLUS ?A CHANGE 1 -- ..... PLUS C'EST LA M?ME CHOSE 1 -- LES POINTS SUR LES I 1 -- POUR NE PAS ?TRE TREIZE 1 -- PROMENADES AU BORD DE LA MER 1 -- PROMENADES HORS DE MON JARDIN 1 -- LA PROMENADE DES ANGLAIS 1 -- LA QUEUE D'OR 1 -- RAOUL 1 -- LE R?GNE DES CHAMPIGNONS 1 -- ROSES NOIRES ET ROSES BLEUES 1 -- LES SOIR?ES DE SAINTE-ADRESSE 1 -- LA SOUPE AU CAILLOU 1 -- SOUS LES POMMIERS 1 -- SOUS LES ORANGERS 1 -- SOUS LES TILLEULS 1 -- SUR LA PLAGE 1 -- TROIS CENTS PAGES 1 -- UNE HEURE TROP TARD 1 -- UNE POIGN?E DE V?RIT?S 1 -- VOYAGE AUTOUR DE MON JARDIN 1 --
LA P?N?LOPE NORMANDE, com?die en 5 actes in-18 2 fr. >> LES ROSES JAUNES, com?die en 1 acte 1 fr. 50
MESSIEURS LES ASSASSINS, brochure in-8? 1 fr. >>
?MILE COLIN--IMP. DE LAGNY
CLOTILDE
PAR
ALPHONSE KARR
NOUVELLE ?DITION
PARIS
CALMANN L?VY, ?DITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL L?VY FR?RES
Droits de reproduction, et de traduction r?serv?s.
CLOTILDE
PREMI?RE PARTIE
Devant Trouville, la mer s'?tend immense et d?couvre, ? la mar?e basse, une plage d'un quart de lieue, d'un sable plus fin que du gr?s pulv?ris?. Quand on regarde la mer, on a ? sa gauche une petite rivi?re qui descend du pays haut, et vient se jeter dans la mer. Quand le flot remonte, il envahit le lit de la Touque, qui rebrousse vers sa source et se r?pand au del? de ses rives dans les endroits o? elle n'est pas suffisamment encaiss?e.
C'?tait ? la fin d'une chaude journ?e de juin: le soleil ?tait descendu dans la mer; une teinte d'un orange vif s'?tendait sur le ciel, depuis la mer jusqu'? une ceinture de gros nuages noirs qui pesaient ? l'horizon. Cette teinte allait se d?gradant ? mesure qu'elle s'?loignait des points o? le soleil avait disparu, et passait par toutes les nuances du jaune jusqu'au nankin et ? la couleur du saumon p?le. Des flocons gris?tres qui roulaient sur les nuages les plus solides prenaient, du jaune du ciel et du noir de ces nuages, des tons d'un vert sinistre.
Le galet s'agitait au fond de la mer et faisait entendre comme un bruit de cha?nes.
Le vent soufflait par bouff?es et par rafales; le soleil, ou plut?t le reflet qu'il laissait apr?s lui ? l'horizon, dorait encore les toits des maisons de Trouville, plac?es ? l'opposite; mais la mer ?tait sombre, et surtout elle paraissait toute noire sous la large bande orange du ciel; seulement, le vent enflait les lames, et les pointes des vagues plus ?lev?es, travers?es par les derniers rayons, ?taient vertes et transparentes. De petits navires se d?coupaient en noir sur le ruban orange: la coque des b?timents, les voiles, les m?ts, jusqu'aux gros cordages, se distinguaient ainsi ? une grande distance.
La plage ?tait couverte de monde: des p?cheurs avec le bonnet de laine rouge et la chemise de laine bleue. Ils interrogeaient l'horizon d'un regard avide. Une des silhouettes noires se d?tacha du fond orange; d'abord elle se pr?senta plus confuse et plus ?troite; le b?timent virait de bord: on n'e?t pu dire s'il marchait vers la terre ou s'il s'?loignait plus au large. Mais bient?t on le vit moins noir et moins distinct; il ?tait alors ?vident qu'il venait ? terre, et qu'? mesure qu'il s'?loignait du foyer de la lumi?re du soleil couch? il s'?clairait comme s'?clairaient les maisons de Trouville, et que la teinte mixte qu'il prenait ne faisait plus une opposition aussi tranch?e avec la lumi?re.
