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Read Ebook: Clotilde by Karr Alphonse

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Ebook has 1197 lines and 79778 words, and 24 pages

M. et madame de Sommery tenaient donc les deux coins de la chemin?e, et chacun d'eux avait devant lui une table et deux bougies. Sur la table de M. de Sommery ?tait un ?chiquier, et en face de lui l'abb? Vorl?ze. A l'autre table, Clotilde, Alida Meunier et Arthur de Sommery.

Aussit?t qu'on vit entrer Tony Vatinel, Arthur se rapprocha de Clotilde assez pour qu'elle f?t oblig?e de se reculer un peu; cela la contraria. Elle avait m?nag? entre elle et madame de Sommery une place destin?e ? Tony, et cette place n'existait plus. Son c?t? droit, d?fendu par Arthur, ?tait ?galement inabordable. Tony s'assit en face d'elle, entre Arthur et madame Meunier .

L'abb? Vorl?ze avait une sorte de redingote violet fonc?; cette redingote sans taille, serr?e au corps, le faisait para?tre encore plus long et plus mince qu'il n'?tait, quoiqu'il le f?t extr?mement. Sa figure p?le et maladive avait une s?r?nit?, une bonhomie, qui le faisaient aimer ? premi?re vue. Il avait la voix calme et peu sonore. Il fallait l'?couter pour l'entendre dans les discussions que M. de Sommery avait quelquefois avec lui; M. de Sommery n'entendait jamais un mot de ce que lui r?pondait l'abb?; de sorte qu'au lieu de lui r?pondre ? son tour, il r?futait non l'argument qu'?non?ait l'abb?, mais celui auquel lui, M. de Sommery, croyait avoir la r?plique la plus triomphante.

M. de Sommery avait les cheveux gris, ramen?s et coll?s sur les faces, le teint un peu rouge, les sourcils habituellement fronc?s, non que cela peign?t rien de f?roce qui se serait pass? au dedans de lui, mais c'?tait une suite de l'habitude qu'ont beaucoup d'anciens militaires de se donner un air s?v?re et m?chant qui impose singuli?rement au bourgeois. D'?paisses moustaches, plus noires que ses cheveux, cachaient enti?rement sa bouche et tout ce quelle e?t exprim? de bont?.

Il ?tait v?tu d'une redingote bleue descendant presque jusqu'? terre, d'un gilet jaune p?le et d'un pantalon de la couleur de la redingote, tombant sur les bottes, sans ?tre retenu par des sous-pieds. Le ruban de la L?gion d'honneur couvrait tout l'espace compris entre les deux boutonni?res d'en haut du revers gauche de la redingote; il portait, m?me ? la maison, un tr?s-haut et tr?s-inflexible col noir en baleine avec un lis?r? blanc.

Madame de Sommery avait une robe de m?rinos amarante, ? taille courte et ? manches ?troites; un faux tour de cheveux noirs, un bonnet surcharg? de rubans jaunes. Jamais une figure ne peignit plus d'apathie; elle n'avait de force que pour exister et faire ? peu pr?s mouvoir ce gros corps qui semblait n'avoir pas ?t? pr?vu dans ce que la nature lui avait donn? de puissance motrice.

Madame Meunier, n?e Alida de Sommery, ?tait une femme quelconque, avec une robe, une figure, des poses, des gestes, une voix ?galement quelconques; mais le tout, robe, gestes, voix, figure, ? la derni?re mode de Paris.

Elle ?tait en cela toute pareille ? monsieur son fr?re, Arthur de Sommery.

C'est ce qui m'emp?che, ? ma belle lectrice! d'insister sur le portrait de ces deux personnages. Si je les peignais exactement, ils seraient costum?s ? la mode de 1815, ce qui ne vous repr?senterait nullement des dandys; si, au contraire, pour vous mieux repr?senter la chose, je les habillais ? la mode d'aujourd'hui, ce serait mentir ? l'histoire...

Il y a l? un trait que plus de trois millions de personnes trouveraient spirituel, et dont je me prive, ? ma belle lectrice! parce que vous ne seriez peut-?tre pas de cet avis.

Je pourrais, je devrais ajouter: <>

Je n'ajoute pas cette ligne et demie, et voici mes raisons:

Une ann?e, on porte les gilets trop longs, l'ann?e d'apr?s on les porte trop courts; la troisi?me ann?e, trop longs, et la quatri?me, trop courts. Les pantalons trop larges deviennent trop ?troits, pour redevenir trop larges. Le chapeau ?largit et r?tr?cit ses bords.

Les femmes passent des tailles longues et des manches larges aux manches justes et aux tailles courtes, pour revenir l'ann?e prochaine ? ce qu'elles ont abandonn? cette ann?e.

Si quelqu'un s'avise de vouloir sortir de ce cercle, on crie haro sur lui.

On n'a jamais os? changer les formes des hideux chapeaux des hommes. Celui qui l'essayerait risquerait d'?tre lapid? et d?chir? par le peuple le plus poli et le plus changeant de la terre.

En 1832, des jeunes gens se sont gris?s pour se donner l'audace de porter des chapeaux roses. C'?tait fort laid, il faut le dire; et lesdits jeunes gens pensaient par l?, tant le moindre changement a de gravit?, renverser le gouvernement, si tant est qu'il y ait un gouvernement en France. Eh bien! le peuple les a battus et la police les a plong?s dans des cachots; sans cela, ce seul changement de couleur d'une douzaine de feutres e?t in?vitablement ramen? les horreurs de 1793.

Il est difficile de voir un pays plus attach? ? la forme de son chapeau.

Je n'admets donc pas que la mode soit si capricieuse et si mobile qu'on le pr?tend. Loin d'?tre une d?esse l?g?re, fugitive, prismatique, avec une ?charpe couleur arc-en-ciel, c'est une vielle sibylle, radoteuse et monotone.

Voil? pourquoi je me suis abstenu du trait en question.

Clotilde avait une robe d'un vert, tr?s-fonc?. Tony Vatinel, un paletot large de gros drap bleu; ses cheveux n'?taient pas encore s?ch?s; aussi, quand il entra, Clotilde lui dit: <>

Tony conta qu'il avait mont? sur un des bateaux de son p?re, qui devait rentrer de bonne heure; mais que, le vent ayant oblig? le patron d'aller rel?cher ? F?camp, il s'?tait fait approcher le plus pr?s possible de la plage et ?tait venu en nageant, ce qui lui avait pris un peu de temps, parce que la mer ?tait assez mauvaise.

La manoeuvre d'Arthur n'avait pas ?chapp? ? Tony, et il avait vu s'?vanouir comme des ombres l?g?res toutes les esp?rances qu'il ?tait venu chercher ? travers un si grand p?ril.

La veille, en effet, deux fois en remettant dans le sac les boules du loto, apr?s les parties jou?es, sa main avait touch? celle de Clotilde, et il lui avait sembl? que Clotilde apportait ? ramasser ces boules une lenteur affect?e qui prolongeait ce contact de leurs deux mains. ?'avait ?t? pour Tony Vatinel une impression si neuve et si ravissante, que sa vie n'avait plus pour but que de la retrouver. Clotilde, pour lui, ?tait quelque chose de si prodigieusement au-dessus de l'humanit?, que le soup?on seul d'?tre aim? d'elle l'?levait lui-m?me ? ses propres yeux.

Depuis la veille, il avait vu se reculer l'horizon de sa vie. Tout avait chang? d'aspect: ce n'?tait plus la m?me terre sur laquelle il marchait; ce n'?tait plus le m?me soleil qui l'?clairait; le ciel ?tait d'un autre bleu. Tout ce qui l'int?ressait auparavant s'?tait rapetiss? ou avait compl?tement disparu. Il ne s'agissait plus que d'une chose, c'?tait de sentir la main de Clotilde toucher la sienne.

Il s'assit assez triste ? la place que lui avait assign?e la strat?gie d'Arthur, n'attendant du jeu de loto, pour ce soir-l?, que la somme de plaisirs qu'il renferme r?ellement en lui-m?me.

Le silence se r?tablit pendant quelques instants; mais, l'avantage demeurant toujours au colonel, il ne tarda pas ? trouver un nouveau moyen de harceler le cur? sans sortir des termes de la capitulation.

La tour, prends garde... O? allez-vous, monsieur l'abb?... Viens, gentille dame... Le bon roi Dagobert...