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Tout le monde avait alors suivi le conseil donn? par l'un des p?cheurs, car la nuit approchait, et, quand on ?tait debout, l'homme qui ?tait ? la mer ne ressortait en rien sur le flot: mais, quand on le regardait de bas et obliquement, il formait une asp?rit? qui le dessinait sur l'horizon d?j? bien p?li.
L'?motion ?tait au plus haut degr?; le nageur courait ?videmment les plus grands dangers. Il n'y avait pas moyen de mettre une chaloupe ? la mer: elles ?taient ? sec, vu la mar?e basse, ? plus de deux cents pas de la mer; et, d'ailleurs, quand on e?t pu en tra?ner une jusqu'? la mer, ? force de bras et avec des rouleaux, elle n'e?t probablement pas pu revenir ? terre sans avoir, comme le bateau plus fort et mieux gr??, la chance d'aller aborder au Havre ou ? F?camp.
Par moments, le nageur semblait ma?triser la mer: il plongeait comme une mouette sous les lames qui brisaient en ?cume blanche, ou glissait sur les autres et s'avan?ait assez rapidement; mais, d'autres fois, plusieurs lames successives le repoussaient, l'entra?naient et lui faisaient perdre en peu d'instants le trajet qu'il avait mis un quart d'heure ? faire.
Cependant, quoiqu'il avan??t avec lenteur, il avan?ait toujours, et on ne tarda pas ? le distinguer assez pour s'apercevoir que, de temps en temps, il relevait avec la main ses longs cheveux, et les rejetait en arri?re; ce qui, par une mer aussi clapoteuse, annon?ait une grande libert? de mouvements et d'esprit.
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A ce moment, le nageur fut jet? sur le sable, o? il se cramponna contre une nouvelle lame, qui, cette fois, ne r?ussit pas ? l'emporter. Il fit quelques pas et sortit de l'eau; il ?tait nu jusqu'? la ceinture et avait pour tout v?tement un large pantalon de toile. L'eau d?gouttait de ses cheveux; les galets, lanc?s par la mer, lui avaient ?corch? la poitrine et les ?paules. Il se secoua, donna la main aux p?cheurs qui l'attendaient sur la plage, et, empruntant le paletot de l'un d'eux, il se dirigea vers le bourg. C'?tait, en effet, ma?tre Tony Vatinel, qui revenait ? Trouville pour faire une partie de loto chez M. de Sommery, colonel de cavalerie en retraite, retir? ? Trouville depuis quelque temps.
Madame de Sommery, qu'il avait ?pous?e en 1808, ? l'?poque o? les femmes n'aimaient que les militaires, et o? ceux-ci ne traitaient en pays conquis aucun pays autant que la France, madame de Sommery avait vu succ?der ? une beaut? assez commune un excessif embonpoint. Elle s'?tait aper?ue, depuis quelques hivers, qu'elle ne comptait plus dans le monde, o? elle avait cependant continu? ? aller pour marier sa fille, qui, cette ann?e, venait d'?pouser un M. Meunier. M. Meunier ?tait riche, et donnait ? sa femme une existence ?l?gante et confortable, et madame Meunier se consolait de la vulgarit? de son nom en r?digeant ainsi les billets d'invitation ? ses bals et ? ses soir?es:
M. et madame de Sommery avaient d?cid? qu'ils passeraient ? l'avenir toute l'ann?e ? Trouville, autant que madame de Sommery pouvait d?cider quelque chose dans la v?n?ration, dans la religion qu'elle avait pour son mari, qui ?tait ? ses yeux le plus grand homme des temps modernes, simplicit? dont je n'ai pas trop le courage de rire.