M. Vorl?ze fit faire ? son roi un pas de c?t? pour le tirer d'?chec, et M. de Sommery continua ? chanter:

La tour prends garde...

le colonel fit avec la langue un claquement d'impatience et de mauvaise humeur, et il renvoya du pied Baboun, qui ?tait rest? au coin du feu toute la soir?e.

Je n'ai pas encore parl? de Baboun. Baboun ?tait un petit chien anglais noir, ? poil ras, le museau et les pattes orange; Baboun avait servi avec son ma?tre, M. de Sommery, dans les carabiniers. N? au r?giment, v?ritable enfant de troupe, Baboun avait six ans de services, trois campagnes, une blessure et des rhumatismes; les soldats pr?tendaient que Baboun avait le rang de brigadier dans le r?giment. Baboun avait quitt? les drapeaux en m?me temps que le colonel, et tous deux ?taient venus prendre leurs invalides ? Trouville.

Baboun ?tait vieux; le jais de son dos et de ses tempes ?tait m?lang? de poils blancs. Il restait volontiers couch? une partie du jour sur un coussin de velours d'Utrecht vert, au coin du feu et assis entre les jambes de M. de Sommery; ce n'?tait plus, ? beaucoup pr?s, le Baboun d'autrefois, leste, fringant, le premier lev? quand on sonnait le r?veil, toujours pr?t ? monter sur le cheval de son ma?tre pour le mener ? l'abreuvoir; toujours sautant, courant, rentrant exactement ? l'heure des repas et ? celle de la retraite. Baboun ?tait devenu lourd et paresseux. Si on l'appelait, il d?tirait ses pattes, b?illait, prenait la plus renfrogn?e de ses mines, et s'avan?ait au pas. Je dirai plus, Baboun devenait morose et humoriste, si on l'?veillait sans m?nagement. Il grommelait entre le reste de ses vieilles dents, qu'il montrait en rechignant et retirant ses babines. Il devenait difficile et d?daignait des mets qu'il n'e?t pas os? r?ver quand il ?tait au service. Il n'aimait pas ? ?tre r?veill? de bonne heure, et s'endormait aussit?t le d?ner fini. Si le chat de la maison s'avisait de vouloir jouer et venait se frotter contre lui en faisant le gros dos, ce qu'autrefois Baboun e?t pris parfaitement, un sourd grognement annon?ait qu'il ne voulait pas ?tre troubl? dans sa m?ditation, et, si le chat insistait, il ne devait pas tarder ? faire un bond en arri?re, pour ?viter un coup de croc que le pauvre Baboun donnait dans le vide. Ses dents claquaient les unes contre les autres, et ses yeux mornes se ranimaient un moment et lan?aient des ?clairs qui ne tardaient pas ? s'?teindre. Si Baboun e?t su parler, il e?t radot?.

Baboun, pouss? du pied par son ma?tre, se l?ve et le regarde tristement. <> Baboun revint en remuant la queue; il l?cha la main de son ma?tre qui le flattait, et se remit sur son coussin de velours vert, et il ne tarda pas oublier ce petit chagrin dans un sommeil profond et bienfaisant.

Ici, le regard et la voix du colonel reprirent de la douceur et de l'enjouement; il ?tait content de sa phrase et de son attaque si bien amen?e contre l'?glise; il triomphait. Il ajouta en souriant: <> Et il se mit ? rire de tout son coeur, d'un rire bruyant, d'un rire de ma?tre de maison prenant d'avance pour lui seul toute la gaiet? que pouvait produire le mot qu'il croyait avoir dit. Il ?tait tard. L'abb? se retira. <> dit M. de Sommery, et il fit r?p?ter plusieurs fois une r?ponse n?gative; il se leva pour lui souhaiter le bonsoir en lui serrant les mains. L'abb? se retira touch? de ces manifestations inusit?es. S'il f?t rest?, je crois que M. de Sommery l'e?t fait asseoir dans son fauteuil, tant le brave colonel ?tait bon homme au fond, et, tout en aimant ? sabrer, ?tait d?sol? de la pens?e d'avoir bless? quelqu'un. N?anmoins, quand l'abb? fut parti, il reprit sa th?se contre les gens d'?glise. Il fit l'?loge de la religion protestante, qu'il ne connaissait pas, et de l'abb? Ch?tel, qui venait, ? Paris, de se faire sacrer ?v?que par un ancien ?v?que asserment?, devenu ?picier rue de la Verrerie, et qui avait pris, rue de la Sourdi?re, une ?glise de gar?on garnie, au premier au-dessus de l'entre-sol, o? la chemin?e servait d'autel, et le portier, sexag?naire, d'enfant de choeur; puis il finit par un discours sur le fanatisme et la tyrannie du clerg?; le tout ? propos du pauvre abb? Vorl?ze, qui, depuis deux ans, demandait inutilement qu'on fit au presbyt?re quelques r?parations dont l'urgence l'e?t rendu inhabitable pour un homme moins simple et moins craintif. On finit alors la partie de loto, et Tony Vatinel se retirait fort triste, quand Clotilde s'approcha de lui, saisit sa main et y glissa un papier fort petit, sur lequel il lut, quand il fut sorti de la maison: <>

Quand Clotilde se fut retir?e dans sa chambre; quand elle se fut assur?e qu'elle poss?dait la clef de la maison pour pouvoir sortir et rentrer; quand elle n'eut plus ? lutter contre les difficult?s de son entreprise; quand elle ne vit plus d'obstacles ? sa volont?, elle eut peur. Seulement alors, elle aper?ut tous les inconv?nients et toute l'imprudence de sa d?marche; la r?sistance que lui avaient oppos?e les habitudes de la maison avait irrit? sa volont? et l'avait affermie dans une r?solution qui l'?pouvantait depuis que cette sorte de lutte avait cess?.

Lorsque, dans un taillis, vous apercevez un chevreuil broutant les jeunes pousses des arbres, si vos pieds ont fait fr?mir les vieilles feuilles des ch?nes, qui ne sont tomb?es que lorsque les nouvelles ont paru, le chevreuil frissonne, l?ve sur vous deux grands yeux noirs; puis, d?tendant les ressorts de ses jarrets d'acier, il s'?lance ? travers les broussailles. Cette fuite, cette r?sistance, vous animent, et vous frappez de loin d'un plomb meurtrier le chevreuil, qui fait encore deux ou trois bonds convulsifs, et tombe en tachant seulement de quelques gouttes de sang sa robe fauve et lustr?e. Mais, si vous eussiez pu voir de pr?s ses regards inquiets, ses flancs agit?s par la crainte, s'il vous e?t laiss? plus longtemps contempler son corps svelte et ses petits pieds fr?missants, et surtout le calme et la paix qu'il trouvait entre les gen?ts aux fleurs d'or, sur ces tapis de bruy?re rose, ? la douce odeur qu'exhale le feuillage des ch?nes; s'il vous e?t fallu de pr?s le tuer avec vos mains, vous eussiez recul? d'?pouvante ? cette seule pens?e, et alors, ? votre tour, la poitrine oppress?e, suspendant vos pas, vous eussiez craint de d?ranger ce bonheur cach?.

Clotilde avait peur; elle ne comprenait plus elle-m?me comment elle avait os?, comment elle avait pu aller si loin.

Cet entretien avec Tony Vatinel, qui lui avait sembl? ne pouvoir ?tre retard? tant qu'elle l'avait cru impossible, elle n'en voyait plus, sinon la n?cessit?, du moins l'urgence, maintenant que rien ne l'emp?chait plus. Un frisson qu'elle ne pouvait r?primer agitait tous ses membres; elle se levait, elle s'asseyait, elle regardait sa pendule: tant?t elle e?t voulu que l'heure indiqu?e arriv?t tout ? coup pour ne pas lui laisser de r?flexion, tant?t elle regardait avec terreur l'aiguille avancer fatalement. Elle cherchait dans sa m?moire les causes qui l'avaient conduite ? donner un rendez-vous ? Tony Vatinel, et elle ne les retrouvait plus. Arthur ?tait amoureux d'elle; elle avait encourag? cet amour; elle marchait ? son but. Avec de l'adresse et de la suite dans les actions et dans les id?es, elle devait devenir madame de Sommery. Le p?re et la m?re d'Arthur la ch?rissaient; elle n'?tait s?par?e d'Arthur que par des pr?jug?s contre lesquels M. de Sommery n'avait pas pass? une journ?e de sa vie sans faire au moins une phrase.