Pour M. de Sommery, c'?tait tout autre chose. Il n'avait avec sa femme qu'un point de contact: c'?tait la profonde admiration qu'il professait pour lui-m?me et l'importance qu'il attachait ? son moindre geste, ? la plus simple syllabe qui tombait de ses l?vres. C'?tait un de ces compos?s de croyances b?tes et d'incr?dulit?s syst?matiques qui seraient bien extraordinaires s'ils n'?taient si communs aujourd'hui. Il avait pour Voltaire le culte qu'il refusait positivement ? Dieu. Il se piquait de ne pas saluer les morts ni le saint sacrement, et de traverser la procession de la F?te-Dieu le chapeau sur la t?te. Le but de ses attaques ?tait perp?tuellement l'abb? Vorl?ze, le cur? de Trouville, avec lequel il jouait cependant aux ?checs tous les soirs. Mais l'abb? se d?fendait si peu, qu'il ne servait qu'? faire briller son adversaire. M. de Sommery avait souvent bien de la peine ? lancer dans la discussion l'abb?, semblable ? ces daims d'un parc royal o? l'empereur Napol?on voulut un jour chasser, et que des piqueurs ?taient oblig?s de poursuivre ? coups de cravache pour les faire courir.
M. de Sommery n'?tait pas moins absolu en politique qu'en religion; il d?testait tout pouvoir, quel qu'il f?t et quoi qu'il f?t. Il ne parlait qu'avec un souverain m?pris de tout ce qui avait avec lui le moindre rapport. Quand il s?journait ? Paris, il grommelait entre ses dents s'il passait pr?s d'un balayeur ou d'un allumeur de r?verb?res, parce qu'ils ont le malheur d'?tre sous l'administration de la police. A Trouville, il appelait l'afficheur de la mairie <
En litt?rature, il connaissait M. de B?ranger, et le mettait sans h?siter au-dessus d'Horace, qu'il n'avait jamais lu, et aussi D?saugiers, dont il savait plusieurs chansons grivoises. C'?tait ? table surtout qu'il se manifestait dans toute sa splendeur. Il parlait des folies de sa jeunesse, des femmes de chambre de sa m?re, ravissantes cr?atures qui l'adoraient, des petites cousines, aux maris futurs desquelles il avait jou? de bons tours, etc. etc.
Il ?tait ce qu'?tait alors la moiti? de la France, ? la fois lib?ral et bonapartiste; c'est-?-dire quelque chose d'absurde, attendu qu'il n'est pas douteux que Bonaparte, s'il f?t rest? empereur, n'e?t fait aux id?es dites lib?rales une guerre plus hardie et plus efficace que n'osa jamais la leur faire la Restauration. En religion, il faisait l'?loge de la religion protestante, parce qu'elle permet l'examen des dogmes et la discussion. En politique, au contraire, il n'e?t pour rien au monde consenti ? lire un autre journal que le sien.
Au fond de tout cela, c'?tait le meilleur homme du monde. Il ch?rissait sa femme et ses enfants, et il avait g?n?reusement pris soin de la fille d'un de ses compagnons d'armes, qui ?tait mort en la laissant sans aucune ressource. Marie-Clotilde Belfast avait ?t? ?lev?e avec les enfants de son bienfaiteur, Arthur et Alida. Les domestiques n'avaient jamais ?t? admis ? faire entre eux la moindre diff?rence, et il n'existait nullement de distinction entre elle et les enfants de la maison, que la d?f?rence que Clotilde, qui ?tait une fille adroite et perspicace, manifestait pour eux sans que personne e?t jamais eu l'air de l'exiger. Ainsi, quand il s'agissait d'une promenade, et que les trois enfants devaient donner leur avis sur le lieu et l'heure du d?part, elle ?tait toujours de l'opinion des autres; en fait de parure, sans affectation, elle savait ne rien choisir qu'apr?s qu'Alida avait laiss? percer son go?t, pour lui laisser ce qu'elle pr?f?rait. Elle avait une fois renonc? ? une coiffure qu'elle aimait, parce qu'on lui avait dit qu'elle lui allait mieux qu'? mademoiselle de Sommery.