Que voulait-elle de Tony Vatinel? ?tre aim?e de lui, c'?tait perdre tout ce qu'elle avait voulu, tout ce qu'elle avait r?v?; c'?tait rejeter le fruit de plusieurs ann?es de soins, d'adresse, d'humiliations; c'?tait renoncer ? ce nom, ? cette fortune qui lui co?taient d?j? si cher!

Mais Clotilde aimait Tony Vatinel; il lui semblait qu'aim?e de lui elle trouverait tout en lui. Il ?tait si beau, si ?nergique, la fortune ne pourrait rien lui refuser; s'il l'aimait, lui, il saurait faire de ce nom obscur de Vatinel un nom dont elle serait fi?re, un nom que lui envieraient les autres femmes, un nom qui ne lui laisserait jamais regretter celui d'Arthur. S'il l'aimait, il deviendrait riche et puissant. Il devait exercer sur le monde entier cette puissance de fascination que poss?dait sur elle son regard.

A sa voix, tout le monde devait comme elle frissonner et ob?ir. Ah! quand cet homme fort sera amoureux, il se fera reconna?tre au monde pour un de ses ma?tres.

Et elle, Clotilde, cette ?nergie qu'elle a trouv?e dans sa t?te pour travailler en secret ? la r?alisation d'un plan d?j? si avanc?, combien elle sera doubl?e quand elle y ajoutera toutes les puissances de son ?me; o? n'arriveront-ils pas ensemble, unis, s'appuyant l'un sur l'autre!...

Oh! oui, il fallait lui parler, car, le matin, Arthur avait ?crit ? Clotilde: <>

La lune s'est lev?e derri?re Trouville et ?claire la mer, que l'on aper?oit de la hauteur ? travers les branchages des haies qui bordent le chemin. Depuis longtemps, le vent s'est apais?; la mer est muette comme l'air. Au milieu de ce profond silence, le moindre de ses mouvements cause un bruit qui l'effraye. Si sa robe touche un buisson, elle s'arr?te, ?coute, et n'ose retourner la t?te. Le bruit de ses art?res l'emp?che d'entendre; elle se calme, personne ne la suit. Elle est seule, seule sous ces grands arbres qui projettent des ombres bizarres; elle avance; elle les fuit, et le chemin tourne en s'enfon?ant un peu dans les terres. Tout ? coup, elle aper?oit la niche de la Vierge, dans le mur, au coin d'une haie.

<> Et elle s'appuya sur son bras comme si elle se f?t sentie pr?s de tomber. En effet, elle ?tait p?le et extraordinairement ?mue. Pour Vatinel, il sentait les mots qu'il voulait dire lui serrer la gorge et l'?trangler; aussi se contenta-t-il, pendant quelque temps, de la regarder sans parler et sans presque respirer. Il ?tendit son manteau sur le banc de pierre plac? au-dessous de la niche de la Vierge, et l'y fit asseoir.

Un homme jeune comme Vatinel, exalt? comme lui, place si fort au-dessus des nuages la premi?re femme qu'il aime, qu'il ne peut, sans une extr?me surprise, lui voir faire quelque chose dans les humbles conditions de l'humanit?.

Clotilde ?tait aussi en proie ? des sensations toutes nouvelles. Ce n'?tait pas une fille romanesque. C'?tait moins encore une r?veuse. Les femmes en g?n?ral le sont peu, ou du moins leurs r?veries restent circonscrites dans les espaces r?els; elles n'ont pas au m?me degr? que l'homme la perception de l'infini. Il faut que toute id?e puisse se traduire ? leurs yeux par une forme visible; leur religion est l'amour pour un Dieu fait homme. Mais, nous l'avons dit, Clotilde aimait Vatinel et elle ?tait domin?e par lui. Elle ?tait sous l'empire d'une exaltation ?trang?re ? sa nature; l'amour prenait pour elle un parfum tout mystique, et, en m?me temps que Clotilde devenait une femme pour Vatinel, Vatinel pour Clotilde devenait un Dieu.

Cependant, d'o? ils ?taient plac?s, ils voyaient toujours, au loin et sous leurs pieds, la mer mollement ?clair?e des p?les rayons de la lune.

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