Depuis le mariage d'Alida, les deux jeunes filles avaient cess? de se revoir, et, d'ailleurs, Alida, avait chang? d'id?es ? son ?gard.--D?s le lendemain de leur mariage, il se r?v?le aux filles une foule d'id?es dont elles ne paraissaient pas m?me avoir le germe. Alida se rappelait avec inqui?tude que son p?re devait doter Clotilde, et que cette dot serait prise sur la fortune dont une partie devait lui revenir. Ses lettres ? Clotilde devinrent froides; puis elle n'?crivit plus.
Arthur ?tait fort amoureux de Clotilde, qui n'avait rien n?glig? pour augmenter cette passion, quoique le jeune homme ne lui pl?t pas. Arthur, bon, spirituel ? un certain degr?, n'avait pas la dose d'?nergie n?cessaire pour dominer une femme comme Clotilde; les femmes n'aiment r?ellement que les hommes qui sont plus forts qu'elles.
Les dispositions qu'elle avait apport?es ? Trouville avaient ?t? un peu alt?r?es depuis quelque temps par la pr?sence de Tony Vatinel. Ce jeune homme, fils d'un patron de barque, ma?tre Vatinel, maire de Trouville, assez riche pour l'endroit et pour la profession, avait ?t? par son p?re envoy? ? Paris pour y faire ses ?tudes. Tony ?tait revenu cette ann?e et avait revu avec enthousiasme la mer et les bateaux. Il avait reconnu tous les p?cheurs et tous les marins de Trouville, et il passait sa vie avec eux, se promettant bien de ne plus remettre les pieds ? Paris. C'?tait une nature vigoureuse et absolue; il lui fallait l'Oc?an, le vent, les dangers. Le cur? l'aimait beaucoup et l'avait fait inviter chez M. de Sommery, o? il passait presque toutes ses soir?es. Il n'avait pas tard? ? devenir amoureux de Clotilde.
Clotilde, en effet, ?tait une ravissante cr?ature; elle ?tait surtout bien compl?tement femme.
Nous l'avons dit ailleurs: <
Clotilde, au contraire, ?tait remarquablement petite, svelte, l?g?re; ses pieds ?troits semblaient si peu faits pour marcher, qu'on lui cherchait presque des ailes.--D'?pais cheveux blonds tombaient en flocons des deux c?t?s de son visage, si fins, si d?li?s, que l'haleine de la personne qui lui parlait les agitait et les faisait frissonner. Sa voix ?tait harmonieuse et douce; ses pas aussi peu bruyants que ceux d'un chat; simple, na?ve, ignorante en apparence, elle ?tait r?ellement pleine d'adresse et d'une p?n?tration infinie. Tony n'e?t pas os? l'aimer; il l'adorait. Elle subissait l'influence de ce jeune homme si beau, si fier, si robuste, si audacieux, et devant lui elle se sentait troubl?e et domin?e. Seulement, elle l'aimait en femme, c'est-?-dire tel qu'il ?tait.
Lui aimait en elle tous les r?ves de son coeur et de son esprit, tout ce qu'il y a de beau sur la terre et dans le ciel, tout ce qu'elle n'?tait pas.
Voil? au milieu de quels personnages entra Tony Vatinel, apr?s ?tre all? s'habiller chez lui et avoir de son mieux essuy? ses cheveux noirs tout empreints de l'eau sal?e.
Madame de Sommery, ? laquelle son mari permettait d'avoir de la religion, parce que c'?tait un contraste qui donnait plus d'?clat ? son affectation d'impi?t?, souffrait int?rieurement de se voir mieux assise que l'abb?, car le reste de l'ameublement se composait de chaises modernes.
M. et madame de Sommery tenaient donc les deux coins de la chemin?e, et chacun d'eux avait devant lui une table et deux bougies. Sur la table de M. de Sommery ?tait un ?chiquier, et en face de lui l'abb? Vorl?ze. A l'autre table, Clotilde, Alida Meunier et Arthur de Sommery.
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